
25
décembre 2018 : A
la marge ?

Il
est de bon ton de
déclarer que les gilets jaunes sont sympas,
calmes, résolus mais pacifiques, et
qu’il faut les distinguer soigneusement des
casseurs qui, à la marge de leurs
manifestations, se livrent aux déprédations
que vous savez. Cela me fait penser
aux doctes déclarations de ceux qui
distinguent entre le salafisme, mouvement
« quiétiste »,
et le jihad, en
oblitérant ses rapports
avec le wahhabisme et le jihad, et plus
largement, de ceux qui nient les
rapports entre islam et islamisme, comme ceux
qui naguère niaient les liens entre
le catholicisme et l’inquisition. Or, de la
même façon que la notion de
périphérie implique celle de centre, la
marge
implique, par définition, un texte, un corps
central : une page
serait vide sans texte et la marge n’existe
que par lui.
Or
ce que l’on trouve
à la « marge » du mouvement des
gilets jaunes est inquiétant. J’ai
écrit « à la marge du mouvement » et
non pas « à la marge des
manifestations », car il n’y a pas,
juridiquement, de manifestations des
gilets jaunes. En effet, si la loi garantit le
droit de manifester, elle impose
aussi le devoir de déclarer une manifestation
et son parcours enfin d’obtenir
son autorisation. Lorsque la CGT ou la CFDT
manifestent, lorsque le PCF ou la
Ligue Communiste manifestaient, il y a ou il y
avait autour des manifestants un
service d’ordre efficace qui assurait une
étanchéité entre eux et d’éventuels
casseurs. Rien de semblable avec les gilets
jaunes, et il est donc impossible
de distinguer entre le centre et la
périphérie, entre le texte et la marge. Or,
je l’ai dit, cette marge est inquiétante.
Citons au hasard quelques exemples,
mais il y en a beaucoup d’autres. On a
plusieurs fois entendu crier « on
est chez nous » depuis le début du
mouvement, expression venue de l’extrême
droite et dont les relents racistes et
xénophobes sont clairs. Samedi dernier,
c’est la « chanson de la quenelle »
de Dieudonné qui était entonnée à
Montmartre. Ailleurs un panneau mettait des
signes d’égalité entre Macron,
Attali, Drahi, les banques et
« Zion » : encore une fois la
vieille assimilation entre les Juifs et la
finance, et même si je suis assez d’accord
sur le fait que Macron fasse le jeu du
capitalisme, je ne vois pas ce que les
Juifs font là-dedans. Ailleurs, en province,
on mimait la décapitation de Macron,
et je ne supporte pas l’idée de mise à mort,
qu’il s’agisse de celle d’un
président, d’un voisin ou d’un amant de sa
femme (qui peut d'ailleurs être en même temps
voisin)…
Bref,
la « marge »
du mouvement des gilets jaunes n’est pas
ragoûtante, et comme, pour les raison
que j’ai dîtes plus haut, il y a une grande
porosité entre cette « marge »
et le « texte » qui l’accompagne,
les gilets jaunes ne sont guère
sympas, ils sont directement responsable de
leur périphérie et ne font pas grand
chose pour s’en séparer. Je ne dis pas que
tous les musulmans sont terroristes
ou approuvent secrètement les terroristes, ni
que tous les gilets jaunes sont racistes
ou fascisants, ou approuvent secrètement les
racistes. Mais, même s'il y a derrière le
mouvement des gilets jaunes une réelle misère
qu'il faut résorber, il est
difficile d’exonérer totalement
les uns et les autres de ce qu’ils
produisent. Encore une fois, la périphérie
n’existe que par le centre, et la
marge n’existe que par le texte
.
19
décembre 2018 : Trop
intelligents

Gilles
Le Gendre, responsable depuis peu du groupe
macroniste à l’Assemblée Nationale, commence
bien. Voulant lundi faire son mea culpa, ou
plutôt celui de son groupe, il a en effet
déclaré : « nous avons été trop
intelligents, trop subtils, trop techniques
dans les mesures de pouvoir d’achat ».
Bien sûr, cette phrase est sortie de son
contexte et vous avez sans doute remarqué que,
lorsqu’on interroge un politique sur une
phrase qu’il a prononcée il répond toujours
(et cela est à ajouter à la liste des éléments
de langage) qu’il faut la replacer dans son
contexte. Quoi qu’il en soit, contexte ou pas,
Le Gendre a bien dit « nous avons été
trop intelligents, trop
subtils… Concluez : « vous
n’avez rien compris, parce que nous sommes
trop fins pour vous, que vous êtes trop
bêtes ». Pourtant, monsieur Le Gendre n’a
pas fait l’ENA, juste Science Po et le Centre
de Formation des Journalistes, mais il fait de
son mieux pour se mettre au niveau d'un
énarque, pour avoir les chevilles qui
gonflent. Remarquez, pour un marcheur, ce
n’est pas surprenant, mais il devrait tout de
même prendre le temps de lire un traité de
savoir vivre.

13
décembre 2018 : "Allo!
Non mais allô quoi! T'es un gilet jaune et
tu passes pas à la télé ?"

Hier
matin Libération, qui boucle trop tôt
pour pouvoir rendre compte d’évènements
tardifs, consacrait encore sa une aux gilets
jaunes avec uniquement, en haut de la page,
une accroche renvoyant en page 14 à un petit
article peu informatif sur ce qui s’était
passé mardi soir à Strasbourg. L’après-midi Le
Monde en parlait sur quatre colonnes à
la une, et ce matin Libération y
revenait sur une première page entière avec un
gros titre accrocheur : « Nuit de
terreur ». Même chose depuis hier sur les
télévisions, en particulier les émissions
branchées sur l’actualité qui, après quinze
jours de gilets jaunes, basculaient vers
Strasbourg. Une
info chasse l’autre, finie la xanthophilie,
les gilets jaunes passaient à la trappe et
laissaient place à la xanthophobie. Ce qui a
d’ailleurs immédiatement suscité des théories
complotistes imbéciles selon lesquelles
c’était la police qui avait tiré à Strasbourg,
pour faire oublier le conflit…
Rien
de nouveau, bien sûr, dans ce changement de
focus, les media fonctionnent toujours ainsi,
mais c’est peut-être l’occasion de réfléchir
un peu sur les rapports que nous avons à eux.
Vous avez tous vu, un jour ou l’autre,
lorsqu’un reporter se trouve en direct dans un
lieu public, des gens s’agglutiner derrière
lui pour être dans le champ de la caméra,
faire des signes imbéciles ou prendre un air
niais. But de l’opération : « on m’a
vu à la télé ». C’était d’ailleurs là un
slogan récurrent, il y a une vingtaine
d’années : on lisait sur un paquet de
n’importe quoi, nouilles ou crème miracle, vu
à la télé, référence à une pub que la
marque s’était payée et dont elle voulait
ainsi redoubler l’effet. Vu à la télé,
c’était aussi le principe des émissions de
téléréalité dans lesquelles des gens sans
beaucoup d’intérêt acceptaient de se faire
filmer en continu : la vacuité et l’ego
allaient ainsi de pair. Cela a donné, en 2013,
une Nabila s’étonnant qu’une candidate des Anges
de la téléréalité n’ait pas de quoi se
laver la tête et s’exclamant en mimant avec sa
main un téléphone : « Allô !
Non, mais allô quoi ! T'es une fille,
t'as pas d'shampooing ? ». Buzz et
succès immédiats, dix millions de vues,
jusqu’à ce qu’elle soit, un an après,
incarcérée pour avoir donné quelques coups de
couteau à son compagnon. Sic transit
gloria mundi.
Or
cette volonté d’être vu à la télé explique en
partie les difficultés qu’ont eu les pouvoirs
publics à trouver des interlocuteurs
représentatifs du mouvement. Dès qu’un
« porte-parole » passait une ou deux
fois à la télévision, il était dénoncé par
d’autres, voire menacé : « il ne
nous représente pas ». Et d’autres
« représentants » se manifestaient,
d’autres candidats pointaient le bout de leur
nez, voulant être à leur tour sous les
projecteurs. Le phénomène était encore plus
visible sur les ronds-points ou les barrages
tenus par les manifestants. Dès qu’un micro
était tendu, qu’une caméra tournait, ils
débitaient n’importe quoi, tout et le
contraire de tout, peu importait, pourvu
qu’ils soient « vus à la télé ». « Allô !
Non, mais allô quoi ! T'es un gilet jaune
et tu passes pas à la télé? ».
Et
ce phénomène est amplifié sur les réseaux
sociaux, en particulier grâce au nouvel
algorithme de facebook qui renforce les
relations entre gens du même avis. Certains
affichent leur gueule et débitent doctement
des âneries, des « infox » comme on
dit pour fake news, sans que personne
ne puisse les contredire puisque le système
fait qu’on n’est écouté que par des gens qui
pensent comme nous. « Allô !
Non, mais allô quoi!». Nous vivons une époque
moderne…

6
décembre 2018 : Lecon
de choses ?

Depuis
bientôt trois semaines, sur les chaînes d’info
en continu, on ne parle que de ça. C’dans
l’air, émission qui, sur la cinquième
chaîne, aborde chaque soir de façon très
professionnelles un fait d’actualité, traite
de ça tous les jours depuis dix
jours. Ca, c’est quoi ? Les
« gilets jaunes », bien sûr. Et
cette présence médiatique envahissante est
sans doute un signe, mais signe de quoi ?
Comme vous sans doute, j’avoue que je n’y vois
pas très clair dans cette foisonnante
profusion de faits qui vont un peu dans tous
les sens.
Lorsque
j’étais à l’école primaire, nous avions ce
qu’on appelait des leçons de choses, qui
consistaient à aller du concret à l’abstrait,
en partant
de
l’analyse de faits pour en dégager des
conclusions plus générales. Le mouvement des
« gilets jaunes » est une sorte de
leçon de choses, mais nous n’avons pas
d’instituteur nous nous aider à la comprendre.
Ce qui me paraît clair, mais les historiens se
pencheront plus tard sur cela, c’est le rôle
des media, d’Internet, des réseaux sociaux,
dans le buzz qui nous assaille. Mais, comme on
dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, il n’y
a pas de buzz sans motif. Un mouvement
protéiforme, à forts relents poujadistes
auxquels se mêlent une grosse touche de
« dégagisme », beaucoup de confusion
et des revendications en grande partie
fantaisistes (dissolution du sénat, démission
du président, assemblée populaire…). Mais, à
la base, un ras-le-bol généralisé qui prend
racine dans une situation sociale
indiscutablement inégalitaire. Je sais, pour
avoir trainé mes guêtres depuis un demi-siècle
de l’Amérique du Sud à l’Afrique en passant
par la Chine, que la misère qu’on y côtoie est
bien supérieure à celle qui existe en France.
Mais cela n’excuse rien.
Alors,
quelle leçon de choses ? Une première
chose, évidente, m’apparaît :
l’amateurisme affligeant des politiques au
pouvoir. Nous avons d’un côté un président et
un gouvernement gonflés d’orgueil, imbus de
leur clairvoyance autoproclamée, des
conseillers convaincus de leurs compétences
parce qu’ils sortent de l’ENA. Et de l’autre
des députés godillots (mais ce n’est pas très
nouveau) qui en majorité n’ont jamais labouré
le terrain politique, ne savent pas grand
chose de la vie et des problèmes de leurs
électeurs. Tous apparaissent comme des poulets
de l’année, naïfs, analphabètes politiques et
aujourd’hui à la dérive. Lorsque le premier
ministre allait répétant qu’il ne changerait
pas de cap, il illustrait clairement cet
autisme qui caractérise le macronisme :
nous voyons loin, nous savons où nous voulons
aller et nous vous y mènerons, que vous le
vouliez ou pas, pour votre bien. Mais, dès
lors que ce cap est en passe d'être abandonné,
le roi est nu. On voit que le pouvoir est
désarçonné, qu’il se fissure, qu’il ne
comprend pas grand chose à ce qui lui arrive.
Le ministre de l’intérieur, le porte parole du
gouvernement, le premier ministre, balbutient
et se contredisent. Nous avons même entendu
deux ministres, aussitôt rappelés à l’ordre
par l’Elysée, dire qu’il serait possible de
rétablir l’impôt sur la fortune…
Autre
chose : la gourmandise de certains partis
d’opposition, le Rassemblement Nationale, la
France Insoumise et Les Républicains, qui
tentent de tirer les marrons du feu alors
qu’eux non plus n’en avaient pas vu la fumée
annonciatrice. Mélenchon appelait depuis
longtemps de ses vœux au soulèvement, il s’en
produit un qu’il n’a pas suscité mais qu’il
voudrait bien récupérer. La droite, craignant
qu’on revienne à l’impôt sur la fortune, tire
à boulets rouges sur le gouvernement. Et
l’extrême droite va très vite expliquer que
tout est la faute des migrants. Tous parlent
de « colère légitime » mais ne
savent quoi proposer pour y répondre
concrètement.
Certains
ont risqué une comparaison avec Mai 68.
Pourtant les différences crèvent les yeux.
D’une part le mouvement étudiant avait à
l’époque des représentants que personne ne
contestait (Geismar, secrétaire du SNESup,
Sauvageot, président de l’UNEF, et Cohn
Bendit) alors
que l’incapacité des « gilets
jaunes » à se donner des représentants
est flagrante. D’autre part, les étudiants
avaient forcé les syndicats, en particulier la
CGT, à manger leur chapeau en finissant par
rejoindre le mouvement qu’ils avaient d’abord
condamné. Les syndicats n’ont aujourd’hui que
peu de poids, ils ont échoué dans leur
opposition aux premières réformes de Macron et
sont eux aussi désemparés. Enfin la situation
économique du pays est très différente.
Je
ne sais pas qui a trouvé cette formule, mais
elle est parlante : l’opposition entre fin
du monde et fin du mois,
« cette fameuse fin du mois qui depuis
qu’on est toi et moi nous revient sept fois
par semaines » comme chantait Léo
Ferré. Le grand échec du gouvernement
est sans doute d’avoir laissé penser que les
urgences écologiques passaient avant les
urgences sociales, d’avoir été incapable de
présenter clairement un projet de société
tenant compte des deux. Il est aujourd’hui
devant un mur et, pour Macron, ce n’est plus
la fin du mois mais la fin du
moi.
Alors,
maintenant, quoi ? Je n’en sais rien, je
ne sais pas ce qui se passera samedi prochain,
je ne sais pas s’il y aura une
« convergence des luttes » comme
disent certains, et j’ai l’impression d’avoir
écrit les lignes qui précèdent pour ne pas
dire grand chose.
Mais
il me faut bien conclure. Le général chinois
Sun Tzu, écrivait il y a vingt-six siècles
dans L’art de la guerre, qu’il fallait
toujours laisser une face à l’ennemi. Mais ni
les « gilets jaunes » ni le
gouvernement n’ont dû lire Sun Tzu. Alors,
tout peut arriver.

3 décembre 2018 : Ch’sais
que c’est que c’est quoi !

Je
suis entré il y a quelques jours dans une
boulangerie pour acheter de la chapelure. Pour
ne rien vous cacher, je voulais faire un
mélange de persil de thym, de poivre, de fleur
de sel, de chapelure et d’huile d’olive pour en
badigeonner un carré d’agneau que j’allais
mettre en four avec quelques gousses d’ail en
chemise…
Bref,
j’entre donc dans la boulangerie et demande à
la jeune fille derrière le comptoir la
chapelure nécessaire à ma recette. « De
la cha quoi ? ». « De la
chapelure ». « C’est quoi,
ça ? » Le patron, qui entend notre
échange depuis la porte du four me dit qu’il
n’y en a pas et explique de quoi il s’agit à
son employée.
« Ah,
lance-t-elle,
maintenant ch’sais que c’est que c’est
quoi ! »
Pour
débuter studieusement votre semaine, je vous
propose de vous pencher sur cette phrase. Vous
pouvez employer la théorie qui vous sied le
mieux, grammaire distributionnelle,
fonctionnelle, générative, transformationnelle
ou toute autre de votre goût. Et
rassurez-vous, même sans chapelure, le carré
d’agneau était bon.

30
novembre 2018 : Et en
plus il est con !

Vous avez vu ? Il est question, à
l’Assemblée Nationale, d’interdire désormais
la fessée aux enfants. Interdire la
fessée ? Eh oui ! Pourtant, y’en a
des... Tenez, prenez le petit Darmanin, que
ses parents ont laissé à la crèche de Bercy.
Il a vraiment la gueule du sale gamin qui, au
fond de la classe, fait des bruits incongrus
en laissant croire que l’auteur en est son
voisin, la gueule de l’abruti qui jette des
boules puantes, la gueule d’un délateur qui
dénonce tout le monde, bref on regrette que
Cabu ne soit plus là pour le croquer sous les
traits qu’il mérite.
Et en plus il est con.
Le 22 novembre, à la Sorbonne, voulant
montrer qu’il comprenait les gilets jaunes il
aurait dit ceci, cité par l’AFP et repris par
l’hebdomadaire Marianne :
«Si nous ne voulons pas être dans le Brexit intérieur
[…], nous devons tous intégrer et pas
seulement expliquer, mais entendre et
comprendre, ce que c’est de vivre avec 950
euros par mois quand les additions dans les
restaurants parisiens tournent autour de 200
euros lorsque vous invitez quelqu’un et que
vous ne prenez pas de vin. Qui peut croire
que nous vivons dans la même société ?»
Bien sûr, il a immédiatement démenti,
disant sur twitter qu’il avait « rarement
vu de malhonnêteté intellectuelle »
tandis que Dominique Seux, journalistes aux Echos et éditorialiste sur France Inter volait
à son secours en twittant qu’il avait assisté à la séance, qu’on avait tordu sa phrase et qu’il
avait voulu « pointer la
déconnexionentre les élites qui étaient
devant lui et ceux qui vivent avec 950
euros ». Or voici ce qu’a réellement
dit Darmanin (merci la rubriquechecknews de Libération), c’est-à-dire, si vous
comparez soigneusement les deux versions, pratiquement
la même chose que le texte publié par Marianne :
«Si nous ne voulons pas
être dans un Brexit intérieur, ni nous ne
voulons pas connaître les cartes électorales
de nos amis américains, nous aurions tous
intérêt, et les gouvernements en premiers, à
pas seulement expliquer mais à entendre et à
comprendre qu’est-ce que c’est de vivre avec
950 euros par mois lorsque les additions
dans les tables des restaurants parisiens
c’est autour de 200 euros quand vous invitez
quelqu’un et que vous ne prenez pas de vin.
Qui peut croire qu’on vit dans la même
société et qui peut croire qu’ils sont
simplement victimes ? »
Non seulement Darmanin est con, mais en plus il est de mauvaise
foi en accusant Marianne de « malhonnêteté
intellectuelle ». Et il a
récidivé quelques jours plus tard, le 25
novembre, en expliquant, toujours à propos des
gilets jaunes, que c’était la peste brune qui avait défilé sur les Champs-Elysées.
Alors, chers députés, avant de voter l’interdiction de la fessée,
réfléchissez un peu. Ou alors prévoyez des
exceptions, quelque chose comme un
« Amendement Darmanin ».

29
novembre 2018 : Ter
repetita placent

Bis
repetita
placent disait-on
en latin. En fait nous pourrions modifier
légèrement la formule : ter
repetita... Nous avions avec mon frère
Alain mis au point et publié en 2010 un
« baromètre des langues du monde »
qui, à partir du traitement de dix facteurs
discriminants, prenait en compte et classait
les 137 langues ayant plus de 5 millions de
locuteurs (en langue première). Deux ans plus
tard nous répertorions les 563 langues ayant
plus d’un million de locuteurs. Nous avons
cette fois élargi notre travail aux langues
ayant plus de 500.000 locuteurs, qui sont au
nombre de 634. En même temps, au fil des
versions, nous avons augmenté nos facteurs,
ajoutant en 2012 la véhicularité des langues
et en 2017 leur place dans l’enseignement
supérieur. Il est donc désormais possible de
comparer ces trois versions, de voir les
changement dans la place des langues et, comme
auparavant, de jouer avec l’importance
accordée aux différents facteurs pour faire
son propre classements. Il suffit d’aller
sur : http://www.wikilf.culture.fr/barometre2017/ En outre, en cliquant sur « en
savoir plus... » vous trouverez toutes
les indications sur la façon dont nous avons
travailler, traitement des données, etc. Bonne lecture.

27
novembre 2018 : La
sourate "Les Femmes"

Depuis les printemps arabes, je suis
particulièrement fier de mon pays natal, la
Tunisie. En effet, lentement mais sûrement on
y fait avancer la démocratie et l’égalité
entre les hommes et les femmes. Il faut dire
que les femmes tunisiennes sont
particulièrement combattives pour défendre
leurs droits acquis et réclamer ceux dont
elles ne disposent pas encore, et qu’elles
jouissent d’ailleurs, depuis Habib Bourguiba,
d’un statut inédit dans les autres pays
arabes.
Voici qu’un projet de loi sur l’égalité
entre hommes et femmes au moment d’hériter
vient d’être adopté par le conseil des
ministres et devrait être présenté au
parlement d’ici quelques mois. Il prévoit
qu’un Tunisien et une Tunisienne de même degré
de parenté héritera de la même part, ce qui
peut nous paraître tout à fait normal. Mais le
problème, ou la difficulté, est que dans
l’ensemble des contraintes que l’islam impose
aux femmes (voile, répudiation, statut de
mineure face à l’homme, etc.), l’inégalité
devant l’héritage est la seule qui
apparaissent dans le Coran. On lit en effet,
au verset 11 de la sourate « Les
femmes » :
« Au
fils,
une part équivalente à celle de deux filles.
S’il n’y a que des filles, même plus de deux,
à elles alors deux tiers de ce que le défunt
laisse. Et s’il n’y en a qu’une, à elle alors
la moitié... »
Les
débat
s’annoncent donc fiévreux et le parti
islamiste El Nahda se trouvera devant une
sorte d’épreuve de vérité : va-t-il
accepter que la charia médiévale puisse ne pas
s’appliquer ?
La
constitution tunisienne (qui débute d’ailleurs
par la formule « au nom de dieu le
clément le miséricordieux ») stipule dans
son article premier que « La
Tunisie
est un État libre, indépendant et souverain,
l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et
la République son régime ». Que pèse
l’égalité entre l’homme et la femme face à la
religion ? Et
y a-t-il une contradiction dans les termes
entre un régime républicain et une religions
d’état ? Toute la question est là. A
suivre...

21
novembre 2018 : Age
ressenti

Il y a une quinzaine de jours j’ai lu une
enquête sur des parents (américains, si je me
souviens bien) qui demandaient à
l’administration le droit de ne pas mentionner
le sexe de leurs nouveaux nés sur les
certificats de naissance et, ipso facto, sur
leurs futurs papiers d’identité. Ce sera,
disent-ils, à eux de choisir plus tard leur
sexe. J’avoue que la chose m’a amusé et que je
me suis demandé quelles conneries du même
genre (c’est le cas de le dire) je pouvais
inventer. Dans un récent film libanais, Capharnaüm,
on voit un jeune adolescent attaquer ses
parents en justice au motif qu’ils l’ont mis
au monde. C’est vrai, après tout, il n’avait
rien demandé. J’ai alors pensé à la
possibilité ouverte à tous les enfants de
choisir, par exemple à sept ans, entre le
suicide ou l’euthanasie et la suite de
l’expérience sur terre. Ou encore à la
possibilité de changer de parents, de réfuter
les biologiques pour choisir qui ils veulent,
d’autres humains bien sûr, ou encore un âne ou
un mouflon. Bref, je m’amusais.
Et puis j’apprends qu’un Néerlandais, un
certain Emile Ratelband, demande à la justice
le droit de changer sur ses papiers sa date de
naissance. Venu au monde en 1949, il voudrait
remplacer cette date par 1969, qui
correspondant à l’âge qu’il ressent. Ses
arguments sont imparables : il est à la
retraite à cause de sa date de naissance et
trouve cela discriminatoire, il se sent jeune
et veut afficher sur ses papiers un âge
correspondant à son ressenti.
Voilà une idée qu’elle est bonne !
Je ne sais pas si monsieur Ratelband se rend
compte qu’en retrouvant subitement l’âge de 49
ans il devra se remettre au travail pour près
de vingt ans, mais c’est son problème. En
revanche, les gouvernements qui se battent
avec le problème de l’âge de la retraite
pourraient trouver dans son idée une solution
idéale au problème du déficit des caisses.
Finis les débats sur la prolongation de l’âge
de la retraite à 63 ou 65 ans. Au contraire,
mettons-le à 60 ans, voire à 55. Mais, en même
temps, décrétons que tous les citoyens
parvenus à 50 ans seraient rajeunis à 30. Ils
prendront ainsi leur retraite à 60 ans. Que
dîtes-vous, à 80 ? Mais non, vous n’avez
rien compris à l’âge ressenti. Et ils seront
centenaires à 120 ans, ce qui prouvera la
qualité de vie du pays...
Je vais y penser sérieusement. Si je
pouvais me « rajeunir » de 20 ans,
tout le monde dirait le jour où... :
« Le pauvre, il est mort jeune ».
L’autre solution serait de dire que l’âge que
l’on ressent est de 20 ans supérieur à celui
que prétendent nos papiers. « J’ai
cinquante ans, mais je ressens en avoir 70.
Donc je dois prendre ma retraite ».
Songez-y, les jeunes. Pour moi il est trop
tard.

19
novembre 2018 : Entendre
et écouter

La langue française a la particularité de
distinguer, à propos de la perception
visuelle, entre voir et regarder :
On peut voir quelque chose, de plus ou moins loin et,
lorsqu’on s’intéresse plus précisément à un
détail, regarder de
près. Mais on ne voit pas un tableau, on le
regarde. De la même façon, on distingue pour
la perception auditive, entre entendre et écouter. On entend les bruits de la rue mais on écoute son
interlocuteur, ou une partition de Bach. On
peut voir ou entendre sans le
vouloir, mais on regarde ou
on écoute volontairement.
Ces petites précisions ne sont pas
inutiles si nous voulons nous pencher sur ce
que disait, mercredi dernier, Emmanuel Macron
sur TF1. Interrogé sur la diarrhée de tweets de
Donald Trump, il a répondu : « A
chaque
grand moment de notre histoire, nous avons été
des alliés et entre alliés on se doit le
respect (...) Je ne veux pas entendre le
reste ». Puis à propos des « gilets jaunes » il a
enchaîné :« j’entends la
colère ». Hier soir sur France 2 Edouard
Philippe, fidèle au mimétisme lexical qui
caractérise le gouvernement, a pour sa part
déclaré : « j’entends ce que disent
les Français mais je vois le cap, je n’en
change pas ». Autrement dit, je n’ai rien
à foutre de ce que j’entends.
L’inénarrable Benjamin Griveaux, si on
l’interroge sur ce point, ne manquera pas de
dire qu’entendre a aussi le sens de « comprendre », et rappellera
que « j’entends bien » peut
signifier « je comprends ». Mais,
outre que cet usage est aujourd’hui un peu
précieux, Griveaux ne pourra pas nier que
« j’entends bien » signifie surtout
pour les francophones « je ne suis pas
sourd », « je n’ai pas de problèmes
d’audition ». Entendre a
en effet d’abord le sens de « percevoir
par le sens de l’ouïe » tandis qu’écouter a celui de « prêter son attention
à ».
Dès lors, si Macron et Philippe entendent
(du moins prétendent entendre) ce qui disent
les Français ou leur colère, il serait
peut-être temps pour eux de les écouter.

12
novembre 2018 : Le nom
des autres

Lundi dernier, le premier ministre (au
cas où cela vous aurait échappé, il s’appelle
Edouard Philippe) s’est rendu en Nouvelle
Calédonie. Et le présentateur a annoncé au
journal de vingt heures de TF1 :
« Le premier ministre Edouard Balladur
est arrivé à Nouméa ». Effectivement,
Balladur a été premier ministre... de 1993 à
1995. A l’heure où la propagande
gouvernementale nous bassine sur le nouveau
monde politique, on voit que les frontières
avec l’ancien sont perméables...
Puisque nous parlons du nom des gens, je
reviens sur un thème que j’ai déjà abordé,
celui de l’incapacité des journalistes de
l’audiovisuel à faire le moindre effort pour
prononcer les consonnes prénasalisées. Le
footballeur Mbappé est régulièrement baptiser ème
bappé, la ville sénégalaise de Mbour ème
bour, etc. Et il y a dans cette
nonchalance quelque chose qui s’apparente au
racisme. Allez, camarades, faites un petit
effort. Respectez le nom des autres.
Pire encore. La chanteuse Angélique
Kidjo, qui a interprété hier, lors de la
commémoration du centenaire de l’armistice,
une chanson en hommage aux combattants des troupes colonial en 14-18, a été
selon les media déclarée malienne, béninoise
ou congolaise. Il suffirait de prendre la
peine d’aller, en deux clics, sur Wikipedia
pour savoir qu’elle est née au Bénin. Mais
non, on s’en fout, elle est noire donc elle
est de là-bas, quelque part entre Bamako,
Kinshasa, Ouidah ou Brazzaville. Il ne s’agit,
après tout, que d’un rayon de près de 5000
kilomètres. Et je ne peux pas m’empêcher de
penser qu’il y a derrière tout cela un mépris
des autres, un j’m’en foutisme qui nous
fournit des fake news à la chaîne, à l’heure
où nous n’en avons vraiment pas besoin.
Mais nous vivons une époque moderne.

8
novembre 2018 : Maréchaux nous voilà

Pendant la guerre les Français, des
écoles primaires aux maisons de retraite,
chantaient cette ode à un maréchal sénile et
collabo, Pétain : Maréchal,
nous
voilà, devant toi le sauveur de la France,
nous jurons nous tes gars de servir et de
suivre tes pas... Son nom n’était pas
cité mais il n’y avait aucune ambiguïté, tout
le monde savait de qui il s’agissait : LE
maréchal. La communication du gouvernement
pour sa part nous a plongé, pendant deux
jours, en pleine ambiguïté.
Tentons de résumer. Le bruit court que
tous les maréchaux de la première guerre
mondiale (ils sont huit, parmi lesquels
Pétain) seront honorés samedi. Interrogé par
la presse, Macron le confirme et tente de la
justifier : « il a été un grand
soldat », « je reconnais la part que
les maréchaux ont joué et que notre armée
a joué dans la victoire française ».
Immédiatement on se révolte. Hollande monte au
créneau, puis le CRIF, Mélenchon, Hamon, etc.
Benjamin Griveaux, porte-parole du
gouvernement, déclare alors qu’il s’agit d’une
mauvaise polémique et qu’il est
« légitime de rendre hommage au Maréchal
Pétain samedi aux Invalides », citant au
passage une phrase du général de Gaulle
déclarant en 1966 « sa gloire à Verdun ne
saurait être contestée ni méconnue par la
patrie ». Mercredi soir, le même Griveaux
affirme qu’il n’y aura aucun hommage à Pétain,
« il n’en a jamais été question ».
Ah bon ? Il avait dit exactement le
contraire quelques heures plus tôt ! Et
le soir, l’Elysée dément : « Comme indiqué à plusieurs
reprises ces derniers jours, le samedi 10
novembre ne seront honorés que les maréchaux
présents aux Invalides : Foch, Lyautey,
Franchet d’Esperey, Maunoury et Fayolle».
Huit maréchaux, puis sept en enlevant Pétain, puis cinq en ne
prenant que ceux qui sont aux Invalides, tout
cela fait un peu désordre. Ce que l’on croit
comprendre, c’est que Macron ne connaissait
pas le dossier et qu’il a dit n’importe quoi,
montrant cependant qu’il n’était pas contre
(« il a été un grand soldat »), que
Griveaux a volé à son secours en disant lui
aussi n’importe quoi, qu’il s’est ensuite
rétracté en mentant (« il n’en a jamais été question ») et que la communication du gouvernement est un travail
d’amateurs. Les politiques peuvent (rarement)
dire la vérité ou (plus souvent) mentir, mais
se contredire en quelques heures relève d’un
rapport fantaisiste ou méprisant aux Français.
A propos, il y a dans cette histoire quelques centaines
d’oubliés, les 639 fusillés pour l’exemple
(c’est le chiffre donné par le Service
Historique de la Défense ) lors de ce qu’on a
appelé, à tort, les décimations. François
Hollande avait demandé en novembre 2013 au
ministère de la défense « qu’une place
soit accordée aux fusillés aux
Invalides ». On a failli donner une place
à Pétain, mais on les a encore oubliés.

5 novembre
2018 : Caramel mou

Ce matin, entre 6 et 7 heures, j’entends
sur France Inter parler du périple
présidentiel
dans le Nord de la France. Une heure
après, sur la même chaîne, on annonce une itinérance
commémorative du président, et une demi
heure plus tard on parle à nouveau de périple
présidentiel. Europe 1, sur son site, parle pour sa part de voyage
mémoriel. Et la veille, dans le Journal
du dimanche, on annonçait entre
guillemets, sans doute pour indiquer que la
formule venait d’un quelconque zozo chargé de
la communication dans un
quelconque bureau d’un quelconque
ministère, voir de l’Elysée, une
« itinérance
mémorielle ». En fait je m’amuse,
ou me fait plaisir : vérification faite,
c’est bien l’Elysée qui a lancé cette formule.
Périple, itinérance ou voyage,
commémoratif ou mémoriel, tout cela semble
bien compliqué pour dire que le président de
la république a entamé hier, à partir de
Strasbourg, un voyage dans l’Est et le Nord de
la France, sur les lieux les plus connus des
batailles de la guerre de 1914-1918 :
onze départements et dix-sept villes. Il
s’agit donc d’un déplacement ou d’un voyage
présidentiel, à l’occasion du centième
anniversaire de l’armistice de 1918.
Le moins qu’on puisse dire c’est que le
mot choisi par l’Elysée, itinérance,
est peu fréquent. Au Québec il désigne le fait
d’être à la rue, sans domicile fixe, mais on
peut espérer que le président aura, dans ses
différentes escales, un toit. Il désigne aussi
ce qu’on appelle en anglais roaming, le fait de pouvoir utiliser un téléphone portable hors de
sa zone de service, mais là aussi le président
ne devrait pas avoir de problème, d’autant
plus qu’il ne quittera pas le territoire
national. Enfin, pour la bonne bouche, je ne
résiste pas au plaisir de citer ce passage du
quotidien québécois Le
Soleil (8 mars 2008) qui parlait d’une
personne ayant connu « une enfance difficile qui l’a très tôt menée à la dépendance à la drogue
et à l’itinérance ». Mais nous
pouvons espérer qu’il ne s’agissait pas du
jeune Emannuel Macron.
Bref, je me demande ce que comprennent
nos concitoyens à cette innovation élyséenne, itinérance mémorielle. Certains d’entre eux doivent mâcher
plusieurs fois la formule en se demandant ce
qu’elle peut bien vouloir dire. Ce n’est plus
de la langue de bois, c’est de la langue de
caramel mou ou, puisque le président aime bien
les anglicismes, de la langue de marshmallow.

26
octobre 2018 : Panurge

Le 17 octobre se tenait un séminaire
gouvernemental (non, je n’y étais pas, je tire
les informations qui suivent du Canard
Enchaîné) au cours duquel Benjamin
Griveaux a donné quelques conseils aux
ministres.
A ceux qui n’avaient pas de compte
twitter : « je crois que c’est utile
pour relayer les discours du président, comme
celui d’hier. J’ai vu que certains ne l’ont
pas fait ». On se moquait beaucoup, dans
les années 1960, des députés gaullistes, les
« godillots », qui répétaient en
chœur ce que leur dictait le gouvernement.
Twitter n’existait pas à l’époque, mais le
principe était le même : ne pas avoir
d’idée, faire écho à celles qui viennent d’en
haut. C’est donc maintenant au tour des
ministres.
A ceux qui passent à la radio ou à la
télé : « Il faudrait que, quand vous
allez à une émission, vous parliez bien
entendu de votre domaine de compétence, mais
aussi que, systématiquement, vous parliez d’un
autre ministre ». Deux jours
après, le 19 , Didier Guillaume, nouveau
ministre de l’agriculture, à montré que sa
compétence était grande en déclarant sur RTL
« C’est aux scientifiques de faire la
preuve ou non qu’il y a des conséquences à
l’usage des pesticides ou pas ». On ne
sait pas s’il relayait un discours du
président, ou si le président ne s’était pas
encore exprimé sur ce point et que le nouveau
ministre improvisait avec brio.
Tout cela donne une drôle d’image des
ministres que leur berger, Griveaux, dirige
avec soin et qui, suivant en cela le modèle de
la majorité des députés, se comportent comme
le mouton de Panurge. Faut-il rappeler que
chez Rabelais, dans le Quart
Livre, ce syndrome du suivisme se finit
mal : « Panurge sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton
criant et bellant. Tous les aultres moutons
crians et bellant en pareille intonation
commencerent soy jecter et saulter en mer
aprés à la file. La foulle estoit à qui
premier y saulteroit aprés leur
compaignon. »
24
octobre 2018 : Rhétorique
ou dérive ?

"La haine des média et de ceux qui les animent est juste et saine". Tout le monde connaît cette
phrase de Jean-Luc Mélenchon, qui peut
cependant laisser perplexe. On peut en effet
lire la presse, écouter les media
audio-visuels ou s’en désintéresser. On peut
avaler ce qu’ils disent ou s’en méfier. On
peut savoir les décrypter, les analyser, les
critiquer et se faire grâce à eux sa propre
idée. Mais pourquoi les haïr ? En quoi est-ce
« sain » ? En quoi cette haine
peut-elle faire avancer la réflexion et,
subsidiairement, les idées politiques de
Mélenchon ?
Bien sûr, le dirigeant de la
France insoumise n’en est pas resté là. Après
les révélation de Médiapart concernant sa vie privée, il a récidivé :
« Plenel, quel naufrage du trotskisme à
ce niveau de caniveau après avoir dirigé Le
Monde. Je laisse les gens vous dire ce
qu’ils en pensent. A ce niveau d’agression et
d’ignominie, il n’y a plus besoin
d’argumentation ». Et enfin, après une
enquête de Radio France concernant ses comptes
de campagne, il a appelé à
« pourrir » ses journalistes qu’il
avait auparavant traités d’
« abrutis » et de
« menteurs ».
Faisons crédit à Mélenchon sur
un point, il connaît la langue française et
manie parfaitement la rhétorique. Dès lors,
que signifie pour lui l’appel à la
haine ? Que signifie le verbe
pourrir ? Et que veut dire la phrase « Je
laisse les gens vous dire ce qu’ils en
pensent. A ce niveau d’agression et
d’ignominie, il n’y a plus besoin
d’argumentation ». Comment peut-on dire sans argumenter ?
Et si on n’argumente pas, on fait quoi ?
On cogne ? On brûle ? On
lynche ?
Bref la rhétorique de Mélenchon
sent mauvais, je dirai même qu’elle pue. A
moins, bien sûr, qu’il ne se contrôle pas,
qu’il lui arrive parfois de ne pas savoir ce
qu’il dit. Il doit bien exister des thérapies
pour cela...

19
octobre 2018 : L'accent
des autres

Jean-Luc Mélenchon n’en rate
décidément pas une, mais là il est en train de
virer vers l’ignoble. Déjà, il y a quelques
mois, il avait laissé percer des accents
racistes envers l’Allemagne et les Allemands.
Hier la chose était plus drôle et plus grave.
Drôle parce qu’il était pris à
son propre piège. Une journaliste de FR3, se
souvenant sans doute qu’interrogé naguère sur les ennuis de François
Fillon il avait répondu «Chacun
doit
répondre de ses actes...Je n’ai pas d’autre
choix que de faire confiance à la justice »,
l’interroge : « Il y a quelques mois, vois pointiez les déboires judiciaires de Fillon
et de Le Pen sur la 3, et vous disiez que
c’était une décadence de la République... »
Voyant venir la suite et comprenant qu’il
allait être mis face à ses contradictions, il
a choisi...
Et c’est là où la chose devient
grave. Il a choisi de se moquer de l’accent de
la journaliste plutôt que de la laisser
finir sa question: « Qu’esseu
que ça veut direu.... Non Madame, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Vous
dîtes n'importe quoi. Quelqu'un a-t-il une
question formulée en Français? Et à peu près
compréhensible? Parce que moi votre niveau
me dépasse, je ne vous comprends pas ». Petite précision, la journaliste a
l’accent du Sud-Ouest, de Toulouse plus
précisément. Seconde petite précision,
Mélenchon est élu d’une ville dans laquelle on
a un accent du Sud-Est, Marseille plus
précisément. Le pauvre homme doit souffrir
tous les jours en entendant parler ses
électeurs.
Tirer en touche pour ne pas répondre à une question est une
vieille ficelle de la langue de bois et
Mélenchon, en vieux politicien, manie
parfaitement la langue de bois. Il y a
différentes façons de ne pas répondre à une
question gênante, la plus courante étant de
noyer l’autre sous un flots d’arguments qui
n’ont rien à voir avec la question. Mais
parfois cette procédure d’évitement révèle la
face cachée de celui qui la pratique
(souvenez-vous de Sarkozy et de son Casse-toi
pauv
con). Le leader de la France insoumise a
choisi de mépriser la journaliste, en
insinuant qu’avoir l’accent de Toulouse c’est
ne pas parler français, être incompréhensible,
et il a du même coup révélé quelque chose de
lui. Jacobin ? Sans doute. Raciste ?
Je ne le crois pas vraiment. Il est plutôt
irresponsable, incapable de se contrôler.
Mélenchon, comme d’ailleurs Le Pen, a entraîné
derrière lui depuis quelques années beaucoup
de jeunes. Et cela est une bonne
chose : La jeunesse française est
fortement dépolitisée et tout ce qui peut
l’intéresser aux choses de la cité est
positif... Mais insulter la justice, appeler à
la haine des journalistes, tenir des propos
racistes est une drôle de façon d’attirer les
jeunes vers la politique. Et qu’elle soit
commune à l’extrême gauche et l’extrême droite
est inquiétant.
Evidemment l’incident a fait le buzz hier soir sur les réseaux sociaux et continue ce matin.
Le quotidien La
dépêche publie sur son site des
réactions de ses lecteurs
internautes dont voici quelques exemples:
« Eh Meluche, n'oubliez pas que vos deux députés LFI
ariégeois n'ont pas non plus l'accent de la
capitale. Et vous les comprenez dans
l'hémicycle (si bien sûr ils ouvrent la
bouche) ? »
"Quel choc pour les sympathisants insoumis occitans,
qui découvrent que leur guide sacré, pétri
de culture ne les comprend pas lorsqu'ils
s'expriment avec des mots simples avec
l'accent du peuple des régions"
"Député de Marseille incapable de comprendre les accents du Sud, oh bonne
mèèèèèère !"
"Là je crois qu'il a perdu des voix dans le sud ouest bouducon !"
"Et puis aussi, si notre accent écorche les oreilles de certains, qu'ils
retournent respirer l'air parisien... et
surtout qu'ils y restent avec leurs mines
blêmes à respirer les senteurs des pots
d'échappements et la puanteur du métro"
"Amic Jean-Luc, Quina bergonha ! Per ua elejut deth sud dera França ! Eth
accent qu'ei ua riquessa ». (Ami
Jean-Luc, quelle honte ! Pour un élu du sud de
la France ! L'accent est une richesse).
Etc.
« Ce qu’il y a
d’encombrant dans la morale c’est que c’est
toujours la morale des autres » disait
Léo Ferré, et nous pourrions le
parodier : ce qu'il y a d'encombrant dans
l’accent, c’est que c'est toujours l’accent
des autres. En France, effet de la
centralisation sans doute, les Parisiens
pensent qu’ils sont les seuls à ne pas avoir
d’accent, et bien souvent, lorsqu’ils veulent
réussir au niveau national certains tentent de
perdre le leur, de le masquer, en s’alignant
sur l’accent de la capitale. Pasqua, avec son
accent grassois, ne pouvait pas aller plus
loin dans la hiérarchie ministérielle, qu’au
ministère de l’intérieur. Castaner, qui vient
d’y parvenir, aura du mal à suivre la longueur
de ses dents jusqu’à l’élection
présidentielle. Et Mélenchon, qui dans son
enfance avait sans doute un accent pied-noir,
est aujourd’hui linguistiquement formaté pour participer à une telle
élection. Mais à quel prix ! Au prix d’un
racisme de ruisseau, ou du café du commerce.
C’est à se demander pourquoi les Marseillais
l’ont élu député. Seraient-ils
masochistes ? Allez, je vais me livrer à
une plaisanterie douteuse. Quand on compare
les résultats de l’Olympique de Marseille à la
ferveur de ses supporters, on pourrait croire
à ce masochisme. Mais il sera intéressant
d’examiner de près dans le sud de la France
les résultats de la FI aux prochaines
élections.
15
octobre 2018 : Autocéphalie

Il m’arrive, dans mes cours ou
mes conférences, lorsque je parle des
frontières linguistiques et que je veux
montrer qu’elles peuvent être aussi sociales
ou politiques, d’évoquer le cas de l’Ukraine.
En effet, si l’on examine le résultat de
l’élection présidentielle de 2004, opposant
Viktor Ianoukovitch à Viktor Iouchenko, on
constate une partition du pays en deux, que
confirme l’élection de 2010, opposant Ioulia
Timochenko, considérée comme pro-européenne, à
Victor Ianoukovitch, pro-russe: les
cartes des résultats des deux élections sont
pratiquement superposables avec à l’Est une
majorité pour le candidat pro-russe et à
l’Ouest une majorité pour le candidat
pro-occidental.
Or
cette partition correspond assez largement à
la carte linguistique du pays : on parle
plutôt russe à l’Est, plutôt ukrainien à
l’Ouest. Et il en va un peu de même en ce qui
concerne les religions : les catholiques
sont majoritaires à l’Ouest du pays, , les
orthodoxes à l’Est. C’est-à-dire que dans l’ensemble
délimité par les « frontières de
l’Ukraine », mises à mal par
l’expansionnisme russe, nous voyons apparaître
deux sous ensembles : les résultats des
élections présidentielles, la répartition des
langues dominantes et les religions concordent
en grande partie.
Or
l’église orthodoxe d’Ukraine est depuis
longtemps mise sous la tutelle directe du
patriarche de Moscou, ce qui est une façon de
plus pour le régime de Poutine de contrôler ce
voisin qui aiguise ses appétits. Mais il vient
de se produire une petite révolution : le
patriarcat de Constantinople (quelque chose
comme le Vatican des orthodoxes) vient
d’accorder à Kiev l’autocéphalie, c’est-à-dire
l’indépendance spirituelle et juridique, et le
droit d’avoir son propre patriarche. Il s’agit
d’un coup dur pour Moscou, qui perd environ un tiers de ses églises et ne peut
plus prétendre au statut de premier patriarcat
au monde, ou de rival du patriarcat de
Constantinople. En gros, Poutine a certes mis
la main sur la Crimée mais il vient de perdre
une bataille politico-religieuse.
Comme
quoi les frontières peuvent être polysémiques,
avoir à la fois un sens politique, linguistique, religieux,
et la tendance à faire coïncider ces espaces
parfois différents est sans doute l’une des
marques du nationalisme.
9
octobre 2018 : Irresponsabilités

Chaque semaine ou presque, et
depuis longtemps, les media nous
alarment : « Bientôt il sera trop
tard », « Maintenant ou
jamais », « la maison brûle et nous
regardons ailleurs », « que
lèguerons-nous à nos enfants »,
« éviter l’ingérable », « gérer
l’inévitable », « où va la
planète ? » Et le récent rapport du
GIEC a multiplié ces appels à la prise de
conscience. Tout le monde le sait, et tout le
monde s’en fout. Mais cette inconscience ou
cette irresponsabilité collectives ne
concernent pas que le climat.
Dimanche, au Brésil, Jair
Bolsonaro a recueilli au premier tour de
l’élection résidentielle 46% des voix.
Bolsonaro, vous connaissez ? Un militaire
venu à la politique, misogyne, homophobe,
raciste, anti-droits de l’homme, soutenu par
les églises évangélistes, les fazendeiros de
l’agrobusiness et par tout le monde
économique, qui rêve de ramener son pays à
l’ère des « gorilles », cette dictature qui a muselé le pays de
1964 à 1985. C’est loin le Brésil, ça ne nous
concerne pas ?
Regardons plus près de nous.
Lundi, en Italie, Marine le Pen et Matteo
Salvini ont paradé, affirmant leur volonté de
construire un axe fort à Bruxelles, de
détruire l'Europe de l’intérieur grâce aux
élections à venir, avec sans doute le FPÖ
autrichien, le KNP polonais. FPÖ est le sigle
de Freiheitliche
Partei Österreischs, « parti de la
liberté d’Autriche », les mots ne coûtent
pas cher. Et KNP signifie Kongress
Nowej Prawicy, « Congrès le la
Nouvelle droite ». Nouvelle droite, ça ne
vous fait pas frémir ? N’oublions pas
Orban en Hongrie, chantre du nationalisme ou
Netanyahou en Israël, qui lui aussi ne sait
pas vraiment ce que signifie « droits de
l’homme », surtout quand l’homme ou la
femme sont palestiniens. Tout cela est moins
loin que le Brésil, non ?
Et en France ? Wauquiez, Le Pen,
Dupont-Aignan et la « manif pour
tous » vont d’une façon ou d’une autre
converger un jour pour nous donner une belle
extrême droite (ou une nouvelle droite) qui n’aura
pas grand mal à cueillir le pouvoir. Face à
cette menace, quoi ? La gauche est
incapable de se confronter intellectuellement
aux problèmes qui font le miel de cette
extrême droite (les réfugiés, le racisme, le
nationalisme pais aussi la retraite ou le
déficit). Macron, propre sur lui et lisse
comme un banquier qui sort de l’ œuf, bluffe
mais dérape sans cesse, se casse les dents et
montre à ceux qui ont cru en lui son
incapacité à agir sur la situation. Mélenchon
poursuit sa démarche solitaire de populiste de
gauche, sachant très bien qu’il n’aura jamais
seul la moindre majorité.
L’inconscience et l’irresponsabilité ne
concernent pas seulement la situation
écologique de la planète. Elles concernent
aussi notre avenir politique. L’extrême droite
est à nos portes, et nous regardons ailleurs.
2
octobre 2018 :
Obsèques... et hommage

Le 19 avril 1980, plus de
50.000 personnes accompagnaient la dépouille
de Jean-Paul Sartre vers le cimetière du
Montparnasse. Deux semaines auparavant, seuls
des amis assistaient à la levée du corps de
Roland Barthes, qui sera enterré dans un petit
cimetière à Urt, dans les
Pyrénées-Atlantiques. Deux morts, deux
traitements différents. En octobre 1978,
Jacques Brel, mort à l’hôpital de Bobigny,
était enterré discrètement dans un petit
cimetière, aux îles Marquises. Le 31 octobre
1981, Georges Brassens était enterré dans
l’intimité à Sète. En juillet 1993, c’était au
tour de Léo Ferré, enterré à Monaco, en
présence de quelques proches. Dans tous ces
cas, des personnalités publiques, célèbres,
dont les obsèques étaient plus ou moins
discrètes. Mais, dans tous les cas aussi, ce
n’étaient pas les pouvoirs publics qui en
décidaient.
Plus récemment, le 5 décembre
2017, mourraient Jean d’Ormesson et Johnny
Hallyday. Le premier eut droit à une cérémonie
discrète, le second à des obsèques quasiment
nationales.
Il y a eu en France, depuis
1885, un
peu plus d’une quarantaine d’obsèques
nationales, celles de quelques écrivains
(Victor Hugo, Pierre Loti, Maurice Barrès,
Paul Valery, Colette, Aimé Césaire), d’une
dizaine de militaires, d’une quinzaine de
politiques et d’une artiste, Joséphine Baker.
Sous la quatrième république, il fallait une
loi pour octroyer cet honneur, sous la
cinquième il suffit d’un décret du président.
Mais cette tendance croissante à vouloir
réserver à certains disparus un cérémonie
officielle particulière est étrange. Les dernières obsèques nationales, en
2008, étaient celles d’un certain Lazare
Ponticelli, dont peu de gens connaissent le
nom. Il s’agit du dernier vétéran français de
la seconde guerre mondiale. Mais le général de
Gaule n’a pas eu droit à cet honneur. Allez
comprendre ! Voici donc que des voix
s’élèvent pour réclamer qui un hommage
national qui des obsèques nationales pour
Charles Aznavour.
Il n’est pas question pour moi
d’établir un baromètre de la notoriété ou du
mérite, et d’ailleurs Aznavour a droit au
moins aux mêmes égards qu’Hallyday. Des
obsèques nationales ? Cela aurait peu de
sens.
Mais c’est un immense chanteur
qui vient de disparaître. Je ne l’ai que très
peu connu mais je voudrais moi aussi lui
rendre un petit hommage discret, à mon
échelle. En 1991, je publiais une biographie
de Georges Brassens, aux éditions Lieu Commun.
Mon éditeur, Gérard Voitey, était également
notaire, en particulier le notaire de Charles
Aznavour. C’est un ami, Gérard Davoust, qui
m’avait mis en rapport avec Voitey, Davoust
qui était aussi l’associé d’Aznavour à la
direction des éditions musicales Raoul Breton.
Et Aznavour s’était bizarrement investi dans
la promotion de mon livre. Nous avions mangé
deux ou trois fois ensemble, et un soir qu’à
Bobino, Alice Dona présentait un spectacle
Brassens avec les élèves de son école de
chanson, dans le hall je signais mon bouquin.
Et Aznavour s’était subitement transformé en
bonimenteur, interpellant les gens :
« Achetez le livre de Calvet, il est
excellent ». Il s’amusait comme un gamin
dans ce rôle que personne ne lui avait demandé
de jouer. Mais, même si beaucoup parlent de
son ego, il m’était apparu ce jour-là sous un
aspect tout différent: désintéressé,
généreux et surtout marrant.
C’était juste un petit hommage.
Et il aura les obsèques que voudra sa famille.
23
septembre 2018 :
Baptême

Dans le Journal du dimanche d’aujourd’hui, un article sur un tournoi de
golf parle du joueur
« Nord-irlandais » Rory Mcliroy.
L’homme est effectivement né en Irlande du
Nord, ce qui signifie qu’il doit avoir un
passeport britannique. Le qualifier de
« joueur britannique » ne serait
donc pas faux, mais aurait sans doute des
connotations différentes. Je suis incapable de
dire si ce changement de nomination aurait
entraîné des troubles, en d’autres termes je
ne sais pas quelle est la formulation
« politiquement correcte », mais ce
droit de nommer, ou de baptiser, est la
première violence faite aux êtres humains. Les
parents ont ainsi le droit de choisir le
prénom que leur enfant portera toute sa vie,
comme Christophe Colomb se donnait le droit de
baptiser les îles qu’il
« découvrait » dans la mer des
Caraïbes.
Or il se passe actuellement au
Liban un débat de nomination porteur
d’opposition violente. Un certain Moustapha
Badreddine, dont j’ignorais jusqu’ici le nom,
est en effet au centre d’une violente
polémique. Ce Badreddine est en effet accusé
par le Tribunal Spécial pour le Liban d’avoir
été l’un des organisateurs en 2005 de
l’assassinat de l’ancien premier ministre du
Liban, Rafiq Hariri. Mais Badreddine était en
outre un chef militaire du Hezbollah, qui a
été tué en 2006 à Bagdad, qui comme on sait
n’est pas une ville libanaise mais syrienne.
Dès lors, comme le qualifier
(ou baptiser) ? Terroriste ?
Assassin ? Combattant ? Le Hezbollah
a choisi : martyr. Et la municipalité de
Ghobeiry, dans le sud de Beyrouth, vient de
rebaptiser une artère rue
du martyr Moustapha Badderine. On imagine
la réaction du premier ministre, Saad Hariri,
fils de Rafiq. Pour compliquer encore les
choses, il tente depuis longtemps de
constituer un gouvernement, dans lequel
devrait figurer le Hezbollah, mais cette
histoire de nom de vue complique
singulièrement les choses.
Je n’ose proposer rue
de l’olivier, ou rue
de la colombe...
12
septembre 2018 :
L'un souille, l'autre pas

Il est donc probable que le
prochain président de l’Assemblée Nationale ne
soit pas une présidente et que Richard Ferrand
soit élu à ce poste. Il faut dire qu’il a
toutes les compétences requises. Conseiller
général PS du Finistère, puis conseiller
général PS de Bretagne, élu en 2012 député PS
(je sais, j’ai répété trois fois PS, et je
vais récidiver) il est alors considéré comme
proche de l’aile gauche du PS. Et puis,
abracadabra, il devient subitement l’un des
premiers soutiens de Macron, dès octobre 2016.
Pendant la campagne présidentielle, alors que
Fillon se débat dans les affaires, Ferrand
déclare que cela « souille tous les élus
de France » (hou ! le vilain
Fillon). Il devient ministre, alors qu’il
traîne lui aussi une casserole (une magouille
présumée dans les mutuelles de Bretagne grâce
à laquelle il aurait permis à sa compagne
d’acquérir dans les conditions douteuses un
bien immobilier). Et, à la mi-juin 2017 il
quitte le gouvernement pour devenir président
du groupe La République en Marche à
l’assemblée. Un joli parcours, rapide et
sinueux si l’on se souvient que deux ans avant
il était... à la gauche du PS.
Le voici donc sur le point de
devenir président de l’assemblée.
Problème : l’affaire des mutuelles de
Bretagne est relancée par une nouvelle plainte
(de l’association Anticor) en cours
d’instruction. Et un journaliste de Libération lui demandait hier s’il démissionnerait
en cas de mise en examen. Sa réponse est
exemplaire. Il rappelle tout d’abord de beaux
principes : « séparation des
pouvoirs », « différence radicale
entre une mise en examen... et ce qui procède
simplement d’une plainte », puis
conclue : « Quoiqu’il en soit, une
décision procédurale n’a pas vocation à
décider de l’exercice d’un mandat
parlementaire ».
Je ne sais pas comment vous
analysez cette dernière phrase, mais je la
traduirais volontiers de la façon
suivante : « je vous emmerde et
j’emmerde les décisions procédurales, je suis
élu, je le reste ». Hasard du calendrier,
le même jour, Alexandre Benalla refusait de se rendre devant la
commission d’enquête du Sénat (il changera
d’avis le lendemain). Et, dans les deux cas,
on croit entendre, comme en voix off :
« nous sommes intouchables ». Il y a
là une grande arrogance
C’est le 3 mars 2017 que
Ferrand voyait dans l’affaire Fillon une
souillure pour tous les élus de France. Or
Fillon ne sera mis en examen que le 14 mars.
Il était donc à peu près dans la même
situation que Ferrand aujourd’hui. Mais il
nous faut bien conclure que l’un souille,
l’autre pas.
4
septembre 2018 : Bigorneau

Il était, bien sûr, difficile
de remplacer Nicolas Hulot, le plus populaire
des ministres, le plus médiatique. Le pâlot
François de Rugy a dont été choisi, et les
commentateurs le qualifient de
« macronien pur jus », élu député
avec l’étiquette de la République en marche et
soutien inconditionnel du président. En fait
les positions politiques du nouveau ministre
ont toujours été à dimension variable. D’abord
élu député comme écologiste, il rejoint le groupe
socialiste en 2016, participe à la primaire du
PS en 2017, y obtient 3,88% des voix (ce qui
témoigne de l’importance de son envergure),
s’engage à défendre le vainqueur, Benoît
Hamon, mais s’empresse de retourner sa veste
pour soutenir Macron et se fait réélire député
sous son drapeau. Bref c’est un politicien
moyen (je veux dire dans la moyenne :
avec des convictions politiques fluctuantes),
qui ne gênera jamais le gouvernement. Il ne
dira jamais un mot plus haut que l’autre, ne
menacera jamais de démissionner, bref il
respectera les codes.
Un chroniqueur de Libération écrit ce matin que ce remplacement ne changera
rien : « Qu’il s’agisse de Hulot,
d’une plante verte, de François de Rugy, d’un
bigorneau ou du pape, le résultat sera le
même ». A une différence près,
peut-être : Hulot était un bigorneau
vivant, frais, alors que Rugy est un bigorneau
surcuit.
31
août 2018 : Causes et effets

J’ai vu dans le New
York Times International Weekly de
cette semaine un article dont le titre,
« In East Ukraine, War brings more
wolves » m’a intrigué. Après lecture, il
s’agissait d’abord d’un paysan qui a été mordu
par un loup, de divers chiens tués par les
loups, d’un pêcheur attaqué par un renard,
mais, derrière tout cela, d’un entraînement de
causes et d’effets qui mérite d’être conté.
A l’Est de l’Ukraine, là où se
manifestent depuis quelques années les
appétits territoriaux de la Russie, la chasse
est désormais interdite sur une bande de
soixante kilomètres le long de la ligne de
front entre les forces ukrainiennes et les
séparatistes pro-Russes (et, mais cela est nié
par la Russie, également des forces russes).
Fort bien, et fort sage : n’importe qui
portant un fusil pourrait être pris pour un
belligérant et descendu par un véritable
belligérant le prenant pour quelqu’un du camp
adverse.
Premier résultat, la population
de faisans et de lièvres a subitement augmenté
de façon notable. Normal, puisqu’on ne les
chasse plus, ils se multiplient, bien à l’abri
des balles des chasseurs.
Deuxième résultat, cette
profusion de proies attire les prédateurs.
Normal : là où il y a à bouffer, il y a
des bouffeurs. C’est donc la population de
loups et de renards qui a subitement augmenté
dans cette zone sans chasseurs et pleine de
gibier.
Problème : le pêcheur
attaqué par un renard l’a tué et ramené, et un
vétérinaire a constaté qu’il était porteur de
la rage.
Conclusion sous forme de
constatations et d’une question.
Les constatations : les
Russes veulent prendre une partie de
l’Ukraine, ils lancent une guerre civile, les
chasseurs sont interdits le long de la ligne
de front, le gibier y prospère, les prédateurs
en profitent, certains d’entre eux sont
porteurs de la rage et attaquent les êtres
humains.
Question : les Russes
sont-ils propagateurs de la rage ?
28
août 2018 : Un peu de
fraîcheur

Non, je ne vais pas vous parler
de la canicule (encore que...) mais de la
démission, hier et en direct sur France Inter, de Nicolas Hulot.
D’habitude les choses se
passent très différemment : un communiqué
de Matignon disant que Monsieur ou Madame X a
présenté sa démission pour des « raisons
personnelles » et que le premier ministre
l’a acceptée, même si c’est en fait le premier
ministre qui l’a viré. De ce point de vue,
Hulot a créé un précédent, ne prévenant
personne, sans doute pour éviter qu’on
dénature le sens de sa décision avant qu’il
ait le temps de s’expliquer publiquement. Et
il s’ensuivit une véritable panique. Il
fallait voir la gueule de Benjamin Griveaux,
transfuge du PS où il n’avait jamais occupé de
poste très important et désormais porte-parole
d’En Marche ! Interrogé par le
journaliste Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, et
privé d’éléments de langage, Il ne pouvait que
parler « d’absence de courtoisie »
(le fait de démissionner sans prévenir). Il
fallait aussi voir aussi celle de Marlène
Schiappa interrogée par Guillaume Durand sur
Radio Classique. Il lui parle d’abord des
propos du pape sur l’homosexualité, elle
répond comme quelqu’un qui récite une leçon,
il l’interroge sur sa loi, elle argumente,
puis sur la loi sur les fake news, elle
continue à répondre en déroulant un discours
convenu et boum, il annonce que Nicolas Hulot
vient de démissionner. Elle se fige, puis se
met à rire et répond « c’est une
plaisanterie ?! », ajoute qu’il faut
vérifier, insinue que c’est peut-être encore
un coup de fake news.
Et bien non, ce n’était pas une
plaisanterie ni une fausse nouvelle! Et
ces deux séquences sont une parfaite
illustration des limites de la profession
politique. Le pétrole, le nucléaire, le
réchauffement climatique, le glyphosate et
j’en passe, nous sommes confrontés à une crise
inimaginable il y a cinquante ans, tout le
monde le sait et tout le monde s’en fout.
D’ailleurs, lorsque Hulot a essayé de faire
avancer la date d’interdiction du glyphosate,
les députés de la France en Marche ont voté
contre. Je n’ai personne derrière moi, pas de
parti qui me soutienne a-t-il dit. Il est vrai
que les Verts ne pèsent pas lourd. On disait
naguère que le plus grand parti de France
était celui des anciens membres du Parti
Communiste. Nous pourrions dire aujourd’hui
que le parti le plus inefficace, le plus
inutile, est celui des écologistes, ou plutôt
la galaxie des petites sectes qui passent leur
temps à se dénigrer les unes les autres.
Hulot, sans le savoir
peut-être, a jeté la lumière sur cette
profession politique remplie de gens faisant
la queue pour obtenir un poste de ministre,
n’importe lequel, même s’ils n’y connaissent
rien. Il a apporté un peu de fraîcheur dans ce
milieu, expliquant que les lobbyistes opèrent
jusque dans les bureaux de l’Elysées. Car
c’est bien là le problème. Il y a un millions
de chasseurs en France, ce qui donnerait selon
les spécialistes trois millions d’électeurs si
on y ajoute les familles de chasseurs. Alors
Macron les caresse dans le sens du poil. Et
les paysans, qui défendent leur droit au
glyphosate, c’est-à- dire à la
pollution ? Ils représentent aujourd’hui
3,6% de la population française, et l’élection
présidentielle se joue en général à 3% des
voix (sauf lorsqu’il y a un Le Pen au second
tout). Dès lors il faut, eux aussi, les
caresser dans le sens du poil. Et peu importe
les convictions, s’il y en a, quand la
prochaine élection est en jeu. On peut dire
tout ce que l’on veut pendant les campagnes,
tout promettre, mais on oublie tout cela au
moment de passer aux actes. Ce que
« l’affaire Hulot » dévoile, c’est
que Macron, celui qui a lancé avec fierté (et
en anglais) make
the planet great again, celui qui a
déclaré vouloir changer la politique, est
finalement un politicien comme les autres.

19
août 2018 : "Fake science"

Depuis environ deux ans je reçois, comme
je suppose beaucoup de mes collègues, des
courriers émanant de revues inconnues, en tout
cas inconnues de moi, disant qu’elles
publieraient volontiers un article de moi,
courriers que je mettais régulièrement à la
poubelle, sans chercher vraiment à savoir d’où
ils émanaient vraiment. Mais un long article
publié il y a quelques semaines dans Le Monde m’a éclairé. Traitant de ce qu’il appelait la « fake
science », la science bidon, le quotidien
expliquait qu’il y avait là un effet pervers
de la pression exercée sur les
enseignants-chercheurs. Publish
or perish dit-on en anglais, publier ou
crever, formule qui a été détournée :
« publier n’importe quoi... » Selon Le
Monde, à ceux qui répondent à ces courriers on demande très vite une
participation financière (c’est-à-dire qu’il
s’agit de publication à compte d’auteur), on
organise même des congrès bidon et, surtout,
toujours selon le quotidien, certains
laboratoires paient les frais de ces
publications ou de ces colloques pour leurs
chercheurs. J’ai même appris en passant que
l’université française qui utilisait le plus
cette façon frelatée de faire croire qu’on
faisait de la recherche de pointe était celle
à laquelle j’ai appartenu à la fin de ma
carrière, l’université d’Aix-Marseille.
Or voici que la façon de draguer de ces
revues a évolué. Il y a une quinzaine de jours
j’ai reçu un message d’un International
Journal of Language and Linguistics beaucoup plus personnalisé que les précédents. Le voici :
Dear Calvet L-J, Warm greetings from the
editorial office !
It is learnt that you have published a
paper titled Pratiques
des langues en France, Oui mais de quoi
parlons-nous in Langage
et Société and the topic of the paper
has impressed us a lot.
Researchers
specializing
in a wide range of disciples have expressed
keen interests in your paper. Aiming at promoting the communications within scientific
community, specialists and professionals in
different fields can get the cutting-edge
research results from International
Journal of Language and Linguistics. In
view of the advance, novelty, and potential
wide applications of your innovation, we
invite you to send other unpublished works
of similar themes to the journal. We are
also quite looking forward to receiving your
further research on the published paper. If
you have any interest, please refer to the
following link for more information:
http://www.journaloflanguage.org/submission
La
référence à mon article était exacte, ce qui
signifie que le logiciel servant à rechercher
des gogos avait été amélioré. Une revue
« scientifique internationale » qui
propose de publier des articles qu’elle n’a
pas lus, cela n’est pas banal. Mais vous
imaginez la réaction de jeunes chercheurs
naïfs qui ont besoin d’étoffer leur CV ?
Ils doivent se précipiter sur ce genre de
propositions comme la vérole sur le
bas-clergé. Reste bien sûr à savoir si les
autorités universitaires qui auront à évaluer
ce CV seront dupes. Mais tout est possible,
surtout si les évaluateurs ont partie liée
avec cette « fake science ».
En
effet, ce matin, j’ai reçu un autre courrier
du même émetteur, qui commençait de la même
façon, « Dear Calvet L-J, Warm greetings from the
editorial office !
It is learnt that you have published a
paper titled Pratiques
des langues en France, Oui mais de quoi
parlons-nous in Langage
et Société and the topic of the paper
has impressed us a lot.
Researchers specializing in a
wide range of disciples have expressed keen
interests in your paper», et poursuivait :
« On behalf of the Editorial Board of the journal, it
is privileged for us to invite you to join our
team as the editorial board member/reviewer of International Journal of Language and
Linguistics. Your academic background
and professional and rich experience in this
field are highly appreciated by us. It is
believed that your position as the editorial
board member/reviewer will promote
international academic collaborations ».
Ici encore, des collègues peut-être moins naïfs que les
jeunes chercheurs pourraient sauter à pieds
joints sur cette proposition. Appartenir au
comité de rédaction d’une revue
internationale, quel honneur !
Bref, j’ai autre chose à faire qu’à poursuivre ces
investigations, que Le
Monde a d’ailleurs parfaitement menées,
mais il y a là une pollution du système
d’évaluation de la recherche qui mériterait
une enquête. Il serait d’ailleurs savoureux si
l’on découvrait que certains
« mandarins » étaient tombés dans le
panneau. Mais j’ai sans doute mauvais
esprit...

17
août 2018 : Etats voyous

« Rogue
state »,
cette expression utilisée pour la première
fois par Ronald Reagan (déjà un canard à la
Maison blanche) à l’endroit de la Libye, puis
remis à la mode par Bush junior et Colin
Powell, est aujourd'hui au centre de la
politique étrangère US et de sa
rhétorique : les Etats qui ne respectent pas
les lois internationales, qui ne se plient pas
aux désirs américains, qui gênent leurs
intérêts sont décrétés voyous. Fort bien.
Mais,
à
y réfléchir, il y a deux états voyous,
complices de surcroît, qui dominent dans cet
« axe du mal » cher à Bush :
les USA et Israël. Le nombre des résolutions
de l’ONU auxquelles ces deux pays se sont
seuls opposés est important, plus encore celui
des résolutions votées par l’ONU que ces deux
pays, toujours eux, ne respectent pas. Voter
contre ou s’abstenir est leur droit le plus
strict, ne pas respecter une résolution en
revanche relève d’une voyoucratie qui, en
toutes occasions, ne se préoccupe que d’une
seule chose, les intérêts d’Israël, et
accessoirement les intérêts électoraux du
pouvoir américain.
Dans
notre
culture politique correcte, il devient délicat
de critiquer Israël sans être immédiatement
traité d’antisémitisme. Et Israël a en outre
développé une ruse sémantique sournoise lui
permettant de traiter d’antisémite toute
critique de sa politique. Ce pays se donne le
droit de faire ce qu’il veut, d’installer des
colonies dans les territoires palestiniens au
mépris des lois internationales, bref de se
comporter comme un état voyou avec le soutien
indéfectible des USA et d’une grande partie le
l’opinion juive mondiale.
La
loi que Netanyahou a fait voter le 19 juillet
dernier va encore plus loin. Revenant sur le
principe d’égalité que David Ben Gourion avait
mis, en mai 1948, au sein de la déclaration
d’indépendance, elle institue
« légalement » un état raciste, avec
les citoyens de deuxième zone, les arabes
palestiniens, dont même la langue, jusque là
co-officielle, est raturée. L’un des résultats
de cette vilénie, auquel l’extrême droite
israélienne n’avait pas pensé, est que les
Druzes, jusqu’ici fidèles au pouvoir, se
retournent aujourd’hui contre lui. Un autre
est que la société israélienne se fissure, que
l’opposition depuis longtemps muette se
regroupe. Mais le pire est ailleurs. Ce petit
pays, dont la création répondait à la barbarie
nazie, aurait dû être une démocratie
exemplaire. Il bafoue depuis de longues années
les principes démocratiques. Voilà qu’il
évolue officiellement vers une sorte
d’apartheid honteux, vers un pays fondé sur
une « race » et une religion, un
pays dans lequel les minorités seraient
opprimées, les ultra-orthodoxes dominants,
bref vers une dictature théologique, un modèle régulièrement dénoncé, paradoxalement
celui d’un certain nombre des pays
arabo-musulmans.
Bien
sûr
la cour suprême peut encore invalider cette
loi, nous verrons, mais la séparation des
pouvoirs, l’un des piliers de toute
démocratie, devient de plus en plus poreuse au
pays de Netanyahou. Et qu’on ne me dise pas
que noter cela, signaler que ce pays dérape de
plus en plus, comme d’autres pays
régulièrement dénoncés par les USA, est de
l’antisémitisme.

5
août 2018 : La voix de son
maître

« L’affaire » Benalla, qui aurait pu
être un simple fait-divers, a fonctionné comme
un révélateur, sans doute à cause des longs
flottements dans la communication politique.
Nous avons vu un porte-parole de l’Elysée,
figé devant la caméra, ne dire pratiquement
rien, deux ou trois ministres se contredire,
et pour le reste un silence assourdissant.
Christophe Castaner, délégué général de LREM
et Richard Ferrand, président du groupe
parlementaire, d’habitude très bavards,
fuyaient les caméras tandis que les députés
LREM semblaient pétrifiés, désarmés, perdus.
Cette « affaire » ne donnait pas
seulement à voir des disfonctionnements de
l’Elysée, elle mettait en pleine lumière le
fonctionnement d’un groupe politique attendant
l’épiphanie (du grec epiphâneia, « apparition du verbe »),
incapable de raisonner sans avoir reçu l’aide
d’éléments
de
langage.
Cela
fait
une trentaine d’années que cette expression
est apparue dans le vocabulaire politique et
dans les media, façon faussement technique de
désigner une chose toute bête : dès qu’il
y a un sujet brûlant tous ceux qui peuvent
être interrogés par la presse reçoivent un
message leur disant ce qu’ils doivent dire.
Nous avons tous entendu, d’une station de
radio à l’autre, d’une chaîne de télé à
l’autre, le personnel politique répondre
strictement de la même façon aux questions,
incapable souvent de commenter, de faire la
moindre digression. Un peu comme des candidats
à un examen qui apprennent par cœur les réponses aux questions qu’on leur
posera et les recrachent ensuite mot pour mot.
Ce type d’argumentaire, avec des formules
toute faites, des petites phrases qui
frappent, a pour effet de laisser croire à une
cohérence : ils disent tous la même
chose, donc ce doit être vrai. L’ennui est
qu’il atteint souvent le but inverse. Et, dans
le cas de LREM, cela tourne à un véritable
psittacisme : des députés qui, comme des
perroquets, répètent des mots ou des phrases
dont on a l’impression qui les comprennent à
peine. Ils ressemblent à ces enfants qui
récitent le catéchisme, ou à ces « fous
de Dieu » qui ânonnent des passages du
Coran. En fait les députés que les électeurs
ont envoyés à l’Assemblée nationale sont
surtout, dans leur grande majorité, des
novices en politique. Le groupe LREM attend la
voix de son maître pour aller ensuite la
répandre à l’envi. Et lorsque le maître n’a
pas encore parlé, il se tait. Puis,
l’épiphanie tombée du ciel élyséen, il se
précipite et récite.
Cela peut s’appeler du l’analphabétisme
politique ou religieux, ou du prêt-à-penser,
comme on voudra. Et cela me fait penser à une
formule de François Bayrou, que je ne cite
pourtant pas souvent : « Si nous
pensons tous la même chose, alors nous ne
pensons rien ».

4
août 2018 : Petite chienne

Le spectre de la canicule semble hanter
les responsables politiques, puisque nous
apprenons que la ministre de la santé a reculé
ses vacances afin de pouvoir veiller au grain
(je sais, cette expression est mal
venue : de grain, justement il n’y en pas
et on en voudrait bien), et les media en font
leurs choux gras (même si la sécheresse rend
les choux assez rares sur les marchés). Cela
me rappelle un billet que j’avais mis sur ce
blog il y a bien longtemps (en 2006) et que je
recycle en partie aujourd’hui. Car derrière la
chaleur, les vapeurs, les ventes de
climatiseurs et l'augmentation de la
consommation en électricité, canicule dit au linguiste une histoire plus drôle.
J’expliquais donc il y a douze ans que le mot
vient du latin canicula, diminutif de canis, qui signifiait "petite chienne"
(A propos, nous avons en français un mot pour
désigner le "petit chien", chiot, mais
rien pour la "petite chienne", chiotte étant
utilisé en un autre sens... Que font les
féministes ?). Mais revenons à la
canicule. Le mot latin va être utilisé pour
désigner une étoile, Sirius, que l'on appelait
aussi "Chien d'0rion". Or cette étoile se lève
et se couche en même temps que le soleil entre
le 23 juillet et le 24 août, c'est-à-dire au
moment des plus grandes chaleurs. Cette
période a donc été nommée canicule (canicola en italien, canicula en espagnol) par
référence aux mouvements de Sirius en un point
donné de l’année. Et comme, malheureusement,
la canicule ne se limite pas aux 23 et 24
juillet mais déborde largement sur août, le
mot a pris le sens plus large que nous
connaissons aujourd’hui, perdant son lien avec
le calendrier.
Chienne de vie.

3
août 2018 : Ouaf Ouaf et
cocorico

Après les animaux privés de viande,
voici les animaux condamnés à mort ! Rassurez-vous (ou désespérez-vous),
je ne suis pas un défenseur acharné des droits
des animaux, même si une amies algérienne,
Dalila, m’a dit un jour que j’étais presque un
arabe, « presque » parce que
j’aimais les animaux... Bref, en Colombie, le puissant cartel
de narcotrafiquants dit « cartel du
golfe » a mis à prix la tête d’un chien,
ou plutôt d’une chienne, qui porte le nom de
Sombra. Elle travaille à la brigade des
stupéfiants et a pour métier de savoir
détecter grâce à son flair la cocaïne. Elle
aurait ainsi à son palmarès dix tonnes de
cocaïne et 245 arrestations de trafiquants à
l’aéroport El Dorado de Bogota. Le
« cartel du golfe » a donc promis
environ 6.000 euros à quiconque l’éliminerait.
Vous me direz que 6.000 euros ce n’est pas
cher pour un tel flair, mais ça fait plus
sérieux en pesos colombiens : 20
millions. Il ne fait pas bon être chien
renifleur en Colombie...
Il est préférable d’être poulet...
Enfin poule ou coq ou poulet au Liban. En
effet on a découvert au siège d’Electricité du
Liban, à Beyrouth, un étage entier consacré à
l’élevage de ces gallinacés. Qu’est-ce que les
poules, les coqs et leurs rejetons ont à voir
avec la production d’électricité ? Rien ! Enfin, pas grand-chose.
Ce n’est pas que les employés d’Electricité du
Liban aiment particulièrement les œufs, les
omelettes, le poulet rôti ou le blanc de
poulet, non. Ou du moins je n’ai aucune
information sur ce point. C’est que le siège
d’Electricité du Liban serait le seul endroit
de la capitale où il n’y a pas de coupures
d’électricité. Ainsi ces gallinacés jouissent
en permanence d’éclairage, de chaleur ou de
climatisation. On peut aussi imaginer qu’après
abattage on les conserve au congélateur sans
risque de panne.
Le « cartel du golfe » n’a
pas songé à mettre Sombra dans un congélateur,
peut-être parce que là-bas aussi il y a
beaucoup de pannes d’électricité. En revanche,
les poulets libanais se moquent comme de leur
premier plumage de la canicule.
Tiens ! A propos de canicule...
Mais j’y reviendrai demain.

28 juillet 2018 : Ouaf Ouaf!
Nous vivons une époque complètement
folle ! Un certain nombre de marques
proposent des aliments végans pour chiens et
chats. Oui, vous avez bien lu : des
aliments végans pour chats et chiens. Comment
chacun sait, le chat est carnivore, et vous en
avez sans doute vus jouer avec un oiseau ou
une souris avant de les dévorer.. Quant au
chien, il est omnivore, donc carnivore, et là
aussi vous en avez vus croquer un os ou
dévorer un bout de barbaque. J’ai eu dans ma
vie une chatte et un chien. La chatte
s’appelait Louise Michel et le chien Mandrin.
Elle aurait fait une drôle de tête si je lui
avait servi de la salade, et il aurait boudé
si j’avais mangé devant lui un gigot d’agneau
sans lui en donner les reliefs.
Vous allez me dire que tout le monde
peut changer de comportement. Oui. Nous
pourrions (enfin, ils pourraient) organiser
des stages pour des lions, ou des alligators, afin de les convaincre que ce n’est pas bien
de manger son prochain. J’aimerais beaucoup
voir ça. Je peux même leur fournir une
adresse, en Louisiane, où j’ai travaillé avec
des éleveurs et chasseurs d’alligators (pour
être plus précis je travaillais sur la langue
qu’ils parlaient, leur créole). Et j’imagine
la révolte de ces bêtes que l’on voudrait
priver de leur nourriture habituelle et
naturelle.
Allons plus loin. Imaginez un syndicat
des chiens, un autre des lions, un troisième
des requins, revendiquant le droit de bouffer
ce qu’ils veulent. Ce serait plaisant,
non ? Et s’ils réalisaient l’union
syndicale? Si le SAA (le syndicat des animaux
affamés) décidaient de mener des opérations
nutritives en dévorant systématiquement ceux
qui veulent le priver de viande ?
Les végans se déclarent antispécistes,
c’est-à-dire qu’ils refusent l’exploitation
d’une espèce animale par l’espèce humaine.
Fort bien, c’est leur problème, ils peuvent
bouffer des légumes ou des graines à leur
guise. Mais ce qui apparaît ici, c’est la
volonté d’imposer son idéologie à une espèce
qui n’a rien demandé. Et vouloir imposer à un
chat ou à un chien de ne pas manger de la
viande, n’est-ce pas du spécisme ? A
moins que ce ne soit du racisme, ou du
fascisme...
Mais s’ils veulent absolument imposer
leur volonté à leurs animaux, les
antispécistes peuvent adopter des cobayes ou
des lapins. Pas des oiseaux, ils mangent des
vers. Ni des députés de la République en
marche : ils avalent tout.

13
juillet 2018 : sans commentaire...

Sans commentaire, ou silmplement
celui-ci: Ce mélange de langues que dénonce la
Haute Autorité tunisienne est celui que mes
collègues et mes amis tunisiens utoilisent
souvent entre eux. Ce qui ne les empêchent pas
d'être d'excellents chercheurs et de publier
en arabe ou en français.
La Haute Autorité Indépendante de la
Communication Audiovisuelle (HAICA) a mis en
garde les radios Express Fm et Misk FM car
leurs animateurs et chroniqueurs “utilisent
une langue qui repose sur un mélange entre le
dialecte tunisien et la langue française”. Selon la haute
autorité, cela contrevient à l’article 28 du
cahier des charges relatif à l’octroi d’une
licence radiophonique mais également
l’article 4 de la Convention relative à la
création et à la diffusion signées par les
deux radios avec la HAICA.
Cet article 4 affirme que: “Les
programmes doivent être présentés en langue
arabe et en dialecte tunisien et peuvent être
présentés dans une langue étrangère
(principalement en français ou en anglais) à
condition que ces programmes ne dépassent pas
les 2 heures par jour”.
“Plusieurs de vos journalistes
n’appliquent pas les dispositions de l’article
4 de la convention de création et de diffusion
d’une chaine radiophonique privée (...) et
utilisent une langue basée sur un mélange
entre le dialecte tunisien et la langue
française” s’adresse l’Instance aux deux
radios, ce qui représente selon elle “une
contravention au cahier des charges”.
Mettant en garde Express FM et Misk,
la HAICA recommande de “ne plus utiliser une
langue basée sur le mélange entre le dialecte
tunisien et la langue française” et appelle ”à
présenter les émissions dans une seule langue
claire et précise” que ce soit en arabe, en
dialecte ou dans une langue étrangère.
Contactée par le HuffPost Tunisie, la
chargée
des relations avec les médias à la HAICA
explique cette mise en garde. Selon elle,
celle-ci repose sur deux niveaux: d’abord au
niveau du cahier des charges qui oblige à la
“bonne utilisation d’une langue” ainsi qu’au
niveau de la convention qui dispose que la
langue doit être claire et précise: “Quand une
radio choisit la langue arabe et/ou le
dialecte tunisien, ces émissions doivent être
dans cette langue. Ensuite, elle peut avoir
une ou plusieurs émissions dans une langue
étrangère à partir du moment où ça ne dépasse
pas les 2 heures par jour”.
“Quand on parle en arabe et en
français, la langue n’est pas claire. Une
phrase en arabe suivie d’une phrase en
français, ou deux mots en arabes et deux en
français et un mot en anglais ne contribuent
pas à la clarté et à la précision de la
langue” explique-t-elle.
Pour elle, les principes de clarté et
de précision de la langue ont été basés sur un
ensemble de réflexions: “Bien sûr cela a été
pensé au profit des auditeurs mais aussi pour
les générations futures, en se posant la
question de savoir quelle est notre langue?”.
Cette convention qui dispose ces
règles à suivre a été le fruit de
concertations avec les médias mais aussi de
spécialistes: “Ce sont des experts et des
spécialistes en sociologie, en langues, en
musique et dans tant d’autres domaines qui ont
convenu de ces spécificités” a-t-elle conclu.

11
juillet 2018: Ancrage...

Les
Belges et les Français ont regardé hier le
match de demie finale de la coup du monde de
football dans des conditions et des situations
diverses. En famille, chez eux, parfois avec
des amis, dans des bars, en abusant parfois de
l’alcool, en plein air, sur des place
publiques, face à des écrans géants... Et,
après la victoire de la France, ce fut un
concert de pétards, de cornes de brumes, de
sifflets, de chansons...
Ma
compagne et moi, qui ne nous intéressons
nullement au foot et ne suivons jamais le
moindre match, avons pour notre part innové.
D’un côté l’écran de télévision, une chaîne
que nous ne regardons jamais, la une, mais qui
retransmettait le match, de l’autre la radio.
Nous avions coupé le son de la télé et
écoutions sur France Inter une émission
hilarante : des humoristes belges et
français, toute la bande de l’émission Par Jupiter, « commentaient » si l’on peut dire les ébats
des deux équipes. Plaisanteries, jeux de mots,
faux nationalismes, références à ce qui
passait sur une autre chaîne (une émission
consacrée au chanteur Michel Sardou),
conseillant même parfois de changer de
programme et, à la fin, la Belge Charline
Vanhoenacker lançant quelque chose comme
« maintenant je deviens française ».
Ca n’a
pas d’intérêt ? Pas sûr. On sait déjà
qu’une image sans son, une télé muette, est
encore une émission de sens. Vous regardez les
informations sans le son et vous avez une
petite idée de ce qui se dit, ou encore vous
faites des hypothèses, vous subodorez. Mais
lorsque le son n’a que peu de rapports avec
l’image, il se construit un autre sens, qui
peut-être comique, ou critique. Imaginez
l’image d’un discours d’un chef de l’état,
celui que vous voudrez, avec le son d’un autre
discours, celui d’un dictateur ou des Marx
Brothers ou de Woody Allen... Roland Barthes,
dans une analyse célèbre d’une affiche publicitaire des pâtes
Panzani avait
théorisé ce qu’il appelait « la fonction
d’ancrage » du texte, qui donne à l’image un sens
alors qu’elle peut en avoir plusieurs, être
polysémique. Hier les commentaires parfois
délirants de la bande à Charline donnaient un
autre sens au match. Quel sens de l’image ce
discours ancrait-il ? C’est bien le
problème, mais ce qui est sûr c’est qu’il
déconstruisait le « sérieux » de la
situation, l’angoisse des supporters, le
cinéma des joueurs faisant semblant de tomber
puis se roulant dans le gazon. On ne voyait
que de grands garçons en culottes courtes
s’agiter, se bousculer, se disputer un ballon
en lui donnant des coups de pieds, et on
entendait un discours presque onirique qui
déclenchait un rire libérateur.

10
juillet 2018 : Encore des clichés

J’écrivais
hier :
«il
n’est pas exclu que les « histoires
belges » reviennent en force d’ici
demain ». Ce matin, comme pour me
démentir, La
Provence titrait Pas de
blague ! Et l’article se terminait
ainsi : « Les
Bleus sont prêts pour atteindre leur zénith,
à Saint-Pétersbourg, et écrire une nouvelle
page de leur histoire. Surtout pas de
blague, pas maintenant. Davaï les
Bleus » Joli
tour
de passe-passe qui consiste à intimer l’ordre
de ne pas faire de bêtises, et donc de gagner,
tout en évoquant de façon subliminale les
blagues belges que l’on feint d’interdire.
Quant au davaï
les
Bleus, vous aurez compris qu’il
signifie, en russe, « allez les
Bleus ». L’Equipe,
le quotidien sportif français, nous offrait
une couverture en bleu et rouge avec comme
titre Une
foi. Là encore tout est dans la
nuance : foi en la victoire, bien sûr,
mais aussi référence à une
fois, expression désémantisée qui
ponctue
parfois, dans le français parlé en Belgique,
les phrases, et constitue surtout un cliché
récurrent : lorsqu’on fait parler un
Belge, dans les histoires du même nom, on lui
fait dire une
fois plus que de raison.. Enfin Libération titrait en une : France
Belgique,
frères à demi. Oui, il manque un e au
dernier mot. Faute d’orthographe ? Que
nenni ! Juste une façon de renvoyer
« subtilement » au demi de bière.
Allez, ce soir tout se terminé, ou presque.
Ouf !

9 juillet 2018 : La guerre des clichés
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