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Décembre 2016 |
31 Décembre 2016 : Bonne
année ?
L’année qui s’achève aura été pleine de surprises.
Qui pensait il y a un
an que le 23 juin 2016
la Grande-Bretagne
allaNicolas Sarkozy était donc, hier soir, le premier invité de la nouvelle émission politique de France 2. Et ce qu’il a raconté avait de quoi surprendre. Lui qui, lorsqu’il était président, voulait faire inscrire dans la Constitution l’interdiction de tout déficit budgétaire, défend aujourd’hui un programme économique qui ferait augmenter le déficit et déclare que ce n’est pas un problème. Lui qui, lorsqu’il était président, avait lancé le Grenelle de l’environnement déclare aujourd’hui que l’homme n’est pas responsable du réchauffement climatique. Lui qui, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, avait signé en 2003 les accords du Touquet déclare aujourd’hui que « nous ne sommes pas les gardes barrières de l’Angleterre », qu’il faut laisser partir les migrants qui veulent s’y rendre. Lui qui, récemment, affirmait qu’il voulait supprimer la loi sur le mariage pour tous, dit aujourd’hui le contraire Bref, Sarkozy a « changé », mais pas au sens où il voudrait nous le faire croire. Disons qu’il a tout d’une girouette, mais cela pose en même temps le problème de la valeur des mots et des phrases, sur lequel je reviendrai plus bas. Continuons. Sur sa responsabilité dans la situation actuelle de la Libye, il dégage en touche. A toutes les questions précises de Léa Salamé, parfois répétées plusieurs fois, sur l’affaire Bygmalion par exemple, il esquive, répond à côté. François Lenglet lui cite une circulaire. « C’est nul ! » dit Sarkozy. Lenglet lui rappelle que cette circulaire date de février 2012, lorsqu’il était président donc, il esquive et passe à autre chose. Bref, il a tout d’une anguille. Alors, Sarkozy : Anguille ou girouette ? Anguille et girouette ? Les deux, sans doute, mais je crois qu’il est en même temps un faux-monnayeur, et qu’il n’est pas le seul. Je m’explique. Les discours politiques ou idéologiques ont toutes les apparences de la monnaie : de la même façon que la valeur faciale d’une pièce par exemple est totalement déconnectée de la valeur du métal qui la compose, qu’elle ne repose que sur la confiance (on parle d’ailleurs de monnaie fiduciaire), on peut avoir ou pas confiance en ce que disent ces discours. Mais si l’on peut prévenir la fraude pour la monnaie, par inclusion d’hologrammes ou de fils de sécurité dans les billets par exemple, il est plus difficile de prévenir la fraude sémantique. Il faudrait vérifier à chaque mot, chaque phrase, la « valeur » de ce qui est dit. Or l’expérience nous montre que ces discours sont souvent de la fausse monnaie, ou de la monnaie de singe, en ce sens qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être, qu’ils n’annoncent pas ce qui sera fait ou ce qui arrivera, mais parfois le contraire. De la même façon que le mot chien ne mord pas, on ne peut pas payer avec le mot argent. En revanche on peut acheter des voix avec la fausse monnaie du discours, être élu et changer ensuite de discours. Ce qui nous ramène aux politiques en général, faux-monnayeurs donc, et à Sarkozy en particulier. Bien sûr, je m’amuse un peu, mais poursuivons tout de même. Une chose est de payer avec de la fausse monnaie, une autre est de la fabriquer. Nous entendons des militants de tous bords répétant des formules ou des slogans qui souvent sont des contre-vérités. Mais s’ils diffusent ainsi de la fausse monnaie, ils ne la fabriquent pas, ils utilisent celle que leur leader ou leurs dirigeants ou leurs chargés de communication mettent en circulation. Pour finir en m’amusant un peu plus : J’entends dire qu’Usain Bolt est le plus rapide sur cent mètres : fausse monnaie ? A priori non, puisque cette phrase donne le résultat d’un chronométrage. Mais si j’entends dire qu’Allah est le plus grand, je sais que cette autre phrase ne donne pas le résultat d’un passage sous une toise. Vous avez une heure pour commenter cette dernière phrase. it voter pour le
retrait de la
communauté
européenne ? Qui pensait
qu’en août la
présidente du Brésil,
Dilma Rousseff, serait
destituée par un coup
d’état
parlementaire ?
Qu’en octobre 2016
Cécile Duflot serait
éjectée dès le premier
tour des Verts ?
Que Sarkozy puis Juppé
seraient battus à la
primaire de la
droite ? Qu’en
novembre un
milliardaire au prénom
de héros de bande
dessinée, Donald
Trump, serait élu
président des
Etats-Unis ? Que
François Hollande ne
se représenterait pas
à l’élection
présidentielle
française ? Tout
cela est passé au
travers des mailles
des filets des
instituts de sondage
et des analystes
politiques. Ces
instituts et ces
analystes qui sont un
peu silencieux ces
temps-ci, alors que
depuis plus d’un an
ils annoncent Le Pen
au second tour. Quel
sera l’avenir de
Fillon ? Macron
sera-t-il une bulle de
savon ? Qui
remportera la primaire
de la gauche ?
Les micro-partis
trotskystes
obtiendront-ils les
signatures nécessaires
à la candidature de
leur
micro-candidats ?
Bref, les questions ne
manquent pas, et j’ai
l’impression que les
prévisionnistes ne se
bousculeront pas dans
les semaines qui
viennent. Pour
l’instant, ils se
contentent d’annoncer
ce que dira, sans
doute, sûrement ou
peut-être, François
Hollande ce soir dans
son allocution
télévisée... Alors, que nous réserve cette année 2017 ?
Bonne question, je
vous remercie de
l’avoir posée. Pour
l’instant, je ne peux
que vous souhaiter une
bonne année. Sans
beaucoup de
certitudes...
24 Décembre 2016: Fais-moi
entendre comment
tu parles...
Anis Amri, suspecté d’avoir commis le massacre de
Berlin, avait déposé
plusieurs demandes
d’asile en Allemagne,
sous des noms
différents et des
nationalités ou des
qualités différentes,
se présentant
successivement comme
libanais, comme
égyptien, comme
chrétien d’Orient,
etc. Bref, il tentait
de mettre toutes les
chances de son côté.
Il avait chaque fois
été débouté, pour des
raisons que j’ignore,
sauf l’une d’entre
elles, diffusée dans
la presse, qui me
paraît intéressante.
Prétendant être
égyptien, Amri est
interrogé sur son
« pays
d’origine » et
montre qu’il n’en
connaît rien. En
outre, l’interprète
explique à la police
qu’il ne parle pas
l’arabe égyptien...
Bien sûr, il était
tunisien. Or il y a, à
propos de la langue
arabe (ou des langues
arabes) un débat
récurrent. Certains
veulent voir dans
l’unité linguistique
arabe le ciment d’une
union, du nationalisme
panarabe, d’autres
insistent au contraire
sur les
différences : on
ne parle pas
« arabe »,
on parle libanais,
égyptien, algérien,
etc. L’anecdote
d’Amri, trahi par sa
façon de parler arabe,
militerait en ce sens,
et du même coup nous
mènerait à une
conclusion toute
pragmatique: fais-moi
entendre comment tu
parles et je saurais
qui tu es.
Mais, de façon plus large, il semblerait que
certains clandestins,
pour ne pas être
renvoyés dans leur
pays d’origine,
jettent ou cachent
leur passeport et ne
répondent pas aux
questions concernant
leur origine. Il y a
là une oblitération
cruelle de son
identité, aussi
cruelle que le fait de
quitter sa famille et
son pays. On peut bien
sûr voir cela de façon
positive en
considérant qu’il y a
derrière cette
oblitération la
volonté de s’assimiler
à un nouveau pays, de
balayer le passé. J’y
vois pour ma part la
dure loi de ce monde,
dans lequel il y a des
origines nobles (les
migrants anglais ou
hollandais ne cachent
pas leurs origines aux
autorités françaises)
et des origines
roturières, impures,
inacceptables.
Fais-moi entendre
comment tu parles et
je saurais si tu es
digne de passer la
porte.
13 Décembre 2016 : Vacances
romaines
Non, je ne vais pas vous faire un cours d’histoire du cinéma, Audrey Hepburn, Gregory Peck, la vespa... Simplement, je viens de passer trois jours de vacances dans la capitale italienne, et je voudrais vous faire partager quelques impressions. L’histoire, bien sûr, est ici présente partout, parfois de façon impressionnante. Ainsi, tout près du Colisée, il y a une église, la Basilique de San Clemente, construite au 12ème siècle. Par un long escalier on descend qu’une quinzaine de mètres pour se trouver sous la basilique, dans une autre église construite au 4ème. On descend plus profond encore pour atteindre un troisième niveau, du 1er siècle celui-ci, un temple de Mitra, des maisons de l’époque, des boutiques ou du moins ce qu’il en reste. Comme des couches géologiques nous avons donc trois strates d’une ville, les unes construites sur les autres. Et, cerise sur le gâteau, du moins pour un linguiste, la tombe présumée de Cyrille, le créateur de l’alphabet paléoslave. Dans le cloitre, il y a même une plaque de marbre gravée dans cette écriture. Si vous passez par là...
Autre surprise, le nuovo mercato esquilino, près de la gare Termini. La quintessence de
la diversité de la
ville. Dans les rues
de Rome, beaucoup de
Sénégalais vendent de
fausses montres Rolex,
et divers colifichets,
et des Pakistanais
vendent des écharpes.
Sur le marché, nous
sommes entre
l’Amérique du Sud (on
trouve par exemple des
racines de yucca) et
l’Inde (l’écriture
dominante est le
devanagari du hindi).
Bref, il y a du
travail pour un
spécialiste de la
sociolinguistique
urbaine.
Et puis, lundi, dans la Repubblica, un quotidien de gauche, deux pleines pages sur le Front National. On y lit que, selon Marine Le Pen, la rose bleue choisie comme nouveau symbole de son parti signifie, dans le langage des fleurs, « rendre possible l’impossible ». Et le titre d’appel, en première page, est explicite (je ne le traduis pas) : Nel quartier generale della Le Pen : “L’Eliseo non è impossibile ». Qu’on se le dise! Deux pleines pages sur le Front Nationale ! Vous avez vu dans la presse française deux pages sur Renzi ou sur le référendum ? Et ce n’est pas fini : le journal annonce la suite, un article par jour jusqu’à vendredi. Cela fera donc dix pages sur le FN dans un quotidien italien de gauche. Ca vous donne froid dans les dos !
Pour finir de façon plus drôle, je cherchais un soir, en vain, une toute petite rue dans laquelle on m’avait signalé un excellent restaurant populaire et m’adresse, en italien, à deux passants un peu avinés. Ils me répondent qu’ils ne la connaissent pas mais l’un d’eux me dit qu’il va chercher, sort son IPhone et commence à tapoter. Puis, en anglais, il demande à son compagnon de lui prêter ses lunettes, je passe aussi à l’anglais, il continue de tapoter, s’énerve et lance Fucking IPhone, se rend compte que pour un Anglais, même aviné, il vient de prononcer une grossièreté et me dit : Excuse my French ! Cette vieille expression, parfois sous la forme de Pardon my French, nous prête donc un langage peu châtié. Je lui répond en riant I’m french, il a l’air un peu gêné et ne trouvera d’ailleurs pas ma rue. Putain d’IPhone, effectivement... Euh, Excuse my french !
6 Décembre 2016 : Raus, fuera,
dehors, fuori,
out...
C’est au milieu de l’année 2015 que fut évoquée en
Europe la possibilité
d’une sortie de la
Grèce, qui fut
aussitôt baptisée à
l’aide d’un mot-valise
anglais : Greece
+ exit = Grexit.
Mais le mot exit (en anglais
« sortie »)
est, comme souvent,
issu du latin. Il
s’agit en fait d’une
troisième personne du
singulier (exit,
« il sort »)
qui, avec la forme
pluriel (exeunt,
« ils
sortent ») sont
encore utilisées au
théâtre, dans les
didascalies, pour
indiquer les
mouvements des
personnage. L’ancien
français avait
d’ailleurs le verbe issir,
« sortir »,
mais c’est avec le Grexit que cet exit connut un subit
succès international.
Avec le référendum
britannique de 2016
apparut le Brexit,
puis l’Öxit lorsque l’élection présidentielle autrichienne laissa penser
que l’extrême droite
pourrait l’emporter.
Un autre référendum,
en Italie celui-ci,
donna naissance à
plusieurs formes, Italexit, Itaxit, voire Renzit,
puisque le non devait
être suivi du départ
de Renzi. Bref une
forme latine, adoptée
par l’anglais, devint
subitement à la mode.
Nous aurions
d’ailleurs pu avoir en
France Sarkozexit, Hollandexit, Juppexit et,
on peut toujours
rêver, nous pourrions
avoir en mai prochain
deux nouveaux
« exits », Fillonexit et Le Penexit.
Pourtant nous disposons de formes plus modernes et également radicales : Raus en allemand, fuera en espagnol, dehors en français, fuori en italien, out en anglais, etc..., mais non, c’est exit qui s’est imposé. Plus classique, plus classieux, plus chic ? Pas vraiment. Le paradoxe est ici que dans ce que j’appellerai le « savoir linguistique spontané », le mot exit est immédiatement perçu comme anglais. Ce n’est donc pas une forme latine qui a été adoptée, mais une forme anglaise masquant son origine. Et, quels que soient les évènements politiques qui se profilent derrière lui, le mot exit témoigne surtout d’une expansion linguistique face à laquelle certains aimeraient bien s’exclamer raus, fuera, dehors, fuori ou out !
2 Décembre
2016 : Courage et
lucidité
Nous vivons décidément des mois pleins de
surprises. Je n’en
ferai pas la liste
rétrospective, elle
risquerait d’être très
vite dépassée. La
dernière en date,
donc : François
Hollande ne sera pas
candidat à sa
succession.
J’espérais
depuis
longtemps qu’il ne se
représenterait pas, je
disais à mes amis,
sans toujours y
croire, qu’il ne le
ferait pas, qu’il
comprendrait qu’il
allait au massacre et
à celui de la gauche,
mais, comme tout le
monde, j’attendais.
Hier soir, en écoutant
son intervention, le
résumé de ses actions,
je changeais de
diagnostic à chaque
phrase :
Ira ? Ira
pas ? Il dressait
le bilan de ces quatre
ans et demi, donnant
l’impression d’être
décidé à tenter
l’aventure, puis
regrettait l’épisode
de la déchéance de
nationalité,
expliquait que les
résultats arrivaient
tard, et l’on avait
l’impression
contraire, bref il
aura ménagé le suspens
jusqu’au bout, à la
Hitchcock. Du grand
scénario. Et, au bout
du compte, on ne peut
que saluer sa décision
courageuse et sans
doute douloureuse.
Il me semble en effet qu’hier soir Hollande a fait un bilan plutôt honnête de son mandat, et il faut saluer sa lucidité. Lorsqu’il déclare « aujourd’hui, je suis conscient des risques que ferait courir une démarche, la mienne, qui ne rassemblerait pas largement autour d’elle », on peut bien sûr entendre la crainte d’être balayé à la primaire de la gauche, mais on peut aussi y voir le refus de diviser la gauche, qui l’est déjà suffisamment. Et, une fois encore, il faut saluer son courage et sa lucidité.
Maintenant, les cartes sont rebattues et les
chiens sont lâchés,
les aboyeurs de tous
bords vont entrer en
scène. Mais une
chose sera à
observer : ce que
fera Mélenchon.
Aujourd’hui,
l’hypothèque Hollande
levée, il est au pied
du mur. Il n’a pas
arrêté de dire qu’il
ne voulait pas
participer à la
primaire parce qu’il
ne voulait pas
soutenir Hollande au
cas où celui-ci
l’emporterait.
Aura-t-il le courage
de se confronter avec
les autres candidats,
qui le soutiendraient
s’il gagnait et, dans
l’hypothèse inverse,
de soutenir le
vainqueur ? Ou
restera-t-il campé sur
son ego, ce qui serait
bien sûr la meilleure
façon de faire gagner
la droite ou l’extrême
droite.
1er
Décembre
2016 : Il est revenu
le temps des lapsus
Les saisons reviennent cycliquement et avec elles des pratiques qui leur sont propres. Il y a la saison de la ratatouille (lorsque les tomates qu’on nous vend ne viennent pas de serres mais ont mûri en plein soleil), la saison des bains de mer (la plus longue possible), le temps des vendanges, celui de l’élection présidentielle, la saison des premières asperges, celles des vacances (pour ceux qui en prennent), la saison des champignons, le temps des cerises... Et bien sûr le temps du muguet que chantait naguère Francis Lemarque (il s’agissait en fait d’une chanson russe, « les nuit de Moscou », Подмосковные Вечера, qui est l’indicatif de Radio Moscou, et que l’auteur avait baptisé Ленинградскиe вечера, « les nuits de Léningrad », sa ville natale. A la demande du ministère soviétique de la culture, elle fut devint « les nuits de Moscou »... ).
Semblablement, y aurait-il une saisons des lapsus, en particulier des lapsus politiques ? J’y suis en effet assez sensible, je les collectionne, j’en étais un peu privé, ces derniers temps et, soudain, voici qu’ils reviennent en rafale. Jean-Christophe Cambadélis, par exemple, le patron du PS, déclare à la télévision, à propos de la fragmentation de la gauche : « Le seul moyen de la surmonter, c’est qu’il y ait un prière... « et, se reprenant, « une prière on va la faire, et une primaire massive ». Sur une radio, un proche de Hollande interrogé sur les intentions du président lance « il donnera sa démission à la mi décembre ». Démission/décision, prière/primaire », on voit bien les éléments de signifiant qui mènent à l’erreur, qui comme un aiguillage font passer d’un mot à l’autre, mais cette erreur a aussi des effets de sens. Cambadélis ne verrait-il que la prière pour sauver la gauche ? D’autres considéreraient que Hollande devrait démissionner ? Passons à la droite, à Eric Woerth, indéfectible soutien de Sarkozy. Interrogeant le premier ministre Valls à l’assemblée nationale il dit : « quelle est votre décision pour les cinq ans à venir », puis se corrige : « les cinq mois qui vous restent ?». Ici le poids du signifiant est moins décisif, mais l’on peut se demander s’il voit la gauche gagner l’élection présidentielle ? Ou s’il considère qu’en cas de cinq ans avec Fillon il serait dans l’opposition, ou que Valls serait au gouvernement ?
S’il les lapsus sont une manifestation de l’inconscient, et s’il y a des saison de lapsus politiques, cela voudrait-il dire que l’inconscient politique est cycliquement troublé, et que nous entrons dans un tel cycle ? Quoi qu’il en soit, il est revenu le temps des lapsus. Ou il semble bien l’être.
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Novembre 2016 |
28 Novembre 2016 : Surprise
Vous connaissez l’histoire de ce repas un peu chic dans lequel tous les convives ont devant eux une carton indiquant ce que l’on va manger, entrées, plat de résistance, fromages, dessert, ce que l’on va boire, apéritif, vins, champagne, et se terminant par cette mention : à la fin du repas il y aura des cigares et une surprise. Et, arrivé à la fin du repas, les convives fumeurs attendent en vain les cigares : la surprise, c’est qu’il n’y a pas de cigare. Hier soir, à l’inverse, il n’y avait pas de surprise. Les électeurs des perdants du premier tour se sont reportés comme leurs favoris le leur avaient demandé, les sarkozystes ont voté Fillon, les kosciusko-moriizéiste se sont reportés sur Juppé, et passez muscade. Soirée sans suspense et donc sans surprise. Mais non sans plaisirs.
Laurent Delahousse, sur le plateau de France info: , la nouvelle chaîne internationale français, traversait l’ « open space » à grands pas, recevant ici ou là des invités ou interrogeant sur un grand écran ceux qui n’avaient pas pu venir mais répondaient aux questions à distance. Vint alors une scène surréaliste. Sur le plateau, Daniel Cohn-Bendit, à distance et sur l’écran, Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier expose ses positions puis Cohn-Bendit l’interpelle : « Jean-Luc, si tu te présentes à la primaire tu peux la gagner..... » Mélenchon l’interrompt : « Monsieur Cohn-Bendit est-ce que vous pouvez m’appeler par mon nom et pas par mon prénom s’il vous plait... nous ne sommes pas amis, vous le savez». Cohn-Bendit lui répond du tac au tac « Va te faire voir ». Mélenchon reprend « Appelez-moi par mon nom s’il vous plaît ». Cohn-Bendit : « On s’est toujours tutoyés, s’il n’a pas envie qu’il aille tutoyer Castro et qu’il nous foute la paix.. ». Mélenchon : « Moi je vous avais rien demandé monsieur Cohn-Bendit, gardez votre calme ». Cohn-Bendit : « Je suis calme, Monsieur Jean Luc Mélenchon, vous vous prenez pour quelqu’un que vous n’êtes pas monsieur Mélenchon ». Fin de l’épisode, Cohn-Bendit tourne le dos et ne posera pas sa question.
Echange intéressant à différents égards. Nul ne doute que Mélenchon et Cohn-Bendit se tutoient. Le fait que Mélenchon veuille le nier relève de la psychanalyse. A-t-il pris la grosse tête ? Cherche-t-il à ne pas répondre à la question que commençait à lui poser Cohn-Bendit ? Se voit-il déjà président de la république et veut-il s’en donner la hauteur? Mais voyons, Jean-Luc, tu ne seras jamais président, vous ne serez que l’idiot utile qui fera gagner la droite ou l’extrême droite, Monsieur Jean-Luc Mélenchon.
Tiens,
à propos de prénoms.
Depuis que le
cinquième république
existe nous avons eu
un certain nombre de
présidents, un
Charles, un Georges,
un Valéry, un
François, un Jacques,
un Nicolas, et un
second François.
Peut-être devrais-je
d’ailleurs écrire un
deuxième. En effet,
théoriquement en
français second s’utilise lorsqu’il
n’y a que deux
éléments, le premier
et le second, et deuxième s’utilise lorsqu’il
y a plus de deux
éléments. Ecrire un second
François impliquerait donc que
Hollande serait le
dernier tandis
qu’écrire un deuxième
François impliquerait
qu’il
y en ait un troisième,
qui serait bien sûr
Fillon. En fait ce
serait pas mal,
beaucoup mieux que
Juppé. Je pense aux
manifestants qui vont
sans doute, lors de la
rentrée sociale, se
chercher des slogans.
Un slogan doit avoir
du rythme, bien sûr,
pouvoir se scander en
marchant, mais aussi
présenter des rimes
internes
(souvenez-vous de Mitterrand
Président ou de Giscard
à la barre, de CRS
SS, etc....). Or, contrairement à Juppé, Fillon serait une mine : Fillon
abandon, Fillon plus d’action, Fillon
c’est la réaction,
Fillon l’adoption, Fillon
affliction, Fillon aversion, Fillon
commisération,
Fillon constipation,
Fillon avorton, Fillon
cochon, Fillon
bois l’bouillon, Fillon ton
cal’çon, voire Fillon castration et bien sûr Fillon
démission ou Fillon
cohabitation. Et,
sur des rythmes plus
complexes, mais vous
avez sûrement les
compétences
nécessaires pour vous
les mettre en bouche, Fillon
circumnavigation,
Fillon
circonvolution,
Fillon demi-portion,
Fillon
conflagration,
Fillon confabulation, Fillon,
désapprobation, etc. Bref,
j’arrête là, mais il y
a de quoi faire.
Quoiqu’il en soit,
début mai 2017 il y
aura le second tour de
l’élection
présidentielle. Mais y
aura-t-il une
surprise ?
26 Novembre 2016 :
Nostalgie...
J’ai croisé dans les années 1960, à l’époque où j’étais étudiant, différentes attractions vers des modèles politiques venus d’ailleurs. Les uns s’enthousiasmaient pour le « socialisme réel » dont l’URSS était bien sûr le modèle indépassable. Ils niaient le rapport Khroutchev sur les crimes de Staline, défendaient l’intervention russe à Budapest et peu d’entre eux commencèrent à douter au moment de Prague. D’autres rêvaient sur le socialisme tropical représenté par Cuba. D’autres encore, mais un peu plus tard, furent séduits par la Chine et une frange d’étudiants allait devenir « marxiste-léniniste» et glorifier le président Mao. Cette tendance à chercher des modèles exogènes semble d’ailleurs ne pas avoir pris fin. Il suffit de voir comment, aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon se réclame successivement des expériences politiques de Chavez au Venezuela, de Syrisa en Grèce puis de Podemos en Espagne. Comme si la France n’était pas capable d’élaborer son propre modèle. Mais là n’est pas mon propos.
Pour ma part j’ai toujours été séduit par Cuba, par Guevara et, dans une moindre mesure par Castro. Je pourrais bien sûr énumérer les réussites du régime castriste, la médecine, l’éducation, la culture, mais je sais très bien qu’elles ne suffisent pas à faire oublier les prisons. Je suis allé deux fois dans cette petite île, j’y ai apprécié la musique, le rhum, les cigares, l’ambiance festive, j’ai parlé autant qu’il était possible avec des « gens du peuple », et je sais que l’ambiance générale ne cachait ni n’excusait la misère, les difficultés quotidiennes d’un peuple vivant à la fois des restrictions drastiques et un régime d’oppression. Je savais aussi, bien sûr, que j’étais un touriste. Mais...
Mais je vais vous faire un aveu : je suis raciste. Entendez-moi-bien, je ne suis pas raciste au sens général du terme, simplement j’ai tendance à juger les gens sur leur gueule et leur gestuelle, à considérer qu’ils en sont responsable et qu’elles parlent d’eux. Pour m’en tenir au personnel politique français la bouffissure de Larcher, les cheveux gominés de Cambadélis, les tics de Sarkozy, l’air niais de Montebourg, les éructations de Mélenchon, je pourrais bien sûr allonger la liste, tout cela fait qu’avant même de lire leurs programmes ou d’écouter leurs discours je les classe. C’est con ? Je sais. Et je vous concède le droit de me juger de la même façon.
Mais
j’étais, je suis
encore, sensible au
romantisme qui émanait
de Guevera, surtout,
mais aussi de Castro,
tous deux constituant
des figures presque
christiques. Cuba,
grâce à eux, s’est
dressé contre
l’impérialisme US.
Faut-il rappeler la
doctrine Monroe, l’Amérique
au
Américains,
qu’il faut bien sûr
comprendre l’Amérique du Sud aux Américains du nord ? Cette doctrine qui
s’est manifestée par
des interventions
menées par la CIA au
Chili, en Argentine ou
ailleurs, qui toutes mettaient
en place des régimes
totalitaires. Cuba a
constitué une
exception, faisant la
démonstration qu’on
pouvait se lever
contre cet
impérialisme. Non
seulement Castro a
débarrassé son pays
d’un régime corrompu,
celui de Battista, non
seulement il a mis fin
à son statut de bordel
des USA, un pays de
casinos et de
prostitution, mais
surtout il est devenu
grâce à la bêtise de
la politique
extérieure américaine,
un symbole de
résistance. C’est
l’imbécilité de cette
politique qui a
renforcé son statut
d’icône. Je ne dis là
rien d’original, mais
c’est le blocus inique
de l’île par le régime
américain qui a
renforcé l’image du
« leader
maximo ». Sans ce blocus,
le peuple aurait eu
moins faim, aurait
moins souffert, et
Castro ne serait pas
devenu ce qu’il est
devenu, un patriarche
en son automne ou un
général dans son
labyrinthe, en bref un
dictateur, même si je
n’éprouve aucun
plaisir à écrire cela.
Le pouvoir, lorsqu’il
devient absolu,
vieilli mal. Et
Guevara a finalement
eu de la chance de
mourir jeune,
d’échapper à ce destin
d’autocrate. Alors,
j’aimerais m’en tenir
à une citation, celle
d’un extrait du
discours que le
« Che »
prononça en 1964 à
l’ONU : « Esa
ola no parara mas,
esa ola ira
creciendo cada dia
que pase »
(cette vague ne
s’arrêtera pas, cette
vague grandira chaque
jour). Sans pouvoir y
croire, bien sûr.
Castro s’en va, salut
mec. Mais que
deviendra Cuba ?
J’en suis presque à
rêver que Trump renoue
avec le blocus...
Nostalgie, que de
bêtises on écrit en
ton nom.
25 Novembre 2016 :
Ils fatiguent
J’ai
lu hier matin, dans Libération,
le portrait d’un
ancien prof ultra
actif, animant un site
sur l’actualité de
l’éducation nationale,
portrait qui se
terminait par cette
phrase : « Parfois,
il fatigue un peu ».
Cet usage intransitif
du verbe est assez
rare. Le verbe fatiguer est
normalement transitif,
avec le sens de
« causer de la
fatigue
à » : Ca
fatigue
les yeux, il fatigue
ses parents. Quant
à l’usage intransitif,
dans des phrases comme le moteur fatigue, il est un peu vieilli. Dès lors, la phrase il
fatigue un peu peut signifier deux
choses :
« il nous fatigue
un peu » (c’est
l’usage
transitif : il
fatigue quelqu’un) ou
« il est
fatigué » (c’est
l’usage intransitif,
vieilli donc mais qui
semble revenir dans la
langue populaire).
Nous
y reviendrons car,
hier soir, j’ai bien
sûr suivi le débat
entre François Fillon
et Alain Juppé, les
deux rescapés de la
primaire de la droite,
dont un seule restera
dimanche soir, chacun
pensant à Eddie
Mitchell chantant et
s’il n’en reste
qu’un je serai
celui-là. Tout
le monde annonçait un
débat fratricide,
meurtrier, façon
Atrides, Juppé allait
voler dans les plumes
de Fillon, nous eûmes
un spectacle policé,
presque apaisé. Il est
vrai qu’il manquait
l’agressivité, la
hargne et la menace
latente de Sarkozy.
Ils étaient tous,
jusque là, craintifs,
paralysés par le
pouvoir de nuisance de
l’ancien président.
Gnafron et son gros
bâton disparu, la
tension était
retombée. L’acte II de
la primaire, acte à
une scène unique,
s’est donc déroulé de
façon très différente
du premier. Certains
diront sans doute que
le débat était de
haute tenue, j’ai
plutôt le sentiment
qu’il n’y a pas eu de
débat réel. En fait,
ils sont d’accord sur
presque tout et
diffèrent plus par la
manière que par le
projet. Sauf sur deux
points dont, et c’est
dommage, ils ont très
peu parlé. Fillon,
comme Sarkozy,
considère que la
France n’est pas, ne
doit pas être une
société
multiculturelle. Les
étrangers, dit-il,
doivent s’intégrer,
s’assimiler (il
ne semble pas voir de
différence entre ces
deux verbes, alors que
la différence entre intégration et assimilation est au centre de tous les débats). Il lance une
formule (quand
on vient dans la
maison d’un autre,
par courtoisie, on
ne prend pas le
pouvoir) qui
devrait plaire aux
électeurs du Front
National, laissant
entendre que les
migrants sont une
menace pour le pouvoir
en France, et une
autre (on
a enlevé Clovis,
Jeanne d’Arc, des
manuels scolaires)
qui a la même fonction
et constitue en outre
un mensonge. Juppé, de
son côté, soutient que
la diversité est la
richesse de la France,
son identité, à
condition ajoute-t-il
d’éviter le
communautarisme. Il y
a là un vrai
désaccord,
fondamental, mais qui
n’a pas été
approfondi. Le second
point qui les sépare
est la politique
internationale, mais
ils en ont encore
moins discuté. On voit
bien que Fillon est
proche de Poutine,
qu’en Syrie il
considère le président
actuel, Bachad
el-Assad, comme
faisant partie de la
solution, alors que
Juppé pense le
contraire. Pour le
reste, retraites,
fonctionnaires,
dialogue social, temps
de travail, santé,
protection, ils ne
diffèrent que peu et
feraient la même
politique, à quelques
nuances près. Pour
dire les choses vite,
l’un, Fillon, est le
candidat de Valeurs
actuelles,
l’autre, Juppé, du Figaro. Fillon sera sans
doute plus violent,
plus enragé, plus
proche aussi de la
droite catholique
réac, Juppé plus
habile, plus stratège.
Et tous deux auraient
à l’automne la France
dans la rue. Pour
finir, une remarque
sur leur vocabulaire.
Fillon a prononcé
quatre fois le mot caricature (pour dire que
l’on caricaturait ses
positions), Juppé a
plusieurs fois utilisé
le verbe rassembler,
pour définir son
programme. A part ça...
Mais,
peut-être
grâce à (ou à cause
de) la disparition de
Sarkozy, ce que
certains
considéreront, je l’ai
dit, comme un débat
apaisé, me ramène au
début de ce billet.
Tous deux me
semblaient fatiguer
un
peu : Juppé
et Fillon fatiguent.
Au sens transitif (ils
nous fatiguent) ?
Ou au sens intransitif
(ils sont
fatigués) ? Je
vous en laisse juges.
21 Novembre 2016 :
Le soir tombait, la
lutte était ardente
et noire
Inutile
de cacher son
plaisir : voir
Sarkozy se faire jeter
dès le premier tour de
la primaire m’a ravi.
Il va maintenant
pouvoir s’occuper de
ses affaires, les
malpropres, ses
affaires judiciaires,
répondre aux juges,
cesser de se défiler.
Un conseil aux
magistrats,
cependant : vous
devriez faire comme
pour la famille
Balkany, lui retirer
son passeport, car il
est capable de tout,
Sarkozy, de filer en
douce, de disparaître
dans la nature. Alors
saisissez son
passeport et
surveillez tout, les
sorties de secours,
les grottes
préhistoriques, les
cages à animaux de
compagnie dans les
aéroports, les
cachettes de
burakumins japonais,
les colis postaux, les
« go fast“ qui
transportent de la
drogue à travers
l’Europe, les avions
qui ramènent les
clandestins chez eux,
les montgolfières, les
tonneaux de
Beaujolais, les
paquets cadeaux de
Noël, les zodiaques sur
lesquels les migrants
tentent de gagner les
côtes anglaises, les
cadres de déménagement
sur les quais de
Marseille, les
exportations de
manteaux de vison
depuis Neuilly, les
colis de ses livres
que son éditeur va
envoyer au rebut, même
les navettes
spatiales... Il est
capable de tout pour
échapper à ses
responsabilités.
Bon,
redevenons
sérieux, pour autant
que je puisse l’être.
Sarkozy aux orties, il
nous reste Fillon et
son avance
confortable, Fillon
que personne n’avait
vu venir, que personne
n’avait prévu. Après
la claque à Duflot
chez les Verts, la
claque à Clinton aux
Etats Unis et l’hyper
claque à Sarkozy, nous
entrons dans l’ère des
surprises. Tel
Bonaparte à Waterloo,
qui attendait Grouchy
et vit débarquer
Blücher. Tiens, pour
le plaisir, parodions
Victor Hugo :
« Le
soir tombait, la lutte
était ardente et
noire.
Il
avait l’offensive et
presque la victoire,
Il
tenait son Juppé
acculé sur un bois,
Sa
lunette à la main, il
observait parfois
Le
centre du combat,
point obscur où
bougeaient
La
mêlée, le Poisson, Le
Maire ou Moricet
Et
parfois , sombre comme
la mer, l ’horizon.
Soudain,
joyeux,
il dit, « c’est
moi ». C’était
Fillon »
Nous voyons donc sortir du chapeau un clown triste qui fut successivement un ministre (des affaires sociales, de l’éducation nationale) terne, un premier ministre à la botte de son maître pendant cinq ans, un brimé, un molesté, un méprisé qui, comme les brimés quand ils peuvent se venger deviennent méchants, sera impitoyable dès qu’il sera au pouvoir. Pourquoi, comment Fillon ? Bien sûr les sondeurs étaient un peu démunis, ils n’avaient pas d’élection de référence, ne savaient pas comment faire pour lire les mouvements souterrains dans un électorat monocolore, comment mesurer ce qui se passe lorsqu’on vote entre soi. Juppé était favori, il est largement dépassé, Sarkozy était sûr de lui, il se retrouve aux oubliettes.
On parlera de « vote caché » ? Mais pourquoi se cacherait-on de voter Fillon ? Le plus terne des candidats, une sorte de toutou somnolant, mais un toutou toiletté, propre sur lui. Pourquoi ? On comprend que naguère certains aient caché leur intention de voter Le Pen, qu’hier d’autres aient caché leur intention de voter Trump, mais pourquoi se cacher de voter Fillon ? Cette explication par le « vote caché » ne tient pas la route. Peut-être que la droite, si bonapartiste soit-elle, n’aime pas les voyous, les condamnés de droit commun passés ou à venir, qu’elle préfère ceux qui se désinfectent les cordes vocales lorsque, par erreur, ils ont murmuré « crotte » ou « zut » à ceux qui éructent « casse-toi pauv’con » ou « « je les emmerde ». Car, à quelques nuances près, les programmes de Fillon, de Juppé ou de Sarkozy étaient les mêmes.
Et
maintenant ?
On voit déjà venir à
la soupe ceux qui le
peuvent, Le Maire et
Dati en tête, et qui
espèrent obtenir un
poste de ministre.
Certains bien sûr,
comme Baroin,
Hortefeux ou Ciotti,
n’ont guère de chance,
mais les autres se
pressent à la porte.
Reste une petite
question. Sarkozy a
appelé à voter Fillon
au deuxième tour de la
primaire. Sommes-nous
sûr qu’il lui fasse un
cadeau ? Ou
est-ce sa
dernière flèche
empoisonnée ?
Cherche-t-il à le
déstabiliser en disant
qu'il le défend?
Question pour
l'instant sans
réponse.
20 Novembre 2016 : Troisième
scène du premier
acte de la pièce
présidentielle
J’étais pendant quelques
jours loin de mon
ordinateur mais
l’oreille toujours
branchée sur les
média. En ce milieu de
dimanche, avant que ne
tombent les premiers
résultats de la
primaire de la droite,
faisons donc un petit
peu le point.
Et tout d’abord, une plainte. Lundi dernier, le 14 novembre, Alain Juppé était au Zénith, à Paris, et moi à Rabat, au Maroc. Et, à peine avais-je tourné le dos que ses partisans me pillaient. Je m’explique. Il y a plus d’un mois, le 18 octobre, je m’amusais des écarts de langage de Juppé, de son « jeunisme », en particulier lorsqu’il disait « avoir le swag », et je titrais mon billet Péju t’es niorju, après avoir rappelé comment François Mitterrand avait naguère donné des leçons de verlan à un journaliste. Or voilà donc qu’au Zénith apparaissent des Tshirts sur lesquels est imprimé I love Péju, ou plutôt I suivi d’un cœur stylisé et de Péju. Holà, plagieurs, Péju ça m’appartient ! J’ai déjà, j’en avais longuement parlé ici, été victime de plagiat, ma biographie de Roland Barthes ayant été largement copiée par une jeune irresponsable, Marie Gil pour ne pas la nommer. Voilà que d’autres jeunes, les « jeunes juppéistes » (oui, ça existe !) renouvellent ce larcin en me volant mon Péju. Mais dans quel monde vivons-nous ? Tiens, je vais tenter une expérience en lançant deux nouveaux noms de candidats (ou de peut-être candidats) sous leur forme verlanisée : Sarkozy, Sarko comme disent certains, deviendrait cossard et Hollande deviendrait landau. Les jeunes sarkozystes et les jeunes hollandiens vont-ils oser me les piquer ? S’ils pratiquent ce larcin, ou plutôt ce Saint Lard, juré, je leur vole dans le lard. Quant à Micron, pardon Macron, ses jeunes oseront-ils me piquer le Cronma ? C’est quoi, cronma ? Dans le franco-provençal parlé en Bresse il existe une recette appelée Poule de Brasse a la cronma, le poulet de Bresse à la crème. Macron, donc, est une crème, ou la crème des… de ce que vous voudrez. Mais revenons à la primaire de la droite dont le premier tour sera terminé ce soir. Quelques phrases auront marqué ce premier acte. Par exemple Fillon déclarant dans les coulisses « vous imaginez le général de Gaulle mis en examen ? ». Ou encore Juppé répliquant à une attaque de Le Maire mais visant Sarkozy : « en matière judiciaire, mieux vaut avoir un passé qu’un avenir ». Mais c’est sans doute Kosciusko-Morizet qui remporte la palme, ayant lancé ses formules en feu nourri: à Sarkozy disant qu’il ne la reprendrait pas comme ministre « tu n’en auras pas l’occasion », à lui toujours « la majorité silencieuse elle sait ce que c’est que Leboncoin » et à tous « le recyclage ça matche pour les déchets, pas pour les idées ». Bref, c’était saignant, mais saignant aseptisé, avec des pincettes, disons que c’était chirurgical, mais on sait que ça saigne beaucoup dans les salles d’opération...
La troisième scène du premier acte, jeudi soir, a été un peu terne, personne n’osant prendre le risque d’apparaître comme le vilain canard briseur d’unité de la droite. Poisson rabâche inlassablement « la famille, la famille, la famille, », mantra qui semble pour lui devoir résoudre tous les problèmes de la France, pour Le Maire c’est « l’audace, l’audace, l’audace » et pour Copé « ordonnances, ordonnances, ordonnances ». Seule NKM, à l‘heure des conclusions, sort un peu des sentiers battus en expliquant que, contrairement à ses concurrents qui pensent ou font semblant de penser qu’ils peuvent remporter cette primaire, elle sait que pour elle il n’en n’est pas question. Et, comme en passant, elle croque un rapide portrait des trois favoris dont le projet serait la revanche (Sarkozy), la nostalgie (Juppé) ou la déprime (Fillon). Qui donc du revanchard, du nostalgique ou du déprimé tournera en tête ? Vous le saurez tard ce soir, sauf si quelques magouilles électorales ne viennent mettre du désordre dans cette belle journée.
A
suivre, donc, ou
plutôt à demain.
11 Novembre 2016 :
La voix et la voie
Sur un mur j’ai vu trois affiches, trois fois la même, présentant une photo de Marine Le Pen et, en dessous, une inscription :Une autre voix. Le passage de la photo au texte nous livre donc un message facile à décoder: Marine le Pen (que tout le monde reconnaît) représente une autre voix. Après ce décodage évident, nous avons à soupeser deux termes intéressants, autre et voix. L’altérité est ici synonyme de nouveauté : après les discours des politiques de droite comme de gauche moi, Marine le Pen, je représente quelque chose de nouveau, une nouvelle voix, donc je dis autre chose que les autres, car il ne s’agit pas des qualités vocales de la candidate. Quant à ce dernier mot, voix, il a l’avantage de pouvoir s’entendre voie : un autre discours, donc, ou une nouvelle direction. Deux sens en un seul mot. Je sais, tout ce qui précède est simpliste, et c’est d’ailleurs le propos de l’affiche : être facile à comprendre, à analyser. Mais il peut être intéressant de se demander ce que dit cette autre voix, ou quelle est cette autre voie, c’est-à-dire que raconte Marine le Pen.
Je ne prendrai, aujourd’hui, qu’un exemple. Le 8 octobre, au sommet de l’élevage, la candidate du Front National déclarait : « On sait très bien que la politique agricole commune répond à des considérations idéologiques ultralibérales » et ajoutait qu’il faudra « renationaliser la politique agricole ». De façon générale, toute phrase qui commence à « on sait très bien » ou « il est évident que » devrait éveiller la méfiance car affirmer que quelque chose est évident, ou que tout le monde le sait, c’est forclore par avance toute discussion : par essence, ce procédé rhétorique est totalitaire. Mais au delà de cette astuce discursive (« on sait très bien », donc ce que je vais dire est indiscutable), la suite de la phrase est justement plus que critiquable. La politique agricole commune serait « ultralibérale ». Je ne sais pas ce qu’est, pour madame le Pen, l’ultralibéralisme, mais j’ai pour ma part plutôt l’impression que la PAC, qui distribue à tour de bras des subventions aux agriculteurs, se préoccupe essentiellement de soutenir les prix et les revenus des agriculteurs et d’aider au développement agricole, ce qui est tout sauf du libéralisme. C’est-à-dire, mais je peux me tromper, que protéger les paysans, compenser leurs pertes, est tout sauf du libéralisme, et que l’idée de « renationaliser la politique agricole » ne changerait rien à la chose : ce serait simplement faire à l’échelon français la même chose que fait l’Europe à son échelon.
Pour
quelqu’un
qui, comme moi,
s’intéresse un peu à
l’économie sans
beaucoup de
compétence , la voix de madame le Pen
est donc brouillée,
confuse, voire
inaudible. Quant à la voie qu’elle
imagine, on voit (si
je puis dire) mal quel
« plus »
elle pourrait apporter
aux agriculteurs. Mais
nous aurons sans
doute, au cours de la
campagne
présidentielle, à
revenir sur la voix (les discours
donc) et la voie (le programme)
frontistes. Pour
l'instant, je
m'absente quelques
jours.
10 Novembre 2016 :
Tout et son
contraire
L’élection
de
Trump a déclenché,
depuis 24 heures, des
milliers de réaction,
de la part des
analystes comme de
celle des politiques.
Commençons par ces
derniers. La première
à avoir réagi, avant
même l’annonce
officielle de la
victoire du candidat
républicain, a été
Marine Le Pen :
« Félicitations
au nouveau président
des Etats-Unis Donald
Trump et au peuple
américain, libre
! » Puis a suivi
le patron des
socialistes,
Jean-Christophe
Cambadélis, « La
gauche est prévenue!
Continuons nos
enfantillages
irresponsables et ça
sera Marine Le Pen»,
juste avant Nicolas
Sarkozy qui a vu dans
cette élection
« le refus de la
pensée unique »,
ou encore « le
peuple américain a
parlé. Sachons nous
aussi en tirer les
conséquences ».
Emmanuel Macron pour
sa part considère
qu’il "faut
toujours écouter ce
que le peuple a à dire
et non ce qu'on
aimerait qu'il dise".
Nous pourrions
poursuivre cette
liste, mais elle nous
prouverait la même
chose : tous
tentent d’utiliser ce
qui s’est passé aux
USA, et qu’ils
n’avaient pas vu
venir, pour justifier
leur propre démarche,
tous rêvent d’un
« effet
Trump » qu’ils
pourraient reproduire
en France. Le plus
exemplaire en la
matière est Jean-Luc
Mélenchon :
« Sanders
aurait gagné. Les
primaires ont été une
machine à museler
l'énergie populaire.
Maintenant vite
descendre du train fou
atlantiste ».
Selon lui, donc,
Sanders aurait
gagné ! Cette
affirmation n’engage
que Mélenchon, bien
sûr, mais elle
illustre une tendance
récurrente chez lui à
utiliser ce qui se
passe à l’étranger au
bénéfice de ses
propres postures.
Après s’être pris pour
Chavez, puis pour
Alexis Tsipras, pour
Pablo Iglesias,
évoquant chaque fois
un pays étranger, le
Venezuela du PSUV, la
Grèce de Syriza,
l’Espagne de Podemos,
voilà qu’il veut
endosser les habits de
Bernie Sanders,
oubliant au passage
que s’il « aurait
gagné » il a
perdu la primaire des
démocrates et que si
« l’effet
Trump » se
produisait en France,
ce serait plutôt au
bénéfice du Front
National..
Du
côté des réactions
journalistiques, on se
demande surtout si
Trump peut appliquer
son programme, ou du
moins toutes les
mesures qu’il a
annoncées, et
l’analyse dominante
est qu’il a dit
« tout et son
contraire » et ne
pourra sans doute pas
réaliser le dixième de
ce qu’il a promis. Sur
le diagnostic, Trump a
promis « tout et
son contraire »,
on ne peut qu’être
d’accord. Mais il y a
une autre façon
d’interroger cela, non
pas se demander s’il
pourra ou voudra le
faire, mais comment
une majorité
d’Américains a pu
voter pour quelqu’un
qui promet « tout
et son
contraire ». Car
si le peuple américain
est libre (selon Le
Pen), s’il a refusé la
pensée unique (selon
Sarkozy), s’il faut
toujours écouter ce
que le peuple a à dire
(selon Macron), il
demeure que ce peuple
a voté pour
« tout et son
contraire ». Et
que cela pose un
certain nombre de
questions concernant
la démocratie. Sarkozy
par exemple annonce,
s’il est élu, des
rafales de
référendums. Nous
savons que les
électeurs ne votent
que rarement pour ou
contre la question
posée mais plutôt pour
ou contre celui qui la
pose. C’est-à-dire
qu’il y a dans la
constitution de la
cinquième république
la possibilité d’un
véritable plébiscite.
Je sais, le plebiscitum latin
(« décision du
peuple ») était
un des instruments de
la démocratie mais les
choses ont, depuis,
changé. Le
référendum-plébiscite
est devenu une façon
de conforter le
pouvoir en posant au
peuple une question
qu’il ne comprend pas
nécessairement. Le
vrai problème est
alors celui de
l’information des
électeurs. Et cela
nous ramène à
l’élection américaine.
On nous dit que 44%
des Américains se
sont, au cours de la
campagne, informés
exclusivement sur face
book, c’est-à-dire le
lieu de toutes les
rumeurs, des
informations non
vérifiées voire des
théories complotistes.
Lorsque Trump déclare
par exemple qu’Obama a
financé Daech, les
réseaux sociaux
répercutent
immédiatement cette
affirmation, la
dupliquent à des
milliers
d’exemplaires, sans la
mettre en question. Et
il y a là une grande
responsabilité, de la
presse, bien sûr, mais
peu de gens la lisent
et elle ne fait
d’ailleurs pas
toujours son travail,
et surtout une
responsabilité plus
grande encore des
systèmes d’éducation.
Alors, il faudrait
interroger
« l’effet
Trump » non pas
pour savoir s’il peut
aider tel ou tel
candidat français, ni
si promettre
« tout et son
contraire » est
une bonne technique de
campagne, mais plutôt
comme un avertissement
concernant l’usage de
la démocratie et la
formation des
électeurs.
9 Novembre 2016 :
Leçon de choses
Hier je voyais David Pujadas, envoyé de France 2 aux USA, interroger un français, manager d’un hôtel de luxe que Trump vient d’ouvrir à New York. Il disait tout le bien qu’il pensait de son patron et terminait ainsi : « C’est quelqu’un que je considère comme mon menteur ». Pujadas l’avait corrigé : « comme votre mentor ». J’avais noté, sans savoir s’il s’agissait d’un lapsus ou si ce français parlait mal sa langue, et j’ai gardé ça sur un bout de papier en me disant que je m’amuserai de cette confusion, mentor/menteur, en commentant aujourd’hui la victoire d’Hillary Clinton.
Et nous voilà demain. On parle de coup de tonnerre, d’impensable, de cauchemar, d’effarement, expressions qui ne veulent pas dire grand chose et servent surtout à masquer la stupeur. Car il faut reconnaître que tous les sondages se sont trompé. Ce n’est pas la première fois que cela se passe aux USA, mais c’était il y a longtemps, en 1948, lorsque l’institut Gallup avait annoncé la victoire de Thomas Dewey et qu’Harry Truman avait été élu. C’est je crois d’abord cette erreur qu’il faut tenter d’analyser. On parlera de « votes cachés », comme on en a parlé en France à propos du Front National, de ces gens qui n’osent pas dire ce qu’ils votent et mentent aux sondeurs. Mais les sondeurs disent pouvoir corriger ces mensonges, disent qu’ils l’ont fait pour le FN dont les électeurs ne se déclaraient pas toujours. Il demeure qu’ils se sont tous mis le doigt dans l’ œil. Et peut-être aurons-nous bientôt chez nous le même type de surprise. J’y reviendrai.
En écrivant j’écoute le premier discours de Trump, la foule hurle « USA, USA, USA... » Il déclare qu’il sera le président de tous les Américains, qu’il n’a pas mené une campagne mais « un incroyable mouvement », il est étrangement très modéré, jouant l’union de tous, des minorités, des hommes et des femmes. Explique qu’il va rebâtir le pays, s’occuper des anciens combattants dont il parle longuement, annonce un « superbe plan économique », de « formidables relations » avec les autres pays, de « grands rêves audacieux », en bref annonce une relance budgétaire, une politique économique keynésienne, bref il est aux antipodes de ce qu’il a dit depuis des mois, dans un discours apaisé qu’il n’a sans doute pas écrit, ou qu’on le croyait incapable d’écrire. Est-ce que le menteur/mentor du manager français d’un hôtel de luxe new-yorkais fera, ou pourra faire, ou voudra faire ce qu’il annonce subitement ?
Laissons
maintenant
de côté les sondeurs,
qui ont suffisamment
de problèmes avec
leurs erreurs. Cette
élection est une
immense baffe pour ce
qu’on appelle le monde
des
« élites »
et pour le monde
politique
traditionnel. Celui
d’Hillary Clinton
comme de Bruce
Springsteen, de Bernie
Sanders comme d’Oliver
Stone, de vous, de moi
comme des politiciens
français. Après le
congédiement de gens
comme Ben Ali ou
Moubarak nous voyons
revenir par la fenêtre
des gens comme
Erdogan, Poutine,
Bachar el-Assad ou
Trump. Mais qui
arrivera chez
nous ? Depuis des
mois on nous dit que
Marine Le Pen ne sera
pas élue, quel que
soit la personne en
face d’elle, qu’elle
se heurtera à un
« plafond de
verre ». En
sommes-nous si
sûrs ? On nous
dit que Juppé battra
Sarkozy aux primaires
de la droite. En
sommes-nous si
sûrs ? Et face à
cet enjeu (nous
pourrions bien nous
réveiller un jour de
mai 2017 avec la même
gueule de bois qu’une
partie des Américains
aujourd’hui), nous
assistons aux petits
agissements des
socialistes et de
leurs frondeurs, des
mélenchonnistes, des
Verts, des
trotskystes... Les USA
nous ont donné une
énorme leçon de
choses. Mais
saurons-nous la
comprendre et en tirer
les conséquences ?
7 Novembre 2016 :
"Faire
genre" théorie du
complot
Le
4 novembre, Le
Monde révélait
une conversation
téléphonique entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Bernard
Squarcini qui aurait
eu lieu le 28 mars
2013, pendant la
campagne des
municipales
(Kosciusko-Morizet
était alors candidate
à la mairie de Paris).
Il faut « tuer
Rachida et
Fillon » aurait
dit Squarcini, ce à
quoi Kosciusko-Morizet
aurait répondu
« le meilleur
moyen de la tuer,
c’est
d’éteindre ».
J’avoue ne pas très
bien comprendre ce
dernier membre de
phrase : éteindre
quoi ? Mais peu
importe, Rachida Dati
a dû comprendre, elle,
car hier elle s’est
emportée sur les ondes
de BFMTV, dénonçant « la
duplicité très grave
de madame
Kosciusko-Morizet »
dans des termes qui
méritent une petite
analyse linguistique.
Voici donc quelques
extraits : « C’est
quoi d’autre que des
méthodes de barbouze
utilisées avec
l’aide d’un barbouze
pour essayer de ‘me
tuer’, je
cite ? Ça vous
révèle aussi la
duplicité très grave
de Madame
Kosciusko-Morizet
qui fait genre ‘je
suis une grande
démocrate’ , elle fait genre je
suis libre’, ‘je
suis impertinente’,
’je suis
courageuse (...) Moi je voudrais qu’elle s’en explique, je
considère que la
classe politique
doit la mettre
hors-jeu, elle doit
la mettre à l’index,
elle doit lui
demander des comptes
(...) "Est-ce
qu’elle a encore sa
place dans la
primaire ? » Rappelons tout d’abord que Bernard Squarcini, ancien chef du
renseignement
intérieur, est un
proche, un très
proche, de Sarkozy, et
que nous pouvons donc
considérer qu’à
travers lui, le
« barbouze »,
c’est l’ancien
président qu’elle
vise. Pourtant elle le
soutient à la primaire
de la droite. Allez
comprendre. Mais,
surtout, ce qui me
frappe dans
cette diatribe c’est
la formule, répétée
deux fois,
« faire
genre ». Dati
veut-elle « fait
genre jeune », ou
« genre
banlieue »?
Cela est assez
surprenant quand on
sait que son image est
plutôt « genre
Hermès, genre talons
aiguilles, genre trop
de maquillage »,
en bref soit elle
tombe le masque et
parle naturellement
comme ça, ce qui
m’étonnerait un peu,
soit elle joue un
rôle.
Au delà de ces remarques stylistiques, il y a cependant d’autres
interrogations. La
conversation citée par Le
Monde provient
d’écoutes
téléphoniques, et elle
semble indiquer que
dans l’entourage
proche de Sarkozy on
voulait la peau (la
peau politique bien
sûr) de Dati et
Fillon. Pour Fillon,
on peut comprendre,
mais pourquoi
Dati ? Pourquoi
Sarkozy aurait-il
voulu se
débarrasser de cette
pauvre femme ?
Parce qu’à l’époque,
au printemps 2013, elle aurait
mis des bâtons dans
les roues de la
candidate à la mairie
de Paris ?
C’est possible. Ce qui est sûr c’est qu’aujourd’hui cette conversation
vieille de trois ans
et demi a
justement pour dommage
collatéral Nathalie
Kosciusko-Morizet.
Elle apparaît en effet
comme une femme sans
scrupules au moment
même où elle n’épargne
guère Sarkozy dans les
débats télévisés. Elle
était en 2013 dans les
petits papiers de
l’ancien président,
elle fait preuve
aujourd’hui
d’impertinence,
dégaine et tire à vue
sur lui. Sommes-nous
devant un coup de
billard à plusieurs
bandes dans lequel la
boule visée ne serait
pas le vilain barbouze
Squarcini mais la
méchante arriviste
Kosciusko-Morizet ?
Dati roulerait alors
pour Sarkozy pour
faire croire que son
barbouze a été
manipulée par la
vilaine femme. Affaire
à suivre, donc, car il
y aura sans doute des
suites. En particulier
Fillon va-t-il
réagir ? L’avenir
nous le dira.
Tout cela ressemble à un mauvais western, un règlement de comptes à OK Corral à la petite semaine, mais surtout
sent le complot. Alors
amusons-nous un peu.
Ferdinand de Saussure
a longtemps travaillé
dans le secret de son
bureau sur ce qu’on a
appelé des anagrammes,
ou des hypogrammes,
des mots sous les mots
ou cachés dans les
mots. Regardons donc
ce nom : SARKOZY.
Il ne vous dit
rien ?
Réfléchissez. Si
j’enlève trois
lettres, au début et à
la fin du nom (SZY) il
me reste, au centre,
ARKO. Arco,
en italien, c’est un
arc, pour tirer
justement, premier
indice. Mettons ces
lettres à l’envers,
nous obtenons OKRA.
Vous me suivez ?
Or okra c’est un autre
nom du gombo,
ce légume gluant
utilisé en particulier
pour épaissir les
soupes et les ragoûts.
Nous sommes alors en
pleine soupe
politicienne, pas très
ragoûtante. Deuxième
indice donc. En outre
Sarkozy aime à
rappeler qu’il a des
origines à la fois
hongroises et
grecques. Or le début
de son nom, sar,
signifie en hongrois
« boue ». En
outre le gombo s’appelle en
grec bamia mais en français
d’Egypte corne
grecque (il a en
effet vaguement la
forme d’une corne) et
l’on peu alors se
demander quel sera le
cocu de l’affaire.
Troisième indice. En
voici un
quatrième :
revenons au centre de
ce nom débarrassé de
ses lettres inutiles,
ARKO, qui peut
nous donner OK et
KORA, ce qui n’est pas
loin d’OK CORALL, et
au règlement de
comptes évoqué plus
haut. Bref, j’ai
annoncé que nous
allions nous amuser un
peu, mais ce
vaudeville autour de
Rachida Dati nous a
mené à quelque chose
qui s’apparente fort
aux théories du
complot qui courent
dans certains milieux
(vous savez, les tours
jumelles de New York
n’ont pas été
détruites, ou c’était
un complot juifs, les
frères Kouachi étaient
manipulées par la
police, etc.). Disons
que j’ai « fait
genre théorie du
complot ». Mais
tout de même, vous
n’arriverez pas à me
convaincre que ce nom,
Sarkozy n’est pas
louche. Il cache trop
de choses. Tiens, je
vais faire part de mes
analyses aux juges
d’instruction...
6 Novembre 2016 :
Deuxième
surprise...ou
deuxième gifle ?
En février 2916 Jean-Luc Mélenchon partait tout seul, annonçant sa candidature à la présidentielle sans même en informer ses « alliés » communistes. C’est ce qu’on appelle la politique du fait accompli, ou du couteau sous la gorge : en gros, chers amis communistes, vous ne pouvez rien sans moi alors je ne veux pas voir dépasser la moindre tête, tous en rang derrière moi. Et le patron du PCF, Pierre Laurent, après avoir longuement réfléchi, a décidé de se soumettre. Mais voilà, hier, la conférence nationale du PC a mis Laurent en minorité, refusant de se rallier à la candidature de Mélenchon. Les media parlent de « coup de théâtre », de « revers personnel » pour Laurent, je parlerai pour ma part de gifle, la deuxième de cette pré-campagne, après celle qu’a prise Cécile Duflot en se faisant éliminer au premier tout de la primaire des verts. Bien sûr, ce sont les militant communistes qui trancheront fin novembre, mais Mélenchon a réussi a diviser le PC. Joli résultat...
Arnaud Montebourg, bien sûr, comme la vérole sur le bas clergé, ou comme un chien sur un os, se précipite pour tenter de retirer les marrons du feu en appelant à « l’union des gauches ». C’est lui qui serait le rassembleur de la gauche qu’il a largement participé à désunir, venez à moi petits cocos... Dans les deux cas donc, Mélenchon et Montebourg, on veut plumer la volaille communiste. Pour Mélenchon, la manœuvre est claire. Ses porte-parole expliquent depuis des semaines qu’ils ont du mal à rassembler les 500 signatures d’élus nécessaires, mais ils pensent bien sûr que les communistes vont y pourvoir. Depuis longtemps le PC ne représente électoralement rien (à propos, pour le vote des militants, donneront-ils le nombre de voix ou simplement des pourcentages ?), sinon des signatures potentielles... Pour Montebourg, c’est autre chose : tout ce qui peut nuire à Hollande est bienvenu. Il y a longtemps que nous le savions : Montebourg est un politicien au ras des pâquerettes. Mélenchon nous montre qu’il sort du même tonneau.
Reste
que nous n’en avons
pas terminé avec les
surprises (ou les
gifles). Cela
fait cinquante ans que
je vote à l’élection
présidentielle, et je
n’ai jamais vu une
situation aussi
imprécise six mois
avant l’échéance. On
peut supposer que la
prochaine gifle sera
pour Sarkozy, mais
allez savoir. Ce qui
est sûr, c’est que
Marine le Pen se
frotte les mains.
Devant le bordel qui
règne à gauche comme à
droite, elle n’a même
pas besoin de faire
campagne.
4 Novembre 2016 :
Deuxième scène du
premier acte de la
pièce présidentielle
Les revoilà donc, les sept candidats de la primaire « de la droite et du centre », deux semaines plus tard, les mêmes dans les mêmes rôles, mais... Mais ils ont légèrement évolué, un peu plus détendus, plus à l’aise, et du coup les coups ont plu, le plus souvent sur Sarkozy. Mais commençons par les postures. L’ancien président était le plus lisible, jouant à la fois la compétence et le mépris. Ainsi il a répété plusieurs fois la même phrase ou presque : « Ce sont des sujets très sérieux qui demandent des compétences, une connaissance des dossiers ». Traduisez : « Moi j’ai déjà été aux affaires, je sais de quoi je parle », ce qui lui permettait d’ailleurs de ne pas répondre à la question posée... Rappelant que la plupart de ses concurrents avaient été ses ministres, glissant même à Le Maire « tu as postulé pour être premier ministre » (ce qui impliquait, in cauda venenum, que Le Maire avait demandé le départ de Fillon), il affichait ce qui semblait être un permanent sourire, voire un sourire permanenté, mis en forme comme des cheveux fixés par des produits chimiques, sourire à la fois méprisant et ironique, se voulant dominateur mais... Mais, à mieux l’observer, on avait le sentiment qu’il regardait sans cesses un écran de contrôle et qu’il souriait dès qu’il se voyait à l’écran, ce qui lui donnait un air presque mécanique. D’ailleurs ses yeux ne riaient pas, seules ses lèvres prenaient la pose, et j’ai eu l’impression, à la fin de l’émission, qu’il ne contrôlait plus ses lèvres et ne pouvait plus faire semblant de sourire. De son côté Juppé, voulant prendre de la hauteur, gardait son impassibilité. Son visage ne s’animait que lorsqu’il parlait et, le reste du temps, lorsque la caméra le surprenait, il ressemblait à une momie, ce qui n’était pas nécessairement le bon choix lorsqu’on sait que certains lui reprochent son âge... Mais tous se sont surtout attachés à cogner sur Sarkozy. Le Maire lui envoyait dans les dents « je ne suis pas candidat pour prendre une revanche », Copé lançait « il n’y a pas ici ceux qui savent et d’autres qui sont là pour prendre des cours », Le Maire encore rappelait « Nicolas, battu en 2012 tu as dit que tu ne reviendrais pas », comprenez « que fais-tu ici ? », Juppé déclarait vouloir que « la fonction présidentielle retrouve sa dignité perdue », Fillon parlait d’une « présidence digne », plusieurs rappelaient à propos des migrants que Sarkozy avait signé les accords du Touquet, et qu’il était donc responsable de la « jungle » de Calais... Le plus beau coup est cependant venu de Kosciusko-Moricet. Après avoir rappelé qu’elle avait mené le Grenelle de l’environnement, elle reproche à Sarkozy de prendre ses distances avec l’écologie. Celui-ci répond : « Je ne suis pas sûr que je referai le Grenelle de l’environnement ». Et elle, du tac au tac : « Tu n’en auras pas l’occasion » ! Bref, fleurets mouchetés ou coups de massue, ça pleuvait comme à Gravelotte. Il y eut également des moments drôles, en particulier une forme nouvelle de comique de répétition. Mercredi, sur France Info, Sarkozy avait déclaré: « Moi je le dis clairement, si j’étais choisi, je confierais Matignon à François Bayroin...euh, Baroin ». Le lapsus ne signifiait pas qu’il hésitait entre Bayrou et Baroin, mais qu’il est en ce moment traumatisé par le soutien que Bayrou a apporte à Juppé. Les journalistes lui avaient fait remarqué son erreur, et il avait nié « j’ai dit Baroin, j’ai dit Baroin...» Mais la séquence, plusieurs fois rediffusée, était claire et le lapsus indiscutable. Or Copé et Juppé ont fait le même hier soir, comme en écho à celui de l’ex président, ce qui déclencha quelques rires. Et puis il y eut des séquences de pêche à l’épuisette : par exemple, comme en passant, Juppé cite Borloo qui, dit-il, a fait du bon travail comme ministre. Cinq minutes plus tard, Sarkozy cite à son tour Borloo. Dans les deux cas, appel du pied à celui qui n’a pas encore exprimé son choix entre les deux principaux candidats... A la fin ils avaient tous une minute pour conclure. Fillon s’offre une série d’anaphores (« je veux être le président qui... » plusieurs fois répété), Juppé affirme qu’il ne changera pas de cap tous les six mois, , Sarkozy répète une fois de plus qu’il « connaît la fonction » et ajoute qu’il ne croit que « notre identité soit heureuse », et pan dans les dents de Juppé, et Kosciusko-Moricet déclare qu’elle en a assez des burkinis, des Gaulois, de Bayrou et que Sarkozy, battu en 2012, est peut-être de trop. Bref, cela a duré près de trois heures dont on sort persuadé qu’ils se détestent tous cordialement : ils se tutoient, s’appellent par leurs prénoms, mais leurs yeux lancent des couteaux. Sarkozy a pris des coups mais s’est sans doute rattrapé sur la sécurité, ressortant à destination du noyau dur de son parti son discours de ministre de l’intérieur. Juppé n’a été que peu attaqué et s’est lui-même bien gardé d’attaquer. Les autres ont tapé sur l’ancien président à bras raccourcis et l’on a du mal à imaginer qu’au bout de tout ça ils puissent se regrouper et défendre sans arrières pensées celui qui l’emportera. Pourtant, on ne peut pas oublier qu’ils ont tous gouverné ensemble et que leurs programmes ne diffèrent guère. Au delà des postures, des petites phrases, des styles différents, il y a en gros une seule et même politique, celle d’une droite dure et qui n’a pas beaucoup d’idées nouvelles. La finalité de cette primaire serait donc de choisir celui qui sera le meilleur vendeur de cette politique. D’ailleurs, l’émission a été interrompue deux fois par des coupures de publicité, et l’on avait du coup l’impression que les sept postulants étaient eux aussi des marchandises, que l’ensemble était une longue coupure publicitaire. C’est ce qu’on appelle la politique spectacle.
3 Novembre 2016:
Obscénités
Petit retour vers les vignes de Bourgogne. On apprend beaucoup de choses dans les caves, et pas seulement en ce qui concerne les plants, les vendanges, la vinification et ses techniques. Ainsi, discutant avec un producteur qui exporte la majorité de sa production à l'étranger, j’ai découvert une chose étrange. Il y a, en France, sur toutes les bouteilles de vin, en bas de l’étiquette, à gauche ou à droite, un petite icone, un cercle dans lequel on voit une femme de profil, enceinte, le ventre proéminent. Le sens en est clair : boire du vin est déconseillé aux femmes enceintes. Cette mention graphique est obligatoire, sans doute par injonction du ministère de la santé .
Or, m’explique le producteur, il doit pour vendre son vin aux USA faire des étiquettes spéciales, sans la petite icone d’une femme enceinte. Pourquoi ? Parce qu’une femme enceinte, vue de profil, le ventre proéminent, est considérée comme obscène. Oui, vous m’avez bien lu, obscène. Et l’on se demande de quel côté se trouve l’obscénité. Du côté de la nature ou du côté de la culture ? Du côté de la nature qui fait que pour donner la vie une femme, comme tous les mammifères, grossit ? Ou du côté d’une culture qui voudrait que l’évocation graphique d’un corps nu ne soit pas acceptable ? Donald Trump ne serait pas obscène, mais une femme enceinte oui. Allez, prenez une bouteille de vin français, regardez l’étiquette pour vérifier que je ne vous raconte pas des carabistouilles (si vous ne connaissez pas ce mot, inutile de chercher dans un dictionnaire : en Belgique mais aussi en Bourgogne et peut-être ailleurs il signifie « bêtises », « fariboles »), puis ouvrez la bouteille et buvez-la à ma santé. Mais, tout de même, nous vivons une époque moderne !
2
Novembre 2016 :
De la dégustation à
l'évaluation
Je viens de passer quelques jours en Bourgogne et j’en ai, bien sûr, profité pour aller visiter certaines caves et déguster certains crus. Le cérémonial est toujours le même, on commence par les blancs avant de passer aux rouges et, dans ces deux ensembles, on commence par le bas de gamme pour monter en puissance. Disons qu’en gros on commence par le Bourgogne aligoté pour finir par le Pommard, un parcours qui peut prendre une heure et demie avec les commentaires du vigneron, les questions, et appréciations, et implique que l’on goûte une vingtaine de crus différents. Il est préférable de les recracher après les avoir appréciés, surtout si vous devez conduire.
Dans l’une de ces caves, le patron nous propose de nous montrer sa collection personnelle. Dans un coin, soigneusement rangées par ordre chronologique, il y a quelques centaines de bouteilles s’étalant sur 77 ans, de 1939 à aujourd’hui. Des vins de partout, de Bordeaux, d’Alsace, de Provence mais aussi d’Allemagne ou d’Espagne… Il commente avec fierté ce qu’il a accumulé, nous parle des années exceptionnelles récentes pour les Bourgognes rouges (1993, 2003, 2005, 2010), nous dit que 1939 était également une très bonne récolte, me demande ma date de naissance, je lui réponds 1942 et il me dit beurk, ça ne vaut rien. Et je comprends, bien sûr, que 1939 est sa date de naissance à lui. Nous étions passés d’une dégustation à une évaluation…
Il y a plusieurs façons d’évaluer quelqu’un. Il faut d’abord avoir un point de vue (on évalue par exemple des compétences culinaires, sportives, linguistiques…) et ensuite une grille d’évaluation et un barème. Ainsi vous pouvez évaluer les compétences culinaires de quelqu’un en le situant sur une échelle qui va de Bocuse à qui vous voulez… Mais je n’avais jamais été évalué du point de vue de ma date de naissance avec comme grille les bonnes années des crus de Bourgogne… On pourrait d’ailleurs imaginer de multiplier les points de vue et les barèmes, en prenant les meilleures années de Bourgogne et d’huile d’olive vierge de Tunisie, ou encore les années de meilleurs films primés au festival de Cannes et de récolte de maïs. En fait, si j’avais un conseil à vous donner, ce serait de choisir les points de vue et les barèmes qui vous favorisent. Si vous vous ennuyez un peu, voici donc un exercice salutaire. Partez de votre date de naissance et cherchez les points de vue qui vous mettent en haut du classement. Puis, comme par hasard, demandez à vos amis : Tu es né en quelle année ? Ah ! Beurk, ça ne vaut rien du point de vue de la production de patates en Russie, ou du riz en Thaïlande, ou du shit en Afghanistan… Et, pour terminer, goûtez un Bourgogne rouge de 1993, 2003, 2005 ou 2010. Pour 1939, je ne garantis rien : le vigneron m’a paru un peu trop imbu de lui-même pour être honnête. D’ailleurs, il m’a fait goûter un 2004 bouchonné…
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Octobre 2016 |
23 octobre 2016: Faut
rigoler
Le 19 septembre, Sarkozy a eu une formule choc : « dès que vous devenez français vos ancêtres sont gaulois ». Ce qui était une façon de remettre au goût du jour le roman national inventé au XIX° siècle et que les historiens sont nombreux à contester, et surtout de suggérer que l’on pouvait changer d’ancêtres au cours de a vie, ce qui est surprenant… En fait il y avait dans cette injonction une forme d’autoritarisme bonapartiste : vous voulez être Français, alors tous dans le rang, sur une même ligne, dorénavant vos ancêtres sont des Gaulois. C’était donc encore d’identité nationale qu’il nous parlait, d’une vision étroite, réductionniste de la nation. Il aurait dû lire l’historien Marc Ferro qui, dans son Comment on raconte l'Histoire aux enfants à travers le monde entier (Paris, Payot, 1981), expliquait que les récits de ce genre changent sans cesse. Il aurait pu aussi, lui qui aime tant les Américains, réfléchir sur l’exemple des USA qui, par respect pour les minorités, sont passés du melting pot au salad bowl, de l’idée que tous les néo-américains se sont fondus en un seul peuple, comme dans un creuset, à celle selon laquelle chacun des constituants a gardé sa saveur propre, comme les éléments d’une salade composée. Il en va d’ailleurs de même en France, où le roman national peut être contesté à la fois par les « minorités nationales » (les Basques descendent-ils de Gaulois ? ») et par l’apport régulier de migrations diverses. Devant les nombreuses protestations Sarkozy va cependant vite rectifier le tir, dans plusieurs déclarations multipliant le nombre de nos ancêtres et insinuant que nous sommes tous de parfaits bâtards: « Nos ancêtres étaient les Gaulois, ils étaient aussi les rois de France, les Lumières, Napoléon, les grands républicains », « Nos ancêtres étaient aussi les soldats de la Légion étrangère qui se battaient à Camerone et les tirailleurs sénégalais », « Nos ancêtres étaient les troupes coloniales mortes au Chemin des Dames lors de la première guerre mondiale, les tirailleurs musulmans morts à Monte Cassino ». Ainsi il nous insultait tous. Mais surtout il se révélait comme un redoutable sauteur en longueur, franchissant allègrement, en un seul bond, plus de 13 siècle, disons de la mort de Clovis (511) et la création de la légion étrangère (1831) ou celle des tirailleurs sénégalais ( 1857). Mais revenons à « nos ancêtres des gaulois », ceux que chantait Henri Salvador : « Nos ancêtres les Gaulois habitaient des huttes en bois et les druides trois par trois sous le gui chantaient à pleine voix » ou encore, « Nos ancêtres les Gaulois, cheveux blonds et têtes de bois, longues moustaches et gros dadas ne connaissaient que ce refrain là ». Quel refrain ? je vais y revenir. Car ce qui me frappe en effet dans ce roman national ressuscité par Sarkozy, celui de la France instituant nos ancêtres gaulois, c’est que les Gaulois sont des vaincus, que la France a toujours cultivé son héritage culturel latin, et que cette fierté sarkozyste repose sur une défaite. Mais, comme dans les albums d’Asterix, Alésia n’existe pas pour Sarkozix. En outre je n’avais pas remarqué ses cheveux blonds. Mais qu’importe, peut-être prépare-t-il l’avenir. Car s’il perd la primaire de la droite et que le ciel lui tombe sur la tête, il pourra retomber sur ses pieds en chantant le refrain de Salvador :
« Faut rigoler, faut rigoler Avant qu'le ciel nous tomb' sur la tête
Faut rigoler, faut rigoler
Pour empêcher le ciel de tomber »
20 octobre 2016: Le
syndrome du thé
Première surprise de la campagne présidentielle : Cécile Duflot a été éliminée au premier tour de la primaire des Verts. Elle était la candidate de l’appareil, et les appareils elle connaît, mais chez les Verts tout est toujours compliqué et les électeurs lui ont préféré deux personnes moins connues, Yannick Jadot et Michèle Rivasi. Et l’appareil est mauvais joueur. Selon Libération, un proche de Duflot a en effet déclaré : « C’est un règlement de compte. Ce n’est pas juste car elle paye son passé et sa participation au gouvernement alors qu’elle voulait tourner la page : c’est la première victime du quinquennat de la gauche ». Mais comment donc !Elle a perdu à cause de la gauche, on dira bientôt à cause de Hollande. Et si Duflot était tout simplement victime de son arrivisme ? Depuis 2014, depuis qu’elle a quitté le gouvernement, elle ne pensait qu’à ça, à la présidentielle, déclarant à qui voulait l’entendre « je me prépare » puis « je suis prête ». Et il est même plus que probable qu’elle a quitté le gouvernement pour se lancer dans la primaire EE-LV. Et bien voilà, ça ne marche pas à tous les coups. Les surprises étant souvent au menu chez les Verts, la suite me paraît pour l’instant illisible. Allons-nous vers une nouvelle rupture, une de plus ? Et de nouveau vers un score au dessous de la barre des 5% au premier tour de la présidentielle ? Mais le problème est ailleurs. La vocation des écologistes est-elle de jouer dans le champ politique traditionnel ou de diffuser leurs idées dans toutes les directions ? J’ai entendu ce matin sur France Inter une belle métaphore de Thomas Legrand. Il expliquait que Cécile Duflot avait été victime du syndrome du thé. C’est quoi, le syndrome du thé ? C’est simple : si vous voulez déguster une tasse de thé (vert, en l’occurrence) vous mettez un sachet à infuser puis, lorsque c’est prêt, vous le jetez à la poubelle. Voilà, Duflot est passée à la poubelle, et peut-être les autres suivront-ils, parce qu’ils préfèrent le pouvoir politique à la diffusion de leurs idées, ou à l’infusion de leurs idées dans l’eau de politique.
18
octobre 2016: Péju
t'es un niorju
Je l’ai dit dans mon précédent billet, tout se passe comme si, dans la primaire de la droite, les candidats cherchaient à nous vendre la même marchandise sous un emballage différent. Ce n’est pas le programme de Sarkozy que certains refusent mais l’homme qui est dévalué par ses postures, son langage, sa vulgarité, et ce n’est pas le programme de Juppé que d'autres choisissent mais l‘homme, sa distinction, sa civilité. L’un transpire abondamment, l’autre pas, l’un est professoral, debout devant le texte de sa leçon, l’autre, provocateur, cherche le buzz, la phrase ou l’idée qui fera du bruit. Pour illustrer de façon plus large ces emballages différents, citons un jeune soutien de Juppé, Matthieu Ellerbach, qui déclarait avec humour à un journaliste : « être jeune avec Juppé ce serait comme être calme avec Sarkozy, modeste avec Le Maire ou comique avec Fillon »... Il s’agit bien sûr, de représentations mais, pour simplifier, disons qu’à tort ou à raison Sarkozy a une image de voyou et Juppé une image convenable. On peut dès lors se demander pourquoi il semble faire de la surenchère dans le genre du langage relâché. Mais revenons un peu en arrière. En 1978 la France découvrait, grâce à Renaud et à sa chanson Laisse béton, le verlan. Laisse béton, pour « laisse tomber », sera très vite dans toutes les bouches, même les plus inattendues. Et le verlan deviendra une mode, puis une chose commune, quelque chose que tout le monde comprenait pour ou moins mais dont l’usage était une sorte de marqueur social. Le 29 avril 1985, lors de sa dernière intervention avant le premier tour de l’élection présidentielle, François Mitterrand allait même jusqu’à en donner une leçon au journaliste Yves Mourousi :
-Vous savez ce que c’est que chébran ?
-Ca veut dire branché, bien entendu. Mais c’est déjà un peu dépassé, vous auriez dû dire cablé.
C’est ce qu’on appelle une rupture de style, ou le passage d’un niveau de langue à un autre, dont le but était ici de montrer que le président, candidat à sa propre succession, était dans le coup.
Alain Juppé, lui, fait en la matière de façon surprenante feu de tous bois. On l’avait connu droit dans ses bottes, raide, un peu coincé, le verbe distingué, et voici que soudain il se lâche. Le 3 octobre dernier, répondant sur France 3 aux questions de Franz-Olivier Giesbert (mais l’émission avait été enregistré deux ou trois mois avant) il explique qu’il aime "aller à la messe parce qu'au moins pendant une heure personne ne vous emmerde", et quand on lui demande « qu’est-ce que vous répondez aux gens qui disent Juppé il est très conventionnel, qu’est-ce qu’on va se faire chier » la réponse fuse : « Je les emmerde, voilà… Moi je ne m’emmerde pas dans la vie alors s’ils se font chier avec moi qu’ils aillent voir ailleurs » Quand on pense à tout ce qu’on a reproché à Sarkozy, qui dévaluait la fonction présidentielle avec ses sorties intempestives, comme « casse-toi pauv’ con », cela a de quoi surprendre. Mais, surtout, emmerder, faire chier, cela n’avait rien de très nouveau. Pas chébran, Juppé ? Ou pas bléca ? Sur France 2, le 6 octobre, il continue à utiliser ces expressions populaires un peu vieillottes : "si on commence à exclure dans la primaire, on est mal barrés » et voit chez Sarkozy « un peu de panique à bord ». Mais il corrige le tir un peu plus loin: « on m’a dit à la Réunion que j’étais swag » . L’expression « avoir le swag », très utilisée chez les jeunes il y a… pas mal d’années, signifiait avoir du style, avoir un look à la mode et décontracté à la fois. Juppé aurait donc le swag. Dont acte. Mais tout cela intrigue. Pourquoi utiliser ces formules qui tranchent tant sur son style ? Un ras le bol ? Une volonté de faire croire qu’il est « in », lui dont les adversaires soulignent qu’il a passé les soixante-dix ans ? Nous pourrions dès lors nous demander si Alain Juppé n’est pas ici une victime collatérale du « jeunisme » ou du racisme anti vieux, s’il ne voudrait pas éviter qu’on puisse à son propos entonner la vieille chanson de Sheila, « Papa, papa, papa, t’es plus dans l’coup papa ». En 1988, alors que la France ne savait pas encore si Mitterrand allait se représenter, Renaud avait acheté une page entière de Libération sur laquelle on lisait Tonton, laisse pas béton. Lirons-nous un jour, dans Le Figaro par exemple, au cas où Juppé aurait un coup de mou et se sentirait trop vieux pour le job, Péju laisse pas béton ou, pour respecter la rime, Péju t’es un niorju ?
16
octobre 2016:
Première scène du
premier acte de la
pièce présidentielle
Depuis la création de la cinquième République, les présidents élus ont eu diverses façons de s’en aller. Démissionner (Charles de Gaulle), mourir aux commandes (Georges Pompidou), faire deux mandats et ne pas avoir le droit de se représenter (François Mitterrand, Jacques Chirac, mais de toute façon leur santé ne leur aurait pas permis de le faire), et enfin se représenter après un mandat et se faire battre (Valery Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy). Nous aurons cette année, quoiqu’il arrive, une nouvelle configuration. Un président en fin de mandat qui se représentera, ou pas (nous le saurons un jour ou l’autre), un président battu il y a cinq ans qui se présente aux primaires de la droite qu’il remportera, ou pas (nous le saurons le 20 ou le 27 novembre), et s’il l’emportait sera ensuite élu, ou pas (nous le saurons le 23 avril ou le 7 mai).
Tout cela s’apparentera donc à une pièce en plusieurs actes, mais une pièce décousue, bien loin de la règle des trois unités que Boileau énonçait dans son Art poétique : « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli ». Il y aura en effet plusieurs lieux, plusieurs mois et des actions variées. Pour la primaire de la droite, les acteurs sont déjà en place, six hommes et une femme : Le Maire, Fillon, Copé, Sarkozy, Juppé, Poisson et Kosciusko-Morizet. Mais ils n’ont ni la même carrière, ni la même aura ni, bien sûr, le même avenir. D’un côté des débutants peut-être prometteurs mais qui ne sont pour l’instant que des figurants et ne peuvent qu’espérer, un jour, se trouver sur le devant de la scène. De l’autre des acteurs confirmés pour lesquels l’enjeu est tout différent. Ils savent qu’à l’issue de la pièce, deux ou trois d’entre eux seront définitivement poussés vers la sortie, et qu’ils n’auront qu’un choix réduit, disparaître côté jardin ou côté cour. Et, entre ces deux groupes, un OVNI, Jean-Frédéric Poisson, représentant le Parti chrétien-démocrate dont personne n’a entendu parlé mais qui fera plus de sens quand on saura qu’avant lui la cheffe de file en était Christine Boutin.
Ce qui va se jouer, dans ces primaires de la droite, au delà de la désignation d’un candidat unique, c’est une redistribution des cartes, un grand chambardement, non pas pour l’avenir du pays mais pour celui de ces sept acteurs. Car cette brochette de candidats, cette bande des sept, ou plutôt des six plus un (Poisson), ne doit pas faire illusion. Pour la plupart ils savent qu’ils n’ont aucune chance dans le casting présidentiel, ils ne visent pas ce rôle mais en espèrent d’autres, plus tard, s’ils figurent honorablement dans la distribution.
Certains affichent une volonté de nouveauté : « le renouveau c’est Bruno » pour Le Maire, « nouvelle société, nouvelle France » pour Kosciusko-Morizet, mais ces termes évoquent irrésistiblement ce que les linguistes nomment la fonction performative du langage, quand dire c’est faire. Ce peut être parfois le cas, lorsqu’un maire par exemple dit « je vous déclare unis par les liens du mariage » et que deux individus s’en trouvent mariés (même si ce n’est pas vraiment la parole du maire qui « fait » mais quelques signatures, quelques enregistrements administratifs et l’établissement d’un livret de famille). Mais, de façon générale, dire ce n’est pas faire. Dire nouvelle donne, nouvelle société, nouvelle France ou nouvelle politique par exemple, ce n’est pas agir sur les situations. Si le Beaujolais peut être dit chaque année, en novembre, « nouveau », c’est parce qu’il vient d’être vinifié, peut-être trafiqué, puis mis en bouteille, l’action (ici la production) précède la nomination. Mais annoncer une société « nouvelle » ne la construit pas pour autant. Qu’on se souvienne de la « nouvelle société » annoncé en 1969 par Jacques Chaban-Delmas, ou de la « nouvelle philosophie » et des « nouveaux philosophes » dont on nous rebattait les oreilles il n’y a guère. Avec le recul de quelques dizaines d’années, nous sommes à même d’apprécier le peu de poids de cet adjectif.
La première scène du premier acte a donc eu lieu, à la télévision, le 13 octobre, et Bruno Le Maire a, dès le début, dévoilé la longueur de ses dents : « si vous voulez continuer comme avant vous avez tout ce qu’il faut sur ce plateau. Si vous voulez le renouveau... ». Encore une fois le renouveau, mais surtout l’idée que tous, sauf lui, procèderaient du monde politique ancien. Pourtant, après plus de deux heures d’émission, et même si Le Maire était le seul des six hommes à ne pas porter de cravate, on peinait à trouver des différences entre les candidats à la primaire de la droite, ou plutôt entre leurs programmes, lorsqu’ils en ont. Sur l’économie, sur le temps de travail, sur les impôts, sur la gestion de l’état, ils disent tous à peu près la même chose, à quelques nuances près. Sur le temps hebdomadaire de travail, Sarkozy lance « je ne serai pas la Martine Aubry de la droite », comprenne qui peut, et annonce qu’il veut revenir aux heures supplémentaires défiscalisées. Pour Fillon, il faut « supprimer la durée légale du travail » mais il annonce que « les fonctionnaires devront passer aux 39 heures ». Tous veulent supprimer l’impôt sur la fortune, baisser le nombre de fonctionnaires, la plupart veulent, à des rythmes certes légèrement différents, réduire progressivement les allocations chômage.
Bref on a l’impression que la droite n’a pas pris le temps de repenser ses analyses et ses positions. Ils ont bien sûr quelques divergence, sur le mariage pour tous par exemple. Et ils restent presque tous muets sur le monde numérique qui s’annonce pourtant comme le moteur de notre société à venir. Seule Nathalie Kosciusko-Morizet y fait allusion, déclarant que « l’avenir de l’emploi c’est le travail indépendant ». La droite ne semble pas innover, peut-être parce qu’elle croit pouvoir être sûre d’accéder au deuxième tour, face au Front National, et ne ressent pas le besoin de construire un projet nouveau, sur lesquels pourraient reposer des discussions avec les autres candidats, en particulier ceux de gauche. Encore une fois, dire ce n’est pas faire, et dire nouveau n’est pas un renouvellement. Certains, deux pour être précis, en sont pourtant conscients. Poisson qui déclare qu’en 1993 le RPR et l’UDF avaient les mêmes propositions qu’aujourd’hui, et Kosciusko-Morizet qui avait préparé une belle formule : « le recyclage ça marche pour les déchets, pas pour les idées ».
Roland Barthes, dans ses Mythologies, avait analysé les différentes publicités de lessives, leur façon de se vendre, soulignant que l’on masquait la fonction abrasive des détergents « sous l’image délicieuse d’une substance à la fois profonde et aérienne ». Et il concluait qu’au delà des différences affichées, « il y a un plan où Persil et Omo c’est tout comme : le plan du trust anglo-hollandais Unilever ». Il en va un peu de même pour la bande des six plus un de la primaire de la droite. Ils ont tous hérité du même projet, mais le « vendent » différemment, se distinguent par leur rhétorique, leur caractère, leur style, en bref par l’emballage, sous lequel ils proposent presque le même produit.
Pour conclure sur ce point, je me suis ennuyé pendant les trois quarts de l’émission et ne me suis réveillé qu’à l’heure des petites piques. Oh!, de toutes petites piques : personne n’a vraiment eu le courage de dégainer vraiment, il ne faut pas injurier l’avenir, il faut mieux sauvegarder la possibilité de devenir ministre. Le Maire, à destination de Juppé, lance l’idée que tous les candidats devraient publier leur casier judicaire, Copé déclare en visant Sarkozy que lui, mis en examen, il ne serait pas candidat, et Kosciusko-Morizet sort une formule elle aussi soigneusement préparée qui vise à la fois Juppé et Sarkozy : « Entre l’identité heureuse et l’identité gauloise il y a l’identité républicaine ».
Pour conclure : il sortira certes de ces primaires un seul candidat, mais il fera à peu près la même politique que celle qu’auraient faite les autres, et nous assistons en fait aux prémices d’un grand chambardement dans l’organisation des organisations politiques de la droite, ce qui est un tout autre enjeu. Qui prendra le pouvoir au sein du parti? Qui disparaîtra de la scène politique ? Qui sera ministre ? Bref, comme on voit, des préoccupations qui n’ont rien d’altruistes.
Et
ceci me donne une
idée. Puisqu’en
France, dit-on, tout
finit par des
chansons, alors
allons-y. Une partie
de cette « bande
des six plus un »
pourra fredonner à
l’issue du deuxième
tour de la primaire de
la droite un refrain
de Serge Gainsbourg,
« Je suis venu te
dire que je m’en
vais », ou à
l’instar de Françoise
Hardy, « comment
te dire
adieu ? »,
alors que tous
auraient préféré
chanter, avec Eddy
Mitchell, « et
s’il n’en reste qu’un
je serai
celui-là ». Car,
bien sûr, il n’en
restera qu’un au bout
de la pièce. Mais
quand, après
l’élection
présidentielle et les
élections
législatives, il
faudra redistribuer le
pouvoir dans le PR,
ils pourront penser à Guy
Béart et chanter en chœur :
« La terre perd la boule, et fait sauter
ses foules, voici
finalement le grand
le grand, voici
finalement le grand
chambardement ».
15
octobre 2016: Lire,
écouter
A lire, le numéro 75 de
la revue Hermès,
dont le thème est
"Langues romanes: un
milliard de locuteurs.
A écouter une interview
télévisée que j'ai
donnée à l'heddomadaire Télérama et
que vous trouverez à
cette adresse:
http://www.telerama.fr/idees/louis-jean-calvet-on-pourrait-reserver-dans-les-pays-du-nord-une-place-aux-langues-du-sud,148766.php
15
octobre 2016 : The
Nobels they are
a-changin'
Je
sais, ce titre, The
Nobels they are
a-changin’,
n’est pas très
original. En fait je
l’ai piqué à Libération qui en a fait sa
une d’hier. Mercredi
soir, les préférés de
parieurs (oui, ça
existe) pour le prix
Nobel de littérature
étaient le Kenyan
Ngugi W Thiong’à, le
Japonais Haruki
Murakami, le Syrien
Adonis et l’Américain
Don DeLIllo. C’est
dire que son
attribution à Bob
Dylan a été une
surprise aussi grande
que si Copé gagnait la
primaire de la
droite... Ma première
réaction a été :
tiens, c’est la
première fois que je
connais toute l’œuvre
d’un prix Nobel. Et,
bien sûr, je suis
content du pied-de-nez
que la vieille
institution a fait aux
puristes de tous
genres. Mais, en même
temps, je suis un peu
gêné, pas pour les
mêmes raisons que ces
puristes mais gêné
tout de même. Cela
fait des années que je
travaille sur la
chanson et que je
regrette une tendance
à ne la considérer
comme acceptable que
lorsqu’elle est
« poétique ».
Mettre par exemple
dans un manuel
scolaire des textes De
Brassens, de Moustaki,
de Ferré ou de Brel
c’est à mes yeux
châtrer leur œuvre :
ils ont écrits des
chansons, c’est-à-dire
un mariage de texte,
de mélodie,
d’orchestration, et
non pas des textes, et
c’est dans toute leur
dimension qu’il
faudrait les
considérer. Et lorsque
l’Académie suédoise
parle à propos de
Dylan « de
nouveaux modes
d’expression
poétique », je me
dis que la formule est
bien trouvée, mais
réductrice.
Mais
bref, ne boudons pas
notre plaisir :
il n’y a pas de prix
Nobel de chanson,
alors si la chanson
peut investir celui de
littérature, ce n’est
pas si mal.
11
octobre 2016: Mise à
jour
Ce site a été repeint, ou rajeuni, ou mis à jour,
comme vous voudrez
(merci Michel). Il y
avait très longtemps
que je n’avais pas
rempli les entrées
« biographie »
et
« bibliographie ».
Pour la première, je
la laisse
tomber : donner
la liste de mes
déplacements, de mes
conférences, etc., ne
présente pas beaucoup
d’intérêt. En revanche
la bibliographie a été
mise à jour, avec une
innovation. Lorsqu’un
article est en ligne,
vous pouvez aller le
lire en cliquant sur
le lien qui apparaît.
Ou encore, vous avez
un lien avez la
couverture du livre,
etc. Pour revenir en arrière, vous
cliquez sur
« accueil.htm ».
9
octobre 2016 : Le
"déclarateur" de
guerres
Je n’ai aucun plaisir à parler encore de Sarkozy et j’espère que d’ici quelques semaines, lorsque sera terminée la primaire de la droite, il aura tout le loisir de s’occuper de ses affaires judiciaires. Mais, pour l’instant, il est toujours là. Alors, avant qu’il aille en prison (enfin, on peut toujours rêver), parlons encore de lui… En septembre dernier, lors d’un meeting à Provins, il lançait: « Nous sommes en guerre à l'extérieur comme à l'intérieur, il faut écraser nos ennemis ». Ce thème n’est pas nouveau chez lui. Déjà le 27 juin 2002, alors qu’il était ministre de l’intérieur, il déclarait: « Nous allons gagner la guerre contre l’insécurité ». Phrase claire, bien balancée, mettant en valeur un ennemi ou une cible, l’insécurité, et annonçant tout à la fois que nous étions en guerre contre elle et que nous allions gagner cette guerre. Il ne manquait au verbe gagner qu’une précision temporelle, la date de la victoire. L’ennui est que cette déclaration de guerre a été sans cesse réitérée. Le 8 février 2008, devenu président de la république, l’ancien ministre de l’intérieur déclare: « Dès demain c’est une guerre sans merci qui sera engagée à l’endroit des trafics et des trafiquants ». Le 17 mars 2009 : « Nous déclarons la guerre aux bandes violentes ». Le 26 mai 2010 : « La France s’est engagée dans une guerre sans merci contre la criminalité ». Puis le 30 juillet 2010, à Grenoble « C'est donc une guerre que nous avons décidé d'engager contre les trafiquants et les délinquants », un » « véritable guerre », une « guerre nationale ». Cela fait donc quatorze ans, trois mois et quelques jours qu’il a commencé à déclarer la guerre, et depuis il la déclare à nouveau, régulièrement, cycliquement. Nous savions qu’il avait l’âme belliqueuse, sa maman avait confié à la presse, pendant la campagne présidentielle de 2007, que déjà tout petit il organisait dans sa chambre des défilés militaires et qu’elle pensait alors qu’il finirait général. Sarkozy est un déclarateur de guerre, je sais, l’expression n’existe pas mais nous avons encore droit aux néologismes, un déclarateur de guerre permanent, répétitif, obsessionnel. Il a donc depuis quatorze ans, trois mois et quelques jours déclaré régulièrement une guerre sans merci, une véritable guerre, une guerre nationale. En général, les guerres se terminent par une paix, c’est-à-dire, logiquement, une victoire pour les uns, une défaite pour les autres, ou encore par un cessez-le-feu. Mais ici, rien de tout cela. Déclaration de guerre après déclaration de guerre, le déclarateur continue à déclarer des guerres qui ne débouchent sur rien : pas de victoire, pas de cessez-le-feu, pas de défaite, du moins pas de défaire assumée, reconnue. Certains diront qu’il a de la suite dans les idées. Certes, mais il faut immédiatement ajouter que, sur le plan stratégique, ce belliqueux général en chef ne brille guère. La guerre dure. Enfin, métaphoriquement : il parle sans cesse de cette guerre dont nous ne voyons pas les résultats, tout comme pour ce qui concerne ses déclarations bellicistes contre les paradis fiscaux, le capitalisme financier et des dizaines d’autres affirmations prétentieuses et non suivies d’effet. Le déclarateur déclare une guerre, puis une autre, sémantique répétitive et inopérante. Quand donc annoncera-t-il qui a gagné une guerre ? En fait, peu importe, ce qu’il aime avant tout c’est de la déclarer, sans que l’on sache s’il a comme modèle la guerre des boutons ou la guerre de cent ans. Ce qui est sûr, c'est qu'il est adepte de la fonction performative du langage et croit dur comme fer que dire c'est faire...
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Septembre 2016 |
25 septembre 2016 : Milan,
quelques
impressions et un
"détail"
Je viens de passer trois jours à Milan, pour un colloque au titre évocateur, CONfini, CONtatti, CONfronti , dont la traduction française (confins, contacts, confrontations) en perd un peu l’harmonie phonique, conservant certes la même première syllabe mais pas la rime donnée par la marque du pluriel en italien. Mais, avant d’en revenir à cette réunion, quelques impressions générales. D’une part, j’ai été très frappé en lisant la presse italienne par le nombre de formules ou de termes anglais qui y fleurissent. On y parle au beau milieu de phrases en italien d’austerity, de money transfer, on lit, à propos de Paris et des jeux olympiques, « I Giocchi low cost di Parigi » , et si l’on parle parfois du stato islamico, l’état islamique, on trouve plus souvent la forme anglaise Isis (Islamic State of Irak and Levant). Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est l’omniprésence du terme movida. Tout le monde parle des quartiers de la movida, les quartiers à la mode, les quartiers où l’on s’amuse, et l’on a vraiment l’impression que Milan veut faire la fête. Le terme movida est bien sûr emprunté à l’espagnol qui désignait, après la mort de Franco la contreculture, les fêtes nocturnes, la libération des mœurs à Madrid. Mais les habitants de Milan ne savent pas, je l’ai vérifié en en interrogeant quelques uns, qu’en espagnol la formule venait d’une expression de l’argot des trafiquants, hacer una movida, qui signifiait aller se fournir en drogue à la périphérie des grandes villes pour revenir la consommer au centre… Bref, la ville se défonce, même si l’on peut se demander si elle ne danse pas au dessous d’un volcan. J’ai aussi vu, mais cela n’a rien à voir, une très belle exposition de photos, Actrices, de Kate Barry, l’une des filles de Jane Birkin, à l’Institut français. Ajoutons pour finir un néologisme capté au vol, apericena, qui désigne ici ce qu’on appelle en français un cocktail dinatoire et qui est devenu très à la mode dans la capitale du Nord de l’Italie. Cocktail dinatoire a d’ailleurs, en France, des connotations plutôt bourgeoises et on peut lui préférer apérodîne. Après cet apéritif, donc, revenons donc à mon colloque, ou du moins à une petite partie de ce colloque. J’y ai rencontré Gao Xingjian qui, comme moi, était invité à faire une conférence. Il est, bien sûr, connu comme prix Nobel de littérature, mais on sait moins qu’il est aussi poète, auteur de théâtre, essayiste et peintre. Or j’avais vu il y a un peu plus de dix ans en Avignon une exposition de ses toiles, et une chose m’avait frappé, sur laquelle je vais revenir. En Chine, la poésie et la peinture utilisent les mêmes instruments (pinceau, pierre à encre, encre), et sur les peintures traditionnelles (les paysages qu’on appelle shan shui, « montagne et eau » ou « montagne et fleuve ») on voit toujours, à côté du paysage, des poèmes calligraphiés et la signature de l’artiste, apposée avec un sceau et de l’encre rouge. Or, dans la rétrospective d’Avignon, les œuvres de Gao étaient présentées dans un ordre chronologique et j’avais remarqué qu’il avait suivi jusqu’à une certaine date les canons de la peinture traditionnelle chinoise, signant en rouge et au sceau, pour subitement changer et signer de son nom, en caractères latins. De quoi le fait d’abandonner le système chinois de signature était-il le signe ? J’avais l’intuition que cette modification était le symbole graphique d’un changement de référence culturelle, et j’ai donc profité de cette rencontre pour l’interroger. Mon intuition était juste. Gao est devenu français en l’an 2000, et il m’expliqua que jusque là il utilisait un sceau (qu’il avait gravé lui-même, il tint à le préciser) puis qu’il était passé à son nom, GAO, en caractères latin. Mais il avait l’air de considérer cela comme anecdotique. J’y vois pour ma part quelque chose d’important : un changement de vie, un changement d’identité, une façon de tourner une page en quelques sortes. Et d’ailleurs il lui arrive désormais d’écrire des pièces de théâtre en français. Mais il est intéressant que ce passage se manifeste aussi simplement, par ce que l’on pourrait prendre pour un détail graphique qui est en fait beaucoup plus qu’un détail.
17 septembre
2016 : sourde/sonore
J’ai
oublié, dans mon
billet d’hier, de
signaler un petit
détail dans la
prestation télévisée
de Nicolas Sarkozy. On
l’interroge sur la déradicalisation,
mot qui n’est certes
pas facile à prononcer
et que mon correcteur
orthographique refuse
d’ailleurs. Mais j’ai
entendu une amorce,
vite corrigée, dérati...
déradi... (calisation).
Un t à la place d’un
d. La différence entre
ces deux consonnes est
légère, la première
est sourde, la seconde
sonore, comme entre p
et b, s et z, etc.
J’ai réentendu ce
passage dans une
émission d’information
et j’ai eu la même
impression. Il
faudrait bien sûr
avoir la bande et
l’analyser en
laboratoire de
phonétique. Mais j’ai
le sentiment que
Sarkozy allait
prononcer dératisation. Ce qui serait un
intéressant lapsus
embryonnaire.
16 septembre 2016 : Faux-monnayeur
Nicolas Sarkozy était donc, hier soir, le premier invité de la nouvelle émission politique de France 2. Et ce qu’il a raconté avait de quoi surprendre. Lui qui, lorsqu’il était président, voulait faire inscrire dans la Constitution l’interdiction de tout déficit budgétaire, défend aujourd’hui un programme économique qui ferait augmenter le déficit et déclare que ce n’est pas un problème. Lui qui, lorsqu’il était président, avait lancé le Grenelle de l’environnement déclare aujourd’hui que l’homme n’est pas responsable du réchauffement climatique. Lui qui, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, avait signé en 2003 les accords du Touquet déclare aujourd’hui que « nous ne sommes pas les gardes barrières de l’Angleterre », qu’il faut laisser partir les migrants qui veulent s’y rendre. Lui qui, récemment, affirmait qu’il voulait supprimer la loi sur le mariage pour tous, dit aujourd’hui le contraire Bref, Sarkozy a « changé », mais pas au sens où il voudrait nous le faire croire. Disons qu’il a tout d’une girouette, mais cela pose en même temps le problème de la valeur des mots et des phrases, sur lequel je reviendrai plus bas. Continuons. Sur sa responsabilité dans la situation actuelle de la Libye, il dégage en touche. A toutes les questions précises de Léa Salamé, parfois répétées plusieurs fois, sur l’affaire Bygmalion par exemple, il esquive, répond à côté. François Lenglet lui cite une circulaire. « C’est nul ! » dit Sarkozy. Lenglet lui rappelle que cette circulaire date de février 2012, lorsqu’il était président donc, il esquive et passe à autre chose. Bref, il a tout d’une anguille. Alors, Sarkozy : Anguille ou girouette ? Anguille et girouette ? Les deux, sans doute, mais je crois qu’il est en même temps un faux-monnayeur, et qu’il n’est pas le seul. Je m’explique. Les discours politiques ou idéologiques ont toutes les apparences de la monnaie : de la même façon que la valeur faciale d’une pièce par exemple est totalement déconnectée de la valeur du métal qui la compose, qu’elle ne repose que sur la confiance (on parle d’ailleurs de monnaie fiduciaire), on peut avoir ou pas confiance en ce que disent ces discours. Mais si l’on peut prévenir la fraude pour la monnaie, par inclusion d’hologrammes ou de fils de sécurité dans les billets par exemple, il est plus difficile de prévenir la fraude sémantique. Il faudrait vérifier à chaque mot, chaque phrase, la « valeur » de ce qui est dit. Or l’expérience nous montre que ces discours sont souvent de la fausse monnaie, ou de la monnaie de singe, en ce sens qu’ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être, qu’ils n’annoncent pas ce qui sera fait ou ce qui arrivera, mais parfois le contraire. De la même façon que le mot chien ne mord pas, on ne peut pas payer avec le mot argent. En revanche on peut acheter des voix avec la fausse monnaie du discours, être élu et changer ensuite de discours. Ce qui nous ramène aux politiques en général, faux-monnayeurs donc, et à Sarkozy en particulier. Bien sûr, je m’amuse un peu, mais poursuivons tout de même. Une chose est de payer avec de la fausse monnaie, une autre est de la fabriquer. Nous entendons des militants de tous bords répétant des formules ou des slogans qui souvent sont des contre-vérités. Mais s’ils diffusent ainsi de la fausse monnaie, ils ne la fabriquent pas, ils utilisent celle que leur leader ou leurs dirigeants ou leurs chargés de communication mettent en circulation. Pour finir en m’amusant un peu plus : J’entends dire qu’Usain Bolt est le plus rapide sur cent mètres : fausse monnaie ? A priori non, puisque cette phrase donne le résultat d’un chronométrage. Mais si j’entends dire qu’Allah est le plus grand, je sais que cette autre phrase ne donne pas le résultat d’un passage sous une toise. Vous avez une heure pour commenter cette dernière phrase.
7 septembre
2016 : Est-il
adroit d'être à
droite
« Je ne suis ni de droite ni de gauche » aurait déclaré Emmanuel Macron. Dont acte : il serait donc ailleurs, et l’avenir nous dira peut-être où.
Mais d’où vient que ces termes, droite et gauche, portent une opposition politique ? Commençons par l’origine de ces deux mots. Autant le mot droite est, si je puis dire, clair, du latin directus, que l’on retrouve dans la plupart des langues romanes, destra en italien, derecha en espagnol, destra en portugais, ces langues ne disent pas gauche de la même façon : sinistra en italien, izquierda en espagnol, esquerda en portugais, esquerre en catalan (toute ces formes venant du basque eskerr) et, donc, gauche en français... On ne sait pas vraiment d’où vient ce dernier mot, certains lui voyant, sans beaucoup de preuves, une origine germanique. Mais, dans tous les cas, ces deux termes, gauche et droite, désignaient d’abord une direction : main droite et main gauche, à droite et à gauche, etc. C’est, en français, depuis la révolution de 1789 que ces termes ont pris un sens politique, désignant ceux qui siégeaient, à l’assemblée, à la gauche ou à la droite du président de séance. Fort bien.
Pourquoi, cependant, droite se dit-il à peu près de la même façon dans ces langues et pas gauche ? Le mot latin sinister, le côté gauche, avait pris un autre sens, celui de « mauvais présage », parce que les devins considéraient comme néfaste le fait que les oiseaux qu’ils observaient viennent de la gauche. C’est là, vous l’aurez compris, l’origine de l’adjectif sinistre, et c’est sans doute pourquoi on a en français abandonné senestre, qui coexista un temps avec destre, au profit de gauche : trop sinistre, ce mot senestre. Mais gauche a, comme en latin, gardé un troisième sens, celui de « pas droit », de « tordu », de « maladroit » en quelque sorte. Et ce sens se retrouve ailleurs, en espagnol par exemple où le verbe izquierdear signfie « agir de travers », ou encore en anglais où gauche se dit left, mais où to be left signifie « être maladroit » (et to be right « avoir raison »).
D’un
côté, donc, être
gauche, ou maladroit,
de l’autre être
habile, adroit. Du
coup, être de
gauche pourrait
renvoyer, dans
l’inconscient
collectif, à la
maladresse, et être de
droite à
l’adresse. Certains
pourraient donc
considérer, en ces
temps pré-électoraux
qui ne semblent guère
favorables à la
gauche, qu’il est
adroit d’être à
droite. Et, pour
conclure : Ni de
droite ni de gauche,
Macron, peut-être,
mais sûrement adroit.
6 septembre 2016 : Frémissement
Je vous ai signalé en son temps la parution de
mon bouquin sur la
Méditerranée. Depuis
lors, je suis allé de
surprise en surprise,
ou de bonnes nouvelles
en bonnes nouvelles,
comme vous voudrez.
Sorti mi avril, le
livre était épuisé en
six semaines, je vous
l’avais dit à
l’époque. Réimprimé en
juin, il était de
nouveau épuisé en
août, et il vient de
ressortir, troisième
tirage donc, début
septembre, avec un
beau bandeau rouge,
« prix Ptolémée
2016 ». Ce prix
est décerné par le
forum International de
Géographie et me sera
remis début octobre,
mais vous trouverez si
ça vous intéresse des
renseignements sur ce
forum sur Internet. Ce qui me retient est ailleurs. Depuis de longues
années les livres de
sciences humaines, et
singulièrement de
linguistique, trouvent
difficilement un
éditeur et la plupart
de nos collègues sont
obligés de sortir,
parfois à compte
d’auteur, dans des
boites comme
l’Harmattan. Signe
d’un désintérêt, sans
doute, signe des temps
peut-être, signe aussi
que la linguistique ne
fait plus rêver. Or on
sent soudain un léger
frémissement. La
presse a par exemple
parlé du dernier
bouquin de Philippe
Blanchet sur la
« glottophobie »,
et du mien comme vous
savez. Ce dernier
n’est pas vraiment facile à lire, il est
parfois technique,
mais il est en train
de faire un succès. Et
il y a là quelque
chose à analyser. Un
signe, mais de quoi?
La situation
politique, les flux de
migrants du sud vers
le nord de la
Méditerranée, le
racisme rampant et
décomplexé, sont
peut-être un début
d’explication. Je
devais par exemple
participer les 14 et
15 septembre à un
forum organisé à Nice
par le Nouvel
Observateur sur
le thème « des
ponts sur la
Méditerranée »,
et cela témoigne d’un
intérêt politique pour
le traitement
linguistique de la
question. La réunion a
été annulée à la
demande de la ville de
Nice, sans doute pour
des raisons de
sécurité, mais la
chose demeure. J’ai le sentiment que montrer que la
linguistique ne parle
pas seulement des
langues mais aussi de
nos sociétés et de nos
situations politiques
permet de toucher un
public un peu plus
large. J’avais déjà eu
cette impression
lorsque nous avions,
avec Jean Véronis,
publié un livre sur la
campagne électorale de
2007, puis un autre
sur les mots de
Sarkozy. Et ce
frémissement n’est pas
seulement un bonne
nouvelle pour la
linguistique, il est,
je crois, rassurant
pour l’avenir,
montrant que le public
ne se satisfait pas
seulement des discours
populistes, qu’il cherche d’autres types
de réflexions. C’est
plutôt encourageant,
non ?
4 septembre
2016 : Monsieur μ
Emmanuel Macron était, ce dimanche, de 12 heures 30 à 14 heures, l’invité de Nicolas Demorand sur France Inter, une heure et demie moins la courte interruption du journal de 13 heures. L’émission étant également diffusée sur la nouvelle chaîne de télévision France info :, je l’ai à la fois vue et écoutée. Du coup je ne sais pas si les simples auditeurs de la radio ont perçu ce qui se passait sur le plateau. Macron, donc, avec à sa gauche Demorand qui dirigeait les débats et à sa droite trois journalistes, l’un de France Inter, l’autre de France 2 et le troisième du Monde. L’invité était donc sensé répondre à leurs questions, mais il y en eut peu, pour les raisons qu’on va voir. A chacune d’entre elles en effet, l’invité se lançait dans un long discours filandreux et évitait le plus souvent de répondre. Il me faisait penser à Georges Marchais naguère, à Jean-Luc Mélenchon aujourd’hui, sauf que Mélenchon, pour rester dans l’actualité, utilise plutôt l’insulte et le populisme alors que Macron pratique pour sa part un pseudo langage philosophique, évoquant la complexité des problèmes, tournant en rond et, surtout, ne rendant jamais la parole, pour repousser le plus tard possible la question suivante. Il fallait voir Demorand, la main tendue vers lui, doigts écartés, pour tenter de l’arrêter, de donner la parole aux autres ou pour le recadrer, il fallait voir les journalistes, l’air excédé ou ironique, pour comprendre que l’ancien ministre de l’économie énervait tout le monde et, encore une fois, je ne sais pas si cela se percevait en radio. Je me disais que Demorand allait finir par se mettre en colère, par crier « mais taisez-vous, ou répondez aux questions », mais non. Visiblement il n’en pouvait plus mais l’autre, imperturbable, continuait à ne rien dire mais à le dire très bien. Un exemple, un seul : les journalistes lui demandaient avec insistance s’il était vrai qu’il ne se présenterait pas à l’élection présidentielle dans l’hypothèse où François Hollande serait candidat, et il a réussi à faire de longues phrases bien tournées sans jamais répondre à cette question pourtant simple. En fait il semble être incapable d’utiliser le oui ou le non, ni de dire peut-être, il paraît ailleurs, dans les limbes. Gentil garçon propre sur lui, ponctuant parfois son discours de formules latines, il a tout du gendre idéal (mais, mesdames, il est déjà marié), idéal et inutile. Et je me demandais comment un tel homme peut faire la une des journaux depuis des semaines, comment il peut faire illusion, comment des gens peuvent imaginer qu’il a devant lui un destin politique. Je ne sais bien entendu pas de quelle façon les media vont rendre compte de cette longue émission, qui m’a paru horripilante et, surtout, vide. C’est cela, la vacuité absolue habillée de belles phrases. Sur le fond, ce serait plutôt Emmanuel Micron. Tiens, désormais, c’est comme cela que je l’appellerai : Monsieur μ
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Août 2016 |
28
août 2016:
Rentrée
Chic, un nouveau livre !
Pour les amateurs de lecture, la rentrée de septembre est toujours un plaisir. Près de 300 romans, parfois plus, arrivent sur le marché, la lecture des suppléments littéraires des différents quotidiens , ou nos goûts, nous aident dans nos choix, bref notre gourmandise a de quoi se rassasier.
Chic un nouveau livre, donc. Mais ce n’est pas de rentrée littéraire que je vais vous parler, de rentrée politique plutôt. Cette année, la grande nouveauté Tout pour la France, oui, Tout pour la France, signé Nicolas Sarkozy. Il y annonce, à la surprise générale, qu’il sera candidat à la présidentielle (personne ne l’aurait imaginé) et y détaille, son programme. Plus de durée unique du temps de travail, indemnités de chômage dégressives au bout de 12 mois, puis de 18 mois, suppression de l’impôt sur la fortune, mise au trou de tous ceux que l’on soupçonne de constituer une menace pour l’ordre public, système de cotisations sociales favorisant les patrons... Bref, même si Sarkozy vous était sympathique (moi il me donne des boutons), son programme ne pourrait que vous révulser. Je sais, Alain Juppé semble avoir toutes les chances de remporter la primaire de la droite, et Sarkozy d’aller là où il devrait être, en prison (au fait, une humoriste a annoncé que Sarkozy était candidat à l’amnistie présidentielle...). Et je sais aussi que les media donnent de Juppé l’image d’un homme raisonnable, d’un vieux sage. Mon œil ! Nous l’avons vu à l’ œil lorsqu’il fut premier ministre et savons à quoi nous attendre : son programme sera au bout du compte le même que celui de Sarkozy, l’hystérie en moins.
Dès lors, est-il possible que la gauche parvienne au second tour ?
En 2002, au premier tour de l’élection présidentielle, Christiane Taubira avait obtenu 2,32% des voix, Jean-Pierre Chevènement 5,33%, Noël Mamère 5,25% , Olivier Besancenot 4,25%, Arlette Laguillier 5,72%, etc. Le total de cette dispersion des candidatures plus ou moins de gauche dépassait les 23% et chacun, perché sur son petit ego, avait joui d’être pendant quelques semaines à l’affiche. Le résultat, vous vous en souvenez, fut que Jean-Marie Le Pen avec 16,86% des vois, dépassa Jospin (16,18%) et parvint au second tour. En 2007, le ridicule des petites candidatures fut encore plus aveuglant : Laguillier 1,33%, Besancenot 4,08%, Bové 1,32%, Buffer1,93%, Voynet 1,57%... Et en 2012 Arthaud, succédant à Laguillier, atteignait glorieusement 0,56%, Poutou, remplaçant Besancenot, 1,15%, Joly, pour les écolos, 2,31%... Seule nouveauté, Mélenchon, avec 11, 1% des voix, arrivait en quatrième position, derrière Hollande, Sarkozy et Le Pen.
Pour la prochaine édition de ce spectacle électoral, nous savons que le Pen a toutes les chances d’être au second tour. Reste donc à savoir qui sera le deuxième. Et l’on voit mal comment, avec la multiplication de ces petites candidatures plus celle Mélenchon, un candidat de gauche, quel qu’il soit, pourrait y parvenir. On a longtemps dit que la droite française était la plus bête du monde, la gauche la détrône désormais. Même si Duflot parvient à 5%, ce qui est douteux, et Mélenchon à 15%, ces deux-là, tous seuls comme des grands, mettront la droite au pouvoir.
C’est beau la politique, lorsque les ambitions et les petits calculs prennent le pas sur l’intérêt général.
12
août 2016:
Fin de saison
Ouf ! Fin de saison ! Nous avons vécu l’euro de foot, puis les Jeux Olympiques, le nationalisme des commentaires sportifs, l’invasion des media, mais ça y est, c’est fini.
Ce matin je me suis pourtant penché sur les résultats de ces Jeux Olympiques envahissants. Les Etats-Unis sont en tête avec le plus de médailles (121) et le plus de médailles en or (46). Mais, immédiatement après, on trouve la Grande-Bretagne (67 médailles) puis la Chine (70 médailles), parce que la première a obtenu 27 fois l’or et la seconde 26. On retrouve la même chose avec le Japon à sixième place avec 41 médailles et la France à la septième avec 42 médailles, le premier ayant 12 médailles d’or et la seconde 10. Bon, on compte comme on veut, cela prouve que le point de vue crée l’objet, mais ce qui m’intéresse plus est l’éventuelle corrélation entre ces résultats et... Et quoi ? Je ne sais pas, justement. Prenons le quinze premiers pays : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Chine, Russie, Allemagne, Japon, France, Corée du Sud, Italie, Australie, Pays-Bas, Hongrie, Brésil, Espagne, et Kenya dans cet ordre. Avec quoi peut-on trouver une corrélation de cet ordre ? Pas avec la population (nous aurions alors Chine, Inde, E-U, Indonésie, Brésil, Pakistan, Nigeria, Bangladesh, etc.) Si nous prenons le PIB par habitant, l’ordre serait Luxembourg, Norvège, Qatar, Suisse, Australie, Danemark, Suède, Singapour, E-U, Canada, etc. Pas de corrélation, donc. Ni avec la superficie des pays, qui donnerait encore un autre ordre : Russie, Canada, Etats Unis, Chine, Brésil, Australie, Inde, Argentine, Kazakhstan, Algérie, etc... Il faudrait peut-être aller chercher du côté des politiques sportives, des structures de formation, mais là je n’ai aucune données. Une dernière remarque cependant : Si on comptait l’Union européenne comme un tout, elle serait en tête, largement avant les Etats-Unis, et même sans la Grande-Bretagne.
Fin de saison encore, mais qui m’inspire des remarques toutes différentes, la fin prochaine des vacances d’été. Depuis des semaines on trouve sur différentes chaînes de télévision des publicité pour des régimes amaigrissants. Le principe est simple, toujours le même : on vous livre chaque jour vos repas, vous ne mangez que ça et vous maigrissez à vue d’ œil. Certains proposent même une semaine gratuite, voire un mois gratuit. Et donnent des exemples de réussite : Mamie a perdu 18 kilos, maman 18 et moi 16... L’aspect saisonnier de la chose est évident : l’été on va à la plage, on démasque son corps et il faut donc maigrir pour être montrable. L’une de ces pubs passait, la semaine dernière, deux ou trois fois en dix minutes sur la même chaîne, mais il n’y en aura sans doute plus d’ici quelques jours. Fin de saison, donc. On ne fera pas de pub pour maigrir ou pour bronzer à Noël. Mais une petite remarque, cependant. Dans toutes ces publicités, on ne voyait que des femmes. Les hommes auraient-ils tous des corps parfaits ? Ou, comme le diable, le machisme se cacherait-il dans les détails ?
Allez, la saison des machos n’est pas encore terminée.
17
août 2016: Du
burkini à la
subsidiarité
Evacuons d’abord le débat juridique : faut-il ou pas interdire le burkini sur les plages ? De la même façon que l’idée absurde d’une taxe sur la nourriture hallal, toute mesure destinée à une partie de la population est inacceptable, non seulement parce que nous sommes tous égaux devant la loi, mais surtout parce que légiférer pour une partie de la population, les musulmans ou les fumeurs, les collectionneurs de timbres ou les habitants d’Autun, est discriminatoire et de nature à créer du communautarisme.
Nous sommes donc tous égaux devant la loi. Cela implique un petit détail : que les hommes et les femmes soient égaux. Que le conducteurs comme les conductrices doivent s’arrêter aux feux rouges, que les citoyennes comme les citoyens doivent payer leurs impôts, ou encore que, sauf dans les camps de nudistes, hommes et femmes ne se baladent pas à poil, sauf si le législateur décidait de changer la loi. Ces quelques exemples ne font pas problème et je suppose que jusqu’ici tout le monde est d’accord avec moi. Mais alors pourquoi certains voudraient-il imposer aux femmes ce qu’ils n’imposent pas aux hommes ? Pourquoi les femmes devraient-elles porter un voile ou une burka et pas les hommes ? On voit qu’il y a là un conflits de lois. D’un côté la loi de la république, de l’autre la loi d’une religion. Le débat sur le burkini, comme celui sur le voile au début des années 2000 révèle bien sûr en partie une islamophobie rampante, mais il pose surtout un problème : le voile, la burka et aujourd’hui le burkini ne cachent pas seulement le visage ou le corps de la femme, ils sont comme un arbre cachant une forêt inquiétante. Derrière ces voiles, ces morceaux de tissus plus ou moins grands, plus ou moins larges, se cachent l’intolérance, les femmes opprimées, lapidées, la censure, la main coupée des voleurs, le racisme, l’antidémocratisme, un modèle de société théocratique contre lequel la France s’est battue pendant des siècles. Et le problème n’est pas de savoir s’il faut ou non interdire le voile, la kippa ou la croix dans les écoles, la burka dans les lieux publics ou le burkini sur les plages et dans les piscines. Il est que leur acceptation est une porte ouverte à d’autres avancées de cette intolérance antidémocratique dont sont aujourd’hui porteuses certaines conceptions de la religion.
Ce n’est pas parce que la droite dure ou l’extrême droite, disons Sarkozy ou Le Pen, affirmeraient que le soleil se couche à l’ouest, qu’un angélisme propre à la gauche devrait nous pousser à dire le contraire. Et ce n’est pas parce qu’ils sont porteurs d’un discours raciste et islamophobe qu’il nous faudrait avec gêne détourner le regard, nier le problème et regarder ailleurs. Nous nous trouvons effectivement face à un conflit de lois, et les lois des différentes religions doivent passer après la loi de la république. Reste à savoir qui doit prendre en charge cette question, qui doit faire respecter cette hiérarchie des lois, dans le cadre général de ce que nous appelons la laïcité.
En 1992 le traité européen de Maastricht rappelait le principe de subsidiarité, en gros le fait qu’un problème doive être réglé par la plus petite entité capable de le résoudre, pas par l’Union européenne lorsqu’un pays peut le faire. Et c’est bien sûr d’abord aux musulmans de faire respecter par les croyants la loi du pays dans lequel ils se trouvent. Le veulent-ils, ou le veulent-ils tous ? C’est douteux. Mais c’est, je pense, en ces termes que doit être abordée la question.
9
août 2016: Le
spectacle sportif
J’ai toujours aimé pratiquer le sport mais je déteste le business du sport. Ce mélange de fric et de dopage, cette industrialisation du corps qu’il partage avec la mode me révulse : d’un côté on prend des drogues pour être plus musclé, de l’autre pour être plus maigre et, dans les deux cas, nous avons une vaste entreprise de connification des masses et d’enrichissement de quelques sportifs et surtout des fédérations, des lobbies. De la même façon que les parieurs français, ceux qui jouent au loto, au tiercé et à quelques autres attrape-nigauds, ne se voient pas comme un joueur collectif et ne se rendent pas compte qu’ils sont toujours perdants (l’état prend, à la source, près de la moitié des mises), les supporters qui se précipitent au stade, achètent des maillots, des écharpes, des gadgets, ne se rendent pas compte qu’ils enrichissent des milliers d’intermédiaires...
On prête à Winston Churchill une formule selon laquelle le meilleur argument contre la démocratie était un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen, mais écouter trois minutes un supporter moyen a de quoi vous rendre dépressif. Que dire lorsque, nationalisme aidant, ce discours débile s’étend aux dimensions d’un pays. Déjà, pendant la coupe d’Europe de foot nous avions dû subir quotidiennement les commentaires des supporters et des journalistes confondus. Aujourd’hui, avec les jeux olympiques, on ne sait comment échapper à cette avalanche. J’ai environ deux cents chaînes de télé et il me faut ruser, lorsque je cherche des informations ou un film : partout les JO ! En outre, depuis trois jours, on ne parle que de la maigre récolte de médailles par la France. Espoirs et désespoirs (« aujourd’hui la France aurait dû pouvoir gagner... mais pas de chance...»), illusions et désillusions. Bref le nationalisme domine.
Bref, parlons d’autre chose.
Aujourd’hui Erdogan est allé en Russie rencontrer son « meilleur ami » Poutine. Il y a quelques années, c’était Sarkozy qui parlait de son ami Poutine (ainsi, il est vrai, que de son ami Bush). Ca ne vous réjouis pas ? Alors, autre chose encore. Dans les stades de JO de Rio la police fait la chasse aux Brésiliens qui montrent des pancartes déclarant Fora Temer, "Temer dehors". Temer, c’est le type qui a fait un coup d’état légal pour virer Dilma, la présidente élue. Mais ils pourraient viser plus large, les spectateurs brésiliens, et crier Fora Jogos Olimpicos. On peut toujours rêver... Le spectacle sportif continuera, et continuera de remplir bien des poches.
1er
août 2016 : Et
pendant ce temps
Les historiens nous diront un jour, sans doute lointain, ce qui s’est réellement passé en Turquie à partir du 15 juillet 2016. Nous disposons pour l’instant d’un récit, un récit officiel turc, selon lequel des officiers factieux ont tenté un coup d’état et ont échoué, en partie grâce au soutien « unanime » du peuple à Erdogan. Et ce simple récit pose problème.
Evacuons d’abord le soutien « unanime » du peuple. Peut-être suis-je cynique, mais je suis persuadé que s’il y avait eu un coup d’état militaire réussi, le même peuple aurait exprimé son soutien « unanime » au nouveau pouvoir. Je sais, si j’ai raison c’est désespérant, mais j’ai vu tant de fois en Afrique ce genre de phénomène que j’en suis un peu blasé.
En outre, l’unanimité est un processus dans lequel tous les intéressés sont du même avis. Or tous les entretiens que nous pouvons entendre ou lire nous montrent qu’il y a beaucoup de gens qui s’opposent aux mesures prises par le pouvoir, ce qui relativise fortement cette idée de soutien « unanime ».
Venons-en donc à ces mesures. Sans entrer dans le détails des choses, vous les avez tous vus dans la presse, rappelons simplement qu’il y a eu des milliers d’arrestations, des militaires, des enseignants, des magistrats, et que plus de cent media (radios, télévisions, journaux) ont été fermés par décret. Et cela ressemble fortement à un coup d’état, qui a la particularité d’avoir été mené par le pouvoir. On parle même de rétablir la peine de mort.
Et pendant ce temps, l’Union Européenne est d’un assourdissant silence.
En imaginant qu’il y a réellement eu une tentative de coup d’état militaire, elle n’a pu venir que de la partie kémaliste de l’armée. C’est-à-dire la partie laïque, celle qui est contre l’islamisation à marches forcées de la Turquie, contre les islamistes assassins en Syrie et en Irak et contre la politique tolérante d’Erdogan à leur égard.
Et pendant ce temps daech se frotte les mains.
Bref, nous sommes sans doute partis vers une révision de la constitution turque, qui donnera tous les pouvoirs à Erdogan, partis vers une forme de dictature civile, dont les touristes vont se détourner un temps (sauf bien sûr les touristes russes) avant de s’habituer et d’y revenir.
Et pendant ce temps, les enfants gâtés d’Air France continue leur grève.
Au fait, puisque la compagnie française est obligée d’annuler des vols, elle pourrait supprimer en priorité ceux à destination de la Turquie.
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Juillet 2016 |
25
juillet 2016:
Les fous sont lâchés
Dès que la nouvelle d’un « attentat » à Munich s’est répandue, la presse, tous media confondus, s’est interrogée de la même façon : « est-ce un terroriste ou un forcené ? ». Un forcené est, par définition, quelqu’un qui a perdu la raison, qui est « fors sen », hors de sens, en bref un fou. Le terrorisme est, pour le dictionnaire, l’ensemble des actes de violence (attentats, destruction) qu’utilise une organisation politique pour créer un climat d’insécurité et, au bout du compte, parvenir à ses fins. Le mot est relativement récent, il remonte à 1794 et renvoyait alors à la politique de la Terreur, qui suivit la chute de Robespierre. La différence entre les deux termes serait donc que le « terroriste » s’inscrit dans un projet collectif alors que le « forcené » est un individualiste.
Reste que ce genre de questionnement, « terroriste ou forcené », ne relève pas de la précision de la langue mais plutôt de son instabilité. Car, contrairement aux apparences on ne recherche pas le « mot juste », par exemple dans le frigidaire que constituent les dictionnaires, on le construit, on construit une relation entre une forme phonique et notre expérience. Il n’y a pas de signifié prémâché, un système de nomination fourni en kit, mais un tâtonnement permanent, un bricolage, qui se déplace sans cesse entre un problème sémiologique (comment se construit un système de signes) et un problème herméneutique (comment se construit le sens ?) Dès lors l’hésitation de la presse entre « terroriste » et « forcené » concerne le sens : Il n’y a pas de forcenés ou de terroristes préexistant à leur nomination mais au contraire une construction sociale du sens.
La presse a d’ailleurs réglé à sa façon le problème en utilisant au bout de deux ou trois jours un mot malais, amok, qui désigne une folie meurtrière individuelle et irrépressible, une décompensation comme diraient les psys. En allant chercher ce mot à l’autre bout du monde et dans le vocabulaire ethnologique, on a donc en quelque sorte fui le couple terroriste/forcené pour braquer sur les faits un autre projecteur. C’est ce qui s’appelle jouer le contre-pied.
Le hasard fait qu’en écrivant ce billet j’entends, sur France Inter, qu’à Ansbach, en Allemagne, un syrien a péri en faisant sauter une bombe, et la chaîne de radio s’interroge : « Etait-ce un attentat islamique ? » Ici encore le flou sémantique domine. Après le massacre de Nice, Daech a attendu quelques jours avant de déclarer que le « forcené » était un soldat de « l’état islamique ». Et nous sommes dès lors dans la fonction performative du langage. Comme le maire déclare deux personnes « unies par les liens du mariage », ou comme le curé dit « je te baptise », Daech a fait d’un « forcené » ou d’un « terroriste » un « martyr ».
Le hasard encore, m’arrêtant d’écrire pour me bourrer une pipe je feuillette Libération et tombe sur un dessin de Willem : un policier allemand crie « le tueur de Munich n’avait pas le lien avec Daech » et un autre répond « ouf, enfin un fou normal ».
Bref, les fous sont lâchés...
18
juillet 2016:
Putain de camion,
putain d'époque
Aux Etats Unis, à Dallas et à Baton Rouge (que les puristes ne m’agressent pas, il n’y a pas d’accent circonflexe en anglais), des policiers américains blancs ont été descendus par d’anciens soldats américains noirs. Mais, statistiquement, cela ne change pas grand chose à la balance : il y a plus d’américains noirs tués par des policiers blancs que l’inverse. Tenez, juste un chiffre. En 2015, la police a tué 1135 personnes. Et les jeunes noirs, qui représentent 2% de la population, représentent 15% des tués. Reste un problème : les armes. Que les policiers soient armés, bon, c’est un des attributs de leur métier. Mais il y a dans ce pays plus d’armes en circulations que d’habitants. Et cela n’est pas près de changer. Les élus républicains s’opposent systématiquement à toute tentative de limiter le droit d’être armé. A Cleveland, où se tient la convention républicaine, on a le droit de porter des armes dans la rue, et on ne s’en prive pas. Remarquez, les armes... A Nice nous avons vu qu’un camion suffisait.
Putain de camion ! Putain de camion , c’est le titre d’une chanson de Renaud, après la mort de Coluche, en 1986. Mais Coluche s’était viandé seul, en moto, contre un camion, alors qu’à Nice... Venons-en donc à ce putain de camion. Des morts, des blessés, des larmes, et une floraison de spécialistes autoproclamés. Spécialistes de la radicalisation, spécialistes de l’islam, spécialistes de la psychologie des parents de victimes, spécialistes de Daech, spécialistes du recrutement des terroristes, spécialistes des enfants traumatisés, spécialistes de je ne sais quoi... Bientôt nous aurons des spécialistes de spécialistes. On a même créé le concept de « radicalisation rapide ». Reste à trouver le spécialiste qui, chronomètre en main, comparera avec précision la vélocité des radicalisations : A vos marques ! Prêts ? Partez ! Et tous ces spécialistes posent gravement des questions fondamentales. Par exemple : le tueur de Nice avait-il prémédité son geste ? Té, bouffi, il avait loué le camion trois jours avant. C’était pour aller ramasser des champignons?
Tiens, dans la liste des spécialistes, j’oubliais les spécialistes en obscénité avec en tête de liste Estrosi et Sarkozy. Le premier a été pendant des années maire de Nice, la ville la plus sécurisée de France, avec 1257 caméras de surveillance. Il a même déclaré en janvier 2015 que « si Paris avait été équipé du même réseau que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé trois carrefours sans être neutralisés ». Le second a été cinq ans président de la république, il a diminué le nombre de policiers en France, a totalement désorganisé les services de renseignement, est intervenu en Libye de façon irresponsable, sans se poser la question de savoir ce qui se passerait le lendemain, faisant de ce pays un hypermarché aux armes en plein air (Je sais, il n’était pas seul, son petit copain Blair était aussi dans le coup). Et, alors que les cadavres sont à peine froids et pas encore enterrés, ces deux-là, Estrosi et Sarkozy, tapent à mots raccourcis sur le gouvernement, lui reprochant d’être responsable de ce qui s’est passé. « Il y a des choses qu’on aurait dû faire » a-t-il déclaré. Té, bouffi, tu aurais dû montrer l’exemple ! C’est la course aux voix d’extrême droite, le concours avec le Front National . Un, deux, trois, partez ! Obscène...
Putain de camion, oui, mais aussi putain d’époque!
15
juillet 2016 :
Allez, ça va
Je viens de passer deux jours à Marseille et ma compagne Claude m’a fait remarquer que lorsqu’on commandait quelque chose dans un bar ou un restaurant, on nous répondait régulièrement Allez, ça va ! Prêtant l’oreille, je me rendis compte qu’elle avait raison. Dans un restaurant des îles du Frioul, d’où on a une vue magnifique sur la ville, nous commandons un loup grillé et des supions, et la jeune serveuse nous répond Allez, ça va ! Nous discutons avec elle et elle représente presque un archétype marseillais. De père tunisien et de mère italienne, née dans le quartier du Panier, elle a cet accent populaire typique de la ville, avec des palatalisations à tous les coins de phrase. D’où ça vient, cette expression, Allez, ça va !, lui demande Claude. « Quoi, où est-ce que vous avez entendu ça ? », répond-t-elle. « Mais dans votre bouche, il y a cinq minutes »... Et dans l’heure qui suivra elle la répétera cinq ou six fois.
L’anecdote
est intéressante, du
moins pour le
linguiste que je suis,
car nous ne savons pas
toujours comment nous
parlons. Je me
souviens qu’il y a une
quarantaine d’années
le linguiste André
Martinet, l’un de mes
« maîtres», avait
traité dans l’un de
ses séminaires de la
disparition du ne dans la négation
discontinues française ne...pas :
« j’sais
pas » plutôt que
« je ne sais
pas ». Et il
expliquait qu’il y
avait là un fait de
classe d’âge et que
lui disait toujours
« ne...pas ».
En fin d’après midi
nous avions bu un
verre ensemble au Balzar,
à côté de la Sorbonne,
et j’avais mis en
marche un magnétophone
que j’avais sur moi.
Au bout d’une
demi-heure je la lui
avais fait
écouter : il ne
prononçait jamais les ne...
Tout cela réduit à peu de choses certaines méthodologies, en particulier ce que les générativistes appelaient l’intuition linguistique, permettant par exemple de décider de la grammaticalité d’une phrase. Faisant appel à la subjectivité des locuteurs, Chomsky croyait tenir là un critère indiscutable. Mais la subjectivité n’a que peu de rapport avec l’analyse sociologique de la langue... Ma serveuse du Frioul ne savait pas qu’elle utilisait la forme Allez, ça va ! et si un linguiste l’avait prise comme informatrice, il aurait été confronté à une contradiction : la façon dont elle parlait et celle dont elle croyait parler.
Mais je vois casse les pieds avec mes obsessions de linguiste, en des temps où il y a d’autres urgences. Le hasard a fait que me réveillant ce matin à Marseille, donc, j’ai appris le massacre qui s’était produit hier à Nice. Allez, ça ne va pas !
6
juillet 2016 :
Encore l'Europe
Je
me suis déjà interrogé
ici (voir 24 juin) sur
les éventuelles
retombées du Brexit
sur les langues de
l’Union Européenne,
mais j’y reviens a
propos d’un article
publié dans le
quotidien catalan La
Vanguardia le 1er juillet. Son titre, El francés quiere doblegar al inglés en la UE, sonne comme l’annonce
d’un programme de
politique
linguistique. Ainsi le
français voudrait
doubler l’anglais à
Bruxelles. Passons sur
la figure de style
(j’ignorais qu’une
langue puisse avoir
des volontés) pour
aller au fond. Le
français a longtemps
été la langue
dominante de l’Union
Européenne pour une
raison toute
simple : la
Grande-Bretagne en
était absente jusqu’en
1973. Mais c’est
surtout l’adhésion en
2004 de pays comme
Chypre, l’Estonie, la
Hongrie, la Lituanie
Malte ou la République
tchèque qui a renforcé
le statut de
l’anglais, ce qui nous
montre les liens
étroits entre la
géopolitique et la
politique
linguistique. Ayant
été pendant quelques
jours en Côte
d’Ivoire, je n’ai pas
suivi toute
l’actualité française,
mais selon La
Vanguardia beaucoup
de politiciens
français auraient
revendiqué une place
centrale pour la
langue française, ce
que j’ignorais. Et le
quotidien cite
Jean-Luc Mélenchon
(« l’anglais ne
peut plus être la
troisième langue de
travail du parlement
européen ») et
Robert Ménard
(« L’anglais n’a
pas de légitimité à
Bruxelles », dans
les deux cas je
retraduis ces
citations de
l’espagnol). L’extrême
gauche et le Front
National
communieraient donc
dans le même
nationalisme
linguistique et dans
la même revendication. Mais La
Vanguardia rapporte
aussi un fait amusant.
Jean-Claude Juncker,
président de la
commission européenne,
n’aurait le 27 juin,
lors de la session
extraordinaire du
parlement réuni pour
analyser la situation,
utilisé que l’allemand
et le français,
envoyant ainsi selon
le journal « un
message subliminal aux
Britanniques ».
Juncker n’aurait parlé
anglais qu’en
s’adressant à Nigel
Farage pour lui
demander pourquoi il
siégeait encore dans
l’assemblée. Tout
cela mérite quelques
commentaires. La
Vanguardia est
considérée comme un
quotidien catalaniste
de droite, et il n’est
pas surprenant qu’elle
s’intéresse aux
langues de l’Union
Européenne. De la même
façon que la Catalogne
avait suivi de très
près en septembre 2014
le référendum sur
l’indépendance de
l’Ecosse elle suit de
très près tout ce qui
touche aux langues. Que se
passerait-il si
l’Ecosse (ou la
Catalogne) devenait
indépendante ?
Comment pourrait-elle
adhérer à l’UE ?
Quels en seraient les
retombées sur le
statut du gaélique
écossais ou du
catalan ? Par
ailleurs,
derrière cet article
sur la place du
français, qui se
termine par
l’affirmation que
l’anglais gardera la
même importance, n’y
a-t-il pas un coup de
billard à plusieurs
bandes, visant en fait
l’espagnol (le
castillan comme il est
politiquement correct
de dire) pour lequel
l’Espagne pourrait
elle aussi revendiquer
une place plus
importante? Enfin
tout cela nous montre
la différence entre ce
que j’ai appelé la
politique linguistique in
vivo et in
vitro. Le
statut des langues à
l’UE dépend d’une
décision des pays
membres, in
vitro donc, et il y a
peu de chances qu’ils
le changent. En
revanche, in
vivo, dans les
pratiques réelles, les
choses peuvent évoluer
et l’anecdote de
Juncker ne parlant
qu’allemand et
français est de ce
point de vue
révélatrice. Il faudra
bien sûr analyser tout
cela avec soin, non
pas en souhaitant quoi
que ce soit (les
citations de Mélenchon
et Ménard, si elles
sont exactes, sont
particulièrement
stupides) mais pour
observer le découplage
éventuel entre
l’absence de la Grande
Bretagne et l’avenir
de sa langue. En
d’autres termes, à
partir de quand une
langue prend-t-elle
son autonomie,
devient-elle une forme
véhiculaire
indépendante de son
pays d’origine ?
Leçon de choses à
suivre...
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Juin 2016 |
30
juin 2016 :
Escapade
Je viens de faire une escapade de trois jours en Côte d’Ivoire, cela tombait bien, j’en avais assez d’entendre parler de football, j’ai passé la journée de dimanche dernier dans l’avion, de Marseille à Paris, puis de Paris à Abidjan douze heures de voyage en comptant les retards et l’attente des bagages, et tout au long de cette forme d’enfermement je me suis senti coupé du monde. J’attendais en effet avec intérêt le résultat des élections législatives espagnoles et, accessoirement, celui du référendum sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Cette addiction à l’info est peut-être une maladie de l’époque, peut-être une maladie personnelle, peu importe, mais j’étais en manque, espérant stupidement que le pilote aurait la bonté de nous donner en direct ces informations que j’attendais. En sortant de l’aéroport je trouve le chauffeur qui m’attendait et qui me dit, croyant sans doute me faire plaisir, que la France avait battu l’Irlande dans la coupe d’Europe de football, ce qui ne m’intéressait pas particulièrement. En arrivant dans ma chambre d’hôtel je me suis donc précipité sur la télévision, avant même d’allumer une pipe. Apparaît ainsi comme une hiérarchie des addictions : Je peux passer dix ou quinze heures dans les avions sans souffrir du manque de tabac, mais lorsque l’actualité mondiale est pressante, je souffre du manque d’information. C’est grave docteur ?
J’étais bien sûr venu à Abidjan pour travailler : conférences, panel, débats… Et chaque fois cela me permet de prendre le pouls de l’état de la linguistique, des recherches, des idées et de l’idéologie dominantes. Il y a 40 ans, les étudiants et les jeunes chercheurs africains dénonçaient le pouvoir des langues coloniales, anglais, français, portugais… Puis ils se sont mis à décrire leurs langues, à en fixer la transcription graphique, d’abord en pensant à l’alphabétisation des adultes dans leurs langues puis, plus récemment, à l’introduction de ces langues dans le système scolaire, à ce qu’on appelle le « promotion des langues nationales ». Ils sont ainsi passés de la dénonciation à la proposition, ayant découvert la politique linguistique. Du coup ils ont changé de cible, car si les Blancs sont toujours considérés comme responsables de la situation linguistiques de l’Afrique, les revendications se tournent aujourd’hui plutôt vers les gouvernements locaux… Mais il y a un grand changement dans l’idéologie dominante, et je vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Dans les années 1980 la « mode » était aux parentés génétiques entre les langues africaines et l’égyptien ancien. Le sénégalais Cheikh Anta Diop avait d’abord voulu démontrer que le wolof et l’égyptien étaient des langues proches, puis que toutes les langues africaines étaient parentes de l’égyptien, mais aussi que les pharaons étaient noirs et que la culture africaine avait beaucoup apporté à la culture mondiale. Les débats étaient passionnés, parfois violents et bien peu scientifiques. Lorsque l’analyse de la momie de Ramsès II montra qu’il était « leucoderme », blanc de eau, certains répliquèrent que la momie avait été irradiée et qu’elle était noire à l’origine. Dans leur majorité les spécialistes de la linguistique historique haussèrent les épaules ou dirent que Cheikh Anta Diop ne savait pas de quoi il parlait. Mais c’est l’égyptologue Jean Yoyote qui porta le coup de grâce en 2007 en décrétant que « Cheik Anta Diop était un imposteur, un égyptologue incapable de lire le moindre hiéroglyphe ». En fait Cheikh Anta Diop, qui avait certes passé une thèse de linguistique tentant de montrer que les langues africaines venaient de l’égyptien, était surtout un physicien nucléaire qui s’était aventuré sur un terrain qu’il ne connaissait guère. Et, derrière ce débat plus idéologique que scientifique il fallait voir une sorte de quête de dignité de certains Africains, la volonté un peu stupide de retourner le discours colonial comme on retourne un gant: les Africains ne sont pas des sauvages, ils sont à l’origine des cultures du monde, ce qui est la façon la plus bête de se situer dans les théories postcoloniales . Et je suis frappé par le fait qu’on parle peu de ses théories aujourd’hui, même s’il a encore quelques partisans. La « mode » est aujourd’hui différente et j’ai entendu certains participants au débat évoquer plutôt l’avenir potentiellement planétaire de certaines langues africaines, on peut toujours rêver, comme si la mondialisation mettait sa marque sur les idéologies et les incitait à voir plus large, ou à conjurer le sort : nos langues ne vont pas disparaître dans le maelstrom de la mondialisation, elles vont s’imposer. Mais j’ai bien conscience, en écrivant tout cela, que je vais me faire quelques ennemis.
La réunion à laquelle j’ai participé était bilingue (anglais français) et pendant que j’écoutais l’intervention en anglais d’un collègue assis à ma droite, tourné vers lui, j’aperçus au delà l’interprète, derrière la vitre de son aquarium. Le spectacle, auquel j’ai souvent assisté, me frappa comme au premier jour. Je vois mon collègue faire des gestes en parlant et je vois l’interprète faire exactement les mêmes gestes, avec un décalage de quelques secondes. Je ne sais pas comment elle traduit en français, j’écoute mon collègue en anglais, mais je devine qu’elle souligne gestuellement de la même façon les mêmes mots, les mêmes arguments, je vois qu’elle a la même ponctuation gestuelle, les mêmes mimiques : du grand art. Et ce mimétisme fascinant nous en dit beaucoup sur la communication linguistique, certes orale mais aussi corporelle. Mon escapade touche à sa fin. Le chauffeur qui me ramène à l’aéroport me dit que bientôt commence le tour de France. Oui, je sais, et je sais aussi qu’ensuite il y aura les jeux olympiques. On n’en a pas fini : un été pourri par cet opium du peuple, enfin cet opium bis, puisque Marx avait judicieusement noté que le premier était la religion. A propos, à l’aller j’avais à côté de moi une femme qui a passé son temps à lire la Bible sur une tablette : on n’arrête pas le projet. Au retour c’était un prêtre qui bénissez tout ce qu’on lui apportait, un repas, du pain, du vin. Je crois, mais je n’en suis pas sûr, qu’il n’a pas béni les écouteurs qu’une hôtesse lui donna pour suivre un film...
25
juin 2016 :
Mélancolie...
Dans les dernières années de sa vie, alors qu’il ne pouvait guère quitter son domicile, Georges Moustaki était accro de deux émissions : sur France Inter La prochaine fois je vous le chanterai, de Philippe Meyer, et sur France 2 La boîte à musique, de Jean-François Zygel. Il m’en parlait toujours avec ravissement lorsque j’allais le voir et, parfois, me les commentait même en direct, par SMS. Au point que je ne peux m’empêcher de penser à lui chaque fois que j’écoute l’une ou l’autre. Mélancolie... Pour Philippe Meyer c’est terminé, on l’a prié de quitter l’antenne, sous prétexte qu’il travaillait aussi sur France musique, mais plus certainement parce qu’il s’était opposé l’an dernier à la gestion calamiteuse du président de Radio France Mathieu Gallet. Ce dernier est toujours en place, Philippe Meyer doit quitter la place. Cette émission était la seule place, à une heure de grande écoute, réservée sur France Inter à la chanson francophone, dans laquelle Meyer en présentait avec humour, savoir et affection presque, toutes les tendances, des grandes vedettes aux débutants inconnus. Dans ce domaine que je connais bien, j’apprenais de lui bien des choses et je ne m’en lassais pas, abandonnant séance tenante, chaque samedi à midi, mon ordinateur ou ma cuisine pour l’écouter. Aujourd’hui, peu après midi, il a donc présenté sa dernière émission avec une grande dignité et une extinction de voix (je sais, cela s’appelle un zeugme, mais il en est de plus drôles, par exemple : il est presbyte et casse-couilles, et je ne parle pas, bien sûr, de Philippe Meyer). Emission presque normale, donc. Dans chacune d’entre elles il présentait deux versions d’une même chanson, et ce fut cette fois-ci Where have all the flowers gone ?, du grand Pete Seeger, ici interprétée en français par Marlène Dietrich et en allemand par Joan Baez, deux grands plaisirs et, peut-être, un message d’adieu :Where Where have all the flowers gone?, Long time passing, Where have all the flowers gone? Long time ago... Mélancolie. Ce n’est qu’à la fin du temps à lui imparti qu’il à fait allusion à son actualité, à la notre : « Voilà seize ans que je vous dit la prochaine fois je vous le chanterai , ce qui n’était pas vrai puisque je ne chantais pas. Cette fois-ci... ». Et il enchaîna avec un pot-pourri extrait d’un spectacle qu’il avait donné au Théâtre de Paris au début de années 2000, et que j’avais entendu à Santiago du Chili où nous étions l’un et l’autre, je ne sais plus pourquoi, il me faudrait consulter mes agendas, mais peu importe. Une suite de chansons, donc, A Paris, C’est une fleur de Paris, Rue de Lappe, Une gamin de Paris, Il n’y a plus d’après, La romance de Paris, Paris Canaille, J’aime Paris au mois de mai, Le poinçonneur des Lilas, Paris s’éveille, Paris reine du monde, Paris sera toujours Paris, Sous le ciel de Paris, bref je n’ai pas tout retenu, mais derrière cette célébration de la « ville lumière » apparaissaient des noms d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, Francis Lemarque, Charles Trenet, Mouloudji, Mick Micheyl, Léo Ferré, Juliette Gréco, Guy Béart, Aznavour, Gainsbourg, Jacques Dutronc, Catherine Sauvage et bien d’autres. Une tranche de chansons, une tranche de vie. Et, après ce véritable florilège mémoriel, il a conclu, comme d’habitude : « c’était la prochaine fois je vous le chanterai », enchaînant simplement « Bonnes vacances, bon vent, bonne mer ». A toi aussi. Mathieu Gallet est donc toujours en place (pour combien de temps ?). Philippe Mayer a dû mettre fin à son émission. Mélancolie...
24
juin 2016 : Le
brexit et les
langues
J’avais l’habitude, dans mes cours de politique linguistique, de mettre parfois mes étudiants en petits groupes et de leur demander de simuler un groupe de décision en leur confiant une tâche. Un jour je les avais fait plancher sur la question européenne : « Imaginez que l’union européenne veuille changer sa politique linguistique, considérée comme trop coûteuse. Quelles seraient vos propositions? ». Leurs réponses s’étalaient entre des choses attendues (par exemple adopter l’espéranto comme unique langue officielle) et des choses moins convenues (confier la question à un groupe de linguistes dont aucun n’aurait une langue européenne pour langue maternelle). Cette proposition partait d’ailleurs d’un présupposé intéressant, l’idée qu’un expert n’est pas vraiment objectif et que ses sentiments linguistiques peuvent influencer ses choix...
L’actualité politique européenne, la prochaine sortie de la Grande Bretagne, aura-t-elle des retombées linguistiques ? L’Europe des six (Allemagne, France, Italie, Benelux) fonctionnait sans l’anglais et ce n’est que lors de l’élargissement de 1973 (Grande-Bretagne, Irlande, Danemark) que cette langue prit une place de plus en plus prépondérante. Le Brexit aura-t-il des retombées sur sa situation? Bien sûr il n’y aura plus de commissaires européens britanniques, et les députés, mêmes s’ils restent jusqu’à la fin de leur mandat, vont disparaître à terme. Mais l’anglais, langue de deux autres pays membres (l’Irlande, Malte) restera langue officielle. Langue de travail ? C’est moins sûr, mais ce qui est sûr c’est que l’allemand et le français ont des chances de renforcer leurs positions si du moins l’Allemagne et la France sont capables d’élaborer et de proposer un nouveau projet européen, un peu plus énergique et plus social que l'actuel. Comme quoi les langues, mais nous le savions déjà, appartiennent à ceux qui les parlent et qui constituent un des facteurs de leur avenir.