
27
décembre 2017 : Et le
vainqueur est...
Comme
chaque
année, le Journal du Dimanche du 24
décembre a publié son palmarès des
personnalités préférées des Français. Leur
méthode est simple: On propose à un peu plus
de mille français choisis selon un méthode de
quotas (ce qui est classique) une liste de 64
personnalités (ce qui est plus contestable,
puisqu’il y a une pré-sélection) dans laquelle
ils choisissent. Résultats ?
Dans cet ordre, Jean-Jacques Goldman,
Omar Sy, Teddy Riner, Dany Boon, Sophie
Marceau, Jean Reno, etc... Mais je vais en
rester au trio de tête, Goldman, Sy et Riner,
un chanteur, un acteur, un judoka, car le
journal nous propose pour les trois premiers
des tris croisés.
Ainsi,
pour
les hommes, Teddy Riner passe devant Omar Sy,
tandis que pour les femmes c’est Florent Pagny
qui prend la troisième place. Chez les plus de
65 ans, l’imitateur Laurent Gerra passe de la
26ème à la 3ème, sans
que je puisse expliquer pourquoi les vieux
aiment tant les imitateurs. Vous avez une
idée ? Chez les « sympathisants de
gauche » (PS + France insoumise,
catégorie elle-même discutable) le trio est
inchangé, ce qui semblerait prouver que la
France dans son ensemble penserait comme la
gauche, ou du moins aurait le même choix de
personnalités. Chez ceux de droite (Centre,
Républicains et Front national, bel
amalgame !) le trio de tête est
bouleversé : en 1 toujours Goldman mais
Jean-Paul Belmondo en 2 et Michel Sardou en 3.
Enfin, chez les sympathisant de «la France en
Marche » nous trouvons en première
position Emmanuel Macron, en deuxième
Goldman et en troisième Michel Cymes.Ce
type
de sondage est bien sûr à prendre avec des
pincettes, mais il pose cependant des
questions intéressantes. Tout d’abord la
première place presque incontestée de
Jean-Jacques Goldman, un
auteur-compositeur-interprète retiré du métier
depuis plus de dix ans (on ne le voyait que
dans le concert annuel de
« Enfoirés » au bénéfice des
Restaurants du
cœur), installé loin de la vie parisienne, à
Marseille d’abord puis aujourd’hui à Londres.
Cet absent de la scène semble être devenu un
mythe, comme si moins on était visible et plus
l’on été aimé, ce qui est d’ailleurs le cas de
quelques invisibles notoires, comme Allah ou
Jésus...
Mais, surtout, c’est la première
place de Macron chez ses sympathisants qui
fait sens, car nous semblons ici en plein
culte de la personnalité. Et j’ai déjà eu
cette impression ces dernières semaines en
entendant des députées d’En Marche ânonner
des éléments de langage mais surtout
manifester une grande admiration pour le
Président. En revanche je ne comprends pas,
dans cette liste, la place de Michel Cymes.
Médecin, star de la télévision, il me frappe
surtout par son affection pour les allusions
grivoises. Or, même si Macron dit faire ce
qu’il a annoncé, la grivoiserie n’était pas
dans son programme. Ou alors j’ai mal lu ou
mal écouté. En tout cas, la place de Sardou
dans les préférences de la droite et de
l’extrême droite ne surprendra personne :
ce qu’il chante parle pour lui. Il fait
actuellement une tournée d’adieu, et il faudra
voir dans les prochaines années s’il se
maintient dans le cœur des fachos malgré son absence, comme
Goldman se maintient dans celui de tous les
Français. Pour finir, mais cela ne surprendra
personne, soulignons tout de même que le Journal du dimanche n’avait pas mis dans sa pré-sélection un
migrant type, ou un Français condamné pour
avoir aidé des migrants à franchir les
Alpes...

24
décembre 2017 : Au fou !

Depuis
un
an qu’il est au gouvernail d’un navire qui va
tranquillement vers sa perte, Donald Trump
nous a habitués aux plus grandes bêtises, mais
une récente décision de son administration
dépasse de loin les précédentes. Il s’agit
d’un résumé parfait de ce mal qui ronge les
Etats Unis depuis une quarantaine d’années et
que d’autres, en particulier en France, se
sont empressés d’imiter : le
politiquement correct.
Dorénavant,
en
effet, les organismes de recherche, les
services sociaux et toutes les agences placées
sous la tutelle du ministère de la santé se
sont vus adresser une liste de mots et
d’expressions qu’ils ne doivent plus utiliser.
En voici un florilège : transgenre,
vulnérabilité, diversité, prérogative,
fœtus et, surtout, fondé
sur
la science. Il s’agit, selon une source
officielle, de termes controversés,
donc à exclure. Il est donc
« controversé » de faire allusion à
des sources scientifiques (la science étant
elle-même controversée), de parler de
transgenres, de diversité, de fœtus
(je ne sais pas si son existence est
controversée)...
Nous
ne nous
étonnons plus des fantaisies Trump et de ses
illustrations permanentes de la new speak
d’Orwell, mais elles passent désormais
dans les faits, elles deviennent des
fantaisies performatives. Ainsi nous apprenons
que depuis un an toutes les pages consacrées
au réchauffement climatique ont été supprimées
sur les site de la Maison Blanche. Que, dans
les questionnaires d’enquêtes sanitaires on a
supprimé les questions portant sur
l’orientation sexuelle. Et, mais je n’ai pas
pu vérifier, que les centres de recherches
travaillant sur ces sujets controversés
perdraient leurs crédits. C’est-à-dire que
l’on va finalement plus loin dans que la
fiction orwellienne. Il ne s’agit plus de
croire qu’en interdisant un mot ou une
expression on ferait disparaître ce à quoi ils
renvoient (par exemple qu’en interdisant la
phrase Trump est fou on ferait
disparaître l’idée qu’il soit fou), il s’agit
désormais de pénaliser financièrement
ceux qui parlent de réchauffement
climatique, de fœtus ou de diversité, ou ceux qui osent
penser que quelque chose puisse être fondé sur
la science. Vous l’aurez compris, nous ne
sommes pas loin de ceux qui croient mettre fin
à la discrimination des femmes en imposant la
première grande découverte du 21ème
siècle, l’écriture inclusive. Nous vivons
décidément une époque moderne !
13
décembre 2017 :
Traducteurs: vers une inflation des langues ?

Il
y
a bientôt vingt ans que j’ai noté un
changement dans la « signature » des
traducteurs. Là où on lisait « traduit de
l’anglais » ou « traduit de
l’espagnol » apparaissaient de nouvelles
formules : « traduit de l’anglais
(USA) », « traduit de l’anglais
(Australie)», ou encore « traduit de
l’espagnol (Cuba) », « traduit
de l’espagnol (Argentine) », etc. Les
linguistes savent que les langues connaissent
des variations géographiques ou sociales,
qu’on ne parle pas le même français à Paris ou
à Marseille, dans « la haute » ou
chez les prolos. De ce point de vue, la langue
peut être considérée comme une immense variable
qui se manifeste sous la forme de
différentes variantes, géographiques
ou sociales Mais l’ensemble de ces
variantes constitue une même langue.
Cependant,
la
question « qu’est-ce qu’une même
langue ? », est parfois
problématique. Par exemple, y a-t-il un seul
arabe (celui qui est officiel dans les pays
arabo-musulman) ou plusieurs, une seule langue
d’oc (l’occitan) ou plusieurs (languedocien,
gascon, provençal...) ? Le plus simple,
pour bien séparer les problèmes linguistiques
des problèmes religieux ou identitaires, est
pour l’instant, et en attendant mieux, de se
fonder sur le code ISO 639 (oui, il y a un
code ISO des langues) qui distingue entre
trente arabes ou cinq langues d’oc.
Bien
sûr,
les traducteurs qui disaient traduire de
l’anglais (USA) ou de l’espagnol (Cuba) ne
pouvaient pas décréter à eux seuls l’existence
d’un anglais ou d’un espagnol différents des
autres. Tout au plus voulaient-il un peu
frimer, ou se valoriser, en
affirmant connaître particulièrement une
variante locale d’une langue, de telle ou
telle partie du monde. Mais ils en suggéraient
du même coup l’existence de différentes
formes. Un nouveau pas vient d’être franchi.
Je lis cette semaine dans un hebdomadaire
l’annonce de la parution d’un livre de Douglas
Kennedy, La symphonie du hasard,
« traduit de l’américain par Chloé
Royer » . Traduit de l’américain, et non
pas de l’anglais (USA). Il y aurait donc une
langue, l’américain, différente d’une autre,
l’anglais. Nous n’en sommes pas là, même si
l’anglais parlé en Inde se distingue de celui
parlé à Atlanta, ou si l’espagnol de Buenos
Aires se distingue de celui parlé à Madrid.
Mais il sera intéressant de suivre cet
indicateur. Allons-nous voir apparaître des
traducteurs de l’australien, du canadien, de
l’irlandais... et de l’anglais, du cubain, du
mexicain...et de l’espagnol. Ce serait un cas
original (et improbable) d’émergence de
nouvelles langues. Des conflits religieux,
ethniques ou nationalistes ont poussé à la
distinction entre hindi et ourdou, ou entre
serbe, croate et bosniaque. Mais nous n’avons
jamais vu, du moins à ma connaissance,
d’invention de nouvelles langues par des
traducteurs. D’autant que les cas de
variations étant très nombreux, nous risquons
d’assister à une inflation du nombre de
langues.

11
décembre 2017 : La nation
et le peuple

Nous
avons la semaine dernière échappé, de très
peu, au ridicule. Pendant quelques heures,
jeudi, le bruit courait que Johnny Hallyday
aurait des obsèques nationales. Des obsèques
nationales ! Le dernier artiste a avoir
bénéficié de cet honneur, si c’est un honneur,
fut Victor Hugo, poète, homme politique,
romancier. Qu’on apprécie ou pas Hallyday, il
est difficile de penser qu’il fut à la chanson
ce que Hugo fut à la littérature. Nous avons
donc échappé au ridicule, grâce à une astuce
sémantique établissant en outre une sorte de
hiérarchie : Jean d’Ormesson a eu droit
vendredi à un hommage national et Johnny
Hallyday samedi à un hommage populaire.
Hommage national, hommage populaire, les
élèves de terminale pourraient peut-être
disserter sur cette distinction, et je ne suis
pas convaincu qu’entre la nation et le peuple
ils parviendraient à distinguer autre chose
que du mépris pour le peuple...
Reste
à essayer de comprendre ce qu’Hallyday
représentait pour le « peuple ». Je
ne sais plus qui a dit de Victor
Hugo qu’il était un «Niagara
verbal ». Hallyday fut une sorte de
Niagara sonore, mais la comparaison s’arrête
sans doute là. Johnny en effet a commencé par importer. Mais
il habillait ses produits d’importation d’un
corps et d’une voix. Une
voix dans les aigus, souvent à la limite de
la rupture, comme une façon de se mettre
sans cesse en danger, mais une voix parfois
miraculeuse par son ampleur, et un corps,
une présence scénique étonnante, des mises
en scène époustouflantes. De ce point de vue
il ne relève pas vraiment de la critique
musicale, mais de la sociologie et de la
sémiologie. A chacun de ses spectacles on
découvrait une nouvelle cascade, une
nouvelle folie vestimentaire, un nouveau
rêve.
Tout
public a droit à son idole, ou à ses idoles,
et toute idole vit sur un public.
Mais le
statut de l’idole interpelle le
sociologue : qu’y a-t-il derrière cette
adoration, ces rites, cette secte de bikers
tatoués, à la syntaxe approximative,
derrière ces grands-parents, ces parents
éperdus d’admiration et d’amour et tentant
de convaincre les plus jeunes, leurs enfants
et petits-enfants ? Car l’idole des
jeunes était devenu un chanteur pour vieux,
disons pour les plus de cinquante ans, les
grognards de l’armée des baby boomers, la
vieille garde du rock, du twist... . Un
chanteur pour vieux et pour blancs : ni
beurs ni blacks dans la foule de
samedi , eux ils écoutent du rap,
auquel Hallyday n’a jamais touché. Quelle
fonction sociologique, donc ? On entend
à ce propos tout et son contraire. Un
philosophe va jusqu’à dire que « Johnny
avait quelque chose de Schopenhauer en
lui ». Bof ! D’autres, pas
philosophes eux, expliquent que ses chansons
ont accompagné tous les moments de leur vie.
J’ai entendu quelqu’un dire « mes
premiers accords de guitare, je les ai
appris avec Le Pénitencier et on a
envie de répondre non, avec The house of
the rising sun. Idem pour nombre de
ses premiers titres, adaptés de succès
américains, de La fille de l’été
dernier (Summertime blues, Eddie
Kochran)
à Memphis USA (Memphis Tennessee,
Chuck Berry) en passant par Hey Joe (Hey
Joe ,Jimmy Hendrix). Le
rock, le twist, le madison, le blues, la
country... Hallyday a d’abord copié.
Certains le voient comme une marionnette
entre les mains de ses paroliers qui lui
faisaient chanter de pâles traductions de
standards américains, d’autres comme un
caméléon. Je le verrais plutôt comme un
porte-manteau ou un mannequin, sur lequel on
mettait une mode, puis une autre, une mode
d’abord importée, je l’ai dit, puis plus
tard produite localement, parfois par des
auteurs de talent, Michel Berger, Miossec et
quelques autres. Le nombre
d’adaptations qu’il a interprétées (plus de
deux cents sur toute sa carrière) diminue
d’ailleurs régulièrement, de 1960 à 2010,
laissant de plus en plus la place à des
produits locaux. Mais
s’il a importé il n’a jamais, quoi qu’on
tente de nous faire croire, exporté. Les
Brésiliens de la bossa nova ou les Rolling
Stones et les Beatles ont eu un succès
mondial, pas Hallyday. Lorsque ses auteurs
étaient bons, Hallyday tenait un tube, que
les radios bastonnaient. On aimait, parfois,
on coupait le son dans d’autres cas.
Mais
il y a une chose d’indiscutable. J’ai toujours
aimé les reprises, lorsque de jeunes
chanteurs voulant rendre hommage à des
anciens, Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg,
interprètent leurs chansons, imprimant sur
elles leur marque. Or chaque fois que j’ai
entendu quelqu’un interpréter un des tubes de
Hallyday, la comparaison était
douloureuse : sa voix, son coffre,
faisaient la différence, personne ne pouvait
vraiment reprendre ses succès, faire
concurrence à sa voix. La voix du
peuple ? Peut-être. Mais une voix qui
défendait Giscard, Chirac, Sarkozy, et dont
les fans votaient sans doute en partie Le Pen.
Nous
avons aussi échappé au ridicule en ne faisant
pas des obsèques nationales à un évadé fiscal
aux Etats Unis, puis en Suisse, qui essaiera
entre les deux de devenir belge et, disent les
mauvaises langues, qui reviendra en France
lorsque ses problèmes de santé nécessiteront
l’aide de la sécurité sociale. Mais, encore
une fois, tout public a droit à une idole,
qu’il fabrique à son image, comme les croyants
ont droit à leur Dieu, qu’il inventent comme
ils peuvent. Quelle image du peuple se profile
donc derrière lui, en jeans et en perfecto
d’abord, tatoué et perché sur une Harley
Davidson, puis vêtu sur scène de façon chaque
fois différente et chaque fois plus
étonnante ? Un peuple rêveur ? Qui
cherche à s’échapper à sa condition à travers
ce que les magazines people lui donnent à voir
de son idole ? Un peuple mimétique, qui
s’habille comme elle, l’idole, se fait tatouer
comme elle, et ne peut guère aller plus loin,
faute de moyens ?Ou une forme de
religion ? Car il y a de la religion dans tout cela et la
foule parisienne de samedi scandant son
prénom, Johnny, Johnny, faisait penser à la
foule romaine qui en avril 2005, à la mort du
pape Jean-Paul II, hurlait Santo subito
(« sanctification immédiate »).
Revenons
à ce couple de disparus que, dans mon
précédent billet je mettais en parallèle. Une
trentaine d’académiciens en grande tenue aux
Invalides pour l’un, sept cents bikers en
blouson noir et des centaines de milliers de
gens sur les Champs Elysées pour
l’autre : deux France, deux mythologies,
toutes deux surannées et que seul relie un
président de la République présent dans les
deux cas. Deux images. Dun côté un écrivain
que beaucoup achetaient mais que peu lisaient,
un écrivain populaire mais mineur, à qui les
historiens de la littérature ne réserveront
sans doute pas une grande place, un homme de
droite sympathique, avenant, souriant :
les Français ont guillotiné leur dernier roi
mais aime bien la noblesse, et cet écrivain à
particule qui passait si bien à la télévision
voisinait dans leur imaginaire avec les
princes britanniques et leurs histoires
sentimentales. D’un autre côté un chanteur
cent fois plus populaire mais qui n’a été
qu’un interprète. Une réplique de Maurice
Chevalier en quelque sorte, mutantis
mutandis. Chevalier ne changea jamais de
tenue, costume et canotier, mais retourna
souvent sa veste, en particulier avant,
pendant et après l’occupation allemande.
Hallyday changea souvent de tenue mais tint
toujours le même type de discours. Ou
plutôt : on lui fit tenir le même
discours, un discours grâce auquel le
« peuple » pouvait oublier un
instant ses misères quotidiennes, rêver
d’amour, d’Amérique, d’ailleurs. D’Ormesson et
Hallyday sont deux images d’une France
divisée, insécure, un peu repliée sur
elle-même, comme un village gaulois encerclé
par la mondialisation. Un village socialement
structuré, avec ceux qui ont droit à un
hommage national, comme le scribe
d'Ormessonnix, et ceux qui
ont droit à un hommage populaire, comme le
barde Johnnix. La nation et le peuple...

6
décembre 2017 : Une
mort chasse l'autre

Jeudi
dernier, j’ai passé l’après-midi à l’Académie
française, où je recevais un prix. A gauche de
la tribune, je voyais les académiciens en
grande tenue, certains que je reconnaissais,
d’autres non, mais il en manquait deux ou
trois, parmi lesquels Jean d’Ormesson. Le même
jeudi, mais je ne l’ai appris que le lendemain
par une amie du show-biz, la presse était
mobilisée toute la journée devant le domicile
de Johnny Hallyday, à Marne-la-Coquette,
piétinant dans le froid : on avait lancé
le bruit que le chanteur était sur le point de
mourir. Fausse alerte. Cinq jours plus tard
mourait d’Ormesson, précédant Hallyday de
vingt-quatre heures. Hier les radios et les
télévisions ne parlaient que de l’écrivain,
aujourd’hui ce sera le chanteur. On parle, on
parlera de leur carrière, on ne dira que du
bien d’eux. Comme le chantait Brassens,
« Il est toujours joli le temps passé,
une fois qu’ils ont cassé leur pipe... les
morts sont tous des braves types ». Hier
les media bousculaient leurs programmes pour
parler de la mort d’un « grand
écrivain », aujourd’hui, depuis quatre
heures trente du matin (avant je dormais) on
ne parle que de la mort du « grand
rockeur ». Une mort chasse l’autre.
Et
cette succession est caractéristique du
spectacle continu que constitue l’information.
Ce matin, en tendant l’oreille , on percevait
vaguement quelques rumeurs, le comité
olympique exclue la Russie des prochains jeux,
Trump s’apprêterait à reconnaître Jérusalem
comme capitale d’Israël, mais tout cela ne
pesait guère : un « monument »
de la littérature est parti, suivi par un
« monument » de la chanson. Chacun y
va de sa formule, plus ou moins fine, plus ou
moins bête. Selon le communiqué de l’Elysées,
« on a tous en nous quelque chose
d’Hallyday » : Ah bon ? Pour
l’écrivain Alain Mabanckou, « La grande
symphonie musicale francophone a perdu son âme
la plus généreuse ». Ah oui ? Selon
Jack Lang, « c’était une boule de
feu ». Pour Line Renaud « Il
restera. Le lien créé entre Johnny et la
nation est trop fort ». Au passage, nous
apprenons qu’il a mangé chez elle il y a
quelques temps « avec
Brigitte et Emmanuel Macron ». La nation,
décidément, traîne partout... François
Hollande pour sa part joue sur un titre (Retiens
la nuit) du chanteur :
« Johnny est parti dans la nuit. Nous
aurions tellement aimé le retenir ».
Bof ! Et Thomas Legrand, sur France
Inter, nous rappelle opportunément que Johnny
était un homme d’ordre, un homme de
droite, qu’il avait soutenu De Gaulle, Chirac,
Sarkozy, qu’il avait chanté « on a tous
en nous quelque chose de Jacques
Chirac », même s’il s’est produit une
fois à la fête de l’Humanité. Sur
France Inter toujours, on lit le message d’un
auditeur qui dit en substance:
« Vous ne passez jamais de chansons de
Johnny, même sur la bande sonore des jours de
grève. Aujourd’hui vous ne parlez que de lui.
Bande de faux culs ». Belle analyse.
Vingt-quatre
heures séparent donc les deux morts, et la
presse écrite quotidienne pourra enchaîner. A
chaque jour suffit sa peine, a chaque jour
suffisent ses colonnes à la une. Ce matin La
Provence titre « l’immortel au
paradis » et Libération « Jean
d’Ormesson à droite du paradis ». Demain
ils passeront à Hallyday. En revanche que fera
d’ici quelques jours la presse
hebdomadaire ? Une couverture coupée en
deux ? Dans mon bistro habituel je vois,
sur l’écran de LCI, un bandeau :
« La France pleure Johnny ».
Et un client lance au patron :
« Ils devraient faire l’enterrement ici,
ton bar débordera de clients pendant trois
jours ». En octobre 1963, Edith Piaf
mourrait quelques heures avant Jean Cocteau.
Les funérailles de la chanteuse furent
grandioses, faisant presque oublier celles du
poète. Il est à parier que la mort de Johnny
Hallyday fera passer au second plan celle de
Jean d’Ormesson. Sic transit gloria mundi. Et
puis l’on passera à autre chose, on reviendra
à autre chose. A la Palestine, à la Syrie, au
Yémen, aux Rohingyas. En attendant qu’une
autre mort médiatique mobilise à nouveau les
media avides.
Allez,
finissons en chanson, avec Jacques Brel :
« Au
suivant ». Mais lequel ?

5
décembre 2017 :
Nationalisme

Le
résultat du premier tour des élections
territoriales en Corse est étonnant. Non pas
par les 45% des nationalistes et
indépendantistes réunis, ni par les 28% de la
droite régionaliste (il faudrait, mais ce
n’est pas mon propos, faire une analyse
sémantique de ces trois adjectifs, nationaliste,
régionaliste et indépendantiste)
et de la droite sarkozyste (je ne vois pas
comment qualifier autrement ce que deviennent
Les Républicains) mais par le score du Front
National. Effectuons un petit retour en
arrière. Au second tour de l’élection
présidentielle de cette année, Marine Le Pen
avait obtenu en Corse 48,52% des voix. Or le
Front National vient d’obtenir 3,28% des voix,
perdant 45%. Je sais, il ne s’agissait ni de
la même élection ni du même problème, mais
tout de même : cette presque moitié du
corps électoral qui choisissait en mai un
parti d’extrême droite existe toujours et
devrait donc se retrouver dans les voix des
nationalistes, indépendantistes et
régionalistes. Il est peu probable en effet
qu’ils soient dans le 11% obtenus par la
République en marche ou le 5% du PC et de la
France insoumise.
C’est-à-dire,
vous me voyez venir, que la gauche n’a pas
grand chose à faire dans cette histoire. Dans
les années 1970, alors que je suivais de près
les mouvements régionalistes, dans les
domaines culturel, en particulier la chanson,
et politique, tous, qu’ils soient pacifiques
ou armés, se réclamaient de la gauche et
étaient soutenus par une partie de la gauche.
La chanson bien sûr, bretonne, occitane,
catalane ou alsacienne, mais aussi les
mouvements armés comme l’ETA au pays basque ou
le FLB en Bretagne, étaient suivis et soutenus
par la presse d’extrême gauche. Je ne sais pas
si ces qualificatifs, gauche, ou extrême
gauche, ont conservé aujourd’hui un
sens. Mais
je ne crois pas que ce qu’il reste de la
gauche, de ses principes, voire de ses
illusions, puisse se retrouver dans un corps
électoral qui balance entre le Front National
et le nationalisme régional. Ou il faudra
qu’on m’explique...

18
novembre 2017 :
#balancetatruie

Il
y a sur la chaîne de télé M6 une émission, Nouvelle
Star, dans laquelle des inconnus dont
certains sont prometteurs viennent se produire
devant un jury de professionnels, une
chanteuse, Cœur de pirate, un chanteur,
Benjamin Biolay, un compositeur, Dany Synthé
(sans doute un pseudo) et une conseillère en
image, Nathalie Noennec. Cette semaine, donc,
un candidat porte un kilt. La conseillère en
image décide de faire son métier :
porte-t-il un slip sous son kilt ou est-il nu?
Ni une ni deux elle va vers le jeune homme et
procède à une vérification en lui passant la
main sur les fesses. Je précise que je n’étais
pas présent et que je raconte la scène à
partir d’articles de presse. Cela, bien sûr,
fait du bruit dans Landernau. Protestations
diverses sur twitter, lettres au CSA, etc.
De
deux choses l’une. Ou bien la conseillère en
image a décidé de donner à voir une image
forte, pour venger les femmes victimes
d’agression sexuelles (c’est sans doute ce
qu’elle dira, ou ce que diront ses avocats),
ou bien non. Et dans le cas, il faudra créer
une version masculine de la fameuse formule
féministe #balancetonporc : #balance
ta truie. Et pourquoi s'en tenir là,
d'ailleurs. Face à la pédophilie dans l'église
catholique les victimes pourraient lancer #balancetasoutane.
Il y a sans doute d'autres situations qui
justifieraient d'autres mots d'ordre du même
gente. Je laisse à votre imagination ou à
votre expérience le soin de les créer...

13
novembre 2017 : Si
les mots ont un sens...

Vous
vous souvenez sans doute de Raquel Garrido, la
porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pendant la
campagne électorale, passionaria des Insoumis
qui, depuis la rentrée émarge chez Bolloré en
participant à l’émission Les terriens du
dimanche sur C8. Elle vient d’annoncer
qu’elle quittait la politique active et s’en
est expliquée hier dans le Journal du
dimanche. Selon ses dires, c’est le CSA
(Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) qui l’a
obligée à prendre cette décision :
« Le CSA m’a placée devant un dilemme.
Soit renoncer à mon engagement politique
soit être décomptée France
insoumise (...) Le CSA a exigé un
retrait total de mes activités
politiques ». Le problème est que
le CSA dément formellement cette version.
Selon lui il s’agit d’un décision personnelle
de Garrido, explicable par le fait que la
société de production de l’émission avait
demandé si les chroniques de Garrido seraient
comptabilisées comme du temps de
parole politique. Et la réponse fut positive.
De
deux choses l’une, donc. Soit Raquel Garrido
est une grosse menteuse, soit, comme Jeanne
d’Arc, elle entend des voix. Ce qui est sûr,
si les mots ont un sens, c’est que le CSA n’a
rien exigé, mais que Garrido a décidé,
ou choisi, peut-être parce que ses
chroniques chez Bolloré lui rapportent plus
d’argent que ses activités politiques.
A
propos du sens des mots, Abdelkader Merah
interrogé par les juges à propos d’un jour où
il aurait menacé son frère d’un couteau, a
répondu : « Je
n’ai pas voulu le planter, je voulais juste
le tailler ». Et je reste admiratif
et ému devant cette sollicitude fraternelle.

9
novembre 2017 :
Lecture et écriture inclusive (suite)

Lecture
tout d'abord. La neuvième édition de mon Que
sais-je? sur La sociolinguistique, mise
à jour, vient de sortir, qu'on se le dise.
Quant
à l'écriture inclusive, la municipalité de
Fontenay-sous-Bois (front de gauche) vient de
décider, pour "s'engager pour l'égalité",
de l'utiliser dans son guide "à destination des
Fontenaysiens" écrit Libération. On
aurait pu attendre "à destination des
Fontenaysien.e.s", mais personne, même Libération,
n'est parfait. Sur le site de la mairie on
trouve d'ailleurs la liste des heures de
permanence des "élu-es de la majorité
municipale" et des "élu-es de
l'opposition", mais sous le titre général de "les
élus et leurs permanences". Ici encore,
personne n'est parfait.

6
novembre 2017 : A
voix haute

Les éditions Hatier ont récemment sorti un
manuel d’histoire
pour le CE2 utilisant ce qu’il est
convenu d’appeler l’ « écriture
inclusive », ce qui a lancé depuis deux
ou trois semaines un débat comme souvent en
France, enflammé, déchaîné et qui parfois
déraille. Il s’agit de savoir comment donner
(ou s’il faut donner) la même place aux genres
masculin et féminin dans l’écriture. Il y a
longtemps qu’on a travaillé sur la
féminisation des noms de métiers. En 1984
était mise en place
une commission présidée par Benoîte
Groult, qui avait mené à la publication d’une
directive en 1986. Puis, en 1999, un Guide
d’aide à la féminisation des noms de
métiers, titres, grades et fonctions,
préfacé par Lionel Jospin, avait vu le jour.
Et depuis lors les publications militantes ou
officielles se succèdent. Mais le débat qui
s’enflamme aujourd’hui est un peu
différent : comment inclure
les deux sexes dans la langue ? Il
y a par exemple en français des traducteur et
des traductrice c’est clair, audible. Mais
comment nommer une association ou un syndicat
regroupant des traducteurs et des
traductrices ? Association
des traducteurs et traductrices ? Association
de traducteurs/trices, ou des traducteur-rice-s ?
Et la même question se pose dans
l’accord du participe passé.
Cette
inclusion
fleurit dans les articles et surtout dans les
« opinions » publiées dans la
presse : les citoyen.ne.s, les
électeur-rice.s, etc.
et cela déclenche des oppositions
tranchées avec, comme d’habitude, une sorte de
jeu de rôles convenu. Pour simplifier, il y
aurait d’un côté l’Académie française,
immédiatement qualifiée de réactionnaire, et
de l’autre les défenseurs d’une justice ou
d’une place à rendre aux femmes, autoproclamés
progressistes. Et, comme les choses sont
parties, nous allons finir par en venir aux
poings (à propos de points !), ou bien
les passions se calmeront, le débat sera
enterré et nous parlerons d’autre choses,
alors que le problème posé n’est pas
négligeable.
Il est évident que dans cette question des
noms de métiers il y a plusieurs cas de
figure, et l’on me pardonnera de rappeler ces
évidences, voire ces trivialités. D’une part
soit la forme féminine existe
(chanteur/chanteuse, traducteur/traductrice,
etc.), et s’emploie régulièrement, soit
elle n’existe pas (médecin, secrétaire...).
D’autre part soit la forme féminine s’entend
(président/présidente) soit elle ne s’entend
pas (professeur/professeure, député/députée) .
Et, bien sûr, le problème est en partie réglé
par les articles (un/une secrétaire, le/la
secrétaire). Enfin la création d’une forme
féminine pose parfois problème : faut-il
appeler sans faire rire une femme conduisant
un bus par exemple une chauffeuse ?
La même question se pose bien sûr pour
l’accord du participe passé : on nous a
appris à l’école que le masculin l’emporte sur
le féminin. Il est vrai que cette supériorité
présumée ou abusive du masculin est récente,
elle remonte au 17ème siècle, et
qu’auparavant l’adjectif s’accordait avec le
nom le plus proche (les hommes et le femmes
concernées, les femmes et les hommes
concernés) ou avec la majorité (plus de femmes
que d’hommes ou l’inverse) et qu’on pourrait
revenir à l’un de ces usages. Mais qui
décidera ? Et faudrait-il imposer une
police de l’orthographe alors que la
plupart des enseignants ne pénalisent même
plus vraiment les élèves pour les fautes
d’accord du participe ?
En 1990, le Journal officiel publiait un texte intitulé Les rectifications de l’orthographe, précédé d’une
longue présentation de Maurice Druon,
alors secrétaire perpétuel de l’Académie
française et d’une réponse de Michel Rocard,
le premier ministre de l’époque. Ce dernier
était prudent, ou ambigu :
Il n’a jamais été question pour le
Gouvernement de légiférer en cette
matière : la langue appartient à ses
usagers, qui ne se font pas faute de prendre
chaque jour des libertés avec les normes
établies. Mais il appartient au
Gouvernement de faire ce qui relève de son
pouvoir pour favoriser l’usage qui paraît le
plus satisfaisant — en l’occurrence celui
que vous proposez.
Le
rapport portait sur différents points, l’accent
circonflexe, ou des formes comme éléphant ou
éléfant, nénufar ou nénuphar, trente et un ou
trente-et-un, chariot ou charriot, etc. Et il
n’était pas question d’en imposer l’une ou
l’autre : « la langue appartient à
ses usagers » disait Rocard, conseillé en
fait par un linguiste qui se trouve être l’un
de mes amis.
Pour tenter de dépassionner le débat,
jetons sur cette question un regard de
linguiste. La première question que je me pose
est celle de savoir si c’est par le lexique ou
par l’orthographe que l’on parviendra à
l’égalité homme-femme. Appeler présidente celle qui préside un groupe industriel est une chose,
une autre est de savoir si elle touche le même
salaire que les hommes. Et écrire salariés
ou salarié.e.s
est une chose, une autre est de savoir
si ils ou elles touchent le même salaire.
Cette question n’est pas vraiment
nouvelle. Déjà en 1978, dans la préface de son
livre Les
mots
et les femmes, Marina Yaguello se
demandait : « Suffit-il de supprimer
les mots racistes
ou sexistes pour supprimer les
mentalités sexistes ou racistes ? ».
Et, en bas de page, elle s’adressait aux «lecteurs
(trices)», alors que trois pages plus
haut, toujours en bas de page,
elle écrivait « le lecteur devra se reporter à la bibliographie.. ».
Contradiction ? Hésitation ?
Une autre question porte sur les liens
entre la graphie et la phonie. Aujourd’hui
les profs conseillent aux élèves, lorsqu’ils
ne savent pas choisir entre l’infinitif et le
participe passé pour un verbe du premier
groupe, de le remplacer par une verbe d’un
autre groupe. S’ils ne parviennent pas à
choisir entre cela me fait penser... et
cela me fait pensé... par exemple,
remplacer penser par rire les
tirera d’affaire. Mais cette petite anecdote
met en lumière une chose fondamentale :
l’écrit est une transcription de l’oral. Ce
que proposent les partisans (ou les
partisanes, ou les partisan.e.s) de l’écriture
inclusive inverse les rapports entre l’oral et
l’écrit. Comment l’oral traitera-t-il les
formes produites par l’écriture inclusive?
Dans le métier que j’ai exercé à
l’université, les hommes et les femmes de rang
égal et de même indice touchent le même
salaire. Or, si l’on peut écrire professeures
pour les unes et professeurs
pour les autres, cela ne s’entend pas.
Les étudiants, ou les étudiantes, ou les
étudiant.e.s parleront du prof, et de la prof,
mais il faudrait des acrobaties phonétiques
pour distinguer entre professeur
et professeure,
comme cet instituteur de Pagnol (Topaze),
dans ce passage par exemple où il faut
soupeser avec soin les didascalies :
« Des moutons...Des moutons...étaient en sûreté
dans un parc ; dans un parc (Il se
penche sur l'épaule de l'Elève et reprend). Des
moutons...moutonss (L'Elève le regarde
ahuri). Voyons, mon enfant, faites un
effort. Je dis moutonsse. Etaient (il
reprend avec finesse) étai-eunnt.
C'est-à-dire qu'il n'y avait pas qu'un
moutonne. Il y avait plusieurs
moutonsse ».
Caricature ?
Peut-être. Mais que serait une éventuelle
réforme dont une bonne partie ne concernerait
que l’écrit, n’existerait pas à l’oral ?
Faudrait-il, pour lire à voix haute un texte
comme les étudiant.e.s sont prié.e.s de
se présenter au.à la secrétaire inventer
des signes de la mains aussi stupides que
celui venus des USA qui indique quel'on met un
mot entre guillemets?
Je
sais qu’on dira, en catégorisant de façon
brutale comme souvent,
que cette écriture inclusive est
défendue par les femmes et critiquées par les
hommes, ce qui reste d'ailleurs à prouver. Les
choses ne sont pas aussi bêtes, ni aussi
superficielles. Et il semble peu productif de
déclarer une guerre du genre dans l’écriture.
Les langues ne sont pas congelées, elles
changent sans cessent, dans les pratiquent de
ceux qui les parlent. L’écriture suit, ou ne
suit pas. Mais la langue est d’abord parlée
et, dans la majorité des cas (je veux dire
dans la majorité des langues du monde) elle
n’est pas écrite. Pour celle qui s’écrivent,
est-il raisonnable de créer une forme
linguistique pour lecture silencieuse et une
autre pour la voix haute ?
De
tout cela il faudrait discuter calmement, sans
invectives et sans outrances. En parlant du
fond et non pas de la forme. En soupesant
toutes les conséquences possibles d’une
éventuelle réforme. Et, encore une fois,
sans instituer une police de
l’écriture qui serait le prodrome d’une police
de la pensée. Mais est-ce possible ?

3 novembre 2017 : Les mots et
les choses

J’ai eu cette semaine un long entretien
avec l’ancien patron des éditions Assimil (qui
est le fils du créateur et le père de l’actuel
directeur : Assimil est une entreprise
familiale) et il m’a, entre autres choses plus
intéressantes les unes que les autres, raconté
qu’ils ont été parfois menés à modifier un
dessin ou un passage dans l’une ou l’autre de
leur méthode. En gros, des histoires qui leur
paraissaient drôles sont devenues au fil du
temps plus du tout drôles, ou des dessins
qui se voulaient comiques ont paru
racistes. Le politiquement correct était passé
par là. Et j’ai pensé à Michel Foucault qui,
dans Les
mots et les choses, montrait
que les « conditions de
discours » sont historiques, qu’elles
évoluent. Ce que l’on peut dire, ce qu’on a le
droit de dire, change avec le temps et
caractérise une époque. Je me suis par exemple
souvent dit que Georges Brassens ne pourrait
pas débuter aujourd’hui, qu’il serait
immédiatement condamné pour homophobie,
misogynie ou attaqué par les militants de la
manif pour tous pour discrimination
d’une religion... Les « conditions de
discours » donc changent, pour le
meilleur ou pour le pire.
Deux évènements récents et très différents
en attestent. D’une
part, au Pérou, l’élection de la miss
nationale a dû en perturber plus d’un ou plus
d’une. Traditionnellement, les candidates vont
l’une après l’autre au micro et se présentent
au public et au jury, déclinant leur nom et
leurs mensurations. Cette habitude, qui peut
faire penser à une foire aux bestiaux, a été
cette année bouleversée. Toutes les candidates
ont effet déclaré, après leur nom :
« et
mes mensurations sont »... Sont
quoi ? Sont « 81% des auteurs
d’agressions sexuelles sur des jeunes filles
de moins de 5 ans sont proches de la famille »,sont
« une fillette meurt toutes les dix
minutes, victime de l’exploitation sexuelle »,
sont « 2202 féminicides en neuf ans
dans mon pays », etc. Il
s’agissait donc de mettre des mots sur les
choses, de dévoiler si je puis dire et, en
même temps, de renvoyer les déclarations
convenues et humiliantes au folklore. Je ne
sais pas si les miss du Pérou feront école,
mais le spectacle était réjouissant, même si
le verbe réjouir
n’est pas vraiment approprié. Disons
qu’elles ont secoué le cocotier, et que
c’était bien.
L’autre évènement s’est passé en France.
Le gouvernement Macron, autoproclamé
moderniste, a présenté en grande cérémonie son
plan pour l’université. A cette occasion on a
vu disparaître la notion de
« prérequis », c’est-à-dire, pour le
dictionnaire, « les conditions à remplir
pour entreprendre une action ou remplir une
fonction ». Plus de prérequis
donc, parce que le mot faisait
irrésistiblement penser à la sélection et que
les syndicats étudiants n’en voulaient pas. Et
on l’a remplacé par attendus.
Ce terme existe surtout dans le langage
juridique et désigne les éléments qui fondent
un jugement, justifient une décision. C’est
dire qu’il ne change pas grand chose à la
situation des bacheliers qui souhaitent entrer
à l’université. Jusqu’ici on voulait leur
imposer des prérequis
pour les y accepter, c’est-à-dire les
connaissances qu’on attendait d’eux,
dorénavant ils devront répondre à des attendus.
Cela change tout selon la ministre de
l’enseignement supérieur, cela ne change en
fait rien. On a juste ajouté une couche de
peinture (on proposera ou imposera à ceux qui
ne remplissent pas les prérequis
ou les attendus
des
cours de recyclage), mais on a surtout changé
un mot sans changer la chose. Les
« conditions de discours » chères à
Foucault sont ici déclinées à la mode de la
langue de bois.
Pour revenir à ce par quoi j’ai commencé,
la méthode Assimil, des auteurs facétieux en
avaient donné une parodie savoureuse, la Méthode
à Mimile, consacrée à l’argot.
Mais qui rédigera La
langue
de bois ans peine ?

30
octobre 2017 :Le
"bien" et le "vrai"

Dans un ouvrage récent (Le
danger sociologique, Paris, PUF, 2017)
Gérald Bronner et Etienne Géhin adressent à
certains disciples de Bourdieu une
critique un peu rude : selon eux ils
subordonneraient leur démarche scientifique à
leurs choix militants. Je n’entrerai pas dans
ce débat (mes compétences sont en la matière
limitées) mais voudrais poser le même type de
question à propos d’un thème
dont l’actualité est chaude.
Il existe sur
Internet une liste grâce à laquelle
les sociolinguistiques du monde
francophone échangent des
informations professionnelles: annonce de
colloques ou de publications, appel à
communications, etc. Mais, de temps en temps,
le réseau s’enflamme. Ainsi, à la fin de ce
mois d’octobre, un thème l’a subitement animé:
la façon dont une partie de la presse traite
ce qui se passe en Espagne et plus
particulièrement en Catalogne. Les choses sont
allé très vite. Le 24 octobre, un message
signalait, sans commentaire, un article du
quotidien Le
Monde, « Catalogne, les langues se
défient ». Le jour même, un autre message
s’étonnait « qu’un journal si prestigieux
adopte une direction si peu informée. C’est le
quota que Le
Monde doit payer au 15% du groupe
espagnol PRISA ? ». Le lendemain, un
autre message dénonçait le « parti-pris
de dénigrement non seulement des
indépendantistes (...) mais aussi des
catalanistes voire des Catalans en général, ce
qui frise parfois le ridicule. Le summum est
atteint dans l’article que vous citez où
l’auteure (par ignorance ?) ne dit rien
du catalan comme langue officielle (...)
Seulement voilà,
notre « journal de
référence » n’est plus ce qu’il était,
comme du reste El Pais, son confrère espagnol
du même groupe de presse qui ne cesse de
glisser sur la même pente d’oubli de la plus
élémentaire déontologie journalistique au nom
de l’intérêt supérieur de la Nation ».
J’arrête là les
citations mais tout cela donnait un peu
l’impression de taurillons s’excitant
subitement à la vue
d’un bout de chiffon rouge. Car on
trouve dans ces quelques extraits des traces
de théorie du complot (Le
Monde comme El
Pais seraient vendus, car membres du
même groupe de presse), des arguments
d’autorité (Le Monde est « peu informé », sous-entendu :
« nous, nous sommes bien
informés »), voire des accusations plus
graves (absence de déontologie, soumission à
« l’intérêt supérieur de la
Nation »), mais pas le moindre argument
politique ou scientifique. Et, du coup, le
message global semblait être : Le
Monde et El
Pais ont tort parce qu’ils ne pensent
pas comme nous. Il y a là, hélas, une tendance
assez répandue qui, de façon plus large, peut
se résumer ainsi : ce qui est bien
(aux yeux de notre idéologie, ou de nos choix
politiques ou militants), c’est-à-dire ce qui
nous conforte, est vrai.
Tendance qui est tout sauf scientifique et
risque de mener parfois un trucage des
données, ou à un aveuglement volontaire face à
ces données lorsqu’elles ne vont pas dans le
sens que nous souhaitons.
Mais là n’est
pas le problème. Je l’ai déjà écrit ici, la
Catalogne aura sans doute un jour un statut
d’autonomie plus large, peut-être son
indépendance. J’ai aussi écrit que je détestai
les hymnes, les drapeaux, les frontières, les
nations. Mon
avis n’engage que moi, mais nous pouvons
espérer que la démocratie réglera tout cela,
alors que je relate autre chose, un
emballement peu scientifique (je rappelle que
tout cela s’est exprimé sur une liste de
diffusion scientifique), déraisonnable,
et un déchaînement de dénonciations assez peu
sympathiques et s’apparentant à de la
délation.
Le hasard a
fait que dans le numéro du Monde
du 29 octobre le médiateur du journal,
qui ne semble pas avoir lu la liste dont je
viens de parler, répondait au courrier de
lecteurs reçu à propos de cette question.
« Depuis plusieurs semaines, vous êtes
très nombreux à nous écrire à propos de ce qui
se passe en Catalogne (...) soit pour exprimer
votre point de vue ou pour apporter un
éclairage historique original, soit pour nous
reprocher de ne pas partager votre
opinion ». Et il poursuivait :
« Pour certains d’entre vous, nous
serions des suppôts du pouvoir central
madrilène ; pour d’autres, au moins aussi
nombreux, nous aurions succombé à une forme de
sympathie coupable envers la cause
indépendantiste catalane ».
Ainsi le quotidien aurait reçu (je
n’ai pas les moyens de le vérifier) autant de
lettre l’accusant de favoriser Madrid que de
lettres l’accusant du contraire. Et les
« scientifiques » de la liste de
diffusion se classaient
donc dans l’un de ces groupes.
A chacun son
« bien » et à chacun son
« vrai ». Mais si la politique
devrait consister à rendre possible ce qui est
souhaitable, ce n’est pas vraiment le rôle de
la recherche scientifique.

23
octobre 2017 :
C'est écrit dans le journal

Pauline
Julien,
une chanteuse québécoise qui était chère à mon
cœur, avait écrit une chanson ironique,
C’est
marqué
su’l’journal, pour se moquer de cette
presse qui peut nous faire avaler n’importe
quoi, et de la crédulité de certains de ses
lecteurs.
Et l’expression courante en français,
«c’est vrai, puisque c’est écrit dans le
journal » , joue un peu la même
fonction. On croit ce que l’on lit, lorsqu’on
sait lire bien sûr.
A
propos, vous connaissez l’histoire du lion qui
s’était fait sodomiser par un singe ?
C’est un lion qui se promène dans la forêt et
voit un singe dans un arbre.
-Bonjour,
petit
singe, veux-tu venir jouer avec moi ?
-Non,
répond
le singe, je te connais, tu es un méchant
lion, tu as bouffé plusieurs de mes frères
singes.
Le
lion
nie, insiste, proteste de son innocence, au
point que le singe semble hésiter :
-« D’accord,
je
vais venir jouer avec toi, mais d’abord je
vais t’attacher la gueule et les
pattes. »
Le
lion
accepte, le singe prend des lianes, fait un
lasso et attrape la gueule du lion, qu’il
attache fermement, puis un autre lasso pour
attacher ses pattes, descend de son arbre et,
pour se venger des méchancetés passées du
lion, il le sodomise. Puis, conscient d’avoir
fait une grosse bêtise, il se sauve en
courant. Le lion, furieux, se débat, se libère
de ses liens, et part à sa poursuite. Le singe
court, court, ne sachant où se cacher, il
aperçoit un journal qui traînait par là, le
prend, le déplie et se cache derrière. Le lion
arrive, voit ce lecteur et lui demande :
-Vous
n’avez
pas vu un singe ?
-Quoi ?
Celui
qui a enculé un lion ?
Et
le
lion :
-C’est
déjà
dans le journal !
Mais
laissons
ce singe et ce lion et revenons à nos moutons.
je viens de trouver, ce n’est pas d’ailleurs
la première fois, une autre forme de crédulité
tout aussi intéressante. J’ai parfois entendu
des musulmans me dire que ce que racontaient
les linguistes était déjà dans le Coran ou
chez les premiers grammairiens arabes, que
Saussure n’avait rien inventé. Or, si j’en
crois la presse de ce matin, l ‘autorité
palestinienne manquerait de médicaments, en
particulier de contraceptifs. J’ai ainsi
appris que, dans la bande de Gaza, 53% des
femmes mariées prennent un contraceptifs et en
même tems, comme dirait Macron, qu’elles ont
en moyenne entre quatre et cinq enfants.
Ma première réaction a été que les Israéliens
sont bien bêtes. Eux qui craignent comme
Azraël (l’ange de la mort, chez moi, en
Tunisie, on l’appelle Azraïne) la croissance
démographique des Palestiniens, devraient les
inonder de contraceptifs, non ? Et puis
je me suis dit que de toute façon l’Islam
devait les interdire.
Et
bien
non, je me trompais. Le cheikh Omar Nofal,
« autorité religieuse et juridique
respecté de la bande de Gaza », aurait
déclaré : « C’est
autorisé si c’est choisi par le couple, le
Coran le dit ». Alors, si le Coran
le dit ! Mais, même si
j’avoue ne pas être très compétent en
la matière, je ne suis pas persuadé que la
contraception était à l’époque ce qu’elle est
aujourd’hui. Donc le Coran a non seulement
autorisé la contraception (à condition que le
mari soit d’accord, il ne faut pas exagérer le
libéralisme en laissant les femmes libres de
choisir seules), mais il avait prévu la
contraception moderne. Ceci dit, j’aime bien
apprendre, découvrir,
je suis ouvert. Alors, si quelqu’un
peut me signaler la sourate dans laquelle
apparaît cette prévision et cette
autorisation, je me précipiterai sur elle. Et,
bien sûr, je la publierai dans un journal.

20
octobre 2017 : La
sardine et la baleine

Non,
ce n'est pas une fable de La Fontaine, du
genre "la sardine ayant nagé tout
l'été..." C'est une histoire vraie, ou plutôt
deux histoires vraies.
Chaque
fois
que l’on veut illustrer les galéjades
marseillaises, on lance la même formule :
« la
sardine qui a bouché le port de Marseille »,
ce qui apparaît bien sûr comme une bonne
blague. En fait tout cela est simplement une
affaire de sourde et de sonore diraient les
phonéticiens, un D ayant remplacé un T. En
1779 une frégate portant le nom d’Antoine de
Sartine, ministre de la marine de Louis XVI,
s’écrasa contre des rochers
puis coula dans le goulet d’entrée du
vieux port. Il fallut utiliser des treuils et
batailler quelques jours pour le dégager. Les
Marseillais, certes, galèjent volontiers, mais
c’est la Sartine et non pas une sardine qui
avait bouché le port. Et d’ailleurs, si
quelque chose devait le boucher aujourd’hui,
ce serait plutôt, suite aux grèves à rallonge
des employés de la voirie, les tonnes
d’ordures qui parsèment les trottoirs de la
ville.
Et
pourtant !
Avant-hier, une baleine est entré dans le
vieux port. Enfin pas vraiment une baleine
mais un rorqual, un jeune rorqual qui mesurait
quand même de 10 à 15 mètres de long. Entré le
nez vers l’avant, enfin le rostre vers
l’avant, il était incapable de se retourner
pour se diriger vers le large, coincé contre
le quai au pied du Pharo. Il a fallu
l’intervention de plongeurs des marins
pompiers et un canon à eau pour rediriger
l’animal dans le bon sens.
Du
rorqual
à la baleine il n’y a qu’un pas, ou un brasse.
Peut-être dans quelques dizaines d’années
racontera-t-on l’histoire du bas de laine qui
a bouché le port de Marseille.
15
octobre 2017 : La
faute aux antibiotiques

Oui,
je
sais, je vous avais dit que je serais au
Brésil. Mais une bronchite carabinée m’a
empêché de prendre l’avion. Du coup, bourré
d’antibiotiques, j’ai pu assister hier soir à
la causerie d’Emanuel Macron. Causerie, c’est bien le mot car le président a parlé, parlé, même
s’il a précisé d’entrée de jeu qu’il ne
voulait pas de «de présidence bavarde »,
ce pourquoi il ne rencontrait pas souvent la
presse, qu’il voulait garder la
solennité » de sa fonction. Il a pourtant
donné l’impression de bavarder, à un tel
rythme que les trois journalistes venus
l’interroger avaient parfois du mal à placer
un mot. Interrogé sur son vocabulaire bien
éloigné de la solennité qu’il
invoquait (fainéants, cyniques, gens de peu,
mettre le bordel) il a répondu, sans
doute conseillé par je ne sais quel linguiste
un peu démodé, en
termes de « registres » et de
« contexte »: fainéants, cyniques,
sont pour lui d’un registre élevé, « le
mot bordel c’est du registre populaire, comme
dit l’Académie française », « les
gens de peu : on sort le texte du
contexte », et d’ailleurs
« nos élites politiques se sont
habitués à ne plus dire les choses ».
Lui
il
dit des choses, beaucoup, trop, les répète
plusieurs fois de suite, longuement. Des
choses ou plutôt des mots qu’il enchaîne comme
une tricoteuse championne du monde de vitesse
(cela doit exister, le championnat du monde de
vitesse des tricoteuse, non ?). Pujadas
lui demande à plusieurs reprises des réponse
rapides, des réponses plus courtes, des
réponses en quelques mot, en vain. J’étais un
peu abruti par les médicaments et cela m’a
peut-être empêché de percevoir les subtilités
de son discours. Je n’ai donc perçu qu’un type
lisse, un peu fade et surtout bavard, au
milieu d’un décor dont la caméra léchait
certains détails, des livres en pile (avec un
Malraux bien visible), une tapisserie
d'Alechinsky, un galet tricolore. Mais le
président était sans doute très bien, et si je
ne l’ai pas compris c’est la faute aux
antibiotiques.
11
octobre 2017 : Docimologie

Le
numéro
du 11 octobre
de Charlie
Hebdo à, en couverture, un dessin
représentant trois homme cagoulés, armés de
kalachnikovs, assis derrière une table dont la
nappe est ornée de l’emblème corse, une tête
de maure. Et l’un d’eux
dit : « nous
exigeons un débat ». Au dessus, en
titre : Les Catalans plus cons que les Corses. Cela pose une question à
laquelle je n’ai pas le temps de tenter de
répondre : je pars travailler au Brésil
et ne reprendrai la plume (enfin, le clavier)
que d’ici dix jours. Alors je vous laisse un
devoir de vacances. Répondez à la questions Les
Catalans sont-ils plus cons que les Corses.
Et, en question subsidiaire : Les Espagnols sont-ils plus cons que les deux précédents ?
Cela
pose,
bien sûr, quelques problèmes théoriques :
comment mesurer la connerie ? Vous
exposerez donc votre méthodologie.
Et
pour
les ignorants qui ne savent pas ce qu’est la
docimologie (du grec dokimé,
« épreuve » et logos,
« discours ») : c’est la science de
l’évaluation en pédagogie, ou si vous préférez
la science de la façon dont on note les
examens. Vous avez le droit de consulter les
travaux d’Henri Piéron, mais je ne suis pas
sûr que cela vous aidera beaucoup dans votre
tâche.
9
octobre 2017 : Islamo-gauchisme,
racisé, fachosphère...

Sonia Nour
(pourquoi ne pas la nommer, son nom est
désormais partout), qui travaille à la mairie
de La Courneuve, a mis lundi dernier sur
Facebook, après l’assassinat de deux
jeunes-filles à la gare de Marseille, le texte
suivant :
« Quand
un martyr égorge une femme et poignarde une
autre là ça fait du bruit. Terrorisme, du
sang, civilisation Bla Bla Bl... Par contre
que le terrorisme patriarcal nous tue tous
les deux jours on l’entend moins votre
grande gueule ».
Immédiatement, le
maire (PCF) l’a suspendue. Et des membres de
l’UNEF (S. Nour était membre du bureau de ce
syndicat étudiant en 2010) ont protesté,
expliquant que l’intéressée faisait « un
lien utile et nécessaire entre classe, race
et genre » tandis que d’autres
reprochaient au maire d’avoir agi « sous
la
pression de la fachosphère » ou
expliquaient que « la
violence de la charge contre Sonia Nour
tient principalement au fait qu’elle est
racisée ».
Martyr, fachosphère,
racisée, nous entrons dans une
constellation sémantique qui mérite qu’on
prenne quelques minutes pour y réfléchir.
Jean-Luc Mélenchon vient de démissionner d’une
commission parlementaire sur la
Nouvelle-Calédonie, parce qu’il ne supportait
pas que le président en soit Manuel Valls,
selon lui « personnage extrêmement clivant » (Mélenchon, lui, n’est pas
clivant) ayant « une
proximité avec les thèses ethnicistes de
l’extrême droite ». Valls répond
vertement, dénonçant un discours « ignoble
et outrancier », ce à quoi
Mélenchon réplique que « la
bande à Valls est totalement intégrée à la
fachosphère et à sa propagande ». Ajoutons pour compléter le tableau que Valls avait, il n’y a
guère, qualifié le discours des députés de la
France insoumise d’ « islamo-gauchiste ».
Et notre constellation sémantique
s’enrichit : après martyr, fachosphère, racisée
donc, voici arriver ethniciste
et
islamo-gauchiste...
Ce
n’est
peut-être pas par hasard que dans ces
créations lexicales apparaissent à la fois
l’UNEF et la France insoumise. J’ai un
attachement très personnel à l’UNEF, j’en
étais vice-président à l’information en
1964-1965 et depuis lors j’ai toujours suivi
son évolution avec intérêt. En 1965 le
syndicat avait 100.000 adhérents, chiffre qui
est tombé à 2.000 à la fin des années 1960.
L’organisation, exsangue, est alors une proie
facile pour l’Union des Etudiants Communistes
et le PSU qui tentent de prendre le contrôle
de ses dépouilles. Le syndicat explose en
1970, puis se réunifie en 2001. Il avait
29.000 adhérents en 2005, 20.000 aujourd’hui,
et se trouve dans la même situation qu’en
1970 : on tente de récupérer cette
structure moribonde. Après l’UEC, le PSU puis
le PS (Benoît Hamon était alors à la manœuvre), il semble
que ce soit aujourd’hui le tour de la France
insoumise. Cet été, huit membres de la
direction de l’UNEF en ont été exclus: ils
étaient tous membres de LFI, et soupçonnés de
vouloir noyauter le syndicat. Or
l’organisation étudiante est traversée par des
débats intenses, en particulier à propos de la
laïcité. On y organise par exemple des
réunions « non
mixtes
racisées » (tiens ! Revoilà le
racisé), c’est-à-dire des
réunions
d’hommes ou de femmes, mais pas les deux,
Africains et Maghrébins : les blancs ou
les blanches en sont exclus. On croit rêver,
mais cette longue parenthèse sur l’UNEF nous
ramène à ce qui se passe aujourd’hui.
Que
LFI
tente de prendre le pouvoir à l’UNEF ne serait
pas étonnant : il s’agit d’un technique
trotskiste classique. Mais le thème de la race
et de la religion pose en ce moment problème
au sein de l’extrême gauche. Et ce n’est pas
par hasard si des membres de l’UNEF se sont
portés au secours de S. Nour. Elle utilise
dans son texte un mot, martyr,
qui est tout sauf innocent, correspondant à
l’arabe chahid désignant aujourd’hui pour les islamistes celui qui meurt
pour la religion. Pour certains en effet,
l’islam doit être analysé comme une victime.
Le Parti des Indigènes de la République par
exemple, qui veut « décoloniser
la république » et défendre « les
Noirs, les Arabes et les musulmans ».
Or une députée de LFI, Danièle Obono, s’est
récemment illustrée en répondant à un
journaliste qui lui parlait d’un chauffeur de
bus musulman refusant de prendre le volant
après une femme que cela n’avait rien à voir
avec la religion ou la radicalisation mais
n’était qu’un signe de machisme. Des Indigènes
de la République à la France insoumise en
passant par une partie de l’UNEF apparaît
ainsi comme un fil rouge, au bout du compte
opposé à la laïcité: la volonté de dédouaner
l'islam. Je pourrais multiplier les exemples
de cette gêne, à l’extrême gauche, mais elle
peut se ramener à un grand principe : ce
qui se passe dans les attentats, les
massacres, n’a rien à voir avec l’islam.
Et la constellation sémantique qui en découle, martyr,
islamophobie,
racisé, fachosphère d’un
côté, islamo-gauchiste,
ethniciste
de l’autre, en témoigne bien. Le Parti des
Indigènes de la République continuera très
certainement sur la même voie, mais Mélenchon
pour sa part se tait (comme il continue à se
taire sur le Venezuela) : il laisse
parler l’inénarrable Corbières. Entre
aveuglement ou opportunisme et réalisme, il
lui faudra pourtant bien trancher un jour.
3
octobre 2017 : Jeu
à somme négative

Un jour ou l’autre, la
Catalogne aura une forme d’indépendance, à ses
risques et périls. Après tout, le droit des
peuples à l’autodétermination est un principe
acquis et, sur le fond, il n’y a pas de débat.
Sur la forme, en revanche...
Au Québec comme en Ecosse des
référendums ont été organisés sans que cela
suscite le moindre problème. Dans les deux
cas, le résultat fut négatif. Et dans les deux
cas aussi la consultation avait été organisée
dans le cadre de la loi du Canada ou de la
Grande Bretagne, un peu comme la France a
procédé en Nouvelle Calédonie. La Catalogne,
ou plutôt certains de ses dirigeants, ont
procédé à l’inverse. Dès le début Madrid a
annoncé que si la Catalogne organisait de son
propre chef un référendum, elle se mettait
dans l’illégalité, ce qui est sans doute
juridiquement vrai. Dès lors, Barcelone a
répliqué qu’il serait de toute façon organisé.
Comme des petites frappes de cour de
récréation, le premier ministre Rajoy et le
président de la Generalitat Puigdemont ont
haussé le ton, montrant leurs muscles et
faisant dans l’hystérie. A des lieues de la
politique, ils ont joué aux petites machos, ou
aux roitelets.
Pour ma part je déteste les
frontières, les drapeaux, les hymnes. C’est
vous dire que les arguments des uns et des
autres me laissent froid.
Dans la théorie des jeux et
de la décision, on distingue entre les jeux à
somme nulle et les jeux à sommes positive.
Dans le premier cas, la somme que les uns
perdent est la même que celle perdue par les
autres, comme la somme d’argent sur un tapis
de poker : l’un des joueur ramasse ce que
les autres ont perdu. Dans le second cas, tout
le monde gagne, mais pas la même chose, bien
sûr. Si Madrid et Barcelone jouaient aux dés,
ils y aurait un vainqueur et un vaincu. S’ils
discutaient ils pourraient tous deux sauver la
face (on dit en Chine qu’il faut toujours
« laisser une face » à l’ennemi) et
parvenir à une solution raisonnable. Ils sont
en fait en train d’inventer un autre cas de
figure : un jeu à somme négative, dans
lequel tout le monde perdrait. Enfin, pas tout
à fait, car un troisième larron pourrait tirer
les marrons du feu : le nationalisme. On
a vu ce que cela a donné dans
l’ex-Yougoslavie.
1er
octobre 2017 : régime
alimentaire

Il y a quelques mois je
dînais, à Paris, chez des amis journalistes
et, en arrivant, nous trouvâmes trois autres
invités. Des Américains. C’était peu de temps
après l’élection de Trump et, tout au long de
l’apéritif et durant les hors d’œuvres,
la conversation porta sur la politique. Arriva
le plat principal, un rôti ou un gigot, je ne
sais plus, et en cœur
ou presque ils lancèrent : « sorry,
we are vegetarian ». Vous imaginez la
tête de la maîtresse de maison, obligée
d’improviser en hâte pour eux un plat de
remplacement... Avec ma compagne, sur le
chemin du retour, nous nous dîmes qu’ils
étaient soit inconscient soit impolis :
comment accepter une invitation sans préciser
une telle chose ?
Ce matin, j’écoutais sur
France Inter une émission que j’aime bien, On
va
déguster, qui porte sur la cuisine et
dans laquelle je trouve parfois des recettes
intéressantes. Cette fois-ci l’émission
portait sur la cuisine végétarienne. Enfin,
pas tout à fait car ils distinguaient entre
végétariens, végétaliens et véganes. Vous
connaissez les différences entre ces trois
catégories ? Si non, vous n’êtes pas
venus pour rien. Les végétariens ne consomment
aucune chair animale, ni viande ni poisson.
Les végétaliens, pour leur part, refusent en
outre les fruits de mer, la gélatine, la
pressure, le miel, les œufs... Comme quoi la simple
alternance entre un l et un r change bien des
chose. Cela me fait penser à une blague que
l’on racontait lorsque Clinton était président
des Etas Unis. Lors d’un voyage officiel dans
un pays peu démocratique et dont la langue
confondait le l et l e r, sa femme, Hillary,
d’humeur provocatrice, demanda au chef
d’état : « When did you have your
last election ? » Et il répondit
« This morning ». Mais restons
sérieux. Quant aux véganes, ils ne consomment ni viandes
ni poissons ni produits laitiers ni œufs ni miel mais excluent aussi
les produits issus des animaux (cuir,
fourrure, laine, soie, cire d’abeille, etc.).
Je croyais être au bout de
mon apprentissage, mais non. Le journaliste
qui présente l’émission ajouta qu’il y avait
un débat chez les véganes à propos des
truffes. Les truffes ? Oui, les truffes.
En effet, les véganes sont antispécistes, ils
sont contre la domination d’une espèce par une
autre, en particulier contre la domination ou
l’utilisation de l’espèce animale par l’espèce
humaine. Qu’est-ce que cela a à voir avec les
truffes ? Et bien, si, pour chercher des
truffes on utilise un cochon ou un chien
truffier, les véganes sont contre la
consommation de ces truffes. Je sais, cela
s’apparente à la sodomisation de diptères
brachycères... Mais, en même temps, cela m’a
posé un grave problème. Imaginons que j’adhère
à la légitime idéologie végane, et que je
décide dorénavant de ne consommer que des
légumes et des fruits. Je serai alors
confronté à un dilemme. Les arbres fruitiers
ne sont pas, en effet, auto-fertiles, et la
production de fruits nécessite une
pollinisation croisée (le pollen d’une fleur
doit être déposée sur les stigmates d’une
autre fleur), ce transport étant assuré soit
par le vent soit par des abeilles. Donc, si je
suis dans l’impossibilité de savoir si les
fruits qui se trouvent dans mon assiette
doivent leur existence au vent ou à une
abeille, je m’abstiendrai d’un consommer. Me
restent donc les légumes. Mais alors il me
faut savoir si le labour des champs dans
lesquels ils sont produits est effectué à
l’aide d’une charrue ou d’un tracteur. Dans le
premier cas, si la charrue est tirée par une
vache, mon antispécisme m’interdira leur
consommation. Et dans le second cas, le
tracteur fonctionnant à l’essence ou au
mazout, produits polluants comme on sait, mon
véganisme entrera en conflit en conflit avec
mon écologisme. Allez, je vais me faire
griller une côte de bœuf.
Mais nous vivons vraiment une
époque moderne.
21 septembre 2017 : Rétro

Le cinéma vit à l’heure du biopic,
comme on dit en globish pour biographie
ou film
biographique. Un Gauguin vient de
sortir, après un Van Gogh naguère, et des
dizaines d’autres, consacrés à Piaf ou La
Fontaine en 2007, Sagan, Coluche, Chanel et Mesrine en 2008, Gainsbourg ou Camus en 2009, Louise Michel
ou Carlos
en 2010, Claude François en 2012, un
cheval (Jappeloup) et Camille Claudel en 2013,
Yves Saint Laurent deux fois en 2014, Pierre
Brossolette en 20015, Chocolat, Dalila, Django
Reinhardt et
Cézanne en 20016, pour nous en tenir aux
années récentes à quelques sujets français.
Deux films qui viennent de
sortir, Le
Redoutable et Barbara
changent cependant un peu la donne. Il
ne s’agit pas d’une continuité, de la
naissance à la mort d’un individu, mais d’un
effet de zoom sur un moment limité d’une vie,
dans le cas de Godard, ou d’une mise en abyme
d’un film en train de se faire dans le film,
pour Barbara. Du coup, nous sommes presque
dans l’anti-biopic. Le
Redoutable peut en laisser certains sur
leur faim mais, pour quelqu’un de ma
génération, il évoque des manifs auxquelles il
a participé ou des amphis de la Sorbonne
bondés qu’il a connus. Il y a Godard, bien
sûr, le Godard mao (enfin, « le plus con
des Suisse pro chinois» comme on disait
alors), un Godard extrémiste et influençable à
la fois, un peu autiste, fermé sur lui-même,
bref un homme dans une tempête historique et
personnelle. Quant à Barbara,
il en va un peu de même : on ne la
raconte pas, on la donne à voir, « en
vrai » par le biais d’images d’archives
et « en faux » lorsqu’une actrice
qui doit la jouer s’y prépare et, là aussi,
les gens de ma génération retrouvent des échos
d’une Barbara qu’ils ont découverte au début
des années 1960, à l’Ecluse
(un des rares cabarets disposant d’un
piano : ailleurs on s’accompagnait à la
guitare), puis suivie, de disque en disque, de
spectacle en spectacle. Encore une fois, donc,
non pas un biopic mais un zoom légèrement
pointilliste.
Reste cependant une
question : biopic ou pas, anti ou faux
biopic, ce cinéma s’attache tout de même à des
moments du passé, à des personnages ou à des
œuvres qui ont marqué notre histoire récente,
les chansons de Piaf, Cloclo ou Barbara, les
vêtements de Saint-Laurent, la guitare de
Django, les romans de Sagan, etc.
De quoi un cinéma qui regarde ainsi
dans le rétroviseur, est-il le signe ?
Nostalgie ? Volonté de rattraper des
bribes de mémoires ? De réveiller ou de
titiller le dortoir de notre mémoire ?
Un qui n’arrête pas de
regarder derrière, c’est Mélenchon, qui ne se
console pas de son échec à l’élection
présidentielle. Son porte-parole, Alexis
Corbières, a trouvé une façon originale de
présenter les choses : Macron, dit-il,
n’a aucune légitimité, il n’a recueilli que
18% des voix des électeurs inscrits.
C’est bien sûr une façon de compter
comme une autre, à deux petits détails près.
D’une part, il s’agit du résultat du premier
tour (en comptant de la même façon Macron a
obtenu au second tour un peu plus de 43% des
inscrits). D’autre part, Corbières devrait
rappeler que Mélenchon, lui, n’a alors
recueilli que 14% des voix. Mais les
rétroviseurs sont parfois déformants.
Une autre façon, elle-aussi
récente, de regarder dans le rétroviseur,
touche au politiquement correct. Après les
évènements
aux USA, à Charlottesville, qui ont
en particulier vu l’émergence d’une volonté de
supprimer partout les statues du général Lee,
certains réclament que l’on fasse disparaître
de l’espace public français
les traces de l’esclavage. Ainsi une
pétition récente réclame que l’on débaptise
les lycées
Colbert, parce que ce ministre de Louis
XIV est
le fondateur de la Compagnie des Indes
occidentales et l’initiateur du Code noir.
Mais pourquoi s’arrêter à Colbert ?
Bonaparte a rétabli l’esclavage en mai 1802 et
il y a partout en France des lycées, des rues,
des places qui portent son nom. Et faut-il
d’ailleurs ne lui reprocher que ce
rétablissement? Il a fait tuer des milliers de
Français dans ses campagnes et fait massacrer
d’autres milliers d’Européens. Supprimons donc
Bonaparte de l’espace public, qui déborde en
effet de noms propres qui sont souvent bien
sales. Une grande entreprise de nettoyage
s’impose, qui impliquerait que des commissions
examinent, cas par cas, tous ces noms et
décident ou pas de les oblitérer !
Voltaire, qui dans son Traité
de métaphysique défendait la
supériorité de l’homme blanc, y survivrait-il?
Je n’en sais rien, mais ces commissions en
décideraient. Et Céline, faudrait-il
l’interdire dans toutes les bibliothèques et
l’oublier dans les cours de littérature ?
Et Jules Ferry, qui théorisa la
colonisation ? Et Thiers, le massacreur
de la Commune de Paris ? Et, pourquoi
pas, Saint Michel, ce massacreur de
dragons ? Je rigole ? Oui, je
m’amuse en partie. Mais le communautarisme est
en train de faire en France des ravages.
L’esclavage, faut-il le rappeler, a été une
chose horrible. Et regarder dans le
rétroviseur est une démarche fondamentale.
Mais analyser ce qu’on y voit relève du
travail des historiens, non pas dans un esprit
revanchard mais dans une volonté de mise en
perspective, d’analyse. Plutôt que de
supprimer les lycées Colbert, Ferry, Bonaparte
ou Thiers (laissons de côté Saint-Michel
pour cette fois), ne faut-il pas mieux
expliquer aux élèves qui ils furent et ce
qu’ils firent?
Vouloir faire disparaître certains
noms des édifices publics, n’est-ce pas
oblitérer une partie de l’histoire ?
N’est-ce pas se masquer les yeux plutôt que de
faire la lumière sur le passé ? Et
n’est-il pas plus efficace de rendre aux
Noirs, puisque c’est le CRIN (conseil
représentatif des associations noires) qui
appelle à débaptiser les lycées et collèges
Colbert, de leur rendre donc leur place dans
l’histoire de France ?
Je sais, ce débat est
complexe, mais je crois préférable de
l’aborder de front et de regarder notre passé
en face plutôt que de se donner bonne
conscience en barbouillant ses traces sur des
plaques de rues ou des frontons de lycées.
Allez, pour terminer avec le
sourire et quitter le rétro pour l’immédiate
actualité, Macron a déclaré hier à New York,
devant un public de Français : « j’ai
décidé qu’en novembre prochain nous sortirons
de l’état de droit...euh, de l’état
d’urgence ».
6 septembre 2017 : L'entrisme
et la Nadine Morano de la France insoumise

Raquel Garrido, porte parole de la France insoumise et avocate de
Jean-Luc Mélenchon, vient de prendre un
curieux virage à 180 degrés : elle
travaille désormais comme chroniqueuse (à
partir du samedi 9) dans l’émission
« Salut les terriens », c’est-à-dire
qu’elle travaille pour Bolloré, l’une des
têtes de turc de la France insoumise. A ce
titre elle a été accréditée à la conférence de
presse du Premier ministre le 31 août, alors
qu’elle n’est pas journaliste. Dans la
profession on s’étonne ou on fulmine :
que faisait-elle là ? Certains avancent
l’hypothèse qu’il s’agit d’un coup monté par
Matignon pour décrédibiliser la
profession : si n’importe qui peut poser
une question dans une conférence de presse,
alors les compétences des journalistes sont
rabaissées...
Ce qui est sûr, c’est que Raquel Garrido n’a jamais vraiment fait
dans l’information. Pendant la campagne
présidentielle, elle s’est surtout illustrée
par son usage continu de la langue de bois et,
le soir du premier tour elle a nié jusqu’au
bout (enfin, disons le plus tard possible)
l’élimination de Mélenchon. Hier soir, invitée
sur la 5, elle s’est lancée dans un discours
fumeux pour défendre, encore une fois, le
Venezuela, agressant Patrick Cohen, donnant
des leçons "d'impartialité". Depuis des mois
elle me fait furieusement penser à Nadine
Morano: l’une est blonde l’autre brune, l’une
est bien à droite l’autre d’extrême gauche,
mais toutes deux ont été porte-parole (l’une
du RPR l’autre de la France insoumise) et
toutes deux sont prêtes à utiliser n’importe
quel argument pour défendre leur chef ou leur
ex-chef (Sarkozy pour l’une, Mélenchon pour
l’autre) et leur ligne politique. La France
insoumise a donc trouvé sa Nadine Morano.
Mais que fait-elle chez Bolloré ?
Nous entrons là dans un autre débat. Le trotskisme français,
longtemps divisé en deux grandes tendances, le
pablisme et le lambertisme (la tendance de
Mélenchon mais aussi, naguère, de Lionel
Jospin, de Jean-Christophe Cambadélis
ou des frères Assouline), a toujours
pratiqué l’entrisme,
cherchant à noyauter des partis (le PCF, Le
PS, en particulier par le biais de leurs
organisations de jeunesse) ou des syndicats
pour y faire progresser ses idées. Certains
l’ont faire de façon clandestine, d’autres
ouvertement. Or, même si aucun commentateur
politique ne semble l’avoir souligné, du moins
à ma connaissance, j’ai l’impression que la
France insoumise est en train de réussir ce
que les petits mouvements trotskistes ont
toujours raté. Lutte Ouvrière et la Ligue
Communiste (reconvertie en Nouveau Parti
Anticapitaliste), malgré le talent d’Arlette
Laguiller ou d’Olivier Besancenot, n’ont
jamais réussi à fait un score à deux chiffres
dans les élections. Mélenchon oui. Et je crois
que l’entrisme est l’un des éléments
explicatifs de sa statégie.
Mais de là à noyauter la télévision de Bolloré ! La Nadine
Morano d’extrême gauche se fait peut-être
beaucoup d’illusions.
3 septembre 2017 : Empapaouter

En général propre sur lui, lisse et l’air un peu niais, le
premier ministre s’est pourtant lâché
aujourd’hui dans le Journal du dimanche. Interrogé sur le fait de savoir s’il était mal
préparé lors de son interview par Jean-Jacques
Bourdin (souvenez-vous, « j’suis un gars
sérieux », voir mon billet du 28 août) il
a répondu : « Je connais tellement
de gens, en politique, qui font semblant de
savoir et qui vous empapaoutent... Moi pas. Je
ne connais pas tous les chiffres par cœur, je ne suis
pas Wikipedia ». Donc, contrairement à
« tellement de gens, en politique »
et à Wikipedia, le premier ministre ne nous
empapaoute pas. Du moins à ce qu’il dit. Mais
sait-il ce qu’il dit ?
Dans l’ouvrage récent le plus sérieux consacré à la « langue
verte », Dictionnaire
de
l’argot (1990),
Jean-Paul Colin glose le verbe empapaouter
par « sodomiser » et pour empapaouté
il écrit :
« n.m. Syn. Enculé ». Pour
l’étymologie, cependant, il ne se mouille pas,
reprenant une vieille explication (1924) de L.
Tailhade citée par Jacques Cellard et Alain
Rey dans leur Dictionnaire
du français non conventionnel (1980).
Après avoir traduit le verbe par
« sodomiser, dans une relation
homosexuelle », ils donnaient comme
étymologie « formation
plaisante, à partir sans doute de empaffer,
avec une
pseudo filiation évoquant une peuplade
imaginaire (cf. aller se faire voir chez
les...) » Mais Alain Rey, dans son
Dictionnaire historique de la langue française (1992), ignorait ou
évitait le terme.
Remontons un peu dans le temps. En 1967, dans son Dictionnaire
des injures, Robert Edouard écrivait
« va te faire empapaouter ! Va te
faire voir chez les Grecs, de préférence au
mois d’août (sans doute parce que, selon
certains vacanciers, ils ont à ce moment de
l’année les yeux plus gros que le
ventre) » . Pour Lazare Sainéean (Le
langage parisien au XIX° siècle, 1920)
empapaouter signifiait « ennuyer »
mais il citait pourtant le Père Peinard qui le
3 janvier 1892 écrivait « en parlant des
pédérastes » : « A Chalons
ousqu’on pratique l’empapaoutage
grande largeur ». Emile Chautard, La
vie étrange de l’argot (1931) écrivait
pour sa part « empapaouter (se faire),
subir le coït anal ». Géo sandry et
Marcel Carrère (commissaire de police à la
sureté nationale) écrivaient
quant à eux dans leur Dictionnaire
de l’argot moderne (1953)« Empapaouter,
acte
de pédérastie ». Bref, selon les époques,
on tourne autour du pot (si j’ose dire, tiens,
une autre fois je vous conterai l’histoire de
l’expression avoir du pot, du bol, du fion, du
cul...) pour un des termes argotiques qui a le
plus de synonymes : daufer, empaffer,
encaldosser, enculer, endauffer, englander,
pointer, troncher...
Donc, qu’on se le dise, le premier ministre ne veut pas nous
enculer. Mais pourquoi ne le dit-il pas de
façon plus simple ? Serait-ce parce ce
qu’il connaît aussi mal le vocabulaire
argotique que les chiffres ?
29 août 2017 : Réforme
ou transformation?

La semaine dernière, en Roumanie, le président Macron lançait que
« les Français détestent les
réformes », et il enfonçait le
clou : « dès qu’on peut éviter les
réformes, on le fait ». Problème :
depuis le début de sa campagne puis de son
quinquennat il ne parle que de réformes :
réforme des retraites, réforme du code du
travail, etc. Dès lors il se mettait lui même
dans un piège sémantique : comment lancer
des réformes alors que les Français les
détestent ? En allant contre leurs
désirs, leurs goûts, leurs dilections, leurs
envies ?
La solution est venue de je ne sais quel communiquant et le
premier ministre a déclaré hier que «le pays a
besoin de transformation et les français le
savent ». Les autres membres du
gouvernement ont enchaîné très vite et l’on
n’entend plus désormais parler que de transformations.
On perçoit tout de suite l’aspect orwellien de
ce changement de pied : il ne s’agit pas
de changer ce que l’on va faire mais de
changer la façon de nommer ce que l’on va
faire.
Or il y a peut-être une autre solution. En observant les formes
verbales dont elles découlent, réformer
et transformer,
on se rend compte que réforme
et transformation sont étymologiquement bien proches. Du latin forma,
dont le sens premier était « moule »
(d’où en français la fourme,
moule à fromage puis fromage moulé),
transformer
(du
latin tranformare)
signifie « changer une chose en une
autre », ou « aller au-delà de la
forme » tandis que réformer
(du latin reformare)
signifie « revenir en arrière,
redonner la forme initiale », puis au
sens figuré « améliorer ». On voit
que la différence est légère, mais que
cependant réforme a une petite
connotation passéiste (la Réforme des
Protestants était après tout la volonté de
revenir aux sources du christianisme) tandis
que transformation
a d’étranges relents, allant du transformisme,
l’art de changer rapidement de costume, à l’illusionnisme.
Dans les deux cas, les termes sont mal
choisis. Le réformisme a pourtant un sens politique, entre révolution et
conservatisme, mais les Français, nous dit
Macron, n’aime pas les réformes, et le transformisme est polysémique. Mais l’union des deux pourrait être
une solution : revenir en arrière
(réformer) pour changer les choses
(transformer). La seule question est alors de
décider dans quel ordre il conviendrait de
mettre ces termes. Et, pour rester dans la
stylistique de Macron, de choisir entre
« réformer et en même temps
transformer » ou « transformer et en
même temps réformer ».

28 août 2017 : Pédagogie

Des membres de la majorité, face à l’aspect un peu secoué de la
rentrée, déclarent qu’il leur faut faire
« plus de pédagogie ». Effectivement, à l’écoute du
discours des politiques, les pédagogues
s’arrachent les cheveux. Ainsi le Premier
ministre vient-il de déclarer à la radio que
« 30%
des
Français bénéficieront en 2O18 de la
suppression de la taxe d’habitation » en
2018 alors qu’en fait 80% des foyers
bénéficieront d’une baisse de 30% de cette
taxe. Que voulez-vous que fasse un prof de
maths si ses élèves lui rapportent ces
propos ? Le même Premier ministre,
décidément en verve, a continué en disant
qu’il irait vérifier ses chiffres à la pause
(la coupure publicitaire) et a tenu à préciser
pour justifier son incapacité à
répondre : « j’suis
un
gars sérieux ». Imaginez que
tous les examinateurs de tous les oraux de
tous les examens se trouvent devant des
candidats qui tous leur disent : « j’suis
un gars sérieux, laissez-moi sortir cinq
minutes pour pouvoir vous répondre plus
précisément ». Une génération de
jeunes branleurs invoquant l’exemple du
premier ministre pour justifier leur besoin
d’aller consulter leurs pompes, bref pour
tricher, cela marque mal ...
Et s’il n’y avait que le premier ministre (je n’ai toujours pas
retenu son nom, désolé, Edouard quelque chose
je crois, et n’étant pas un gars sérieux je
n’irai pas chercher sur Internet). Prenez le
Président, oui, Macron. Il n’a cessé de
pratiquer une curieuse formule, « X,
et en même temps Y », « à
droite et, en même temps, à gauche ».
Vous imaginez le désespoir des moniteurs
d’auto-école dont les élèves mettront le
clignotant « à gauche, et en même temps, à droite », ou tourneront « à
gauche, et en même temps, à droite »?
Le
même Président a déclaré qu’il serait
jupitérien. Comment les profs d’histoire
vont-ils pouvoir expliquer que le dieu des
dieux, bien à l’aise là-haut, au dessus des
nuages, puisse connaître une telle chute dans
les sondages ?
Continuons. Samedi, à Marseille, la France insoumise organisait un débat sur le thème « Faut-il
dégager les média ? » Selon la
presse, la foule aurait répondu en hurlant
« ouiiiiii ! » Vous imaginez la gueule de Mélenchon sir la
foule avait hurlé « Ouiii
et en même temps noooon ! »
Et que vont faire les profs de lettres face à la valse des
sigles, ISF (impôt sur la fortune) venant
d’être remplacé par IFI (impôt sur la fortune
immobilière) ? Comment expliquer que
l’Etat fait un cadeau de 3 milliards aux
riches en ne taxant plus leur fortune
financière sans faire de la politique, alors
que leur rôle est d’enseigner la
grammaire ?
Bref, ils ont bien raison, les membres de la majorité, de vouloir
faire de la pédagogie. Faute de quoi La
France en marche risquerait de devenir
La
France en marche et en même temps à l’arrêt.
Encore faudrait-il qu’ils sachent
l’étymologie de ce terme : « mener
les l’enfants », le pédagogue étant
l’esclave qui menait les enfants à l’école. Et
si les enfants ne voulaient pas se laisser
mener ?

26 août 2017 : Changer
de pays

Selon un diction bambara, quand on met un crapaud dans une
calebasse, il dit « nous avons changé de
pays ». Traduisons : un crapaud ne
voit pas plus loin que le bout de son nez, il
est certes dans une calebasse, mais toujours
dans le même pays. Pourtant, on change parfois
de pays sans le quitter. Je viens de passer
quatre jours à Angers, et moi qui suis
familier d’au moins trois villes en France,
Paris, Aix et Marseille (les autres, aux
quatre coins du monde, n’ont rien à faire
ici), j’avais l’impression d’être dans un
autre pays.
Première impression, le silence : on ne klaxonne pas. Les
voitures se déplacent tranquillement, sans
agressivité. On m’avait dit un jour que la
meilleure définition de la nanoseconde était,
lorsque vous êtes arrêtés à un feu rouge à
Marseille, le temps qui s’écoule entre le
moment où le feu passe au vert et le moment où
la voiture qui est derrière vous se met à
klaxonner furieusement. A Angers, rien de
cela. En outre, lorsqu’un piéton met le pied
sur la chaussée, les voitures s’arrêtent pour
le laisser traverser. Tel le crapaud, je me
croyais dans un autre pays.
On continue ? Cette ville tranquille, qui vous fait
comprendre ce qu’est « la douceur
angevine » chère à du Bellay (il est vrai
qu’il l’opposait à « l’air marin »)
est, en outre, étonnamment
propre. Et là encore, Marseille est
loin du podium, tout comme Paris d’ailleurs
Mais, bien sûr, on ne peut pas gagner tout le temps. Ainsi, dans
un bistro, je m’assieds et demande ce qu’ils
ont comme pastis. La réponse aurait surpris un
Aixois ou un Marseillais : « du
pastis normal et du Ricard ». Du pastis
normal, qu’es aquo ? D’un
certain point de vue, le crapaud avait raison.

18 août 2017 : "Développement
durable de lapin"

Dans les années 1970 et 1980 j’ai été à la fois enseignant à la
Sorbonne et journaliste. C’est à cette époque
que j’ai découvert le boulet que pouvez être
le courrier des lecteurs. Que fait-on d’une
lettre que vous envoie quelqu’un qui vous a lu
et vous fait savoir qu’il est en total
désaccord avec ce que vous avez écrit, ou
qu’au contraire il approuve, ou encore qu’il
en sait plus que vous sur le sujet et veut
vous éclairer de ses lumières ? On la
jette ? On y répond ? On la
publie ? Peu à peu, je me suis interrogé
sur le profil psychologique des auteurs de ces
lettres de lecteurs, me demandant s’ils
voulaient que leur nom apparaisse dans les
colonnes de leur journal, pensant ainsi être
reconnus, avoir un petit moment de
célébrité... Et puis le courrier des lecteurs
a pratiquement disparu des organes de presse.
Mais il a été remplacé de deux façons
différence, l’une invisible et l’autre
audible.
La première, que personne ne voit (sauf, bien sûr, les
destinataires) passe par Internet. Les
journalistes de presse écrite et
audio-visuelle reçoivent des dizaines de mails
auxquels ils répondent ou pas et qu’ils
utilisent parfois dans leur travail. Là aussi,
les egos s’expriment : il ne s’agit plus
de voir sa prose publiée mais de se croire
entendu, écouté. Je connais ainsi une personne
qui envoie régulièrement à la station de radio
France
Inter des mails de protestation contre
telle ou telle émission, tel ou tel
journaliste ou chroniqueur. Cette personne,
politiquement engagée, syndicaliste, m’a un
jour fièrement annoncée qu’elle avait exprimé
dans un mail à cette radio sa détestation du
chroniqueur culinaire
Jean-Pierre Coffe et avait réclamé
qu’on le vire. Etrangement, elle n’a guère
apprécié que je compare cette activité
épistolaire à de la délation, et que le rôle
d’un syndicaliste n’était peut-être pas de
faire virer les gens mais plutôt de défendre
l’emploi...
Les tweets sont aujourd’hui une autre
façon de chercher à se faire connaître,
entendre et peut-être citer, bouleversant les
frontières entre différents modes
d’expression. Ils sont écrits mais certains
sont cités à la radio ou la télévision, ils ne
passent pas seulement d’un émetteur à un
récepteur mais ont un aspect réticulaire, et
nous n’en finirions pas d’étudier ces réseaux
qui sont aujourd’hui la variante moderne du
« se faire connaître ».
L’autre façon, audible celle-là, de chercher à se
se faire connaître a été créée par
les radios elles-mêmes. Il s’agit de toute ces
émissions dans lesquelles les auditeurs
peuvent téléphoner, poser une question ou
donner leur avis. Elles pullulent et toutes
utilisent le même système de filtrage :
un standard téléphonique où l’on demande aux
gens de quoi ils veulent parler, ce qu’ils
veulent dire, et où l’on décide de les passer
ou non à l’antenne. Le système a immédiatement
produit son piratage : il suffit de
mentir au standard et, une fois à l’antenne,
de dire toute autre chose que ce qu’on a
annoncé. J’ai il y a quelques jours entendu
une variante intéressante de ces intrusions,
qui est à l’origine de ce billet. Sur France
Inter, quelques minutes avant la fin de
l’émission, une voix se présente : un
homme déclarant travailler à la montagne, dans
l’agriculture, et voir ainsi les choses de
haut, ou quelque chose du même genre.
Immédiatement cette voix me frappe.
Le ton de ce type, sa diction, montrent qu’il
est fier de lui, qu’il s’écoute parler, et je
me dis qu’il ne veut pas poser de question, il
veut parler. A un moment, il semble jouer le
jeu, déclare qu’il veut parler du
« développement durable de lapin »,
rit tout seul, répète « développement
durable de lapin », précise que c’est un
jeu de mots, et poursuit une sorte de diarrhée
verbale que le journaliste n’arrive pas à
endiguer. D’ailleurs l’heure a tourné et l’on
passe au journal. Première conclusion,
l’auditeur n’a posé aucune question. Seconde
conclusion : il ne voulait pas poser de
question, il voulait se faire entendre. Et je
l’imagine ayant enregistré ce bref passage à
l’antenne pour le faire ensuite écouter à ses
amis, ses enfants, plus tard ses petits
enfants, fier de son « développement
durable de lapin ». Mieux encore,
j’imagine qu’à tout hasard il a prévenu ses
amis : « Ecoutez la radio, entre
huit et neuf, vous allez peut-être m’entendre.
On passerait ainsi du
vouloir « se faire connaître » au
vouloir « se faire reconnaître »,
faire entendre et reconnaître sa voix par des
gens qui, bien sûr, la connaissent déjà,
condition nécessaire pour qu’il la
reconnaissent. Combien de millions de gens
rêvent-ils ainsi de sortir de leur anonymat,
juste une minute au deux, serait-ce au prix
d’une stupidité du genre « développement
durable de lapin » ?
Nous vivons une
époque moderne.

12 août 2017 : Idéologies
centrifuges

Selon l’OPEP, le Venezuela est le pays qui a le plus de
« réserves conventionnelles » de
pétrole, devant l’Arabie saoudite et l’Iran,
selon la CIA, il serait le deuxième, après
l’Arabie saoudite, du point de vue des
« réserves prouvées ». Dans les deux
cas, il aurait entre 20 et 30% des réserves
mondiales, ce qui le place sur un sacré
matelas de dollars. Pourtant, il suffit de
lire la presse pour voir que la situation y
est catastrophique. Laissons de côté (la
presse en fait ses choux blancs) la crise
politique et la violence qui déchire le pays.
Depuis la mort de Chavez (2013), l’inflation
est passé d’un peu plus de 30% à 720% par an.
Une économie exclusivement fondée sur le
pétrole (95% des exportations) a subi le choc
de la baisse des cours, la croissance est
négative, le manque de médicaments cruel, et
la pénurie alimentaire endémique. En revanche
les effectifs de l’armée ont été doublés...
Bref le pouvoir en place a mis le Venezuela
dans une situation dramatique et réagit aux
protestations diverses avec la plus grande
violence.
Libération consacre aujourd’hui six pages à ce pays, dont deux aux problèmes
d’une partie de l’extrême gauche, en
particulier la « France insoumise »,
face à ce qui s’y passe. Mélenchon, qui il y a
encore quelques mois proposait que la France
adhère à l’« Alliance bolivarienne »
(créée par Cuba et le Venezuela) se tait (il
est parti en vacances), laissant la parole aux
autres. Et on ne peut pas dire que leurs avis
soient très clairs. Ils sont d’accord sur un
point, qui relève de la langue de bois la plus
dure : « nous sommes soumis à une
désinformations et ce sont les USA qui tirent
les ficelles ». Argument facile et
attendu, pas nécessairement faux, mais qui
n’enlève rien à la réalité des faits. L’ennui,
c’est qu’ensuite leurs arguments sont d’une
attristante pauvreté. Eric Coquerel ne veut
pas « renier un régime de gauche en
disant qu’il a sombré dans la
dictature », Clémentine Autain explique
qu’on « attend de nous une dégitimation
totale de Maduro, de Chavez, et derrière cela,
de toutes les expériences sociale en Amérique
du Sud »,
bref ils ont le plus grand mal à
prendre leurs distances, à analyser la
situation, se cachent les yeux et récitent
leurs éléments de langage.
Mais j’ai le sentiment que ces casseroles vénézuéliennes
accrochées aux basque de Mélenchon ne sont que
des détails. Plus important me paraît le fait
que l’extrême gauche française patauge depuis
des dizaines d’années dans une idéologie
centrifuge qui, plutôt que d’analyser la
situation du pays et de proposer une politique
en réponse, cherche ses modèles ailleurs. On
se souvient du « bilan globalement
positif » de l’URSS selon Georges
Marchais, des étudiants marxistes-léninistes
faisant l’apologie de la Chine, et du
socialisme tropical de Cuba qui faisait rêver
certains d’entre nous. C’est dans le droit fil
de cette idéologie centrifuge que s’est situé
Mélenchon, se réclamant successivement de la
Grèce de
Syrisa, de l’Espagne de Podemos puis du
Venezuela de Chavez. De ce point de vue, il
faisait à la fois preuve de suivisme et d’une
absence totale de créativité. Il ne parlait
pas vraiment à ses partisans enfiévrés de la
France, mais de modèles qu’il voulait importer
d’ailleurs : pas de théorie ou de
solutions endogènes mais le regard tourné vers
d’autres horizons qui, pour ceux que je viens
de nommer, se sont révélés décevants pour les
deux premiers et meurtrier pour le troisième.
Dès lors, prendre ses distance avec le
Venezuela, le critiquer ou le condamner, ce
serait renier des années de discours,
reconnaître qu’on a eu tort. Mais voilà,
Mélenchon ne peut pas avoir eu tort.
Dès lors, face à Maduro qui, au Venezuela, a choisi la fuite en
avant policière, Mélenchon choisit
l’aveuglement volontaire. Et la "France
insoumise" se soumet.

4 août 2017 : Corbettes
et fatiha

Le 31
août débutera l’Aïd el kebir (grande fête),
fête du mouton ou fête du sacrifice.
Et on annonce qu’un million 200.000 moutons
seront sacrifiés. « Pauvres bêtes »
fait dire Lotfi, le dessinateur du quotidien
tunisien La
Presse, à son personnage. Le lendemain
le même personnage réagira à l’annonce du
transfert de Neymar au PSG (300 millions
d’euros disait-on) ainsi : « De quoi
payer tous nos fonctionnaires pendant deux
mois ». La Tunisie, rit, se moque. Mais
on vient d’y voter une loi punissant les
violences faites aux femmes, on y enquête sur
les réseaux ayant servi à envoyer des jeunes
Tunisiens en Syrie et, là encore, on rit. Un
exemple, que me raconte un étudiant. Deux
tunisiens arrivent dans un camp de DAECH.
« Comment t’appelles-tu » demande un
responsable au premier. « Je m’appelle
Youssouf ». « Tu peux me réciter la
sourate de Youssouf ? ». L’homme
déclare ne pas la connaître, et on le décapite
aussitôt. « Et toi, comment
t’appelles-tu ? » demande le
responsable au second . « Je
m’appelle Fatiha ». Explication : la
sourate de Youssouf est longue de 12 verset,
tandis que la fatiha
(« l’ouverture »), première sourate
du Qoran, que tous les musulmans connaissent
(c’est d’ailleurs souvent la seule qu’ils
connaissent) n’en a qu’un. Le même étudiant me
dit qu’on a inventé un mot, corbettes,
pour désigner les femmes en niqab. Ces
niqabées que l'on voit de plus en plus se
baigner dans leur armure. Corbette, un beau
néologisme puisque corbeau n'a pas, à ma
connaissance, de féminin en français. Sait-il
qu’en France, il y a un siècle, on imitait le
coassement des corbeaux au passage
d’ecclésiastiques ou de nonnes ? Rien de
nouveau sous le soleil...
Bref, je
viens de passer huit ou neuf jours dans mon
pays natal, dont une grande partie chez des
amis, dans une villa au bord de la mer, isolée
au bout d’une piste de deux kilomètres (je ne
vous dirai pas l’endroit, il faut le
préserver). Soleil, mer, et divers plats qui
me sont autant de madeleines de Proust. Des
vacances, donc, comme souvent lorsque je
reviens au pays, mais aussi des petites scènes
sur lesquelles je m’amuse à faire de la
sociologie de l’ordinaire. Ainsi, au marché de
Bizerte, je choisis des fruits, hésite, le
vieux marchand me laisse faire et soudain son
fils s’adresse à moi en anglais pour me vanter
ses produits. Je lui réponds en arabe :
pourquoi me parles-tu anglais ? Il
s’excuse, je lui explique, toujours en arabe,
que je suis né ici. Il me demande si je suis
italien. Je lui réponds non, je suis français.
Tu es né en 1956 ? Je lui réponds non, en
42, et le temps qu’il calcule mentalement mon
âge je me demande : pourquoi 56 ? Et
je comprends, ou crois comprendre : 1956
est la date de l’indépendance de la Tunisie et
pour lui, ou dans le roman national dont il
est l’héritier, les Français ne pouvaient pas
parler arabe, ils s’en foutaient comme de l’an
quarante. Pour qu’un Français parle arabe, il
fallait donc qu’il soit né après
l’indépendance...
Tout
cela, je sais, n’a guère d’importance, et ce
que je raconte est bien léger. Mais l’émotion
n’a pas nécessairement besoin de grands mots
pour s’exprimer. Tenez, un dernier exemple.
Au départ de Tunis, l’avion dans lequel
je suis prend un cap inhabituel et je me rends
soudain compte qu’il survole Bizerte, cette
ville dans laquelle je suis né, où j’ai vécu
dix-huit ans et où je retourne très
régulièrement. Le temps est très clair, je
vois nettement le brise-lames, les deux
jetées, la rue dans laquelle j’habitais, la
corniche, le coin où je viens de passer
quelques jours, le canal et, à son extrémité,
le lac de Bizerte dont je connais l’existence
depuis plus de 70 ans, dont j’ai parfois longé
les rives, mais dont je n’avais jamais
vraiment compris la superficie, la géographie.
C’est la première fois que je le vois du ciel,
que je perçois son immensité... La conscience
géographique n’est pas la même lorsqu’on est
en avion ou lorsqu’on a les pieds sur terre.
Allez, la
prochaine fois, j’essaierai de vous parler de
choses plus sérieuses

17 juillet 2017 : Tout
fout le camp

Il y a à
à Marseille, en pleine ville, une sorte de
petit port très méditerranéen (on pourrait
tout aussi bien se croire en Crète ou en
Sicile), situé sous la corniche Kennedy, avec
un quartier de petites rues étroites, des
cabanons de pêcheurs et, bien sûr, des bateaux
de pêche, des « pointus ». Cela
s’appelle le vallon
des
Auffes, ce mot venant de la forme
provençale de l’alfa, plante à partir de laquelle on fabrique des filets de pêche et
des cordages. On y trouve aussi quelques
restaurants. L’un d’eux, L’Epuisette,
est hors concourt, s’apparentant à un
gastronomique. Le deuxième, Fonfon, est également réputé, en particulier pour la bouillabaisse.
Et le troisième, Chez
Jeannot, fait surtout des pizzas et des
fruits de mer. Mais tout ce paragraphe aurait
pu, devrait plutôt être écrit à
l’imparfait : il y avait... on y trouvait...
Je n’y
étais pas allé depuis trois ou quatre ans et
j’ai découvert cette semaine un sacré
changement. J’avais réservé une table Chez
Jeannot, pensant y manger des fruits de
mer variés. Première surprise, les locaux sont
rénovés, nappes blanches, genre plus stylé.
Deuxième surprise, il n’y a pratiquement plus
de fruits de mer : pizzas et viandes. Et,
après enquête, troisième surprise :
Jeannot n’est plus chez Jeannot. En fait, le
restaurant qui était le plus populaire (au
sens économique et social) du vallon a été
racheté, après la mort de Fonfon, par l’un de
ses héritiers, qui a aussi ouvert une sorte de
bar à tapas, Viaghji
di
Fonfon, et en même temps offre quelques
chambres ou studios à louer. Ajoutons à cela
que les pointus des pêcheurs sont en train de
devenir minoritaires, le petit port étant
envahi par les hors-bords des bobos.
Bref, L’Epuisette
mise à part, la plus grande partie du
vallon des Auffes, deux restaus, un bar, un
peu d’hôtellerie, est devenue une seule
entreprise. Cela s’appelle de la
concentration, de l’invasion capitaliste, ou
la qatarisation d’un
quartier populaire. Jean-Claude Izzo n’y
retrouverait pas son Marseille. Tout fout le
camp.

12 juillet 2017 : Exotisme

A
force de parcourir le monde, de la Chine au
Maghreb, du Brésil au Congo, du Sénégal au
Qatar, les différences s’émoussent un peu,
l’étonnement s’estompe. Disons de façon un peu
bête que l’idée d’exotisme perd de son
sens : on se sent partout chez soi, sans
surprise... Et puis, parfois, on se dit que
l’exotisme se trouve tout près, de l’autre
côté de la porte ou du boulevard, en face. Et
je viens d’avoir cette impression en passant
quatre jours en Allemagne. Dans une Allemagne
un peu spéciale, à vrai dire, à Frankfort sur
Oder, à la frontière avec la Pologne. Un
simple pont sépare l’Allemagne de la ville
polonaise de Slubice, un pont que les
Allemands traversent souvent, pour aller faire
le plein d’essence, acheter de l’alcool ou des
cigarettes. Ici, dans les magasins, les
restaurants, tout le monde parle allemand,
anglais aussi, commerce oblige. En revanche,
côté allemand, on ne parle guère
polonais : rapport de force.
Pendant
ces
quatre jours j’ai fait une petite escapade à
Potsdam, pour visiter le parc et le château du
Sans-Souci. En déambulant, je tombe sur une
rue Friedrich Engels. Tiens ! C’est vrai
qu’ici comme à Frankfurt/Oder, nous sommes
dans l’ex DDR. Et à Frankfurt il y a une
avenue Karl Marx, coupée par une rue Rosa
Luxemburg. Rien n’a été débaptisé. Il est vrai
que la municipalité est tenue par Die Linke.
Et on a l’impression que Frankfurt ou Potsdam
sont à Berlin ou Bonn ce qu’en France
les municipalités communistes, avec
leurs avenues Maurice Thorez, sont à Paris.
A
l’intersection entre l’avenue Marx et la rue
Luxembourg donc, en regardant vers le pont
qui, à 400 mètres, mène en Pologne, on voit un
M rouge, géant, le symbole d’une célèbre
marque américaine de néfaste food. Et le tout
constitue comme une forêt de signes. Bref,
même si l’impérialisme alimentaire US domine,
la DDR n’est s’est pas entièrement diluée dans
le libéralisme. Une différence,
peut-être : les gens peuvent enfin penser
librement. Une autre encore : à
Frankfurt, il y a beaucoup d’immeubles en
ruine qu’on n’a pas reconstruit, ce qui n’est
pas le cas à Berlin. Et une dernière
différence : l’allemand qu’on y parle
n’est pas vraiment le même que dans l’ex
Allemagne de l’Ouest. Mais je connais trop mal
cette langue pour en parler.
Le dernier jour, je prends le train pour rejoindre l’aéroport de
Berlin. A
la gare de
Frankfurt sur Oder on trouve tous les
journaux allemands, un quotidien turc (Hurriyet),
Le Monde
diplomatique et l’édition allemande de
Charlie
Hebdo. Mais, même en cherchant bien, je
n’ai vu aucun journal polonais. J’achète donc
le Monde diplo que je
lirai dans l’avion, et je tombe sur un article
très documenté, « la langue sans nom des
Balkans ». Je connais cette situation
depuis longtemps, une langue qui avait deux
noms, serbo-croate ou croato-serbe, deux
alphabets, le latin ou le cyrillique, et des
variantes que quelques mots différenciant.
Disons que l’ex-Yougoslavie disposait d’une
langue commune, que l’éclatement du pays a
fait éclater. Aujourd’hui chacun veut avoir sa
langue, le serbe, le croate, le bosniaque...
Tout le monde se comprend mais chacun veut
insister sur les différences. Bon, je ne vais
pas vous faire un cours sur les langues
polycentriques ou sur les rapports entre
langue et nationalisme, mais ce qui est
intéressant dans l’article en question, c’est
la référence à une déclaration récente
d’intellectuels réclamant que l’on revienne à
la langue commune qui, disent-ils, n’a plus de
nom. Ainsi le linguiste serbe Ranko Bugarski
dit-il « chez
nous ce sont les variantes qui portent un
nom tandis que l’entité globale, qui n’a
plus de statut, a perdu son nom officiel ».
Et, bien sûr, des Croates protestent dans ce
qu’ils voient comme une « agression contre la langue croate qui prépare une autre agression »
(ça,
c’est l’archevêque de Zagreb, Josip Bozanic).
Et,
d’un coup, nous revenons vers une situation
dont on voit partout l’équivalent. Qu’il
s’agisse de l’ourdou et de l’hindi, du
provençal, du gascon ou du languedocien face à
la volonté de tout appeler occitan, etc.
Décidément,
l’exotisme
se fait rare.

1er juillet 2017 : A
l'école, Le Maire !

En
octobre 2016, Macron déclarait à
l’hebdomadaire Challenges qu’il serait un président « jupitérien »,
voulant bien sûr s’opposer au « président
normal » qu’avait voulu être Hollande. En
gros, Hollande aurait désacralisé la fonction,
Macron voulait la re-sacraliser. Depuis lors,
la formule a fait florès, tout le monde
l’utilise. Mais certains pourrait s’en
abstenir.
Ainsi,
jeudi dernier, à New York, le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, a fait une étrange
déclaration, en anglais. La voici, que je
transcris à partir d’une vidéo :
« Emmanuel
Macro is Jupier. I’m Hermes, the Messenger.
The messenger who conveys the message, A
very clear, a very simple message :
France is back »
Donc,
selon Le Maire, le président n’est pas
seulement, « jupitérien », il est
Jupiter, le dieu qui, dans la mythologie
latine romaine, gouvernait la terre et le
ciel. Ciel ! (c’est le cas de le
dire). Nous avons un dieu pour
président ! Et Le Maire est Hermès, son
messager. On hésite à qualifier notre
ministre. Lèche-cul ou prétentieux ?
Lèche-cul parce qu’il déifie Macron ou
prétentieux parce qu’il se déifie
lui-même ?
L’ennui
c’est que Le Maire fait dans l’approximation.
En effet, si Jupiter est un dieu romain, alors
son messager n’est pas Hermès mais Mercure. Et
il n’est pas indifférent
de noter que ce nom vient d’une racine latine
qui signifie « commerce »,
« salaire » . Ainsi Le Maire ne
serait pas seulement lèche-cul et prétentieux,
il serait en outre mercanti. Et il semble
aussi avoir oublié l’étymologie de ministre :
minister, dérivé de minus,
s’oppose à magister
comme serviteur
à maître. A l’école, Le
Maire !

28 juin 2017 : Prix

Le mot prix
a la particularité de s’écrire de la même
façon au singulier et au pluriel, ce qui donne
à mon titre un aspect ambivalent qui m’arrange
bien : je voudrais en effet vous parler
d’un prix et de plusieurs. Le prix (au
singulier), c’est celui que l’Académie
française vient de m’attribuer, le prix
Georges Dumézil (il s’agit d’une médaille
d’argent), pour mon livre La
Méditerranée,
mer de nos langues. Je suis, bien sûr,
plutôt content, d’autant plus que c’est le
second prix que cet ouvrage me rapporte.
En fait,
l’Académie française a annoncé le même jour
soixante-trois prix (au pluriel, donc), ce qui
relativise l’importance du mien : un
parmi soixante-deux autres. Et,
parmi ces soixante-deux autres prix, il en est
certains dont je suis content d’être le
voisin. Le grand prix de la francophonie donné
à l’écrivain guinéen Tierno Monénembo, la
médaille de la francophonie au Libanais
François Boustani et surtout celle de la
chanson française à Gérard Manset. Vous
connaissez Manset ? Je l’ai entendu pour
la première fois en 1968.Grâce à une grève de
la radio, sa première chanson, Animal
on est mal, avait pris possession des
ondes: un choc!. Puis ce fut Il voyage en solitaire, Solitude des latitudes, Marin bar et
beaucoup d’autres. Manset a la particularité
de ne s’être jamais produit sur scène, ce qui
lui serait d’ailleurs difficile puisqu’en
studio c’est lui qui joue de tous les
instruments. Autre particularité : on ne
connaît pratiquement aucune photo de lui.
J’avais un jour suggéré à mon ami Daniel
Colling, le fondateur des Zéniths, d’intriguer
pour le faire monter sur ses scènes. Mais il
s’agissait sans doute d’une mission
impossible. Alors, si jamais il venait à
l’Académie retirer son prix, je serais content
de le voir enfin, de pouvoir lui parler. Il a
le temps de se préparer, cela aura lieu le 30
novembre. Mais, là encore, il s’agit peut-être
d’un souhait impossible.

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