
30 décembre 2020 : Les gauches, la laïcité, les idées

Une division traverse la gauche (ou les gauches) : quelle conception de la laïcité devons-nous défendre ? Et, pourquoi le cacher, cette question est posée, ou nous est imposée, par l’islam. L’usage de ce dernier mot est d’ailleurs une partie du problème. On nous rabâche sans cesse qu’il ne faut pas confondre islam et islamisme, ou musulmans et intégristes, air connu qui semble frappé au coin du bon sens, mais qui découle peut-être, justement, de la notion de laïcité elle-même. Elle est à dimensions variables, et on le voit dans les pratiques de certains responsables politiques. Certains, par calcul ou par naïveté, font des concessions, passent des accords, par exemples sur des horaires de piscine réservés aux femmes, ou sur le port du voile, en espérant y gagner des voix, là où d’autres sont intraitables. Certains, par calcul ou par aveuglement, participent à des manifestations dans lesquelles on scande Allah akbar là où d’autres s’y refusent. Certains croient voir dans l’islam la religion des nouveaux damnés de la terre là où d’autres y voient une forme de fascisme.
Mais, semble-t-il, bien peu s’interrogent sur ce qui se passe en face. A la mi-novembre, le Président de la république avait réuni 8 des 9 fédérations membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui toutes d’étaient engagées à rédiger une « charte des valeurs » affirmant leur respect des principes et des lois de la République. Depuis lors, rien n’est venu. En fait, 3 des fédérations, en particulier celle qui est contrôlé par la Turquie, ont refusé un passage du texte qui avait été élaboré par le président du CFCM. Ce passage, le voici :
Par islam politique, la présente charte désigne les courants politiques et/ou idéologiques appelés communément : wahhabisme, salafisme, doctrine des frères musulmans, et plus généralement toute mouvance locale, transnationale ou internationale qui vise à utiliser l’islam afin d’asseoir une doctrine politique, notamment parmi celles qui fustigent la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes ou qui fait la promotion de l’homophobie, de la misogynie, de l’antisémitisme, de la haine religieuse et plus généralement toute idée ou pensée qui contesterait, directement ou indirectement, les principes fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Je sais, ce passage est un peu long, mais relisez-le tout de même avec soin car il constitue un portrait en creux de ce que pensent certains représentants des musulmans. D’autres passages ont d’ailleurs été refusés, l’un qui affirmait « ne pas qualifier l’apostasie de crime ni stigmatiser celles ou ceux qui renoncent à une religion », l’autre qui soulignait « l’importance de l’école laïque publique » et disait qu’ « aucune autorité religieuse ne peut remettre en question des méthodes pédagogiques».
La gauche est donc divisée sur la laïcité, mais on aimerait bien savoir ce que ses différents courants pense de cette « contre-laïcité » qui s’affirme dans le refus des passages ci-dessus. En fait, je n’ai jamais entendu le moindre écho de discussions sur ce point. Ce qui pourrait laisser penser que les différents courants de la gauche n’ont pas d’idées sur ces points, ou en ont mais ne veulent pas en discuter.
En fait le problème n’est pas que la gauche soit divisée mais plutôt qu’elle n’a pas d’idées, sur ce point comme sur beaucoup d’autres. Soyons juste, la droite de son côté n’en a guère. Quant aux macronnistes, ils les ont toutes à la fois, c’est-à-dire qu’ils n’en ont pas non plus. Nous voilà bien partis…
26
décembre 2020 : Parité
Je
suis
peut-être mal informé, mais j’ai
l’impression que, parmi les
différents
mouvements féministes qui, à juste
titre, luttent pour la parité ou, de
façon
plus discutable, pour des quota,
négligent un domaine dans lequel les
hommes
sont largement majoritaires. Selon
un rapport de l’Observatoire
national de
la délinquance et de la réponse
pénale, sur 100 personnes
mises en cause
pour un délit ou pour un crime, il
n’y a que 14 femmes, et celles-ci ne
représentent que 3,6%
de la population
carcérale en France alors qu’elles
constituent la moitié de la
population.
Injustice ?
Il
y a bien sûr plusieurs
interprétations possibles à ces
chiffres. La première
serait que les femmes respectent
plus la loi que les hommes, qu’il y
a plus de
voleurs que de voleuses, de
griveleurs que de griveleuses, de
maquereaux que de
maquerelles, etc. . La deuxième
serait que la police soupçonne plus
facilement
les hommes, ce qui serait une forme
de discrimination. Mais pourquoi
s’il y a 14%
de femmes mise en cause, seulement
3,6% se retrouvent en prison ?
La
troisième interprétation serait
alors que les tribunaux seraient
plus cléments
envers les femmes, ce qui serait une
autre forme de discrimination.
N’est-il
pas temps de se lever contre ce
scandale?
D’autant
plus
que ces questions ont également des
retombées sur un autre domaine de
lutte, celui de la féminisation des
noms de métiers. Pourquoi, par
exemple, n’y
a-t-il pas de féminin
pour escroc ou
assassin? Pourquoi tortionnaire
et exhibitionniste sont-ils
épicène ? Les femmes ne
mériteraient-elles leurs propres
appellations ?
Si
je
parle de tout cela, c’est que la
presse locale s’est étonnée d’un
fait
récent : on a arrêté une jeune
fille qui vendait de la drogue (ecstasy,
cannabis, kétamine…) devant un lycée
d’Aix-en-Provence. Le titre de La
Provence est d’ailleurs
révélateur :
Stupéfiants : le dealer
était une femme. Pourquoi ne
pas l’appeler dealeuse ?
N’est-il pas scandaleux de lui
imposer un nom de métier
masculin ? Bref,
encore une fois, les hommes dictent
leur loi.
Il
est
cependant une autre façon, plus
positive, de
voir les choses.
« L’avenir de l’homme
est la femme »,
a écrit Aragon, vers que Jean Ferrat
a transformé en « la femme est
l’avenir
de l’homme ». Dans les deux cas
le poète, qui a toujours raison,
nous
offre peut-être une solution au
problème de la surpopulation
carcérale. Rétablir
la parité. A condition de ne pas
raisonner en pourcentage mais en
chiffres
absolus : ramener le nombre
d’hommes emprisonnés au niveau de
celui des
femmes. Voilà une idée qu’elle est
bonne… Je ne suis pas sûr,
cependant, qu’elle
plaise à tout le monde. La parité
dans tous les domaines ? Les
hommes
aimeraient-il la parité chez les
femmes de ménage ? Et les
femmes chez les
balayeurs de rues ou les ramasseurs
de poubelles ?
Pour
finir,
on prête à Pierre Desproges cette
formule : « on peut rire
de
tout mais pas avec n’importe
qui ». J’ajouterais
volontiers : « pas
avec ceux (ou celles ?) qui
n’ont pas le sens de
l’humour »…
22
décembre 2020 : Alertez les parents!
Lorsque j’étais gamin j’avais
l’habitude de m’asseoir par terre
derrière le comptoir de la librairie
de mes grands-parents, et de puiser
dans les piles de journaux qui étaient
là en réserve. Je lisais de tout, Spirou,
Tintin, le Corriere dei
Piccoli en italien,
une revue américaine que je trouvais
luxueuse, Life, parfois,
lorsque les vendeuses ne me
regardaient pas, Paris-Hollywood,
un journal un peu porno qui
fournissait des lunettes spéciales
pour voir en relief les rondeurs
féminines en photos, bref, je n’avais
aucune censure. Enfin presque… Je
n’avais pas le droit de lire Vaillant,
qui était pourtant un hebdomadaire
pour enfant, oui, mais un hebdomadaire
communiste. D’ailleurs il me semble
que mes grands-parents ne vendaient
pas le journal L’Humanité qui,
sitôt arrivé, partait vers les
invendus. Censure politique.
Dans Vaillant il y avait les
aventures de Pif le chien, qui était
né en 1948 dans L’Humanité,
avait ensuite migré vers Vaillant
et
l’avait finalement piraté : le
journal s’appellera Pif Gadget.
Mais les lecteurs de la presse du PC,
même celle pour enfants, auront la
même destinée que ses électeurs. Pif
Gadget
disparaîtra lentement des
kiosques.
Et voilà-ty-pas qu’il reparaît !
Le sauveur s’appelle Frédéric Lefèvre.
Ca vous dire quelque chose ?
Souvenez-vous. Ce proche de Nicolas
Sarkozy, qui fut sous-ministre de je
ne sais plus quoi mais surtout
porte-parole de l’UMP, avait été
baptisé par un journaliste
« l’aboyeur de Sarkozy »,
par d’autres « le sniper de
l’UMP ». Il était spécialisé dans
le mensonge, les approximations
sélantiques et la bêtise. Côté
mensonge il avait expliqué que des
collectifs d’aide aux étrangers
étaient responsables de l’incendie
d’un centre de rétention. Côté
intoxication, il avait proposé une
distinction entre dénonciation (des
passeurs de migrants) et délation.
Côté bêtise enfin, il avait répondu à
une enquête sur la lecture que son
livre préféré était Zadig et
Voltaire….
Bref, ce Frédéric Lefèvre là, oui,
c’est le même, relance Pif Gadget
en version
trimestrielle. Il semblerait
que le gadget du premier numéro soit
un pied de sapin, à planter, bien sûr.
Mais, farceur comme il est, Frédéric
Lefèvre est capable d’y mettre en fait
un plant de cannabis ! Ou encore,
pervers comme il est, il est capable
de faire de la publicité pour des
marques de fringues (les gamins
adorent) en feignant de parler de
littérature ! Il y a
urgence : alertez les
parents !
12
décembre 2020 : Quelques arguments pour les
imbéciles...
Nous sommes de plus en plus cernés
par des discours sectaires,
complotistes, qui reposent à la fois
sur la négation de ce que la science a
démontré et sur la mise en doute de
tout ou rien, le darwinisme, la
gravitation et j’en passe. Cela repose
sur des démonstrations mal foutues et,
surtout, sur l’unanimiste. Des cultes
évangéliques dans lesquels on écoute,
en transe, les paroles du prédicateur
aux conseils d’administration des
grandes sociétés dans lesquels
personne ne conteste les dires du
patron en passant par les comités de
rédaction de certaines revues dans
lesquels celui ou celle qui a la plus
grande pulsion de pouvoir fait passer
ses décisions en
faisant croire que tout le monde est
d’accord et maître absolu de ses
décisions, on impose des positions ou
des croyances.
J’ai longtemps considéré tout cela
de façon ironique, mais la brebis
égarée que j’étais a enfin vu la
lumière. Ils ont raison, tous ceux que
je considérais comme des charlatans,
mais se défendent bien mal. C’est
pourquoi j’ai décidé de voler à leur
secours.
Tout commence par Descartes (1596-1650) :
on lui attribue la fameuse formule, cogito
ergo sum . Et c’est ici que
commence une énorme conspiration.
Descartes, en effet, a écrit son Discours
de la méthode (1637) en
français et non pas en latin, à une
époque où l’orthographe n’était pas
fixée, et on a lu « je pense donc
je suis » alors qu’il avait voulu
dire « je panse donc je
suis ». Il visait les médecins du
temps, pseudo scientifiques qui, parce
qu’ils posaient des pansements (je
panse), considéraient qu’il fallait
les suivre dans leurs délires :
ceux qui pansent sont des suivistes.
C’est à la lumière de cette forte
pensée qu’il faut analyser les
discours qu’on nous tiennent sur la
pandémie, la nécessité de porter un
masque, etc…, des médecins (des
« panseurs ») de tous bords.
Autre thème bien mal argumenté,
celui qui consiste à dire que la terre
n’est pas ronde mais plate. On nie les
photos de la terre prise par les
astronautes, on dit qu’elle sont
truquées, mais la langue française,
dans sa grande précision, nous donne
la meilleure démonstration possible.
Non seulement la terre n’est pas ronde
mais plate, mais en outre elle est
carrée. La preuve : on va aux
quatre coins du monde.
Enfin, la lune, où certains
prétendent être allés. Ici encore la
langue française nous apporte la
vérité. On dit «prendre la lune
entre ses dents et,
mieux encore, décrocher la lune. La
lune est un décor, que l’on peut donc
décrocher, et nul besoin de fusées
interplanétaires pour s’y rendre, il
suffirait d’une très longue échelle
pour la décrocher.
Puis finir, une citation réelle
celle-ci,
de Frédéric Dard, créateur de
l’inoubliable San Antonio :
« ne cherche pas à décrocher la
une pour l’offrir à une femme, va
plutôt chez Cartier ».
On dit merci qui ?
8
décembre 2020 : Souvenirs, souvenirs...
Il y a quarante ans, je me
trouvais à Brazzaville, au
Congo où pendant un mois je donnais
des cours et dirigeais des enquêtes
sur les langues utilisées sur les
différents marchés de la ville. J’ai
particulièrement privé
d’informations : pas de journaux
autres que locaux et, à la télévision,
une chaîne locale et l’autre du pays
voisin, le Zaïre, où l’on ne voyait
pratiquement que Mobutu. Et un matin,
en sortant de ma chambre, je vis
sur un chariot plusieurs
journaux français que l’occupant
de la chambre d’à côté, sans doute
arrivé de France la veille où
l’avant-veille, avait mis à la
poubelle. Je dérobai le tout et
descendis, muni de lecture, prendre
mon petit-déjeuner.
Et alors ? Et alors, si je me
souviens de ce détail, c’est qu’il y
avait d’une part à la une du Monde
un article que j’avais signé sur le Dictionnaire
de français non conventionnel de
Jacques
Cellard et Alain Rey et, dans le même
journal ou un dans autre, je ne sais
plus, l’annonce de la mort de John
Lennon.
Tous les media en parlent
aujourd’hui, et passent en général Imagine,
une de ses grandes chansons. Il en est
une autre, que je vous conseille
d’écouter ou de réécouter. Et si vous
ne la connaissez pas en voici, vous
vous appâter, le début :
As
soon as you're born they make you feel
small
By giving you no time instead of it
all
Till the pain is so big you feel
nothing at all
A working class hero is something to
be
A working class hero is something to
be
They
hurt you at home and they hit you at
school
They hate you if you're clever and
they despise a fool
Till you're so fucking crazy you can't
follow their rules
A working class hero is something to
be
A working class hero is something to
be
1er
décembre 2020 : Anne Sylvestre, les gens
qui doutent
J’ai,
comme tous les gens de ma génération,
découvert Anne Sylvestre à
la fin des années 1950 (Les Cathédrales) et au tout
début
des années 1960 (Mon
mari est parti). Puis, en 1964,
alors qu’à Nice je m’occupais des
activités culturelles de l’UNEF,
j’avais organisé un spectacle dont
elle était la vedette, avec en
première partie Romain Bouteille. Elle
chantait alors surtout dans les
cabarets parisiens, puis sa carrière
prit de l’ampleur, avec d’autres
petites merveilles, Comment
je m’appelle, La
femme du vent, Mon mari est
parti, Eléonore… Je
la voyais souvent, avec plaisir,
d’autant plus qu’elle était très amie
avec la chanteuse québécoise Pauline
Julien, sur laquelle j’avais écrit un
petit livre. Elle chantait alors des
textes « féministes » (elle
avait été féministe bien avant
l’’apparition des mouvements du même
nom), sur l’avortement (Non,
tu n’as pas de nom), la
dénonciation du viol (Douce
maison), l’amitié entre femmes (Frangines),
le droit de vieillir (Marie-géographie).
Son
malheur fut peut-être alors le succès
de ses Fabulettes, des
chansons pour enfants, qui éclipsèrent
un
peu
le reste de son œuvre. Mais elle
continuait à enregistrer, à se
produire sur scène, un peu oubliée par
les média.
Anne
Sylvestre est morte hier. La plus
belle de ses chansons, ou la plus
caractéristique, est pourmoi Les
gens qui doutent : J’aime
les gens qui doutent, les gens qui
trop écoutent leur cœur se balancer,
J'aime les gens qui disent et qui se
contredisent et sans se
dénoncer, J'aime les gens qui
tremblent, que parfois ils ne semblent
capables de juger, J'aime les gens qui
passent moitié dans leurs godasses et
moitié à côté, J'aime
leur petite chanson, Même s'ils
passent pour des cons...
On
peut
l’écouter sur un disque intitulé
Favourite songs,
enregistré en 2OO7, interprétée
par Vincent Delerm, Jeanne Cherhal et
Albin
de la Simone. Elle est
d’ailleurs en bonne compagnie, entre Votre
fille a vingt ans (Moustaki)
Les cerfs-volants (Benjamin
Biolay), Au pays de merveilles de
Juliet (Yves Simon) ou Y’a
d’la rumba dans l’air (Alain
Souchon). En famille, en quelque
sorte.
28
novembre 2020 : Corporatismes
La
France,
pays des droits de l’homme. Le
France dont le président donne des
leçons à la Hongrie, à la Pologne, à
la Chine, à la Corée du Nord, à je
ne sais qui encore… Et sa police se
comporte de la même façon que celle
de ces pays. En quelques jours, sur
la place de la République et dans un
studio d’enregistrement dans le
17ème arrondissement de Paris, elle
nous donne une image de ses
pratiques à faire vomi. Inutile
d’insister sur ce que ces images ont
d’insupportable, toute la presse,
même celle de droite, s’y emploie.
Cela tombe bien mal pour le
gouvernement en général et le
ministre de l’intérieur en
particulier, qui défendent une loi
tendant à interdire de filmer la
police en action. Son aspect
liberticide est évident, plus encore
lorsqu’on se rend compte que sans la
caméra de surveillance du studio,
les caméras des journalistes ou les
téléphone portables des voisins,
nous n’aurions aucune image de ces
deux évènements. Le ministre de
l’intérieur, dont j’ai récemment
écrit qu’il était un clone de
Sarkozy, se comporte comme ceux qui
l’ont précédé. Passons sur la
vulgarité populiste de Darmanin (des
policiers qui « déconnent »)
pour souligner le principal :
selon lui la police est propre, elle
ne comporte que quelques rares
mauvais éléments. Donc inutile de
réfléchir sur ses problèmes
structurels, sur la formation de ses
membres, sur la compétence de ses
chefs. Et lui-même se comporte comme
la majorité des ministres de
l’intérieur qui l’ont précédé.
J’écrivais il y a quelques mois, ici
même, à propos de Castaner, que le
ministre de l’intérieur est le
ministre de tutelle de la police,
qu’il
doit la contrôler, exercer
sur elle son autorité, qu’il n’est
pas « le premier des
flics » ni leur soutien, mais
un homme politique qui doit leur
imposer le respect de la loi, faire
prévaloir l’intérêt public. Nous
savions, depuis la démission
fracassante de Nicolas Hulot, que
les lobbyistes étaient comme chez
eux dans les couloirs de l’Elysée.
Les policiers, ou leurs syndicats,
n’ont pas besoin de se chercher des
lobbyistes, ils en ont un, le
ministre de l’intérieur. En fait, il
réagit de façon corporatiste,
défendant par principe ceux qu’il
devrait contrôler.
A
propos de corporatisme, il vient de
se passer quelque chose de peu
banal. Le président de la république
a mis en place il y a un an et demi
une commission chargée de faire un
rapport sur ce qui s’est passé au
Rwanda au début des années 1990,
lors du massacre des Tutsis. Parmi
les membres de la commission, une
certaine Julie d’Andurain,
historienne, professeure
d’Université depuis trois ans, dont
on vient de se rendre compte qu’elle
avait des liens très forts avec
l’armée, qu’elle avait enseigné à
l’école de guerre et, surtout,
qu’elle avait publié en 2018 dans un
Dictionnaire des opérations
extérieures de l’armée française
un article blanchissant totalement
la dite armée, sans beaucoup de
discernement ni, semble-t-il, de
respect des sources. Sa thèse :
il y a e un massacre entre Tutsis et
Hutusi, et un seul génocidaire,
l’actuel président du Rwanda,
Kagamé, l’armée française n’y a joué
aucun rôle. En bref, des propos que
beaucoup considèrent comme
« négationnistes ». C’est
le Canard enchaîné qui, fin
octobre, a levé le lièvre.
Aussitôt madame d’Andurain
crie au lynchage médiatique et
obtient le soutien de quatre
organisations d’historiens (parmi
lesquelles la Société Française
d’histoire des outre-mers et
l’Association des historiens de
l’enseignement supérieur et de la
recherche) qui fustigent une «campagne
calomnieuse » dont elle
est victime. Trois d’entre elles se
sont, depuis, désolidarisées et ont
retiré leur soutien à leur collègue.
Mais il demeure que ces
« honorables »
associations l’ont d’abord défendue,
sans prendre connaissance du
dossier. Ce qui est tout de même
étonnant chez des universitaires
chercheurs et historiens. Mais,
contrairement à Darmanin, aucun
d'entre eux na dit que l'historienne
déconnait.
Ce
corporatisme
universitaire me mène à cette
question à mille euros : y
a-t-il des différences entre le
corporatisme de la police, porté par
le ministre de l’intérieur, et le
corporatisme de certains
universitaires, porté par des
sociétés savantes ?
27
novembre 2020 : Dis-moi quelles langues tu
parles et je te dirai...
Ce
matin
sur France Inter, comme tous les
derniers vendredis de chaque mois,
« le rendez-vous de la
médiatrice ». Des auditeurs
téléphonent, formulent en général
des critiques, et on leur répond.
Aujourd’hui, le premier sujet
était les élections
américaines : Pourquoi
l’élection américaine a-t-elle eue
une telle couverture
médiatique ?Pourquoi en parler
tant ? Américanolâtrie ?
Et surtout : trop de
commentaires pro Joe Biden, France
Inter est-elle la succursale du
parti démocrate ? Les
journalistes ont-ils oublié d’être
neutres ?
Le
journaliste
Franck Mathevon explique que
« ce qui se joue aux EU nous
concerne tous », que la chaîne
a abordé ces élections de différents
points de vue, interrogé différentes
tendances politiques, des gens des
deux camps, puis il ajoute que, pour
ce qui concerne les invités, les
universitaires américains sont en
général plutôt démocrates et que, de
façon générale les spécialiste
américains qui parlent français sont
plutôt démocrates.
Il
est
vrai qu’inviter quelqu’un qui parle
français et plus commode que d’avoir
recours à un interprète. Mais ce que
dit Mathevon pose une autre
question : y a-t-il une
corrélation entre le fait de parler
français et celui d’être
démocrate ? Bien sûr que non,
et je suppose que les chaînes
espagnoles ont sans doute cherché
des gens parlant espagnol, que les
chaînes allemandes ont cherché des
gens parlant allemand, etc. Je me
souviens qu’en janvier 2O15, devant
le siège de Charlie Hebdo,
un cameraman m’avait bousculé,
s’était excusé en espagnol et que,
m’entendant lui répondre dans la
même langue, la journaliste m’avait
interviewé en espagnol. Mais
revenons aux EU. Le fait de parler
une autre langue que l’anglais, si
l’on met à part les émigrés récents,
est relativement rare dans la
population générale américaine, et
peut même être mal vu. Par exemple,
un ministre français, reçu au début
des années 1990 par le président
Bush sénior, s’était rendu compte
qu’il parlait parfaitement le
français. Mais les conseils en
communication du président lui
avaient conseillé de ne pas en faire
état… Certes, il n’était pas pour
autant démocrate, loin s’en faut.
Mais on se souvient qu’en 2003,
lorsque la France s’était opposée à
l’intervention américaine en Irak,
les French fries (les
« frites frajçaises», en
fait leur origine est belge) avaient
été rebaptisées Liberty fries ou
Freedom fries. Si, à la même
époque, c’était l’Allemagne qui
avait pris la même position,
peut-être les hamburgers seraient-il
devenus new yorkers. Encore
eût-il fallu qu’ils
soient
conscients de l’étymologie de hamburger
(Hambourg), ce qui est douteux
puisqu’on parle aussi de cheeseburger,
le fromage remplaçant le jambon (ham)
que l’on croit entendre dans hamburger.
Le rapport aux langues, les
représentations linguistiques, ne
sont pas innocents.
Il
serait
donc intéressait d’introduire
parfois, dans les sondages
politiques, une question sur les
langues parlées par les sondés et,
pour ce qui concerne la France, les
langues régionales et les langues
étrangères (de migrants ou pas).
Avis aux amateurs.
23
novembre 2020 : Coq ou phénix
Dans ses Mémoires qui viennent de sortir, Barak Obama n’est pas
tendre avec Nicolas Sarkozy. Interrogé
sur France 2 par François Busnel, qui
lui demande pourquoi il le compare Sarkozy
à un "coq nain qui bombe le torse",
il répond de façon plus diplomatique
"j’ai en fait trouvé que le président
Sarkozy était un partenaire
important au côté d’Angela Merkel à
l’époque où nous traitions beaucoup
de questions difficiles et comme je
l’ai décrit, Nicolas,c’était quelqu’un qui était constamment en
mouvement, qui parlait
constamment, qui aimait qu’on
fasse attention à lui. Cette
énergie
et ce charme lorsqu’il était associé
à Angela Merkel qui était une
personne beaucoup plus sobre,
réfléchie, ont fini par composer une
bonne combinaison".
Qu’en termes choisis cela est dit.
Mais peu de gens ont réagi à cette
description aviaire, sauf quelques
« inconditionnels de chez
inconditionnel » comme Brice Hortefeux
ou Nadine Morano. Et d’ailleurs
Sarkozy a d’autres problèmes.
Aujourd’hui commence normalement un de
ses procès, pour corruption et trafic
d’influence celui-ci, ce qui n’est pas
rien, en attendant celui sur l’affaire
Bygmalion.
Depuis des années,
Sarkozy ne cesse de critiquer la
justice (lorsqu’il était président il
avait d’ailleurs comparé les juges à
des petits pois rangés les uns à côté
des autres dans une boite de
conserve), et plus encore aujourd’hui.
Alors, face à ces procédures, il joue
la montre (comme l’a longuement fait
avant lui son
ami Balkany) et pratique ce qu’on a
appelé l’envoi cyclique de "cartes
postales" : des livres, des
déclarations, un réseau de fidèles qui
reçoit régulièrement. Certains, à
droite, voient en lui le seul homme
capable de les sauver et pouvant
éventuellement les représenter lors de
l’élection présidentielle à venir en
2022.
Nul ne sait bien sûr
s’il sera condamné ou si, comme un
phénix, cet oiseau mythique, il
renaîtra de ses cendres. Mais la
droite ne devrait pas s’en inquiéter
car elle dispose d’un clone (du coq,
du phénix ou des deux, comme vous
voudrez) en la personne de l’actuel
ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin. Dans la fonction qu’il
occupe actuellement, il rappelle
furieusement celui qui l’occupa de
2005 à 2007. Après avoir trahi Chirac
pour Balladur, puis être revenu vers
Chirac, Sarkozy avait occupé ce poste
ministériel pour préparer sa
candidature à la présidence.
Ralliement, trahison, candidature, les
voie est tracée…
21
novembre 2020 : Histoire de bonhomme de
neige (ou histoire de cons)
Mon ami Samir Marzouki vient de mettre en
ligne un texte de Jean Charroing, et
je ne résiste pas au plaisir de le
faire circuler :
Les cons sont partout ! Il neige !
Restons prudemment confinés au lit !
Il a neigé toute la nuit. Ce matin je
décide de faire un bonhomme de neige
sur le trottoir devant ma maison.
9h 00 , mon bonhomme de neige est
terminé. Il a fière allure.
9h 05 : une féministe passe et me
demande pourquoi je n’ai pas fait une
bonne femme de neige ! Bon !Je fais
donc aussi une bonne femme de neige
9h 10 : la femme de ménage du voisin
est scandalisée et me traite d’obsédé
sexuel, parce que je lui ai fait des
seins trop volumineux
9h 15 : au nom de la loi sur
l’interdiction de fumer et la lutte
contre le tabagisme, on me reproche
d’avoir mis une pipe dans la bouche de
mon bonhomme de neige. C’est un très
mauvais exemple pour les jeunes.
9h 20 : un couple gay me fait
remarquer que j’aurais pu faire deux
bonhommes de neige
9h 25 : une végétarienne me reproche
d’avoir utilisé une carotte pour faire
le nez de mon bonhomme ! On ne
gaspille pas la nourriture. Et
pourquoi des morceaux de charbon pour
faire les yeux et les boutons alors
qu’il y a des gens qui n’ont pas les
moyens de se chauffer.
9h 30 : deux lesbiennes du quartier me
demandent pourquoi je n’ai pas fait
deux bonnes femmes de neige
9h 35 : on me traite de raciste parce
que mon bonhomme et ma bonne femme
sont blancs
9h 40 : des Islamistes exigent que je
mette un voile à la bonne femme de
neige
9h 45 : le voisin rouspète parce que
la bonne femme de neige empiète sur
son trottoir ! « A Pfulgriesheim les
trottoirs sont faits pour le
stationnement des voitures et pas pour
les piétons ; vous prenez la place de
stationnement d’un client potentiel
des restaurants ! »
9h 50 : un gauchiste me reproche
d’avoir mis un chapeau haut de forme
sur la tête du bonhomme ! Le chapeau
haut de forme est le symbole de
l’aristocratie et du capitalisme
9h 55 : un groupe de Gilets Jaunes
veut que je lui mette un gilet jaune.
De peur qu’ils cassent tout, je
cherche le gilet jaune dans ma voiture
et le lui enfile.
10h 00: des collégiens de passage
essaient de mettre le feu à mon
bonhomme avec leurs briquets : ils ne
savent pas que la neige ne brûle pas
10h 05 : le temps de rentrer pour me
réchauffer un peu , voilà que mes
œuvres de neige se voient taguées avec
une couleur verte , sans doute par un
écolo du village: NON au GCO
(=Contournement Ouest de Strasbourg) !
Je suis plutôt content que mon couple
serve de support à ce message.
10h 05 : la Pasteure me fait gentiment
remarquer que j’aurais pu faire don à
Emaüs du cache-nez en laine que j’ai
mis au cou de ma bonne femme de neige.
Il y a tant de personnes qui meurent
de froid.
11h 00: Les gendarmes de passage
exigent que j’enlève le balai des bras
du bonhomme. Le manche du balai
pourrait servir d’arme.
11h 05 : Le ton monte sérieusement
quand je leur réponds qu’ils peuvent
se mettre le manche du balai là où je
pense
11h 10 : les flics me menottent et me
conduisent au commissariat
11h 15 : une équipe de la télé FR3,
alertée par je ne sais qui, filme
toute la scène qui passe le soir aux
infos régionales ! Je suis présenté
comme un dangereux terroriste ! Un peu
plus tard, sur Facebook, des
Djihadistes revendiquent l’opération.
vers 19h 00 , on me relâche avec une
convocation chez le juge dans 5 jours.
Tous les chiens du village ont pissé
contre mon bonhomme et ma bonne femme
de neige qui sont tout jaunes. (comme
les gilets)
La morale de cette histoire : il n’y
en a pas.
C’est le reflet du monde dans lequel
nous vivons.
La prochaine fois qu’il neigera, je
reste au lit !
13
novembre 2020 : Citizen Trump
J’ai toujours eu une grande admiration pour Citizen
Kane, à mon avis le meilleur
film d’Orson Welles, au montage
éblouissant, qui raconte la vie d’un
homme d’affaire hors normes, Charles
Forster Kane, patron de presse qui
tenta mais en vain une carrière
politique. Mais il m’avait échappé ce
que je lis dans Le Canard enchaîné
de cette semaine : Donald
Trump aurait souvent déclaré
que Citizen Kane était son
film préféré. Vous
allez comprendre pourquoi.
Je me souvenais, bien sûr, de la mystérieuse
phrase, rosebud, et de Xanadu,
le manoir que Charles Kane s’était
construit sans parvenir à l’achever.
Mais j’avais complètement oublié un
« détail ». Lorsque Kane se
présente au poste de gouverneur de New
York, sa presse le soutient, bien sûr.
Et, le jour de l’élection (qu’il
perdra) son quotidien, The
Inquirer, avait préparé deux
« unes ». L’une proclamait Kane
élu ! et l’autre Kane
battu, fraude aux urnes.
Ce film, qui date de 1940, apparaît
rétrospectivement comme le scénario de
ce que les Américains vivent
aujourd’hui : « je gagnerai,
et si je perds c’est qu’ils ont
triché ». Trump n’a pas beaucoup
d’imagination, mais il a de la
mémoire.
10
novembre 2020 : Varia
Pendant ces derniers jours les média français
ont vécu à l’heure de Washington et,
en regardant diverses chaînes de télé
on a pu recueillir différents slogans,
ou des formules portées à bout de bras
par des manifestants, We di dit,
You are fired, Trump is
over… Mais ce qui me frappe le
plus c’est que les
soutiens
de Trump ont subitement changé »
de discours. Ils réclamaient à grands
cris qu’on arrête de compter les
bulletins, puisque qu’il avait gagné
et que selon eux poursuivre le
dépouillement était de la triche. Et
subitement, ils font un virage à 180
degrés : « Ce n’est pas
fini, on n’a pas compté tous les
votes », voire Trump votes
matter, parodie d’un slogan
connu, Black lives matter. Il
faudrait savoir ce qu’ils veulent.
Mais bref, en France on commence à passer à
autre chose. Mélenchon en profite pour
annoncer sa candidature à la prochaine
élection présidentielle, ce qui ne
surprendra personne, avec cependant
« un mais », dit-il. A
condition que 150.000 personnes lui
donnent leur soutien. 150.000, ce
n’est pas beaucoup : au premier
tour, en 2017, il avait recueilli plus
de sept millions de voix. C’est un
mini mini « mais » pour un
maxi maxi « moi ».
Enfin, pour le cinquantième anniversaire de sa
mort, nous assistons à un phénomène
gérontocratique, amnésique ou
hémiplégique : tout le monde ou
presque se met à honorer la mémoire du
général de Gaulle. « Les
morts sont tous des braves
type », chantait Brassens. Mais
tout de même ! Encenser
aujourd’hui celui que nous combattions
à l’époque, celui qui manipulait en
1958 pour prendre le pouvoir, dont le
pouvoir s’appuya ensuite sur les
barbouzes de Service d’Action Civique.
Cela manque un peu de pudeur… On a
revu l’annonce de sa mort par Pompidou
le 9 novembre 1970. J’avais oublié la
formule qu’il avait utilisée :
« la France est veuve ». La
France était donc une femme, et de
Gaulle son mari ? Aujourd’hui on
dirait plutôt « la France est
orpheline », ou « en
deuil ». Certaines formules
datent, ou porte leur âge. Et un jour,
sans doute, « Crève salope »
sera également démodé.
8
novembre 2020 : Feuilleton, suite
Tout d’abord, une autocritique : J’ai été
un peu gourmand hier en écrivant que
Biden aurait dix millions de voix
d’avance… Et les derniers résultats
montrent qu’il a regagné des états à
domination ouvrière, dans la rust
belt.
J’étais trop pessimiste
cette-fois.
Ceci dit, le feuilleton n’est pas terminé, il
porte maintenant sur l’attitude de
Trump. Enfermé
dans son bunker comme un enfant
boudeur dans sa chambre, il est
capable de tout. D’autant que lui et
sa famille pourraient avoir certains
ennuis, une fois terminée l’immunité
présidentielle : le procureur
Cyrus Vance a en effet ouvert contre
eux quelques informations judiciaires…
Le feuilleton se poursuit donc. Une armée
d’avocats surpayés vont tout tenter
pour… pour quoi ? Pour donner un
peu d’espoir à Trump afin d’en tirer
plus de dollars ? Pour le
consoler comme un gros bébé en
pleurs ? Nous verrons, mais les
analystes s’accordent à dire qu’il n’y
a que très peu de chance pour que le
président battu obtienne quoi que ce
soit. Donc Biden sera président. Bon
courage car Trump a déjà fait beaucoup
de dégâts et ne manquera pas de lui
laisser des bananes sous le pied à
tous les coins de couloirs.
Pour finir, j’ai reçu d’un ami ce plaisant
texte :
« Ils sont lents ces Américains. A
quoi sert leur technologie ? En
Afrique les résultats sortent avant
même l’élection ».
Mais c’est faux : Trump avait annoncé les
résultats bien avant la fin du
dépouillement. Il avait même annoncé
deux résultats : je vais gagner,
ou les démocrates vont truquer les
élections.
Seulement, il s’est trumpé, pardon, trompé.
7
novembre 2020 : Feuilleton américain
Le feuilleton continue donc aux USA. Biden
aura sans doute dix millions de voix
de plus que Trump et on mégote
toujours pour savoir qui sera le
président élu : paradoxe d’un
système électoral dont j’ai déjà
parlé. Mais il est intéressant
d’analyser les cartes présentant la
situation au fur et à mesure qu’elle
se précise. Des parties bleues (pour
les démocrates) à l’Ouest (Californie,
Oregon…) et au Nord-Ouest (Maine,
Massachusetts, New-York, Connecticut,
Virginie…) et entre les deux une
énorme partie centrale, allant du
Montana à la Floride en passant par le
Wyoming, le Kansas, le Texas,
l’Arkansas… D’un côté des zones
urbaines rapportant par leur densité
démographique de nombreux grands
électeurs et de l’autre des
territoires qui, à l’exception de la
Floride et du Texas, en rapportent peu
et sont surtout agricoles.
Il ressort de tout cela une
situation
sociale que nous n'aurions pas
imaginée il y a trente ou quarante
ans. Du côté républicain une classe
paysanne réac et raciste, voire
d'extrême droite et surtout une classe
ouvrière désyndicalisée, également
réac, de
l‘autre des urbains et intellectuels
de "gauche". S'y ajoute le vote des
migrants, prévisible pour les Cubains
mais nouveau pour les autres latinos:
en gros, dès qu'ils sont entrés et
intégrés dans le pays, ils ferment la
porte pour empêcher les autres d'en
profiter.
Cette répartition peut surprendre, mais elle
nous montre bien un pays divisé dans
lequel Biden va finir par être
reconnu
comme vainqueur, mais dans
lequel la marque de Trump restera
profonde. On dit que les modes nous
viennent souvent des USA et l’on peut
se demander si cette situation ne sera
pas, horror referens (je
sais, cette expression latine fait un
peu pédant : « je frémis en
le rapportant ») bientôt la
nôtre. Nous y sommes d’ailleurs
presque : aux dernières élections
européennes, le Nord ouvrier et les
quartiers périphériques ont beaucoup
voté pour le Rassemblement National,
les grandes ville et les quartiers
dans lesquels la population est la
plus riche et la plus diplômée
beaucoup moins.
Le populisme galopant
ferait-il que la gauche perde le
peuple ?
1er
novembre 2020 : Trump
au zoo?
Je suis bien entendu incapable de pronostiquer
la moindre chose concernant l’élection
présidentielle américaine. Ce pays a
d’une part
un système électoral si
étrange qu’il y est possible
d’être élu tout en ayant deux
ou trois millions de voix de moins que
le battu. D’autre part, le pays qui a
vu naître Google, Apple et quelques
autres géants de l’informatique n’est
ni capable de garantir que les votes
par correspondance seront acheminés à
temps, ni d’assurer un dépouillement
efficace des bulletins. Souvenons-nous
que Bush junior
fut élu face à Gore
grâce au bordel total du compte
des voix en Floride, alors que nous
savons aujourd’hui que Gore y avait en
fait gagné.
Mais peu importe : les
électeur états-uniens ont le système
électoral qu’ils veulent.
La question que je me pose est autre :
ont-ils actuellement le président
qu’ils méritent ? Ils ont élu il
y a quatre ans, grâce au système
étrange que je viens d’évoquer mais
qui est après tout leur système, ils
ont élu donc un clown égocentrique et
paranoïaque, qui ne cesse de mentir,
qui ne fait pas grand-chose (il
passerait selon de nombreux
témoignages la moitié de ses journées
devant la télévision) qui raconte tout
et son contraire et qui, dans le
domaine international, fait preuve
d‘un engouement manifeste pour les
dirigeants populistes ou
totalitaires : Poutine, Erdogan,
Kim Jong-un… Bref cet homme a tout
pour déplaire, voire à dégoûter, il a
fait par ailleurs face à la pandémie
la preuve de son incompétence, et
pourtant un peu plus de 40% des
électeurs l’adulent. Il s’appuie sur
tout ce qui peut nous paraître
haïssable : des milices armées,
les vendeurs de fake news de Qanon et,
surtout, la religion évangéliste
Nous défendons en France, les principes de la
laïcité, les Etats-uniens, eux, ne
pensent majoritairement qu’à travers
la religion. Et, si nous prenons un
peu de recul, il n’y a pas beaucoup de
différences entre les décervelés armés
se réclamant d’une religion, qu’il
s’agisse de l’islam, de l’évangélisme
ou d’une autre.
Bref, Trump a-t-il mis son pays dans un état
lamentable, ou est-il tout simplement
le reflet de ce pays ? Ce qui est
sûr, c’est que le fat que certains se
demandent si, en cas de défaite, il
acceptera de passer la main, de
quitter la maison blanche, montre que
la démocratie américaine
souffre d’une grande maladie.
Mais bon, changeons un peu de point de vue. En
1965, dans ses Elucubrations,
le chanteur Antoine lançait :
« Les choses devraient changer tout le temps
Le monde serait plus
amusant
On verrait des avions
dans les couloirs du métro
Et Johnny Hallyday en
cage à Médrano »
Piqué au vif,
Hallyday répliquait par une autre
chanson, Cheveux longs et idées
courtes. Les démocrates auraient
pu lancer une chanson sur Trump, du
genre Cheveux teints et idées
courtes… Mais la gauche, aux
Etats Unis comme en France, a
peut-être aussi les idées courtes.
Elle pourrait aussi proposer d'envoyer
Trump dans un zoo. Ce qui est sûr,
c’est que Trump, s’il est battu, ne
pourra pas, s’inspirant d’une
couverture de Charlie Hebdo montrant
Mahomet se tenant la tête dans les mains et se
lamentant : « c’est dur
d’être aimé par des cons »,
lancer « c’est dur d’être lâché
par des cons ». Il paraît en
effet qu’il a le sens de la famille et
ne critique pas les siens.
30
octobre 2020 : Les
oiseaux
Dans Le Monde daté d’hier un long
article de Jean Birnbaum, « Rushdie,
« Charlie », Paty,
victimes d’une même offensive
planétaire », se termine
par le rappel d’un entretien avec
Salman Rushdie qui, en 2012,
déclarait :
En 1989 il était trop tôt pour comprendre de
quoi il s’agissait. Personne n’a vu
la fatwa comme le début d’un conflit
plus large, on y percevait une
anomalie farfelue. C’est comme dans
Les Oiseaux, d’Hitchcock. Il y a
d’abord un oiseau qui apparaît, et
vous vous dîtes : « C’est
juste un oiseau ! » C’est
seulement plus tard, quand le ciel
est rempli d’oiseaux furieux, que
vous pensez : « Ah, oui,
cet oiseau annonçait quelque chose,
il n’était que le premier ».
Et le journaliste rappelle qu’en 2011, alors
que les locaux de Charlie hebdo avaient
été incendiés, certaines figures se
réclamant de la « gauche
radicale » ou
« postcoloniale » comme
Christine Delphy, sociologue,
Rokhala Diallo, journaliste,
Houria Bouteldja, porte-parole des
Indigènes de la république, signaient
une tribune affirmant :
« qu’il n’y a pas lieu de s’apitoyer
sur les journalistes de Charlie
Hebdo, que les dégâts matériels
seront pris en charge par leur
assurance, que le buzz médiatique et
l’islamophobie ambiante assureront
certainement à l’hebdomadaire, au
moins ponctuellement, des ventes
décuplées, comme cela s’était
produit à l’occasion de la première
« affaire des
caricatures » - bref : que
ce fameux cocktail Molotov risque
plutôt de relancer pour un tour un
hebdomadaire qui, ces derniers
temps, s’enlisait en silence dans la
mévente et les difficultés
financières ».
Je n’avais pas lu l’entretien de Rushdie en
2012, mais la tribune de 2011 m’avait
scandalisé par son absence de
solidarité et ses basses insinuations.
Et tout le monde se souvient que
quatre ans plus tard
les frères Kouachi
massacraient la rédaction de Charlie
Hebdo. Sans
doute
les signataires de cette tribune,
comme les spectateurs du film
d’Hitchcock, n’avaient-ils pas vu, ou
pas voulu voir, les premiers oiseaux
terroristes, ou pensaient-ils qu’un
corbeau ne fait pas l’hiver noir. J’ai
longtemps reçu, je ne sais pas
pourquoi, des mails des Indigènes de
la république. On y parle beaucoup, et
depuis longtemps, de l’islamophobie,
avec une confusion volontaire entre
critique de l’islam politique
terroriste et attaque contre les
musulmans dans leur ensemble. Et, en
mars 2020 on y appelait à voter aux municipales
pour des « listes autonomes
communautaires ». Notons
également que Christine Delphy et
Houria Bouteldja ont également signé
avec une cinquantaine d’autres
personnes en février 2018, sur le site
de Médiapart, une tribune
réclamant « une justice
impartiale et égalitaire » pour
Tarik Ramadan. Fallait-il en conclure
que ces signataires pensaient que la
justice puisse être partiale et
inégalitaire ? Ou que Tarik
Ramadan, mis en examen pour viols. méritait
un traitement spécial ?
Bref, tout ceci n’est qu’un modeste apport à
un débat qui tourne aujourd’hui autour
de la notion d’islamo-gauchiste…
22
octobre 2020 : Suite...
Je parlais dans mon billet d’avant-hier des « ambiguïtés de
certains, comme la ligue des droits de
l’homme». Or, le 16 octobre, elle
publiait un texte contre le projet de
loi sur le séparatisme, qu’elle avait
fait signer par la CGT, le MRAP et le
syndicat de la magistrature. Le texte
protestait
entre autres choses contre le
risque de faire « d’une partie de
la population, celle de culture ou de
confession musulmane ou perçue contre
elle, les potentiels porteurs des
pires dérives allant jusqu’aux plus
mortifères d’entre elles ». Le
jour même on apprenait la décapitation
du professeur d’histoire et
géographie, Samuel Paty. Le soir même,
selon Le Canard enchaîné, la
pétition disparaissait des écrans…
20
octobre 2020 : On va à la messe et puis on
rentre chez soi
Tout le monde est désormais au courant de l’assassinat de Samuel
Paty, professeur d’histoire-géographie
qui essayait d’enseigner à ses élèves
la tolérance, la liberté de pensée et
d’expression, la laïcité, bref, les
bases de notre système français.
Dimanche, manifestations dans diverses villes du pays. Il y a
longtemps que je pense qu’on va aux
manifestations comme d’autres vont à
la messe. On y fait acte de présence,
on y prend l’air de componction qui
convient, ou on y exprime sa colère,
c’est selon, et puis, hop, la messe
est dite, on passe à autre chose,
jusqu’à la prochaine manif ou la
prochaine messe.
Dans le cas présent, cet aspect rituel est particulièrement
frappant car il s’inscrit dans un
contexte de mollesse, de naïveté ou de
lâcheté d’une partie de la gauche, ou
de compromission d’une partie de
l’extrême gauche, face à l’islamisme..
Mollesse ou lâcheté de certains maires qui, pour se garantir une
sorte de paix sociale, ou gagner des
voix aux élections, font des compromis
avec des éléments salafistes (en bon
français : fondamentalistes) de
leurs administrés: on accepte des
heures réservées aux femmes dans
certaines piscines, on ferme les yeux
sur des pratiques religieuses dans
l’espace de travail ou sur la
discrimination des
femmes
par certains hommes, on cède devant
plusieurs exigences des musulmans
radicaux… On peut aussi penser ici aux
ambiguïtés de certains, comme la ligue
des droits de l’homme, sur la question
du voile, à une sorte d’aveuglement
volontaire sur tout cela, par peur
d’être traités d’islamophobes, j’y
reviendrai.
Naïveté d’une certaine
gauche qui, face à l’insécurité, à la
montée de l’islamisme politique ou à
la violence, se
contente
d’explications sociologisantes, pas
fausses pour autant, insiste sur la
ghettoïsation de certains quartiers en
passant à côté (volontairement ?
par lâcheté ?) d’un autre pan de
la réalité, celui de la volonté
politique d’une partie de l’islam
d’imposer ses règles à la société.
Compromission d’une partie de l’extrême gauche
aveuglée par des analyses selon
lesquelles l’islam serait la religion
des pauvres, des opprimés, de ceux
dont viendraient la révolte et qu’il
faudrait soutenir.
Ici, le flirt de la France Insoumise
avec les Indigènes de la République,
la présence en novembre 2019 de
Mélenchon à une manifestation contre
l’islamophobie organisée par le CCIF
(collectif contre l’islamophobie en
France) et au cours de laquelle les
organisateurs firent scander par une
partie de la foule Allahou akbar,
les ambiguïtés à une certaine époque
de Médiapart face à Tariq
Ramadan, tout cela a d’abord intrigué,
puis inquiété.
La lutte contre l’islamophobie, ou la peur d’être considérés comme
islamophobes est à la base de ces
renoncements, de ces ambiguïtés ou de
ces lâchetés. Islamophobie :
un mot fourre-tout au
sémantisme
flou, connotant le
« racisme », racisme
anti-arabe ou antimusulmans, la
« haine des musulmans », et
confondant par un tour de passe-passe
la lutte contre les dérives islamistes
et la haine de l’Islam . Il y a
longtemps que le catholicisme ne
massacre plus (il s’est
particulièrement illustré en ce
domaine) et qu’il ne fait plus la loi.
Or une certaine forme d’islam
politique massacre et veut imposer sa
loi, et s’y opposer n’est ni de
l’islamophobie ni du racisme. C’est
lutter pour la liberté de pensée. Et
il n’y a pas d’accommodements
possibles contre ceux qui s’opposent
aux libertés ou à la laïcité.
Un professeur a été assassiné pour avoir fait
son métier. Médiapart commente
ainsi
cette horreur : « La
portée
symbolique de cette décapitation est
immense et l’émotion s’empare du pays.
Malheureusement, deux jours après le
drame, force est de constater que le
traitement médiatique de cette affaire
reste partial. Une fois de plus, il
semble que l’étiquette “attentat
terroriste” dispense les journalistes
de tout effort réflexif. Les titres
sensationnalistes s’accumulent et
créent une chambre aux échos très
favorable aux rhétoriques
d’extrême-droite ». Et, sans
doute au nom de ce nécessaire
« effort réflexif » Médiapart
titre :
« Exécution
sommaire
du suspect: nouvelle norme en
matière de terrorisme? »
Comme si cela n’était pas un
« titre sensationnaliste ».
Et comme si la décapitation de
l’enseignant n’était pas une
exécution. Du côté de la France
insoumise, Jean-Luc Mélenchon et Eric
Coquerel tombent dans une forme de
racisme anti-Tchétchènes : « On a accueilli des
Tchétchènes qui sont les partisans
d’une guerre civile sur fond de
religion ». Faisant ainsi d’une
pierre deux coups : faire plaisir
à Poutine et ne pas passer pour
arabophobe. Comme si pointer la
communauté tchétchène n’était pas du
racisme.
Ce grand désordre théorique peut
faire rire, mais il est affligeant. En ce domaine comme dans bien d’autres, la gauche ne pense
plus, ou plutôt elle ne pense qu’à
protéger ses structures et à sauver
ses sièges aux élections.
Mais laissons la gauche de côté, car il n’y a
pas que ces renoncements, ces lâchetés
ou ces compromissions, il y a aussi,
en d’autres lieux de pouvoir, une
grande impuissance. Les réseaux
sociaux ont d’abord servi à des
communications anodines, puis ils ont
créé, en particulier facebook, une
sorte de striptease médiatique
envahissant et infantile, ils sont
ensuite devenus une tribune pour les
fausses nouvelles, l’intoxication et
les complotistes. Ils servent
maintenant à
la diffusion des appels à la haine et
au crime. Le problème est que l’on
dispose de bien peu de moyens pour
lutter contre tout cela. Si, dans la
presse écrite, radiophonique ou
télévisuelle, sont diffusées ce genre
de choses il y a toujours des
responsables de la rédaction auxquels
la justice peut demander des comptes.
Sur les réseaux sociaux règne de plus
en plus l’anonymat, en outre leurs
responsables ne sont pas en ici mais
plutôt aux USA, ils ne se contentent
pas de payer le minimum d’impôts, ils
échappent à la loi française. Et, bien
sûr, l’islamisme fondamentaliste en
profite.
Il m’est difficile de trouver une fin amusante
ou ironique pour ce billet. Je crains
que l’extrême droite profite de cette
confusion généralisée et que bientôt
des tarés armés se mettent à
tirer dans les rues sur tout
ce qui ressemble à un arabe. Je crains
que les jeunes décervelés égorgeurs se
multiplient. Je crains… Je ne sais
pas. Peut-être qu’aller manifester
devienne une sorte d’alibi ou de
diversion. On va à la messe et puis on
rentre chez soi.
17
octobre 2020 : En vrac
Commençons par une petite histoire. Cherchant la référence d’un
article d’une collègue argentine dont
je n’avais pas le mail, j’ai écrit à
un de ses collègues qui m’a renseigné
et a ajouté : « Elvira no
te escribe directamente
porque apenas tiene tiempo de
respirar; en su departamento está
viviendo uno de sus hijos con una
hija de cinco años ».
Intrigué par un mot, départamento,
je l’interrogeai : «supongo
que departamento es un argentismo
por apartamento ? » (je
suppose que departamento est
un argentisme pour apartamento)
et voici sa réponse : « Sí,
sí,
apartamento es un españolismo por
departamento ». C’est comme
si je demandais à un belge si pistolet
était un belgicisme pour petit
pain
et qu’il me répondait que petit
pain était un gallicisme pour pistolet.
L’humour, par les temps qui courent,
ne peut que nous faire du bien, mais
surtout l’échange en espagnol
ci-dessus a le mérite de nous rappeler
que le point de vue créé l’objet et,
qu’en matière de langue comme
ailleurs, il ne faut être ni jacobin
ni nationaliste…
Et puisque nous parlons de mots. J’avais noté que Macron, dans son
intervention du 16 mars, n’avait pas
prononcé le mot confinement pour
annoncer…
le confinement. Le gouvernement a
d’ailleurs des problèmes avec le
vocabulaire, depuis la malvenue distanciation
sociale dont j’avais parlé en
son temps jusqu’au séparatisme en
passant par divers autres exemples. On
s’attendait à ce que le président annonce
cette semaine un couvre-feu mais
les
journalistes susurraient qu’il
parlerait plutôt, pour éviter de semer
la panique, de confinement
nocturne. Et bien non, il a
prononcé le mot tabou.
Et c’est en partie autour de ce couvre-feu que tournait jeudi soir
l’émission d’Antenne 2 « Vous
avez la parole ». Les
journalistes Léa Salamé et Thomas
Sotto, en direct de Marseille, avaient
invité le ministre de la santé,
Olivier Véran, qui réagissait aux
questions d’un médecin, d’un
infirmière, d’une propriétaire de
restaurant, d’un architecte,
d’artistes, etc. Il paraissait à la
fois empathique et compétent,
l’émission suivait son cours mais il y
eut quelques moments particuliers.
Tout d’abord l’architecte Rudy
Ricciotti, sur le plateau, et Bernard
Henri Levy, depuis Paris, firent des
déclarations auxquelles on ne
comprenait pas grand-chose.. Ensuite
vint le tour de Michèle Rubirola,
maire de Marseille, qui n’était pas
sur le plateau mais en direct de son
bureau. Très mal à l’aise, paraissant
au bord des larmes, elle donnait
l’impression de lire un texte, ce qui
est d’ailleurs
bien
possible : peut-être était-elle
en trains de verbaliser le produit des
discussions âpres entre les membres de
sa majorité. Surtout, elle ne répondit
pas vraiment à la question assez
simple des journalistes :
« allez-vous faciliter la tenue
de ce couvre-feu ? ».
Puis, sur le coup de 22 heures, l’un des journalistes, montrant un
fauteuil vide, expliqua qu’à ce
moment-là Jean-Luc Mélenchon, député
de Marseille, aurait dû intervenir,
qu’il avait pris le train, n’était pas
très loin, mais qu’il venait de faire
savoir qu’il ne viendrait sur la
plateau que si le ministre le
quittait. Le journaliste indiqua
que c’était eux qui décidaient de qui
devait être là, et on passa à la
suite, sans Mélenchon. Je dois dire
que j’ai trouvé assez stupéfiante
l’exigence du leader de la France
insoumise. Si cet incident est réel,
et il n’y a pas de raison d’en douter,
cet homme exhibe de plus en plus des
pulsions dictatoriales qui inquiètent.
Ce matin, dans le journal local La Provence, j’ai lu qu’un
Marseillais avait tweeté sobrement Marseille
0 – Paris 2, traduisant en
termes journalistiques les prestations
de Rubirola et Mélenchon. Encore une
fois un peu d’humour, qui ne peut nous
faire que du bien.
12
octobre 2020 : Leçon de français
Après
l’attaque du commissariat de police de
Champigny sur Marne par une bande de
jeunes, Gérard Darmanin, ministre de
l’intérieur, s’est rendu sur place et
a affirmé sa détermination. Voici un
extrait de sa déclaration, que j’ai
écoutée plusieurs fois pour être sûr
de ne pas me tromper :
« Il
s’en sont pris par des mortiers aux
policiers (…) Je souhaite que
dans la prochain le
prochain texte de lois (…) nous
puissions définir comme une arme à
destination ces feux d’artifice, ces
mortiers (…)
il faut aujourd’hui que nous
arrêtons cette vente sur
Internet… »
Passons
sur
son hésitation concernant le genre de
texte de loi. Il craint
peut-être de faire une erreur qui lui
attirerait les critiques des
féministes, dont il n’a pas vraiment
besoin en ce moment. Mais, étant
données ses fonctions, il ne devrait
pas ignorer qu’une une arme par
destination n’est pas une arme
à
destination (qui devrait être
suivi d’un complément : à
destination de qui ?) . Quant
à son maniement de la conjugaison (je
souhaite que nous puissions puis
il faut que nous arrêtons), il
pose quelques questions. Notre
ministre a étudié dans un lycée
catholique de Paris puis à l’Institut
d’études politiques de Lille, dans
lesquels je suppose que les élèves
doivent parler français. Darmanin
aurait-il eu de mauvais
professeurs ? Ou serait-il un
militant du changement
linguistique ? Après tout, les
langues appartiennent à ceux qui les
parlent et qui sont le moteur de leurs
changements. Dans ce cas, si sa
carrière politique ne suivait pas le
cours qu’il souhaite, il pourrait
devenir enseignant de linguistique…
11
octobre 2020 : Encore l'arabe
Il s’appelle Nabil Wakim, il est né au Liban, à Beyrouth en 1981,
est arrivé en France en 1985, et il
est aujourd’hui journaliste au
quotidien Le Monde, parle,
outre le français, l’anglais et
l’espagnol Jusque-là,
rien de très stressant, mais… Mais
écrit-il dans un livre qui vient de
paraître, « j’ai honte de mon
arabe haché, de mon accent ridicule,
de mon vocabulaire qui ne dépasse pas
la liste des courses ». L’arabe
est pourtant ce qu’on appelle sa
« langue maternelle », celle
dans laquelle ses parents lui
parlaient, celle qui parlait et
chantait, dans laquelle il
communiquait pendant ses années
libanaises. Aujourd’hui il ne peut
plus communiquer avec sa grand-mère,
il a perdu l’arabe en cours de route,
sans comprendre ni comment ni
pourquoi.
Il en tire un livre à la fois drôle et émouvant, parfois naïf et
frôlant parfois la mauvaise foi.
Drôle lorsqu’il décrit la
rencontre annuelle des musulmans
de France comme « une sorte
de fête de l’Huma halal »,
touchant lorsqu’il parle de sa
fille, à laquelle il ne peut pas
transmettre l’arabe, et qui
cependant prononce quotidiennement
le mot zaatar, un mélange
d’épices à base de thym, qu’elle
met jusque dans son yoghourt,
émouvant lorsqu’il raconte ses
différentes tentatives, les cours
d’arabe qu’il suit dans une
université américaine,ou à
Paris, ou encore par skype avec
une amie vivant à Bruxelles, tout
ça en vain. Un peu de mauvaise
fois lorsqu’il voit l’origine de
son incapacité à parler
« sa » langue dans la
façon dont on l’enseigne en
France, ou dans un racisme
anti-arabe. Naïf lorsqu’il raconte
les différentes personnes qu’il a
interrogées, psycholinguistiques,
spécialistes de l’enseignement ou
de l’histoire des langues, etc.,
comme si elles pouvaient du haut
de leur science résoudre un
problème qui est d’abord un
problème de transmission
familiale. Mais
toujours intéressant car, derrière
cette quête individuelle de ses
origines, il y en a des milliers
d’autres.
Dans un de ses chapitres, intitulé l’arabe est-il la langue du
Coran il met le doigt sur un
vrai problème, d’autant plus
frappant qu’il est lui-même issue
d’une famille libanaise
chrétienne, soulignant que bien
souvent les familles françaises
arabophones, parlant un arabe
national (ou
« dialectal »),
tunisien, libanais ou marocain,
veulent surtout que leurs rejetons
apprennent à réciter quelques
sourates.
Bref, un livre agréable à lire et qui fait réfléchir.
Un dernier point. Je ne sais pas qui a choisi son titre, L’arabe
pour
tous (sous-titré
« pourquoi ma langue est
taboue en France », aux
éditions du Seuil), mais il ne
donne aucune idée de ce qu’il
contient. Je l’ai cherché
longuement chez mon libraire,
parce qu’un entrefilet dans un
journal m’avait donné envie de le
lire, il
était au rayon
« langues », entre des
grammaires scolaires du français,
des dictionnaires, des livres pour
enfants, des abécédaires, etc.,
alors qu’il s’agit d’une forme
d’autobiographie
linguistique que je
m’attendais à trouver avec les
romans, sur les tables des
nouveautés. Comme quoi l’habit
(ici la couverture) ne fait pas le
moine…ou l’imam.
7
octobre 2020 : Autour du Coran
Le
Coran est un texte. Cette affirmation
peut être vue comme une tautologie,
puisqu’on le lit ou qu’on le récite,
et qu’il existe même une discipline ou
un art de cette récitation, le tajwid.
Mais ce texte, selon la tradition, a
d’abord été transmis oralement, puis
transcrit. Or la graphie utilisée dans
les premières versions n’en rend pas
la lecture
facile puisqu’il n’utilise ni
les points diacritiques (qui
permettent de distinguer entre
différentes consonnes, comme le B, le
T et le N, ou le F et le Q) ni la
longueur des voyelles. A ce titre, il
est soit
illisible soit soumis à
interprétation, et c’est d’ailleurs ce
qui s’est passé puisqu’autour au 10ème
siècle on canonise sept lectures
différentes. On voit que nous sommes
là au cœur d’une question que les
linguistes connaissent bien, celle des
relations entre l’oral et l’écrit.
Alors, oral ou écrit, le Coran ?
La réponse traditionnelle est qu’il
est la transcription d’un oral, celui
des prédications de Mohamed. Et comme,
l’oral précède l’écrit, le linguiste
est amené à s’interroger sur la nature
de cet oral. C’est ce que fait Pierre
Larcher dans un livre qui vient de
paraître (Sur le Coran, nouvelles
approches linguistiques, ed.
Lambert-Lucas, 2020). Livre
passionnant et à la fois très
technique et très savant, ce qui
risque de
limiter le nombre de ses
lecteurs. La présentation que je vais
en donner, à mes risques et périls,
sera donc simplificatrice et peut-être
parfois erronée. Mais mon ami Pierre
Larcher pourra, s’il le désire,
rectifier le tir en ce même lieu, dans
un autre billet
Le
Coran est donc pris comme l’objet
d’une analyse linguistique, et Larcher
divise son livre en cinq partie :
texte, langue, lexique
et discours d’abord, thèmes
linguistiques classiques, et une
cinquième partie au titre plus
complexe, Koranophilologie
médiévale. Il cite par exemple
un mot qui apparaît dans le Coran avec
deux orthographes différentes, l’une
avec un S et l’autre avec un S
emphatique, ce qui pose une question à
laquelle il n’y a que deux
réponses possibles: ou bien la
langue du texte est hétérogène, ce qui
mène au problème de la constitution du
texte, ou bien, ce que fait la
tradition musulmane, on homogénéise le
texte, sans se poser de questions.
C’est d’ailleurs ce qui se passe à
l’oral, lorsqu’on lit ou récite le
texte : on gomme les différences.
Mais demeurent la question de
l’histoire de ce texte et celle que
pose le linguiste (Larcher): qu’est-ce
que l’arabe du Coran ? Sa réponse
est toute en finesse : « si
je ne sais pas ce qu’il est, je sais
déjà ce qu’il n’est pas. En fait il
n’est pas (peut-être :pas encore)
l’arabe classique ». Et il montre
ensuite que le Coran n’a pas influencé
l’arabe classique mais que plutôt la
grammaire de l’arabe classique
a eu une influence sur
l’évolution de la langue coranique.
Cette
présentation (la mienne), qui laisse
de côté toutes les démonstrations
fouillées et tous les exemples précis
de l’auteur, est bien sûr réductrice.
Ce qui importe est que, pour Larcher,
il y a une série de mythes musulmans
résultant de la confusion entre
linguistique et théologie d’abord,
puis entre linguistique et
nationalisme ensuite. En fait Larcher
milite pour une islamologie moderne,
une approche historico-critique fondée
en particulier sur la philologie et
non plus théologique, ce que les
études bibliques par exemple par
exemple ont entamé il y a plus d’un
siècle. De ce point de vue, il tend
une perche aux chercheurs arabisants
et islamologues à la fois. Mais
sauront-ils ou pourront-ils la
saisir ?
2
octobre 2020 : Positif
Jair Bolsonaro, Boris Johnson, Donald Trump : tous trois ont
d’abord nié l’existence du virus, puis
l’ont minimisé (une grippette…) puis
finalement atttrapé. Une belle leçon
de choses, une réalité qui s’impose et
qu’on aurait du mal à situer dans la
logique préhistorique de
Trump (fake news, vérité alternative
et autres fariboles.Les virus, comme
les faits, ont la vie dure. Il y a à
peine quelques jours le président
américain se moquait du masque porté
par Biden, alors que ce dernier lui
donnait un conseil salutaire : shut
up. Il aurait pourtant dû le
savoir, Trump, que le virus
s’attrapait par la bouche.
Je sais, je sais, je suis très méchant et ne devrais pas tirer sur
une ambulance ! Mais que
voulez-vous : pour une fois que
Trump a quelque chose de positif.
1er
octobre 2020 : Initiation au titrage
Commençons par un rappel historique d’un événement que les moins de
trente ans ne peuvent pas connaître.
Le 1er novembre 1970, dans
un dancing situé à Saint-Laurent en
Isère, le 5-7, un incendie faisait 146
victimes. Bal tragique à
Saint-Laurent-du-Pont, 146 morts titrait
la presse. Quelques jours plus tard le
général de Gaulle mourait dans sa
résidence de Colombey-les-deux-Eglises
et l’hebdomadaire Hara Kiri titrait :
Bal tragique à Colombey, un mort. Scandale,
interdiction, et création d’un nouveau
journal, Charlie hebdo, qui
fête avec un peu d’avance ses 5O ans
aujourd’hui. Une occasion de s’initier
à la conception de titres
journalistiques un peu provocateurs.
En voici quelques-uns, à vous d’en
imaginer d’autres.
Communiqué du Vatican : Dieu n’existe pas
Ricard lance un nouveau produit : le pastis à l’eau bénite
Crise pétrolière : l’Arabie Saoudite, en difficulté
financière, veut transformer la Mecque
en ville de casinos, concurrente
directe de Las Vegas.
Un groupe d’intellectuels demande les transfert des cendres de
Serge Gainsbourg
au Panthéon.
Les viticulteurs français demandent les transfert des cendres du
foie de Serge Gainsbourg au Panthéon,
pour services rendus à l’alcool
français.
Selon la faculté de médecine, la fumée d’encens donne le cancer.
Sous le titre hallal-kascher même combat, le syndicat des
éleveurs de porcs lance une pétition
demandant à la communauté
internationale de boycotter les pays
musulmans et Israël.
A pékin, le président Xi Jinping déclare :我不是查理,我
是独裁者
(Wǒ
bùshì chálǐ, wǒ shì dúcái zhě, « je ne suis pas
Charlie, je suis dictateur »).
Exclusif : Mohamed était une femme.
Voilà, j’en ai rédigé une dizaine, à vous
de jouer.
29
septembre 2020 :
Nouvelles du front
Il se passe des choses intéressantes dans les débats des
sociolinguistes francophones. La
tribune dont je parlais ici dans mon
dernier billet a quelques problèmes
sur le web. Voici les messages de
deux signataires. L'un vient de France
et le second du Québec :
"Le texte de la tribune semble être hacké sur le site de Marianne.
Il en reste deux paragraphes, les
signatures n'y sont plus".
"Chez moi, au Québec,
le texte est tronqué, les signatures
ont disparu. C'était déjà le cas il y
a quelques jours puis tout est
réapparu normalement avant de
redisparaître aujourd'hui".
En voilà une façon
démocratique de mener le débat. Ceci
dit, il est possible qu’il ne s’agisse
que d’un accident. A suivre, je vous
tiendrai au courant .
27
septembre 2020 : Lire
et démolir
Le semaine dernière j’ai participé à un jury de thèse. L’impétrante
comme on dit, une jeune femme, avait
l’air terrorisée, alors qu’une
soutenance de thèse n’est qu’un rite
de passage, terrorisée au point
qu’elle fit d’entrée de jeu un énorme
lapsus. Elle avait rédigé le
texte de présentation qu’elle lut en
ouverture, mais dérapa sans s’en
rendre compte. Voulant remercier les
membres du jury d’avoir accepté de
lire et d’évaluer son travail, elle
dit « lire et démolir mon
travail ». Joli lapsus, mais qui
va me servir à présenter tout autre
chose.
Le 18 septembre était publiée dans l’hebdomadaire Marianne un
tribune
intitulée Une "écriture
excluante" qui "s’impose par la
propagande" : 32 linguistes listent
les défauts de l’écriture inclusive
(https://www.marianne.net/debattons/tribunes/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les?fbclid=IwAR3xhzDdPL6-NQwFk87JTD3OGDtqXNIu0ZnoDjL9wqxSiBlUAyUHf1yJsfc)
qui ouvrit une semaine que je ne
saurais qualifier de débats. Dans
les jours qui suivirent, en effet,
se
déclenchait une offensive
contre les initiateurs de ce texte.
En fait il avait été rédigé par
quatre personnes et signé par 28
autres linguistes, et l’argument qui
fut d’abord avancé (dans des mails
privés et des coups de téléphones
que j’ai reçus) était que deux des
quatre rédacteurs étaient
réactionnaires et sionistes.
Vérification faite, c’était vrai. Et
alors ? Si des réacs et des
sionistes disent que le ciel est
bleu, faut-il dire le
contraire ? Pour ma part,
j’avais signé ce texte en
tant que linguiste et pour des raisons
très simples, qui concernent la
dialectique des rapports entre l’oral
et l’écrit. En gros une écriture doit
pouvoir être oralisée (lue, prononcée)
et l’oral doit pouvoir être transcrit.
Or l’écriture inclusive est
imprononçable et poserait pas mal de
difficultés chez les lecteurs
débutants, par exemple chez les
migrants apprenant le français. Ce
seul argument, simple, suffit à mes
yeux à la discréditer. Je considère
que la féminisation des noms de
métiers, lorsqu’elle n’aboutit pas à
des résultats ridicules, est une chose
nécessaire. Mais l’écriture inclusive
me paraît plutôt être un boulet.
Après
cette
publication vinrent d’abord des
attaques
ad personam, certains des
signataires étant nommément cités et
critiqués. Je vous donne quelques
exemples des arguments utilisés, sans
donner aucun pour ne pas tomber dans
la délation ambiante:
« Trois quarts de retraité·es, ces gens remâchent leur rage
depuis des mois, Quant à la tribune,
on y retrouve les sottises ordinaires,
que je vous laisse reconnaitre: toutes
les cases attendues sont à
cocher »
« Et
ce
que je remarque surtout
sur cette liste, ce n'est pas la
répartition homme- femmes, mais l'âge
des signataires! »
« Donc, des linguistes réagissent. 32, dont 31 non
spécialistes du domaine »
« La digue est ouverte et la parole raciste, sexiste et
sectaire a désormais pignon sur rue.
On a ici affaire à une offensive qui
n’est qu’une couche de plus dans une
série d’offensives idéologiques
générales, dans le cadre de face à
faces exacerbés pas un épuisement des
ressources et une volonté accrue d’une
petite minorité d’humains d’accentuer
son entreprise de prédation (autrement
appelée néolibéralisme »
Tout y est : des vieux, des retraités, des sots, des
incompétents, etc. En outre le dernier
exemple est intéressant, en qu’il
utilise un procédé typiquement
stalinien consistant à ne pas
argumenter sur le fond
mais à vouloir disqualifier
l’ « adversaire » :
raciste, sexiste, sectaire, prédateur,
néolibéral. Bigre ! Je ne crois
être rien de tout cela, mais je vois
mal dans cette suite d’injures le
rapport avec la linguistique !
Finalement, le 25 septembre, une contre-tribune fut publiée ( https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/250920/au-dela-de-l-e-criture-inclusive-un-programme-de-travail-pour-la-linguistique-d-aujour )) avec des arguments un peu plus scientifiques. Vous avez donc le
lien de ces deux tribunes et pouvez,
si cela vous intéresse, aller y voir.
Toute cette polémique s’est essentiellement exprimée sur le RFS,
«réseau de sociolinguistique
francophone », et les
intervenants y étaient très
majoritairement français, ou de la
« francophonie du Nord. Deux
collègues « du Sud » sont
cependant intervenus. Le premier était
bref (« Je pense que
l'écriture inclusive crée plus de
problèmes qu'elle n’en résout! »)
et le second plus long, et son texte
me paraît devoir être médité:
« Quand monsieur X dit "ils sont nombreux à être infiniment
plus importants", les sujets de débat,
il me donne l'occasion de mettre mon
grain de sel dans cette discussion qui
n'en manque pas. Je rappelle que
si "la langue appartient à tout
le monde" l'écriture pas du tout! Le
rappel de cette évidence pour dire
ceci: si toute la passion et l'énergie
déployée autour de l'écriture
inclusive était mise au profit de
l'alphabétisation et de la
scolarisation de millions de femmes de
l'espace francophone, la cause des
femmes n'en serait-elle pas un peu
plus avancée? L'abolition de la
domination masculine n'en serait-elle
pas un peu plus avancée? Libre à
chacun de choisir ses combats
-idéologiques et scientifiques- mais
enfin voir qu'il y a autant de
passions et de réactions sur ce sujet
et rien sur d'autres en dit beaucoup
sur la francophonie, quelqu'un d'autre
aurait dit "francofollie" mais je me
permettrais pas cette
désinvolture.
Bonne fin de semaine à toutes et à tous!
P-S: avant de retourner à mon silence, on est combien au juste à
tout lire des discussions et des
textes qui circulent ici, sans jamais
réagir? «
Ce qui me frappe le plus dans ces réactions, c’est que l’idéologie
passe avant la science,
ou que la frontière entre science et
idéologie est de plus en plus poreuse,
que le débat scientifique semble
préférer la passion à la raison. Tout
cela, bien sûr, est assez consternant.
Est-ce un signe des temps ? On ne
peut pas ne pas penser à la polémique
qu’a entretenue pendant des mois un
médecin marseillais, le professeur
Raoult, traitant ceux qui soulignaient
que rien ne prouvait l’efficacité de
la chloroquine contre le coronavirus
d’imbéciles ou d’incompétents.
Mais revenons au lapsus de la doctorante que j’ai citée au début de
ce billet, « lire et
démolir ». Elle présentait une
thèse de sociolinguistique et l’on
peut supposer qu’elle avait suivi
cette polémique sur le réseau
francophone de sociolinguistique. Dès
lors, peut-on en voir, dans son
lapsus,
un écho ? Si
cela était le cas, j’aurais une autre
formulation : ne pas lire et
démolir…
19
septembre 2020 :
Changer la vie
On
m’a demandé des précisions sur ce que
j’écrivais hier : « le
slogan
« changer la vie » viendrait
de Rimbaud (ce qui est un détournement
de sens que je n’ai pas le temps de
développer ici) ».
Voici
donc tout d’abord le passage de la
pétition qui traite des raisons
politiques de faire entrer les deux
hommes au Panthéon :
« C’est
dans l’œuvre de Verlaine que l’on a
puisé en 1944 le message annonçant
le débarquement en Normandie à
l’intention de la résistance
intérieure – le vers célèbre
« Les sanglots longs des
violons de l’automne/ Bercent mon
cœur d’une langueur monotone ».
C’est vers la figure emblématique de
Rimbaud que l’on se tourne dès
qu’une révolte éclate, surréaliste
ou étudiante, comme en mai 68, ou
lorsqu’il est question de
« Changer la vie », le
slogan de la gauche des années
1970 ».
Et
voici le seul passage de Rimbaud où
apparaît l’expression changer la
vie (Dans
Une saisons en enfer) :
« Il
a
peut-être des secrets pour changer
la vie ? Non, il ne fait
qu’en chercher, me
répliquais-je ».
On
conviendra
que c’est un peu bref et que dans les
deux cas, Verlaine comme Rimbaud,
l’argument « politique » est
léger, voire spécieux. Parmi les
nombreux messages codés de l’émission
Les français parlent aux Français de
Radio
Londres on trouve « Les carottes
sont cuites », la lune est pleine
d’éléphants verts », « la
girafe a un longs cou », etc.
Faudrait-il en déduire que les
carottes sont politiques, tout comme
l’usage de stupéfiants
(« éléphants verts ») ou la
masturbation (le long cou de la girafe
renvoyant à « peigner la
girafe ») ? Quant à Rimbaud,
qui avait gravé « merde à
Dieu » sur son banc d’école à
Charleville, est-il le précurseur de Charlie
Hebdo ? Tout cela n’est pas
sérieux, et il serait plus honnête de
dire que l’on veut faire entrer au
Panthéon un couple (très brièvement)
homosexuel, ce qui aurait le mérite de
poser les bases d’une discussion
claire.
18
septembre 2020 :
Cette cave où il n'y a pas de vin
Une
pétition « pour l’entrée au
Panthéon d’Arthur Rimbaud et Paul
Verlaine » fait ces derniers
jours parler d’elle. Elle s’appuie sur
« quatre raisons
principales ». Une raison littéraire
d’abord car ces « deux poètes ont
nourri depuis plus d’un siècle notre
imaginaire ». Une raison
politique une peu tirée par les
cheveux : d’une part radio
Londres avait annoncé le débarquement
en Normandie par deux vers de Verlaine
(« les sanglots longs des violons
de l’automne…. »), d’autre part
le slogan « changer la vie »
viendrait de Rimbaud (ce qui est un
détournement de sens que je n’ai pas
le temps de développer ici). Puis une
leçon morale : les deux poètes
sont enterrés dans leurs caveaux
familiaux, sans prestige. Et enfin une
raison judiciaire : Verlaine a
été condamné à deux ans de prison
parce que, selon les signataires, il
était favorable à la Commune de Paris
et homosexuel. Car, et c’est l’exergue
du texte, « ils durent endurer
l’homophobie implacable de leur
époque ».
Fort
bien. Mais personne ne semble se
demander ce qu’en auraient pensé les
deux poètes. L’œuvre brève de Rimbaud
est traversé par une rébellion
fulgurante, un rejet de la société,
qui laisse penser que cette initiative
l’aurait révolté. Quant à Verlaine, il
avait exprimé son opinion avec
netteté. Dans le chapitre XXXII de ses
Mémoires d’un veuf intitulé
Panthéonades il
écrivait à propos de Victor Hugo:
« L’auteur
exquis de si jolies choses, Sara
la Baigneuse,
Gastibelza-l’homme-à-la-Carabine,
Comment disaient-ils, En partant du
golfe d’Otrante. Me voici, je suis
un éphèbe. Dormez (bis), ma belle,
Par saint Gilles, viens nous-en
et cœtera, ils l’ont fourré dans
cette cave où il n’y a pas de vin
! »
Et
puis loin il s’interrogeait sur
« ce que peut signifier pour les
grands hommes qui nous gouvernent le
mot Panthéon, puisqu’il n y a plus ni
dieux, ni Dieu ».
Tout
est dit, non ? Alors laissons-les
tranquilles, plutôt que les fourrer
dans une cave sans vin.

15
septembre 2020 :
Conspiration des imbéciles?
Le maire écologiste de Bordeaux, Pierre Humic, a déclaré la
semaine dernière : « nous
ne mettrons pas d’arbres morts sur les
places de la ville …ce n’est pas
du tout
notre conception de la
végétalisation». Traduisez : il
n’y aura pas de sapin de Noël dans les
rues de la ville. Il a raison, le
maire, même si certains rétorqueront
que dans le Morvan par exemple on
n’arrête pas de planter des arbres que
l’on vend à Noël, et qu’ils
participent à la lutte contre le CO2.
Il a raison, mais je le trouve un peu
mou. Il devrait aussi fermer tous les
fleuristes de la ville, qui vendent de
futurs cadavres, des fleurs qui vont
mourir dans des vases. Et ces vases,
d’ailleurs, sont en général posés sur
une table,
ou un guéridon, en bois. Je
regarde autour de moi. Dans mon salon
il y a une table ronde en teck, une
armoire chinoise en bois laqué, un
escalier en pin qui monte vers une
mezzanine et, pour couronner le tout,
des fauteuils en cuir. Honte sur
moi ! Je vais remplacer tout cela
par du plastique.
Le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, a de son côté traité
le tour de France de « machiste
et polluant », ajoutant qu’il
« n’est pas
«écoresponsable ». Là, je
l’avoue, j’ai du mal à comprendre sa
logique profonde. Je croyais naïvement
que le vélo était écolo, que c’était
une alternative écoresponsable aux
véhicules polluant. Et que le tour de
France pouvait attirer les gens vers
le vélo. Mais il est écologiste, le
maire, donc il doit avoir raison.
Ceci dit, moi qui me fout comme de l’an quarante des fêtes de
Noël et du tour de France, je me
demande pourquoi ces écolos
nouvellement élus ne trouvent rien de
mieux à faire que de donner une image
répressive, punitive, de l’écologie.
Ne risquent-ils pas de ne parvenir
qu’à une chose, se faire
détester. ?
De son côté le désormais célèbre docteur Raoult, après avoir
pendant six mois fait des déclarations
contradictoires et contredites par les
faits
vient de dire :
« incontestablement il y a plus
de morts associés au Covid19 depuis 10
jours que ce qu’il y avait dans les
deux mois antérieurs ». Ah
bon ! Selon une de ses
déclarations, il n’y aurait pas de
seconde vague…
Tout
cela
me fait penser au titre d’un roman
hilarant de John Kennedy Toole, La
conspiration des imbéciles. Selon
certain, il aurait été inspiré
par une phrase de Jonathan Swift:
« Quand un vrai génie apparaît en
ce bas monde, on peut le reconnaître à
ce signe que les imbéciles
sont tous ligués contre
lui ». Les maires écolos suscités
viennent contredire cette
pensée : l’imbécillité semble
plutôt être de leur côté. Quant à
Raoult, elle devrait lui plaire,
puisqu’une grande majorité des
scientifiques étaient ligués contre
lui. Alors, pourquoi s’est-il tant de
fois contredit ? Parce qu’il n’y
a que les imbéciles qui ne changent
pas d’avis, bien sûr, et qu’il
garantit ainsi son statut de vrai
génie…

13
septembre 2020 : Les
singes de la sagesse et
l'inconscient de Sarkozy
Le moins qu’on puisse dire est que je ne suis guère défenseur des
différents discours politiquement
corrects, dans lesquels je vois
l’annonce de nouveaux discours
totalitaires. Mais le numéro auquel
s’est récemment livré Nicolas Sarkozy
laisse rêveur. Il y a quelques jours,
sur une chaîne de télévision (TMC) il
a fait une déclaration dont je vous
donne l’intégralité :
« Cette volonté des élites qui se pincent le nez, qui sont
comme les singes, qui n'écoutent
personne… Je ne sais pas si… On a le
droit de dire singe ?
(rires) On n'a plus le droit de
dire… On dit quoi ? Les dix
petits soldats, maintenant, c'est ça
? Elle progresse la société. Vous
voyez le livre ? D'Agatha Christie.
On n'a plus le droit maintenant. On
a peut-être le droit de
dire singe sans insulter
personne».
Ce texte un peu confus mérite une analyse. On croit comprendre
qu’il veut attaquer le politiquement
correct, mais qui sont ces singes qui
n’écoutent personne ? L’ex
président veut faire référence (mais
le fait bien mal) aux « singes de
la sagesse », l’un qui se cache
les yeux, l’autre qui se ferme la
bouche et le troisième qui se bouche
les oreilles, dont l’interprétation
n’est pas évidente. En Chine on fait
remonter cette métaphore à Confucius,
en lui donnant comme sens « ne
pas voir, ne pas dire, ne pas entendre
le mal ». Les Japonais ont
baptisés ces singes : l’aveugle,
le sourd, le muet. Et l’on dit que
Gandhi avait toujours sur lui la
statuette de ces trois singes. Ce qui
leur donne un sens assez peu agressif.
Cette utilisation des trois singes est
donc assez confuse.
Puis Sarkozy veut
faire référence au roman d’Agatha
Christie Ten little niggers,
dont on vient de transformer en
français le titre en Ils
étaient dix et dont le titre,
d’ailleurs décalqué sur une comptine
américaine (Ten little Indians
), est très vite devenu en anglais And
then there were none. Et là… Et
là tout dérape. Dans le paradigme que
je viens de résumer, Indiens(Ten
little Indians), Nègres (Ten
little niggers), Ils (Ils
étaient dix), Sarkozy
introduit un élément extérieur,
les singes. Et du coup pose une
égalité : singes = nègres. Unbewusste
disait Freud,
« inconscient », dont Lacan
a expliqué qu’il était structuré comme
un langage. La
longue citation ci-dessus nous montre
que le langage de Sarkozy est plutôt
foutraque, mal structuré. Comme son
inconscient ? On croit savoir
qu’il ne boit pas, ce qui exclue
l’hypothèse d’un discours balbutiant
d’ivrogne (ça y ressemble pourtant
beaucoup), il ne semble pas être déjà
atteint d’Alzheimer, et il ne reste
donc qu’une explication, celle du
contenu refoulé, de l’inconscient qui
débarque et s’affiche. Certains
supporters du PSG se mettent à pousser
des cris de singes face aux joueurs
noirs des équipes adverses. Sarkozy
assiste à tous les matches de cette
équipe parisienne. Mais ni lui ni ces
supporters ne semblent vraiment
connaître les trois singes de la
sagesse.
8
septembre 2020 :
Words, words, words
Dans la pièce de Shakespeare Hamlet
(acte II scène 2), Polonius
demande à Hamlet ce qu’il lit et
celui-ci lui répond « words,
words, words », des mots, des
mots, des mots, c’est-à-dire des
choses sans intérêts. Mais lorsque
Victor Klemperer, à la fin de son
livre sur le langage du troisième
Reich, se
demande pourquoi il s’est pendant
des années levé avant l’aube pour
rédiger son journal avant d’aller
travailler à l’usine, il raconte une
discussion qu’il a eu avec une
militante communiste qui avait passé
un an en prison :
« Pourquoi
étiez-vous
donc en taule ? demandai-je.
-Ben, j’ai dit des mots qui n’ont
pas plu. (elle avait offensé le
Führer, les symboles et les
institutions du troisième Reich). Ce
fut l’illumination pour moi. En
entendant sa réponse je vis clair.
Pour des mots »,
j’entreprendrais le travail sur mon
journal ».
« Pour
des
mots ». Une des façons la plus
fréquente de critiquer l’autre, dans
la politique politicienne, est de
l’accuser de ne pas faire ce qu’il
annonce vouloir faire :
« ce ne sont que des
mots ». Mais cette distinction
entre les mots et les actes laisse
de côté l’efficacité des mots, leurs
connotations, et la façon dont on
les reçoit, les décrypte, les
interprète. Or, depuis quelques
jours un mot, ensauvagement,
est au centre du débat politique
français. Il saute aux yeux qu’il
dérive de sauvage, bien
sûr, terme qui lui-même remonte au
latin silvaticus, « celui
qui vit dans la forêt », et il
a eu une large utilisation à
l’époque coloniale (société sauvage,
tribus sauvages, pensée sauvage…).
Et puis, il n’y a guère (depuis six
ou sept ans), ce terme un peu oublié
à été utilisé par Marine Le Pen dans
ses discours sur l’insécurité.
Aussi, lorsque le ministre de
l’intérieur Gérald Darmanin a lancé fin juillet « il faut stopper
l’ensauvagement d’une partie de la
société » le milieu politique
s’est agité. Au gouvernement, certains
ont pris leurs distances avec le
ministre de l’intérieur, mais
l’extrême droite s’est réjouie de la
diffusion de sa « pensée ».
Darmanin, bien sûr, se défend de cette
influence et persiste à utiliser le
mot.
« Tout ce débat pour un mot! »
diront certains. Eh oui ! Car,
comme pourrait le dire un proverbe
populaire (disons un proverbe
tunisien, que je viens
d’inventer) : « Qui se
ressemble se rassemble autour des
mêmes mots ». Il y en a un qui
doit râler, c’est Nicolas Sarkozy. Lui
n’avait trouvé que le mot racaille,
bien mal choisi puisque les jeunes
qu’il visait l’utilisaient déjà sous
sa forme verlanisée (caillera)pour
se désigner eux-mêmes.
31
août 2020 : En eau de
boudin
J’ai reçu un message, à propos de mon billet d’hier et de l’ultracrépidarianisme,
me posant cette question :
« finalement, est-ce que les gens
qu’on peut qualifier de ton nom savant
ne seraient pas ceux dont mon père
disaient qu’ils « veulent péter plus
haut que leur cul » ? Péter :
le mot peut sembler trivial mais les
dictionnaires se débrouillent en
général pour en donner une définition
distinguée : « lâcher
bruyamment des vents » ou
« des gaz intestinaux ».
Quant à vouloir péter plus haut
que son cul, jamais
une expression n’a reposé sur une
telle précision anatomique. Au-dessus
de l’anus, c’est évident, il n’y a pas
de trou par lequel expulser ces gaz en
général malodorants, et comme il est
impossible de se faire plus haut un
trou dans le dos, vouloir péter
plus haut que son cul désigne
une entreprise inaccessible. C’est
donc la marque des prétentieux, des
crâneurs, des fats, des pédants, des
blancs-becs, etc. Mais l’ultracrépidarianisme
dont
je parlais hier est une chose
légèrement différente. Pendant la
pandémie et le confinement est apparue
une cohorte de gens parfois cultivés,
parfois formés à des disciplines
médicales, parfois spécialistes
d’autres choses, sollicités par les
media et donnant avec autorité
des avis ne reposant sur aucun
argument scientifique. Ce sont eux, à
mon avis, les ultracrépidarianistes.
Prenons un exemple
auquel tout le monde pense, celui de
Didier Raoult. La compétence de cet
homme dans le domaine des maladies
infectieuses est indiscutable. Mais,
dès le mois de janvier 2020, il a
commencé à dire tout et son contraire,
sans respect pour les procédures
scientifiques. Ce fut le premier des ultracrépidarianistes.
A partir de là il faut considérer deux
populations différentes. D’une part un
petit groupe de chercheurs qui ont
pris sa défense contre vents et
marées, et d’autre part une multitude
de gens qui pour des raisons diverses,
en général antisystèmes, les ont
suivis. Ces derniers voulaient péter
plus haut que leur cul. Mais les
premiers, pour rester dans la
métaphore anatomique, pétaient à côté
de leur cul. Et, en général, ils
pètent plutôt dans la soie.
Et, pour finir dans
le même registre, je dirais que les
affirmations des ultracrépidarianistes
sont parties en eau
de boudin. Certains voient dans
cette expression la déformation de en
aune de boudin. Mais la véritable
origine est sans doute ailleurs: l'eau
de boudin, c'est plutôt la colique..
30
août 2020 : Sutor, ne supra
crepidam
Vous n’êtes pas
venus pour rien aujourd’hui : je
vais vous rappeler (ou vous apprendre)
un mot bien utile par les temps qui
courent. L’expression latine qui sert
de titre à ce billet, Sutor, ne
supra crepidam, se traduit
mot-à-mot « cordonnier, pas plus
haut que la sandale » mais
signifie en fait « ne prétends
pas savoir faire ce que tu ne sais pas
faire », « contentes-toi de
faire ce que tu sais faire » ou,
de façon plus large, « ne parles
pas de ce que tu ne connais
pas ». D’où le mot ultracrépidarianisme,
qui serait apparu en anglais en 1819,
puis passé en français. Mais je vous
accorde qu’il n’est guère employé.
Pourtant, depuis le coronavirus, une
foule d’ultracrépidarianistes s’est
répandue dans les media et, surtout,
sur les réseaux sociaux et dans les
milieux conspirationnistes. Des gens
qui veulent absolument donner leur
avis, qui croient tout savoir mieux
que les autres, et auxquels on tend
d’ailleurs sans cesse le micro. Nous
pourrions les appeler plus simplement
des toutologues,
mais ce mot ne recouvrent qu’une
partie des ultracrépidarianistes,
celle qui est composée de
conspirationnistes et de gens ne
sachant rien mais prétendant tout
savoir, en bref d’imbéciles. L’autre
partie, la plus importante, est
composée de gens ayant un certain
savoir et croyant que cela les
autorise à donner leur avis sur
tout : les hommes politiques
défendant bec et ongles la chloroquine
(de Trump ou Bolsonaro à Cristian
Estrosi ou Bruno Retailleau), les
journalistes critiquant le port du
masque, bref tous ceux qui très sûrs
d’eux assènent des affirmations qu’ils
sont bien incapables de démontrer, ou
font des choix entre des choses que la
sciences n'a pas encore prouvées.
Quoiqu’il en soit,
si vous voulez faire de l’effet en
société, vous pouvez opposer aux
affirmations qui vous semblent
fantaisistes : ultracrépidarianisme !
L’ultracrépidarianiste visé sera
probablement bien en peine de vous
comprendre.
28
août2020 : Métaphores
footballistiques
Hier, grande
agitation à Marseille. Michèle
Rubirola, la nouvelle maire, son
ennemie politique Martine Vassal, et
le médecin Didier Raoult, bref un trio
d’enfer, se sont unis pour protester
contre la façon dont le ministre de la
santé, Olivier Véran, avait imposé des
mesures sanitaires à Marseille (en
fait la décision a été prise par le
préfet…). A la une de La Provence
un titre guerrier : Marseille
fait front. Mais dès le titre
de l’éditorial (Clasico) on se
trouve en pleine métaphore
footballistique : « match à
distance », « coup
d’envoi ». Et cela continue en
pages 2 et 3 avec un tire énorme, un
match Marseille-Paris en pleine
crise du Covid, et des titres
intermédiaires,
« Paris-Marseille, balle au
centre ». Et ces métaphores se
renouvellent dans le cours des
articles « Le microbiologiste
allait-il dribbler le
gouvernement ? », « ça
s’annonçait sanglant, mais sur le
terrain, Raoult est resté sur la
touche », « Martine Vassal…
n’a pas poussé plus loin le ballon.
Bien qu’encouragé…à tirer au but,
l’équipe marseillaise n’a pas tenté le
pénalty », etc. Tout cela, encore
une fois, avec en toile de fond
l’opposition entre deux équipes, l’OM
et le PSG et entre deux villes. Et ces
métaphores footballistiques peuvent
paraître bien déplacées face à un
problème sanitaire grave.
Mais s’il n’a pas
tiré de pénalty, Didier Raoult s’est
un peu embrouillé dans les chiffres,
lançant que « depuis le 15 juin à
Marseille la mortalité est deux fois
plus faible qu’à Paris », sans se
rendre compte qu’il se tirait une
balle dans le pied. En effet il avait
déjà déclaré, le 27 mai , « la
mortalité de Paris est plus de cinq
fois supérieure à celle de
Marseille » (mais il n’avait pas
répondu aux question de Libération
lui demandant d’où il tirait ces
chiffres et comment il faisait ses
calculs). Si l’on prend cependant ses
chiffres au sérieux, cela signifierait
que la différence entre Paris et
Marseille aurait beaucoup
évolué : en passant de cinq fois
moins qu’à Paris a deux fois moins, la
proportion relative de morts à
Marseille aurait fortement augmenté.
Bref, tout cela ressemble à des
chicanes de cour de récréation. Mais
il y a longtemps que le ridicule ne
tue plus.
Le Brésil, pays où
le football est roi, nous donne un
autre point de vue sur le problème.
Dans le dernier numéro de L’Obs,
je lis une longue interview de Marcia
Barbosa, directrice de l’académie des
sciences du Brésil, qui parle de la
situation désastreuse, des mensonges
et de la folie de Jair Bossonaro, etc.
Mais elle livre en même temps une
information intéressante. Elle
rappelle qu’alors « qu’un
consensus se dégage pour écarter la
chloroquine comme possible traitement,
le ministère de la justice poursuit
une équipe qui a publié une étude sur
ses effets secondaires », que
« les chercheurs sont harcelés,
sommés de justifier la façon dont ils
ont conçu leur étude »… Mais
surtout elle lâche tranquillement le
morceau : « Bolsonaro
voudrait que tous les Brésiliens en
prennent pour écouler les importants
stocks produits par nos laboratoires
militaires ». D’un côté, donc, un
problème d’égo, de l’autre un problème
de fric. Comme au football,
finalement.
26
août 2020 : Histoires de
ponts
Vous connaissez
sans doute le Tower Bridge de Londres,
un pont construit à la fin du 19ème
siècle qui a la particularité (en fait
la nécessité) de pouvoir être levé
pour laisser passer les bateaux, se
refermant ensuite pour laisser passer
les voitures. C’est-à-dire qui permet
à la fois la circulation fluviale et
automobile, effectuant cette opération
environ 800 fois par an. Or, il y a
trois jours, il s’est bloqué ouvert.
Problème technique, ont déclaré les
responsables. Et, pendant quelques
heures, des centaines de voitures
furent bloquées sur les deux rives de
la Tamise. « Il suffit de passer
le pont, c’est tout de suite
l’aventure » chantait Brassens.
Ne pas pouvoir le passer est une autre
forme d’aventure.
Encore le
Covid : devant la situation dans
notre pays, en particulier dans la
région parisienne et dans le Sud-Est,
les autorités allemandes déconseillent
fortement à leurs citoyens de se
rendre dans ces régions. Le Covid
vient bien tard : s’il était
arrivé en 1940, cela aurait évité aux
Allemands de passer un certain ombre
de ponts…
24
août 2020 : Encore les
supporters
Je m’amusais
avant-hier à imaginer une chasse aux
supporter intelligents. On ne peut pas
dire qu’elle ait été fructueuse. Le
PSG, comme on sait, a perdu hier à
Lisbonne son match en finale de la
ligue des champions. Immédiatement, à
Paris, des supporters ont mis le feu à
des voitures et défoncé des vitrines.
Ce matin, dans mon bistro préféré,
j’entendais les commentaires du
garçon : « ils ont perdu,
ils étaient mécontents, ils ont cassé,
mais ils auraient gagné, ils auraient
été contents, ils auraient aussi
cassé, mais dans la joie ». Les
analyses de René, c’est son nom, sont
parfois judicieuses.
A Marseille,
toujours hier soir, c’était la
joie : l’ennemi parisien avait
perdu. J’avoue que ces conneries me
fatiguent, et que je n’ai même plus
envie de les commenter. Mais ce matin,
dans le quotidien local (le seul que
la CGT, avec son goût prononcé pour
l’information libre, nous permette de
lire, mais cela est une autre
histoire), dans La Provence donc,
un long article relatait le match,
mais un énorme titre, sur toute la
largeur de la page et en gras,
proclamait : Toujours seul en
Europe. Traduisez :
l’Olympique de Marseille est toujours
le seul club français à avoir gagné
cette compétition. C’était en 1993…
Pas une ligne dans l’article sur ce
point, mais le titre disait tout.
C’est ce qu’on appelle de
l’information impartiale. Bref, ils
sont contents que les Parisiens
perdent, les supporters Marseillais.
On exprime sa connerie comme on peut.
Il y a cependant un
point sur lequel on ne les entend plus
guère, celui du professeur Raoult.
Vous vous souvenez ? C’est lui
qui à propos du virus avait parlé
d’abord de « grippette »,
puis qui avait affirmé avoir le remède
miracle, la chloroquine, puis qu’il
n’y aurait pas de deuxième vague de
cette épidémie, puis que Marseille
(grâce à lui sans doute) avait eu
beaucoup moins de cas que Paris
(encore l’opposition OM/PSG). Et voilà
que la seconde phase est à nos portes,
qu’elle frappe bien plus à Marseille
qu’à Paris, que personne n’a démontré
l’efficacité de la chloroquine, et
qu’on n’entend plus le professeur
Raoult ni ses supporters. Ah oui, j’en
ai entendu une. Elle n’est pas
marseillaise, loin s’en faut, mais son
amoureux l’est, lui. Et, alors que je
plaisantais comme je viens de le
faire, elle m’a intimé l’ordre de ne
pas parler des sujets qui fâchent,
expliquant que Raoult avait raison,
mais que ce n’était pas de sa faute
car c’étaient les touristes qui
avaient amené le virus dans la région.
Encore les Parisiens, sans doute…
21
août 2020 : Enchaînements
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