Ce matin
j’ai croisé dans la rue un employé municipal,
un chauffeur, qui avait le plus grand mal à
replier le rétroviseur extérieur de son
camion. La chose était pour lui
importante : il était mal garé dans une
petite rue et ne voulait pas se faire
accrocher. Je me rapproche et l’entends
grommeler : « Putain, il est dur le
sale pédé ! » J’ignorais jusque là
que les rétroviseurs aient une vie sexuelle et
qu’ils puissent être homosexuels : Noël
est une période propice à l’acquisition des
connaissances.
Avant de
passer à une chose plus sérieuse, une
précision : je suis totalement hostile à
l’idée de pouvoir déchoir quiconque de sa
nationalité française, le droit du sol étant
pour moi une chose fondamentale. Venons-en
donc à mon propos, tout d’abord en deux temps.
Premier temps: François Hollande a déclaré en
novembre devant le Congrès qu’il allait
proposer une modification de la constitution
incluant la déchéance de nationalité pour des
terroristes binationaux « même nés en
France ». Second temps: Il l’a
confirmé en décembre, hier au conseil des
ministres. Et, entre ces deux dates, il
n’avait pas pris la parole publiquement sur ce
point.
Pour moi
il persiste dans l’erreur morale, mais là
n’est pas la question. Entre ces deux dates,
en effet, la classe politique s’est agitée. La
droite, coincée, ne pouvait qu’approuver, mais
du bout des lèvres. La gauche de la gauche de
son côté protestait. Au point que depuis
quelques jours le bruit courait que cette
mesure allait être abandonnée. Christiane
Taubira en profita pour jouer perso. Il y a
deux jours, en Algérie, elle annonça que la
mesure était abandonnée. Pour je ne sais
quelle raison la presse présente régulièrement
Taubira comme l’icone de la gauche extrême.
Pour moi, elle est surtout celle qui, en se
présentant à l’élection présidentielle en 2002
au nom d’un parti plutôt centriste (les
radicaux de gauche), a fait passer Le Pen au
second tour. Mais qu’importe : son ego
est surdimensionné, ce qui explique sans doute
son faux pas. En voulant prendre le Président
de la République de vitesse elle cherchait
sans doute à s’attribuer le mérite de ce
recul, à se donner de l'importance. Car, bien
sûr, depuis quelques jours la droite avait
repris l’initiative, parlant de reniement,
d’un président incapable de tenir sa parole.
Et, patatra, elle est prise à contre-pied. Et,
du coup, elle reporte ses coups sur Taubira,
exigeant sa démission.
Tout ça
illustre tristement les pratiques politiques.
Taubira a voulu faire la maligne, elle a pris
une baffe. La droite, qui pense plus à
critiquer systématiquement les propositions de
la gauche qu’à les analyser, s’est retrouvée
piégée. Et Hollande, fin stratège, déstabilise
le clan Sarkozy et semble préparer l’élection
présidentielle de 2017 comme s'il jouait aux
échecs. Tout cela n’est pas joli joli mais
peut être en même temps réjouissant pour
l’observateur.
Enfin,
bonnes fêtes tout de même, pour ceux qui font
la fête.
Certains
disent que Tartufo est un personnage de la
commedia dell’arte et que Molière en a
emprunté le nom pour son Tartuffe.
L’ennui est qu’on ne trouve nulle part le nom
de Tartufo dans la liste des personnages de la
commedia dell’arte. En revanche truffe avait en
français, entre le 12° et le 14° siècles, le
sens de « tromperie », ce qui
expliquerait son emploi par Molière, Tartuffe
étant un trompeur. Mais le mot a aussi pris le
sens d’imbécile (« Quelle
truffe ! »). Pourquoi cette
évolution ? J’ai peut-être une hypothèse. Truffe désigne encore dans certaines régions française la pomme de
terre, la patate, et patate signifie, en
français populaire, « imbécile ». Ce
serait donc la truffe comme pomme de terre et
non pas comme tuber
melanosporum (nom latin de la truffe
noire) qui aurait pris ce sens
péjoratif : quel imbécile, quelle patate,
quelle truffe !
Bon, je
vais maintenant me plonger dans les recettes
utilisant la truffe, pour voir ce que je peux
faire de celle que j’ai achetée.
La gauche, à laquelle on prédisait une débâcle, a donc conservé cinq régions. La droite, dont on disait il y a quelques mois qu’elle allait rafler la mise, n’en gagne que sept, dont trois lui ont été offertes sur un plateau par la gauche. Le Front National, qu’on voyait vainqueur dans deux ou trois régions, n’en conquiert aucune. Quant aux écologistes et à la gauche de la gauche, ils sont en pleine perdition. Bilan comptable, donc, une droite et une gauche autour de 30% de voix chacune, une extrême droite à 25%, c’est-à-dire le score que faisaient les communistes au temps de leur splendeur, il y a bien longtemps... Et puis ? On prend les mêmes et on recommence ? Il y a une quinzaine d’années, lorsque je me suis installé à Aix-en-Provence, je me disais chaque fois que j’entrais dans un bar ou un restaurant qu’en comptant les gens il y en avait un sur quatre qui votait front national : un deux trois quatre un deux trois quatre un deux trois quatre... Aujourd’hui c’est un sur deux : un deux un deux un deux.... Alors ? On continue comme avant ? Dimanche soir, après les résultats, Sarkozy a fait une rapide déclaration, en gros pour se congratuler, puis il s’est précipité au stade, pour assister à un match du PSG. Tout un symbole : le foot avant la réflexion. Hollande se dit que le cadeau fait à LR lui reviendra sous forme de renvoi d’ascenseur s’il se trouve en 2017 au second tour face à Le Pen, Sarkozy se dit qu’il faut serrer les boulons de son parti, ne pas voir une tête qui dépasse, Mélenchon se désespère car sa seule obsession est d’être lui aussi candidat, et il espère que dimanche prochain, en Espagne, les résultats de Podemos viendront conforter ses analyses, bref rien de nouveau à l’Ouest, à l’Est, au Nord ou au Sud. Tout cela est tristement dérisoire. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Ah oui, pour finir, une précision: dimanche j'ai voté blanc. Entre Marion Maréchal nous voilà Le Pen et Christian Estrosi le motodidacte je ne considérais pas pouvoir choisir ou avoir à choisir.
Sarkozy est de retour. Non, je ne
veux pas parler du champ politique, il y est
déjà, même si les choses ne semblent pas
vraiment bien se passer pour lui. Sarkozy est
de retour dans le domaine du français
approximatif. Voulant dire hier, à la
télévision, qu’il n’y avait ni discussion ni
d’accord entre le PS et le PR, il a cru
enfoncer le clou en utilisant une vieille
formule bien de chez nous: « Ce n’est pas comme ça que ça se passe, passe-moi la salade, je t’envoie
la rhubarbe ». L’ennui est qu’il
s’est pris les pieds dans le potager et qu’il
a cité de travers l’expression se
passer
la rhubarbe et le séné. Selon le
dictionnaire de l’Académie, cette formule
« se dit en parlant de deux personnes qui
se font mutuellement des concessions, qui ont
l’une pour l’autre des complaisances
intéressées. Il ne se dit qu’en mauvaise part
ou par plaisanterie ». Son sens actuel
est « se congratuler mutuellement »,
certains l’utilisent avec le sens de
« renvoyer l’ascenseur » mais il
faut aller plus loin.
On trouve dans Balzac (La
cousine Bette) « je vous passe la
casse, passez-moi le séné », la casse
étant ici la plante de la famille des fabacées qu’on
utilise contre la toux et la diarrhée. Quant à
la rhubarbe et au séné, il s’agit de
purgatifs. Nous sommes donc dans le domaine
médical et se
passer
la rhubarbe et le séné pourrait donc
être équivalent à quelque chose comme se
passer l’aspirine et le doliprane. Ce
qui conviendrait parfaitement
après
la gueule de bois que nous avons depuis
dimanche... On peut aussi penser à Molière
qui, dans L’amour
médecin, écrivait : «Qu’il me passe mon émétique pour la malade dont il
s’agit, et je lui passerai tout ce qu’il
voudra pour le premier malade dont il sera
question ». Bref Sarkozy, le pauvre,
serait malade.
Reste tout de même un mystère :
pourquoi a-t-il remplacé le séné par la
salade ? A-t-il confondu avec une autre
expression, salade
bouillie prolonge la vie ? Ce qui
signifierait qu’il a besoin de prolonger sa
vie de président du parti. Ou bien se
demandait-il quelles salades il pourrait bien
raconter et a-t-il fait un lapsus ? Bon,
je m’amuse, bien sûr, mais il faut bien tenter
de rire un peu dans cette France qui tourne au
brun.
Les
sondages donnent le Front National présent au
second tour dans toutes les régions
françaises. J’ai un peu de mal à comprendre la
contradiction (apparente ?) entre le
score en forte hausse de François Hollande et
l’inertie de celui du Parti Socialiste. Mais
qu’importe, à chacun son baromètre. J’ai pour
ma part une amie, ancienne communiste, qui
malgré son âge avancé (en fait elle a le même
âge que moi) fait preuve d’une grande
juvénilité, pour ne pas dire d’un grand
infantilisme : elle choisit chaque fois
qu’elle a à se prononcer dans les urnes d’être
la plus minoritaire possible. Il y a dans la
région dans laquelle je vote dix listes avec,
pour ce qui concerne la « gauche »
l’habituelle Lutte Ouvrière, une alliance PS,
PSG et quelques satellites, une alliance Front
de gauche et Europe écologie Les verts,
Nouvelle donne et une Alliance écologique que
j’ai du mal à classer, bref quatre ou cinq
listes qui n’obtiendront pour la plupart
qu’une poignée de suffrage. Mon baromètre
personnel votera sans doute Front de gauche et
se lamentera certainement lorsqu’elle verra
que le FN est largement en tête et risque de
l’emporter au second tour. Mais bon, après
tout, si je suis incapable de la convaincre de
voter PS dès le premier tour, c’est aussi que
mes arguments ne sont pas nécessairement
convaincants.
Reste que
le même problème se pose partout en
France : le FN aurait autour de 30% des
voix au premier tour, le PS serait en général
en troisième position et les résultats au soir
du deuxième tour seraient très incertains.
Est-il utile de taper toujours sur le même
clou, sur ce parti lepéniste qui associe
intolérance et incompétence, racisme et
nationalisme exacerbés, et qui n’a
pratiquement pas de programme régional
(d’ailleurs lorsqu’il a tenu une ville dans la
région PACA, Marignane, Toulon, les résultats
ont été catastrophiques) ? Tout le monde
sait que son moteur fonctionne à la haine et
aux mensonges. En revanche je supporte assez
mal les discours tendant à déculpabiliser les
électeurs « populaires », en général
anciens électeurs communistes, que la
situation sociale rendrait aveugles et qui
s’apprêtent donc à donner leurs voix à un
parti qui défigure la France, comme un
furoncle sur un visage. Cette
déculpabilisation s’apparente pour moi à
d’autres discours qui, depuis des mois et des
années, tentent de démontrer que le jihadisme
n’est pas l’Islam. Je n’ai rien contre l’Islam
en particulier, j’exècre les religions en
général. Mais il suffit de voir ce qui se
passe par exemple en Arabie Saoudite pour
comprendre que le programme de Daech est déjà
appliqué et pour l’analyser. Mais là n’est pas
le problème. Les sondages nous disent aussi
que le grand vainqueur de ces élections serait
l’abstention, qui dépasserait les 50%. Il
fut un temps où certains (dont moi, parfois)
scandaient ce slogan : Elections piège à cons ! Il faudrait, si nous ne voulons pas
avoir au soir du 13 décembre la nausée, avoir
honte de notre pays, le remplacer par un
autre : Abstention
piège à cons !
On
a un peu oublié Herbert Marcuse, ce philosophe
dont les travaux, inspirés à la fois de Marx
et de Freud, faisaient dans les années 1960
écho aux luttes étudiantes et leur donnaient
sens. Dans son ouvrage L’homme
unidimensionnel (1968 pour la traduction française), il
parlait de « ruse de la raison » à
propos de certains sigles qui, oblitérant leur
source et donc en partie leur sens, évacuaient
les questions que l’on pouvait se poser à
propos de leur référent. Voici par exemple ce
qu’il écrivait:
« N.A.T.O.
ne
suggère pas que North
Atlantic Treaty Organisation signifie,
nommément, un traité entre les nations de
l’Atlantique Nord –car on pourrait se poser
des questions sur la présence de la Grèce et
de la Turquie parmi ses membres. Dans U.R.S.S.
il y a socialisme et soviet, dans D.D.R. il y
a démocratique... Les sigles renvoient
seulement à ce qui est institutionnalisé sous
une forme qui le coupe de sa connotation
transcendante. Le sens est fixé, truqué,
alourdi. Une fois devenu vocable officiel,
répété constamment dans un usage général,
« sanctionné » par les
intellectuels, il a perdu toute valeur
cognitive et il sert simplement à la
reconnaissance d’un fait indubitable ».
Eh
oui !
Il y avait socialisme dans U.R.S.S. !
Mais ce qui m’amuse surtout dans ce passage,
c’est ce qui concerne l’O.T.A.N. Qu’est-ce que
la Turquie et la Grèce avaient en effet à
faire dans un traité regroupant des pays
riverains de l’Atlantique Nord ?
Un
autre exemple de cette opacité des
sigles est Daech que tout le monde utilise
sans savoir exactement ce qu’il signifie. A
l’origine, on parlait d’Etat Islamique,
traduction exacte de l’arabe ad
dawla al islamiyya. Puis on est passé à dawla al
iraq al islamiyya, état islamique d’Irak
qui est ensuite devenu Etat
islamique en Irak et au Levant, ad
dawla al islamiyya fil iraq wa ch-cham,
siglé en anglais ISIS et parfois ISIL, et adapté
phonétiquement en français de la forme arabe daesh.
Ces appellations successives témoignent assez
fidèlement des progrès des islamistes sur le
terrain, en partant d’un projet, l’état
islamiste, pour passer à des
« réalités », en Irak puis en en
Irak et en Syrie. Mais le choix de Cham (en arabe Syrie se dit Surriya)
témoigne à nouveau d’un projet. Bilad
el Cham, « le pays du Cham »,
désigne en effet traditionnellement
la Jordanie, la Palestine, la Syrie, le Liban
voire une partie de la Turquie, en gros le
« Levant », et Daesh connote donc
une visée expansionniste beaucoup plus large
que les territoires aujourd’hui occupés par
les islamistes. L’opacité du sigle est donc
ici plurielle: il est opaque pour une partie
des jihadistes qui soit ne savent pas lire
l’arabe soit ne connaissent pas l’histoire, il
est également opaque pour les occidentaux qui,
bien sûr, ne parlent pas l’arabe, et enfin il
est peut-être opaque pour les experts en
stratégie qui ne perçoivent pas nécessairement
cette expansionnisme affiché dans un simple
sigle.
Mais
revenons
à Marcuse, à l’O.T.A.N. et à ses membres
méditerranéens. Marcuse a eu des ennuis à la
fin de sa vie, certaines universités
américaines le considérant comme un dangereux
idéologue. Pourtant, lorsqu’il écrivait que
l’on pouvait s’interroger sur la présence de
la Turquie et de la Grèce dans l’O.T.A.N. il
prenait une certaine avance sur l’histoire,
sans le savoir puisqu’il ne visait que la
politique extérieure des U.S.A. Nous
découvrons aujourd’hui qu’un pays
« allié », membre de l’O.T.A.N.
(sigle dont une bonne partie des Français ne
connaissent sans doute pas le sens), la
Turquie, fricote avec les jihadistes. Tout
cela, Marcuse ne pouvait pas le savoir (il est
mort en 1979). Mais sur les « ruses de la
raison » que constituaient à ses yeux les
sigles, il avait sacrément raison.
Je
ne vais pas ajouter des larmes aux larmes, de
l’indignation aux indignations, mes analyses
aux analyses. J’ai d’ailleurs suivi la
barbarie du 13 novembre de loin, du Cameroun,
à travers quelques chaînes de télévision et
quelques coups de téléphone transcontinentaux.
Et tout cela paraissait étrangement irréel.
Encore une fois, comme en janvier, une unité
nationale factice, la droite un peu piégée,
l’extrême gauche pratiquement muette et, au
delà du drame, une énorme question :
comment continuer à construire la France,
cette France ouverte qui a successivement
accueilli des Russes blancs, des mineurs
polonais, des républicains espagnols, des
Italiens, des Vietnamiens, des Algériens, des
Cambodgiens, brefs des gens venus de tous les
coins du monde et qui sont aujourd’hui des
citoyens français ? Comment éviter les
amalgames, comment ne pas stigmatiser des
musulmans pris au piège par le fanatisme
imbécile de certains d’entre eux, mais aussi
par leur silence ou par leur aveuglement? Et,
bien sûr, je n’ai aucune réponse.
Ce
matin, j’arrive à l’aéroport de Roissy après
avoir suivi hier, depuis Yaoundé, ce qui se
passait à Bamako. Et je dévore la presse en
attendant ma correspondance pour l’aéroport de
Marseille. Le quotidien espagnol El Pais consacre une dizaine de pages à Paris et à la lutte contre
le jihadisme, Libération fait une sorte de résumé de la semaine
de François Hollande et j’apprends que
mercredi il a, dans une allocution, déclaré
que les attentats avaient ensangloté Paris. Ensangloté,
le joli mot ! Jamais lapsus, ou langue
qui fourche, n’a produit une aussi belle
expression : l’erreur a parfois du
talent. Et je me dis qu’un peu de rire, ou de
poésie, ou les deux à la fois, pourraient
constituer un contrepoids, maigre, je sais, à
cette ambiance délétère et
« ensanglotée ». Alors changeons
momentanément de sujet.
Allant
faire
une conférence à l’institut français de
Yaoundé j’ai jeté un coup d’œil sur la carte
de son restaurant et les noms des cocktails
qu’elle proposait ont attiré mon
attention : Le
sang à l’œil, Coller la petite, Kongossa,
Met l’argent à terre, Frais comme un
mbenguiste. Un peu perplexe, j’ai
regardé la composition de ces boissons, me
disant qu’elle me donnerait peut-être un début
d’explication, ou quelques indices. Dans le
sang à l’œil il y avait de l’oseille, de la vodka
et de l’orange, dans coller
la petite du gingembre, du rhum café et
de la Guinness, le kongossa était composé d’orange, d’ananas et de rhum
café, met
l’argent à terre de cognac, de whisky
single malt et de coca et enfin frais
comme un mbenguiste de gin, de tonic et
d’un peu d’orange. J’étais bien avancé. Alors,
après ma conférence, je me suis livré à une
petite enquête auprès de Camerounais, et j’ai
découvert qu’avoir le sang à l’œil signifiait
en français local « être agressif », que
coller la petite était le titre d’une chanson
assez suggestive, que kongossa signifiait
« mouchardage ». Toujours en
français local, « mettre l’argent à
terre » désigne le fait de poser devant
un musicien, un chanteur ou une danseuse un
billet de banque pour manifester sa
satisfaction et enfin, un mbenguiste est un
Blanc (mais je ne savais pas que les Blancs
étaient particulièrement frais).
Tout cela m’a paru à la fois tout à fait incohérent et extrêmement poétique. Dans Alice au pays des merveilles il y a une duchesse, qui aime tirer la morale de tout et de n’importe quoi et qui déclare: « And the moral of that is – take care of the sense and the sounds will take care of themselves ». Je m’étais intéressé au sens, suivant sans m’en rendre compte son conseil, mais j’avais eu tort : les sons suffisaient, le sens importe peu. Je n’ai goûté à aucune de ces boissons, mais j’avoue que coller la petite ou frais comme un mbenguiste me ravissent, phonétiquement. Et si le nom de boissons alcoolisées peut ravir, il reste de l’espoir : la poésie est du bon côté, non pas celui des islamistes mais celui des buveurs. A votre santé. D’ailleurs la couverture de Charlie Hebdo de cette semaine proclame : Ils ont les armes, on les emmerde, on a le champagne ! Tout un programme.
Il y a trente ans, en 1985, j’avais passé trois mois à
Canton, sur le campus de Bai Yun Shan, la
« colline des nuages blancs », et
j’y suis revenu plusieurs fois depuis, notant
chaque fois les changements en cours. Ce qui
ressemblait lors de mon premier séjour à une
petite université tropicale et ne me changeait
guère de l’Afrique s’est rapidement transformé
en un campus ultramoderne. Il reste bien, un
peu à l’écart, quelques immeubles d’habitation
délabrés, mais ils coexistent avec des
bâtiments et des équipements qu’envieraient
bien des universités françaises. La Chine
change… Les vêtements aussi ont changé, plus
de « vestes Mao » mais une grande
variété de formes et de couleurs. Les
bicyclettes sont en grande partie remplacées
par des motos et surtout par des millions de
voitures : Les embouteillages sont
partout la règle.
Si orienter une carte c’est, étymologiquement, la situer
par rapport à l’Est, on se trouve, en arrivant
en Orient, désorienté.
L’expression est d’ailleurs curieuse puisqu’on
peut aussi perdre le Nord (voire perdre
la tramontane, comme le chantait
Brassens) ou encore être à l’ouest. Seul le Sud semble préservé et cela tombe
bien : je pars au Cameroun la semaine
prochaine. Mais bref, le hasard fait que j’ai
lu pendant mon séjour les carnets de voyage en
Chine de Roland Barthes en 1974, il y a 40
ans, publiés en 2009 (Carnets
du
voyage en Chine, éditions Christian
Bourgois). Et tout ce qu’il écrit montre qu’il
était proprement désorienté et cherchait des
repères, des choses auxquelles se raccrocher.
La Chine vivait alors en pleine campagne pilin
pikong (« contre Lin Piao, contre
Confucius). Confucius qui, faut-il le rappeler, a
vécu il y a 25 siècles, avait alors tous les
défauts, accusé de vouloir défendre le pouvoir
du mari sur la femme, du maître sur l’esclave,
l’obéissance, et l’on disait qu’il aurait
défendu en 1974 le pouvoir d’une classe sur
l’autre. Bref Confucius était un capitaliste
et un contrerévolutionnaire avant l’heure. Or
on m’a amené dîner dans un restaurant
végétarien de Canton, un self service à prix
unique (20 yuans par personne, environ 3
euros), avec beaucoup de choix dans les plats
et une clientèle variée, des jeunes, des
vieux, des familles. Ambiance confucéenne, je
veux dire qu’il y a au mur un grand portrait
de Confucius
et quelques citations, qu’à l’entrée on peut
prendre des ouvrages gratuits sur le
confucianisme, bref tout cela ressemble à une
propagande légèrement sectaire. Renseignement
pris, le maître des lieux a fait fortune dans
les affaires et a décidé de « faire du
bien ». Caution ? Un power
point projette en permanence des photos du
président Xi Jinping et de sa femme à
différentes époques de leur vie, une sorte de
diaporama hagiographique. Mais, après tout,
nul n’est obligé de regarder en mangeant…Il y
a dans tout cela une forme de retour aux
sources, à la tradition, en même temps qu’une
précaution prise du côté du pouvoir.
Le pouvoir, parlons-en. Sur les billets de banque, le
portrait de Mao est toujours là, et il est
toujours sur la place Tien An Men, mais s’il y
a dans toutes les villes une grande avenue
Zhong Shan (un autre nom de Sun Yat Sen, le
premier président de la république chinoise),
je n’ai jamais vu d’avenue Mao Tse Tong. Et
c’est Xi Jinping qui fait sans cesse la une
des journaux. Pendant trois jours toutes les
chaînes de télévision ont parlé en boucle de
sa visite en Grande Bretagne, de la
« golden era » dans les relations
sino-britanniques, on a vu Xin dans un
carrosse avec la reine Elizabeth, Xin buvant
de la bière avec David Cameron, Xin inaugurant
l’institut Confucius (encore lui) de Londres,
Xin ici, Xin là. Puis on est passé à la visite du
souverain néerlandais à Pékin, ensuite à celle
de Merkel, et enfin à celle de Hollande. J’ai
l’impression qu’il y avait dans cela deux
stratégies: tout d’abord, après le foin autour
du succès du voyage de Xi (même si les Chinois
se sont rendus compte que la Grande Bretagne
n’était pas dans l’espace Schengen et qu’on ne
pouvait pas aller avec le même visa à Londres
et à Paris ou à Rome…), la volonté de
rééquilibrer les relations avec le reste de
l’Union Européenne, et ensuite la volonté de jouer l’Europe contre
les USA au moment où se manifeste une forte
tension avec les États Unis dans le Sud de la
merde Chine. Mais, derrière tout cela, il y a
l’idée que le pays est réellement
(« réellement » car, en chinois,
Chine se dit zhong
guo, « pays du centre ») au
centre du monde. Pendant la visite de Merkel,
une formule revenait souvent sur les chaînes
chinoises en anglais : A
friend in need is a friend indeed.
Traduction libre : l’Allemagne a besoin
de nous. Et, pendant celle de Hollande, on
expliquait que le président français avait lui
aussi besoin de la Chine pour le sommet sur la
pollution et que China
is a keyword in recent European diplomacy.
Traduction tout aussi libre : la Chine
est le plus gros pollueur au monde mais elle
veut devenir de plus en plus verte. Et la
télévision annonçait en même temps une alerte
à la pollution… à Paris. Puis on enchaîne.
Tenue d’une réunion trilatérale (Chine, Corée
du Sud, Japon,) visite de Xin au Vietnam, Xin
qui rencontre à Singapore le leader de Taiwan
(et l’on parle en Chine de « rencontre
historique »), tout cela en quelques
jours. Dans cette intense activité
diplomatique ce n’est bien sûr plus l’Europe
qui est en jeu : dans le même temps John
Kerry faisait une tournée en Asie centrale.
Les deux pays, Chine et USA, placent leurs
pions, tentent de renforcer leurs positions.
Mais la Chine joue sur tous les tableaux à la
fois. Reste à savoir si tout cela n’a pas pour
fonction de faire oublier autre chose :
on annonce que la croissance du pays sera dans
les années à venir de 6,5% et que cela suffira
amplement pour assurer le développement. Mais
cette croissance était jusque là de plus de
10%...
Pendant ce séjour j’ai fait deux escapades, pour des
raisons à la fois touristiques (revoir des
sites) et professionnelles (donner des
conférences). A Guilin, la rivière Li et ses
collines karstiques n’ont pas changé. Ces
paysages, dont on dit qu’ils sont à l’origine
d’une peinture chinoise stéréotypée, laissent
muet. La beauté à l’état pur. Le paysage se
dit en chinois shan
shui, « colline et eau », et
la peinture en question shan
shui
hua. Et l’on a l’impression en
descendant la rivière en bateau de se promener
dans ces milliers de peintures sur rouleau que
l’on trouve dans tous les musées du monde.
Mais, il y a trente ans, Guilin était une
petite ville avec quelques rares hôtels. Elle
compte aujourd’hui 800.000 habitants et
s’est industrialisée. Guilin, que j’ai connu
comme une toute petite ville provinciale, est
aujourd’hui une sorte de Chinatown illuminée
et festive dans laquelle les femmes rivalisent
d’élégance, en robes sophistiquées et
multicolores ou en shorts ultracourts. La
tradition et le changement…
Barthes est passé à Xi’an en 1974, et il parle de deux
magnifiques pavillons, la tour de la cloche et
la tour du tambour. Il raconte être monté au
premier palier d’une de ces tours et
note : « vue sur la platitude
brumeuse de la campagne ». Aujourd’hui
ces tours sont en pleine ville et la campagne
a été repoussée à plusieurs kilomètres par
l’urbanisation. Bref on n’en finirait pas de
noter les évolutions, les changements. Mais,
tôt le matin, je vois dans la rue le
propriétaire d’une boutique de matériel
ménager sortir une vingtaine de cages et les
accrocher aux arbre qui longent le
trottoir : ses oiseaux chanteront toute
la journée. On ne voit plus, bien sûr, de
Chinois promener leur criquet, dans ces toutes
petites cages que l’on peut encore acheter
chez des antiquaires à Hong-Kong : cela
ne se trouve désormais que dans la littérature
classique. Mais dans les parcs, à Canton comme
ailleurs, des vieux se déplacent avec une
cage : ils promènent leur oiseau, le font
chanter et parfois concourir avec les oiseaux
des autres promeneurs.
La tradition demeure, en effet, sous différentes
formes. A Canton, en face de mon hôtel il y a
un pseudo restaurant italien. A droite de la
porte un panneau lumineux clignotant, sur
lequel sont inscrits, en chinois, les plats du
jour. La nuit est belle, je m’installe en
terrasse et, en fumant un cigare, j’observe
une jeune fille qui, avec un feutre, écrit le
nom des plats du lendemain. Elle réfléchit
longuement, chaque fois, avant d’écrire très
vite. Se recule, contemple ce qu’elle a
produit, efface, recommence. Cela dure près
d’une heure, pour écrire le nom de quatre
plats. Il y a quelques années, à Qingdao,
j’avais rendu visite à un calligraphe célèbre
qui, avant de tracer très vite les deux
caractères de mon nom chinois sur un rouleau,
s’était d’abord longuement concentré. Il
écrivait au pinceau, elle utilise un feutre
mais, dans les deux cas, la même alternance de
longue concentration et d’extrême vivacité.
Roland Barthes, dans ses Carnets du voyage en Chine, parle souvent de calligraphie, qu’il
considère comme « leur seule œuvre
d’art » ou « la seule belle
chose ; le reste : réalisme
soviétique ». Il écrit même :
« En Chine, le seul signifiant =
l’écriture ». Sans doute était-ce pour
lui la marque la plus visible d’exotisme. Il y
a plusieurs années déjà que j’ai noté le
retour, d’abord subreptice puis de plus en
plus affiché, des caractères classiques, en
partie expulsés par la réforme de l’écriture.
Et la calligraphie reprend ses droits. On vend
des sortes d’écritoires en tissu sur lesquels
on peut, avec un pinceau trempé dans l’eau,
écrire. Les caractères ont une belle couleur
noire, mais ils disparaissent lorsque l’eau
sèche. Une sorte d’ardoise magique adaptée à
la calligraphie. On n’arrête pas le progrès.
J’habite dans un quartier rempli de gargotes où l’on
prend, très vite, un plat, du riz sauté ou une
dizaine de raviolis, et de restaurants plus
huppés où l’on consomme, en prenant son temps,
des plats plus sophistiqués. Deux clientèles
différentes et surtout deux styles de
consommation. D’une côté on ne laisse pas un
grain de riz ou pas une nouille au fond du
bol, de l’autre on gaspille, on abandonne la
moitié des plats (même si l’on commence à
pratiquer le « doggy bag »).
Consommation et gaspillage vont de pair. La
Chine entre très vite dans la modernité, mais
elle apparaît comme un pays à deux vitesses,
avec une minorité de plus en plus riche face à
des pauvres, des mendiants. Le matin, en
prenant un café, j’observe la rue. Chaque jour
passe un vieil homme sur son vélo, un
rémouleur, traînant derrière lui dans une
petite charrette son matériel. Il s’installe
sur un coin de trottoir et attend le client,
aiguisant quelques couteaux, parfois les
hachoirs des restaurants. Il ne doit gagner
grand chose. De l’autre côté de la rue, sur le
trottoir d’en face, la camionnette d’un paysan
qui chaque jour vend ses légumes. Je l’ai vu
compter sa recette, des petites coupures mais
un bon nombre de billets. L’un est riche,
l’autre pas ? Entre les deux passent des
voitures, parmi lesquelles j’ai vu en une
heure une Maserati et une Porsche. Deux
Chines, ou plusieurs Chines…
Bref la Chine change et ne change pas. Je sais que mes
notations et mes remarques sont marquées par
un certain francocentrisme et qu’à l’heure de
la mondialisation il conviendrait d’avoir une
vision un peu plus interculturelle. Alors,
prenons du recul. Ici les étudiants suivent, à
tous les niveaux de leurs études, des cours de
marxisme. Mais mon chinois ne me permet pas
d’aller écouter ce qu’on leur raconte. Or, à
la fin de mon séjour s’est produit une petite
révolution. Non, pas ce que vous croyez. La
Chine a simplement mis fin à sa politique de
l’enfant unique. Dorénavant toutes les
familles pourront avoir deux gosses. Quand on
entend la façon dont les mioches chinois,
pourris gâtés, hurlent sans cesse, on souhaite
bien du plaisir aux futurs heureux parents de
deux minots. Mais, le lendemain de l’annonce
de cette mesure, une chercheuse avec laquelle
j’avais rendez-vous m’a dit qu’elle sortait de
son cours de marxisme. Je lui ai demandé de
quoi il avait traité. « De la fin de la
politique de l’enfant unique ».
Intéressé, j’ai voulu savoir s’il y avait une
position marxiste sur ce point. Oui, le
professeur leur a dit qu’il serait bon,
dorénavant, que les femmes aient deux enfants
et qu’elles cessent de travailler. Devant les
réticences de l’auditoire, il a poursuivi,
s’adressant aux filles : « Si le
gouvernement vous donne un million de yuans
pour que vous ayez deux enfants et ne
travailliez plus, vous ne seriez pas
d’accord ? ». Le marxisme a
décidément des ressources théoriques
insoupçonnées…
Où que vous
vous trouviez, vous êtes sans doute au courant
puisque toutes les télévision du monde ont
retransmis la scène : deux cadres d’Air
France torse nu ou chemise en lambeaux
molestés, bousculés, frappés et grimpant une
grille pour s’échapper. Je reviendrai plus
loin sur ces violences, mais parlons d’abord
des transports aériens en général et d’Air
France en particulier.
Cela fait plus
de cinquante ans que je voyage en avion et,
depuis vingt ou vingt-cinq ans, que je le
prends au moins une fois par mois, sinon plus.
Vers l’Afrique, l’Asie, l’Australie,
l’Amérique du Nord et celle du Sud, j’ai le
plus souvent utilisé Air France. Et, en un
demi-siècle, j’ai assisté à une mutation
frappante. Il y a cinquante ans, sur les
lignes long courrier comme sur les moyens
courriers, les avions étaient souvent à moitié
vides et les passagers voyageaient le plus
souvent pour leur travail. Peu à peu sont
venus les touristes, seuls ou en voyage
organisé, et les avions se sont remplis. Air
France et ses concurrents se sont alors
trouvés face à une autre demande passant d’une
clientèle voulant du confort, voire du luxe, à
une clientèle demandant les prix le plus bas
possible, quitte à être un peu serrés et à
devoir payer leurs repas et leurs boissons.
Les compagnies à bas coût se sont multipliées,
vous en connaissez les noms, et les pratiques
sociales, et elles ont tailler des croupières
aux compagnies traditionnelles. Or à Air
France, où le dialogue social fonctionnait
plutôt bien, les pilotes se sont toujours
comportés comme s’ils faisaient partie de la
direction, imposant des choix qui les
favorisaient, ce que tout le monde peut
comprendre, mais s’opposant du même coup à une
stratégie consistant à baisser les coûts
(dont, bien sûr, la masse salariale), à
rechercher plus de compétitivité et
à proposer des vols « low coast »,
voire à créer des filiales « low
coast ». En plongeant dans les archives,
ou dans notre mémoire, on se rend compte que
très majoritairement les grèves des pilotes
concernaient leurs salaires, dont chacun sait
qu’il ne sont pas vraiment « low ».
De la même façon qu’en plus de quarante ans
d’enseignement j’ai rarement entendu les
syndiqués parler de l’intérêt des élèves ou
des étudiants, je n’ai guère entendu les
pilotes parler de l’intérêts des passagers...
Et je me demande parfois si les pilotes ne
devraient pas accepter le fait que leur
travail est de piloter et non pas de diriger
la compagnie.
Revenons donc
aux évènement d’hier. On a parlé de lynchage,
de violences inacceptables, peu importent les
termes, les images parlent d’elles-mêmes. La
classe politique, dans sa quasi totalité, a
condamné ce qui s’est passé, la violence
contre les cadres de la compagnie, sauf
quelques uns... Le secrétaire général de la
CGT, tout d’abord, Philippe Martinez, n’a pas
condamné. On le comprend : les agresseurs
reconnus grâce aux séquences filmées étaient en partie
des responsables syndicaux de la CGT. Et il a
ajouté : « Il y a 3000 salariés qui
vont perdre leur boulot. Ca c’est
violent ». Eric Coquetel, l’un des
dirigeants du parti de gauche, a pour sa part
déclaré : « s’il y a lynchage, il
est social : ce sont les milliers
d’emplois supprimés ». Pour Olivier
Besancenot, du Nouveau Parti Anticapitaliste, "ce serait
plutôt aux salariés de porter plainte pour
violences aggravées". Quant à Jean-Luc
Mélenchon, il parle de « ceux qui nient
la violence faite aux salariés ». Et j’ai
soudain eu une impression semblable à celle
que l’ont ressent lorsque des membres du
gouvernement ou du PR viennent réciter devant
des micros le même texte, ce qu’on appelle des
« éléments de langage »,
l’impression que Martinez, Mélenchon, Coquerel
ou Besancenot s’étaient concertés. Et qu’ils
s’étaient mis d’accord pour pratiquer une
inversion sémantique : ce sont les
patrons qui sont violents, pas les salariés.
Mais est-ce vraiment la même violence ?
Ne sommes-nous pas dans la newspeak de George Orwell, dans laquelle le ministère
de la paix remplaçait le ministère
de la guerre et en supprimant de la
syntaxe des phrases comme A
bas Big Brother on
rendait impossible la pensée « A bas Big
Brother » ?
En 1972 le québécois Felix Leclerc,
dans Les
100.000 façons de tuer un homme,
chantait :
« La meilleure façon de tuer un homme
C'est de le payer à ne rien faire (...)
L'infaillible façon de tuer un homme
C'est de le payer pour être chômeur »
Le chômage est
bien sûr une chose horrible, une violence, pas
celle qui cogne ou déchire des chemises, mais
celle qui touche la dignité de l’être humain.
D’un côté une violence physique inacceptable, de l’autre une
violence sociale insupportable. Mélenchon,
Martinez,
Coquerel ou Besancenot ont choisi de n’en voir
qu’une : vision hémiplégique, vision de
borgne volontaire.
Or, pour revenir à ce que
j’écrivais plus haut, nous sommes confrontés à
deux questions, celle de la compagnie et celle
des salariés. Sans salariés il n’y a pas de
compagnie, c’est évident, mais sans compagnie
le problème des salariés ne se posera plus,
ils seront tous au chômage. J’ai l’impression
que Mélenchon, Martinez, Coquerel ou
Besancenot utilisent un peu trop la fonction
performative du langage, croyant ou feignant
de croire que dire c’est faire. C’est parfois
le cas, bien sûr, par exemple lorsqu’un maire
dit « je vous déclare unis par les liens
du mariage » et que deux individus s’en
retrouvent mariés. Mais ce ne l’est pas dans
le discours politique. Dire, ce n’est pas
faire, même lorsqu’on dit qu’on fera. Et nous
le faire croire relève de l'illusionnisme. On
dit beaucoup que les hommes politiques sont
des menteurs, ils sont plutôt ici des
bonimenteurs.On parle beaucoup, depuis
quelques années, de la gauche bobo, mais
l'illusion performative pourrait bien nous
mener à une gauche bobards. Tout cela dit, je pars pour un mois (sur le lignes Air France) enseigner en Chine. A plus tard, donc.
Ce matin, en
feuillant le quotidien local La
Provence je vois un gros titre : « Sébastien
Bazeille, roi du marathon de Berlin ».
Je ne sais rien de ce Sébastien Bazeille, mais
je me dis immédiatement qu’il a gagné ce
marathon : qui donc, en effet, pourrait
se trouver avant le roi... Pourtant le
sous-titre me prouve que ma conclusion était
trop rapide : « L’aixois
a
terminé premier des français ». Ah
bon ! Premier des français ! Je
parcours alors l’article et j’apprends que le
« roi du marathon de Berlin » a en
fait terminé...86ème . Du coup je repose le journal et
m’interroge : quelle est
l’information ? Elle est plurielle. Tout
d’abord il y a eu un marathon à Berlin. En
second lieu nous n’apprenons pas qui l’a
gagné. En troisième lieu nous apprenons qu’il
n’y a aucun français dans les 85 premiers
concurrents. Et donc le titre aurait pu
être : « résultat
catastrophique pour les Français au marathon
de Berlin ». Mais non, c’est un
Français qui en fut le roi... Bref, je vous
laisse réfléchir sur la manipulation de
l’information à laquelle se livre parfois la
presse.
Pour rester dans l’information locale, très locale (mais je n’ose pas dire « pour rester dans le sport »), j’allais hier soir acheter du tabac et je passe sur une place où se dispute une partie de pétanque. Je ralentis le pas, regarde les joueurs. A ma droite une dizaine de vieux regardent également. Arrive en face de moi une jeune et belle femme, aux longues jambes couvertes d’un collant très moulant, ne cachant rien de ce qui se trouve en dessous. Les regards des vieux spectateurs se détournent de la partie pour suivre cette paire de jambes et j’entends l’un d’entre eux lancer : « Celle-là, je ferais bien griller des sardines dessus ». Le contexte, bien sûr, ne laisse pas de doute sur les connotations égrillardes de cette étrange formule. Mais j’avoue que je n’aurais jamais pensé que « faire griller des sardines » puisse avoir un sens érotique. Là aussi, je vous laisse réfléchir sur la créativité linguistique des spectateurs de pétanque.
Certes, à
prime abord, entre le facho breton plutôt
cultivé et l’écervelée lorraine donnant
l’impression d’être quasi analphabète, il n’y
guère de points communs. Et pourtant. Résumons
les données du problème. D’un côté un fille
qui occupe la tête d’un parti et en vire son
père, de l’autre une autre tête de parti qui
va peut-être en virer son ancienne ministre et
ancienne porte-parole. Jusqu’ici les
ressemblances ne sont que de surface. Mais, à
y regarder de plus près, elles sont peut-être
plus profonde. Marine Le Pen, en excluant son
père, a bien sûr voulu ripoliner l’image du
Front National, et Nicolas Sarkozy est un peu
confronté au même problème : il a déclaré
à propos de Nadine Morano qu’il ne pouvait pas
accepter les « caricatures » de son
parti, ce qui laisse entendre que, comme
toutes les caricatures, elle force simplement
le trait. Mais je ne crois pas que caricature soit le terme le plus approprié. Dans les deux
cas en effet les « caricatures »,
J-M Le Pen et N. Morano, pensent à peu près la
même chose que ceux qui veulent s’en
débarrasser, nous pourrions dire en allant vite qu’elles disent tout
haut ce que les autres pensent tout bas. Pour
être plus précis, et en empruntant à Freud sa
notion de « sur-moi » (Über-Ich dans
le texte), je dirai que Le Pen père et Morano
sont l’exacte copie de Le Pen fille et
Sarkozy, mais sans sur-moi. On dit dans
l’entourage d’Alain Juppé que Morano est comme
le monstre du docteur Frankenstein. On se
souvient de ce personnage, inventé par Mary
Shelley il y a bientôt deux siècles, en 1818,
qui échappait à son créateur. Morano serait
donc un Sarkozy- Frankenstein sans surmoi,
sans contrôle, même s’il est difficile de
considérer Sarkozy comme quelqu’un se
contrôlant, mais cette boutade est en fait
plus une façon de critiquer l’ex président de
la République que de critiquer sa
porte-parole : nous sommes déjà entrés
dans les primaires...
Quoiqu’il en
soit, le couple Zarkozy- Morano fonctionne
comme le couple Le Pen fille-Le Pen
père : un des termes est faussement sous
contrôle tandis que l’autre est désinhibé. Ce
qui n’empêche pas, au delà de ces
considérations psychanalysantes, que tout ce
cirque, comme souvent en politique, soit aussi
du spectacle. Le Pen père est sans cesse sur
scène, il joue le même rôle depuis des
décennies, et Morano joue le rôle qui plait
aux média, celui d’une imbécile qu’elle n’est
peut-être pas entièrement.
Cela n’empêche pas que Morano soit à l’évidence désinhibée, elle qui a déclaré hier à propos de son double : « ce n’est même pas la peine qu’il songe à se présenter à la présidentielle, je le dézinguerai ! ». Et là je reviens à mes obsessions de linguiste. Dézinguer ! Le zinc, qui vient d’un mot arabe ou persan signifiant « rouille », « vert-de-gris », sert à la galvanisation, c’est-à-dire à la protection de certains métaux. D’où dézinguer, enlever le zinc, la protection. Puis ce verbe a pris en argot le sens de « démolir » avant de signifier « tuer », « flinguer ». Et nous revoilà du côté de chez Freud : tuer le père. Mais les deux couples que je viens d’évoquer sont alors inversés, puisque dans un cas le père (Sarkozy) est au pouvoir et que dans l’autre le « père » (Le Pen) en a été privé. Dans tous les cas, ils sont presque de personnages de roman. Tiens ! Cela me rappelle qu’Amélie Nothomb a écrit un roman qui porte ce titre, Tuer le père...
Je sais, on ne
rit pas de la mort des autres. Mais parfois...
Cette semaine, je suis tombé trois fois sur la
même annonce, dans Libération, dans Le
Monde et dans un journal local, au Pays
Basque où j’étais allé donner une conférence,
une annonce qui me poursuivait, que j’ai
d’abord vaguement perçue en tournant les pages
d’un journal, puis d’un autre et sur laquelle
je me suis finalement arrêté : un
monsieur Lavie nous a quitté. Ça ne s’invente
pas...
Un autre qui
nous a quitté, mais pas de la même façon,
c’est le général Diendéré. Son nom ne vous dit
rien ? C’était la patron du régiment de
la sécurité présidentielle, le RSP, chargé
donc de la sécurité de l’ex président du
Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui a été viré
en octobre dernier par le peuple après 27 ans
de pouvoir et s’est courageusement réfugié en
Côte d’Ivoire puis au Maroc. Le RSP n’avait
donc pas pu assurer la sécurité du président.
Il n’avait d’ailleurs pas non plus assuré
celle du président Thomas Sankara, assassiné
en octobre 1987 , sans doute par le même
Diendéré. Et il n’a pas non plus assuré celle
du président de transition puisque Diendéré a
fait, il y a une semaine, un coup d’état,
virant le président de la République et le
premier ministre et créant le « Conseil
national de la démocratie ». La
démocratie ! Mais ce Conseil national n’a
pas duré longtemps, une semaine à peine,
l’armée l’a viré à son tour pour rétablir le
président de transition. Et le putschiste,
cela non plus ne s’invente pas, a gravement
déclaré : « Le
putsch est terminé, on n’en parle plus ».
On efface tout, on oublie et on passe à autre
chose en quelque sorte. Il n’y a pas de verbe,
en français, pour désigner ce genre de
bouffonnerie. Du coup le peuple burkinabé, qui
ne manque ni d’humour ni de créativité
linguistique, en a inventé un, le verbe diendérer. On ne sait pas encore ce qu’en pense l’Académie
française. Elle a d’ailleurs le temps
puisqu’elle a commencé la rédaction de la
neuvième édition de son dictionnaire en 1986,
dont le premier tome a été publié en 1992.
Cela non plus ne s’invente pas : c’est en
1992 que le mot créativité a été introduit dans ce dictionnaire. L’Académie
en est aujourd’hui qu’à la lettre R.
Lorsqu’elle en viendra (dans une
siècle ?) à la lettre D de la dixième
édition, on aura depuis longtemps oublié le
général Diendéré. Mais nous pouvons faire
confiance aux militaires et au peuple
burkinabés : d’ici là les premiers auront
fait d’autres coups d’état, et le second aura
créé d’autres néologismes.
Les
langues,
c’est connu, fonctionnent comme des
homéostats, sur le mode de l’autorégulation.
Des exemples en passent tous les jours devant
nos yeux, ou plutôt devant nos oreilles.
Ainsi, sans doute fatigués de faire
régulièrement des fautes dans la conjugaison
du verbe français résoudre (ah ! que nous
résolvions, que vous résolviez...) les
locuteurs ont-ils inventé le verbe solutionner,
qui fait hurler les puristes mais a l’avantage
de se conjuguer facilement, comme tous les
verbes du premier groupe.
Homéostasie,
donc,
qui fait qu’un système (et ici la langue) est
sans cesse en déséquilibre et retrouve son
équilibre pour évoluer. Mais il ne faut pas
cependant en rajouter. J’ai entendu ce matin
la patronne de France Inter, Laurence Bloch,
expliquer qu’un projet « avait maturé ».
Oui,
maturé, le verbe mûrir étant sans doute trop simple pour madame
Bloch, trop vulgaire. Et lorsqu’on est
directrice de France Inter on se doit d’être
distinguée. Son projet était peut-être
arrivé à maturation, mais il avait
tout simplement mûri. Sur France
Inter, justement, et toujours ce matin, un
journaliste parlait de la magouille de la
firme allemande Volkswagen qui a introduit
dans ses moteurs un petit logiciel pour
tromper les tests d’émission d’oxyde d’azote.
En fait Volkswagen faisait croire que ses
moteurs ne polluaient pas, et le journalistes
expliquait que malgré cette tricherie
flagrante le patron allemand était
« droit dans ses pots
d’échappement ». Là, j’applaudis des deux
mains, et j’applaudis des quatre mains (soyons
généreux) Libération qui titre aujourd’hui, en une, « les pots pourris ». Mais
j’espère que madame Bloch, la prochaine fois
qu’elle prendra la parole sur sa chaîne, ne
dira pas que l'enquête sur la peausserie
de Volkswagen a maturé.
La
vie
politique est parfois réjouissante. Prenez le
cas d’Alexis Tsipras, le leader de Syriza, élu
triomphalement il y a neuf mois, confronté aux
difficultés européennes que vous savez,
décidant d’un référendum qui le conforte dans
ses positions mais signant quelques jours
après un accord avec l’Union Européenne allant
à l’exact contraire du résultat du référendum,
démissionnant, suscitant de nouvelles
élections qu’il remporte à nouveau tandis que
ses « frondeurs », venant de créer
un nouveau parti, prenaient une véritable
raclée, pas un seul député. Ouf ! Sacrée
épopée !
Ce
n’est
pourtant pas ce parcours qui m’intéresse mais
les réactions qu’il a suscitées dans la gauche
européenne et plus particulièrement française.
Depuis quelques mois, en fait depuis le début
de l’aventure de Syrisa en Grèce et de Podemos
en Espagne, la gauche de la gauche comme on
dit a fait de Tsipras et de Iglesias ses
héros. Laissons Iglesias de côté, nous en
reparlerons peut-être après les prochaines
élections ibériques. Pour Tsipras, l’icone a lentement
décliné après l’épisode du référendum et de
l’accord avec l’Europe : un faux
révolutionnaire, un traitre. On a alors changé
d’icone : c’est Varoufakis qui est devenu
le modèle à suivre, encensé par Mélenchon, par
Montebourg, invité à la fête de l’Humanité. Patatra, la mouvance Varoufakis se
plante aux élections, c’est le
« traitre » qui gagne, le traitre
Tsipras que François Hollande s’empresse de
féliciter, louant le « progressiste
courageux », tandis que le porte-parole
du Parti de gauche, Eric Coquerel, explique
que Tsipras a « fait des mauvais
choix » et qu’on verra plus tard s’il
« est du côté de la troika ou du
peuple ». Et, de son côté, L’Humanité titrait hier « la leçon d’Athènes »
et décrétait que « le peuple grec n’en
finit pas de donner à l’Europe une leçon de
maturité linguistique ». Alors on ne
comprend plus grand chose. Traitrise ou
maturité politique ? Ou plutôt oui, on
croit comprendre que la politique grecque est analysée
en termes de politique française, que les
communistes et Mélenchon ne sont plus
d’accord, qu’ils lisent ce qui se passe à
Athènes à la lumière de ce qu’ils aimeraient
voir se passer à Paris. Vendredi dernier,
Pablo Iglesias, de Podemos, Pierre Laurent, du
Parti communiste français et Grégor Gysi, du
parti allemand Die Linke, étaient aux côtés de
Tsipras lors de son dernier meeting de
campagne. Par solidarité, sans doute, mais
aussi pour des raisons plus symboliques.
Mélenchon n’y était pas. Tous utilisent les
heurts et malheurs du peuple grec pour justifier les positions qu’ils
défendent chez eux. Et cela s’apparente à une
forme de récupération.
Autre
histoire,
qui n’a rien à voir. Dans une ville moyenne de
France, on apprend que le maire a décidé que,
désormais, lorsqu’il y aura du porc au menu de
la cantine scolaire, les élèves qui refusent
d’en manger auront des légumes. Décision qui
ne mange pas de pain, si je puis dire :
les porcophobes peuvent en effet toujours
refuser leur animal honni et ne prendre que de
la verdure ou des frites. Mais la télévision
nous présente un reportage dans cette ville.
Interview d’une mère de famille, une
porcophobe, expliquant que cette décision est
scandaleuse, stigmatisante. Pourquoi ?
Parce qu’elle établit une frontière entre ceux
qui mangent du porc et ceux qui n’en mangent
pas. Je me gratte la tête et tente de
mobiliser le peu d’intelligence dont je
dispose. Que ces derniers mangent du poisson,
des merguez ou une omelette pendant que les
autres mangent du cochon, il y aura toujours
deux groupes séparés par une
« frontière », et donc risque de
stigmatisation. Mais la mère porcophobe
continue, expliquant qu’il faudrait de la
vache ou du mouton hallal, c’est-à-dire
égorgé. Et le peu d’intelligence dont je
dispose me permet alors de comprendre que,
selon elle, pour éviter cette
« frontière », il faudrait que l’on
donne à tous les mioches ce qu’elle voudrait
que l’on donne aux siens : des menus
hallal. Je trouve cette polémique qui court
depuis des semaines stérile, mais j’ai soudain
l’impression que cette mère de famille
porcophobe révèle une stratégie de certains
musulmans. Ici, encore, récupération ?
Cela
m’avait
échappé mais il y a une dizaine de jours,
voulant dans un discours évoquer l'importance
de l'Éducation nationale et, bien sûr,
attaquer la ministre Najat Vallaud-Belkacem,
Nicolas Sarkozy n’a pas pu s’empêcher d’y
aller de sa petite référence littéraire. Il a
donc cité Victor Hugo : «Je
relisais ce magnifique livre de Victor Hugo, 1793.
L'école fut la première décision dans la
République». Il faudra un jour étudier avec
précision l’usage du verbe relire chez les gens tendanciellement frimeurs :
dire « je relis en ce moment » ou
« j’ai relu » laisse entendre
logiquement qu’on a déjà lu, qu’on a de la
culture, qu’on revient sur ce qu’on a aimé.
Dans ce cas d’espèce, le fait de relire ce livre n’a cependant pas permis à
monsieur Sarkozy de voir que son titre n’était
pas 1793 mais Quatre-vingt-treize. Le
contempteur de La
Princesse de Clèves a encore frappé! Le
personnel politique ne brille d’ailleurs pas
par ses connaissances littéraires, et on se
demande à quoi servent les collaborateurs et
les membres de cabinets ministériels :
ils pourraient tout de même faire des fiches à
leurs patrons. On se souvient de Frédéric
Lefebvre disant que son livre préféré était Zadig
et Voltaire, ou plus récemment de Fleur
Pellerin expliquant qu’elle n’avait jamais lu
Modiano et qu’elle ne connaissait pas le
moindre titre du prix Nobel de littérature...
Heureusement,
il
nous reste la poésie. J’ai vu ce matin, collé
sur la porte du local poubelle de ma
résidence, ce message :
La presone qui à prix le véllo dans le local
pouble serai genti de le remaitre a sa
place. Meric. Seul moin de travaille.
Pour vous en
faciliter la lecture, car la poésie est
parfois ésotérique, deux petites précisions.
Méric n’est pas une signature, mais une
métathèse de merci. Quant à la dernière phrase, il faut la comprendre « seul
moyen de travail ». Ce petit poème est dû
à la plume d’un homme, « français de
souche », chargé de sortir les poubelles.
Il faudrait le présenter à Sarkozy. Ils
pourraient relire ensemble, ou se relire
mutuellement.
Dans son discours d’ouverture
de l’université d’été de LR, Sarkozy a frappé
deux gros coups. Le premier pour montrer qu’il
n’avait guère changé, du moins pour ce qui
concerne ses compétences grammaticales. Qu’on
en juge : « Il y a quelque chose que
je suis très attaché, c’est que la
France... ». Ah !, Ce « quelque
chose que je suis très attaché » !
Il n’est plus au pouvoir, notre ex président,
mais il continue son entreprise de démolition
de la langue française. Lui qui a un ego
démesuré, il faudra un jour lui inventer une
récompense, un prix, quelque chose comme un
oscar du fossoyeur de la langue. Ca lui ferait
si plaisir!
Que quoi donc (« à quoi
donc » si vous préférez) Sarkozy est-il très attaché ? Regardons
l’ensemble de sa phrase. « Il y a quelque
chose que je suis très attaché, c’est que la
France de toute éternité a toujours été du
côté des opprimés, et toujours été du côté des
dictateurs ». Oui, vous avez bien lu, la
France a toujours été du côté des dictateurs.
Il y a deux voies pour comprendre ou analyser
un lapsus. Par exemple, lorsqu’en décembre
2006, après son élection à la tête des Verts,
Cécile Duflot déclare que « le vol s’est
bien passé », on comprend que vol est utilisé à la place de vote et l’on peut en même temps se demander
si le scrutin a été tout à fait régulier.
D’une part il y a une ressemblance formelle
entre les mots qui alternent et d’autre part
il y a une raison psychanalytique à cette
alternance.
En l’occurrence, avec quel mot dictateur alterne-t-il ? Qu’est-ce que
Sarkozy voulait dire ? Nous pouvons
chercher du côté de mots rimant en –eur, comme chercheur ou menteur,
de mots commençant par di-, comme dilettante,
ou les deux à la fois, comme directeur par exemple.
Mais pourquoi la France aurait-elle toujours
été du côté des directeurs ? En fait, le
lapsus doit être ailleurs. Ce que voulait dire
Sarkozy, c’est sans doute la
France, de toute éternité, a toujours été du
côté des opprimés et n’a jamais été du côté
des dictateurs. Toujours/jamais, le
lapsus n’est pas formel, il est purement
sémantique. Sarkozy a sous les yeux un joli
texte, la France n’a jamais été du côté des
dictateurs, et puis il pense à ses anciens amis, Kadhafi
par exemple, et hop, ça dérape soudain, la
France a toujours été du côté des dictateurs.
Derrière le lapsus se trouve un message plus
clair, j’ai
été du côté des dictateurs. Comme
d’autres ont pu dire « l’Etat c’est
moi », Sarkozy en ajoute donc une couche
en laissant entendre que la France c’est lui.
Comme pour faire écho à un lapsus de Rachida
Dati, pendant la campagne présidentielle de
2007 : Nicolas
Sarkozy
l’a dit dans son discours du 14 janvier, il
veut devenir le patron...euh le président de
tous les Français...
Depuis que le 5 mai 2015 l’UMP
est devenue Les
Républicains pour tenter de faire
oublier les liens entre l’ Union pour un Mouvement Populaire et
quelques scandales financiers, en particulier
l’affaire Bygmalion, je guette la façon dont
la presse nomme ce parti. En effet la tendance
est, en France, à la siglaison : PS pour
Parti Socialiste, FN pour Front National, jusqu’à des
choses quasiment imprononçables comme EELV pour
Europe Ecologie Les Verts... Or l’appellation Les
Républicains posait deux types de
problèmes. D’une part beaucoup considéraient
qu’il y avait abus de langage car nous sommes
tous républicains, et d’autre part Sarkozy
tenait absolument à cette appellation, dans
toute sa taille si je puis dire, c’est-à-dire
non siglée.
Je n’ai pas, bien sûr, lu
depuis quatre mois toute la presse tous les
jours, mais j’avais relevé dans certains
journaux une tendance à l’alternance entre Les Républicains et LR,
avec parfois l’utilisation des deux formes, Les
Républicains (LR) ou LR (Les
Républicains). Or Libération a franchi hier le pas en titrant en gros
caractères en page 2 Le
FN en ordre de percée et en page 5 LR
en
ordre dispersé. Le parallélisme est bien sûr intentionnel, jeu sur les
mots (ordre de percée / ordre dispersé) et
sigle dans les deux cas. Au delà de la
formule, on peut se demande pourquoi les ex
UMP tiennent tant à s’appeler Les Républicains plutôt que LR ? La réponse est peut-être
simple. LR est donc le pseudonyme de l’UMP,
parti corrompu, compromis, et qui aura
peut-être prochainement à faire avec la
justice. L’Union se cache donc derrière LR.
Prononcez le sigle à haute voix, vous entendez
quoi ? « Elle erre ». Pauvre
UMP...
Hier soir j’ai suivi La
grande librairie, émission littéraire de
François Busnel qui recevait Amélie Nothomb,
Laurent Binet (en fait la raison pour laquelle
je m’étais mis sur cette chaîne) et Astrid
Manfredi, dont j’ignorais tout et qui vient de
sortir un premier roman, La petite barbare. Les interviewes commencent, Nothomb, puis Binet,
après Binet un reportage sur l’écrivain
américain Jim Harrison et, en fin d’émission,
donc, Astrid Manfredi. Busnel la présente et
elle se lance avec un débit impressionnant
dans un discours de représentant de commerce
qui craindrait qu’on lui coupe la parole. On
peut être linguiste et n’en être pas moins
homme ou femme, et avoir des réactions
bien peu scientifiques. C’est ridicule à dire
mais sa voix, son ton, son débit m’ont
immédiatement excédé. Et surtout, sa première
phrase m’a frappé : « Ben voila c’est une
jeune femme voila de vingt ans »... Du coup j’ai tendu l’oreille et noté au hasard
quelques phrases. « Elle
va voila se lier d’amitié avec un type voila
un leader charismatique complètement sans
scrupules voila et ils vont voila... ».
Ou encore : « Ben
voila ça veut dire voila qu’il faut vivre, l’urgence de vivre voila, et alors, voila... ». Bref j’avais
l’impression d’être enterré sous des
tombereaux de voila, au point que ce matin j’ai réécouté l’émission et compté le
nombre d’occurrences de cette pauvre
préposition : en moins de sept minutes, Astrid
Manfredi a prononcé 59 fois voila !
En fait, pour
tout vous dire, il y a quelques mois déjà que
j’ai noté cette tendance nouvelle consistant à
parsemer le discours de voila.
Ecoutez la radio, soyez attentifs à ce que
disent les gens dans le métro ou au bistrot,
et vous vous en rendrez compte vous-mêmes.
Mais je n’avais jamais entendu un tel
déferlement, d’autant plus frappant qu’il
venait après Amélie
Nothomb et Laurent Binet qui parlent un
français extrêmement précis et élégant. Bien
sûr on pourrait croire qu’il s’agissait de
remplissage, d’une façon de boucher les trous
dans un discours hésitant. Mais pas du
tout : Astrid Manfredi parlait à toute
vitesse et sans hésitation.
Tiens, nous
allons en profiter pour vous initier au
travail du linguiste. Allez sur Internet,
cherchez cette émission et écoutez-la. Vous
verrez. Voila !
L’antonomase
est une figure de style consistant à utiliser
un nom propre comme nom commun. Ainsi le
préfet Eugène Poubelle (1831-1907) a-t-il
laissé son nom aux poubelles qu’il avait
créées, ou la Bourgogne donne-t-elle son nom à
des vins, les bourgognes, etc. Parfois le nom
propre peut devenir une insulte : un
besson par exemple, ou un tartuffe. On sait
par ailleurs que les noms communs, par
dérivation, peuvent donner des mots désignant
un processus. La vinification par exemple, lorsque le jus de raisin se
transforme en vin, ou encore la pétrification, lorsque du calcaire se dépose sur un corps pour le
recouvrir d’une couche de pierre. Nous
pourrions également imaginer un poubellisation,
processus dans lequel quelque chose se
transforme en poubelle, et nous sommes alors
loin du susdit préfet et de son nom propre.
C’est ce qu’a fait le patron du PS, Cambadélis, en dénonçant ce qu’il a appelé la « mélenchonisation rampante des écologistes » , opérant successivement une antonomase (le nom propre Mélenchon devenant le nom commun mélenchon) et une dérivation. Ni une ni deux, Mélenchon lui répond, dans son discours hier à Toulouse : « Tout organisme de gauche ou qui se veut tel, atteint de "macronite", est promis à la "mélenchonisation", qui est la réaction de l'organisme sain pour conserver son identité. » Macronite est également un néologisme intéressant puisque, comme otite ou laryngite il désigne une maladie mais fait du même coup du nom propre Macron un nom commun désignant un organe du corps humain, l’égal de l’oreille ou du larynx. Dès lors la mélenchonisation serait un processus à rapprocher de la désinfection, la vaccination, la lobotomisation ou la purification, comme on voudra... Mais l’ennui est que, pour Cambadélis, elle a un sens tout différent. Or, dans le même discours, Mélenchon a évoqué Georges Orwell, l’auteur de 1984, en déclarant : «Le vol des mots, leur falsification, c’est une manière d’empêcher de penser. Les mots, il faut les organiser ». Bien dit, Jean-Luc, mais tu devrais, pour organiser ces mots, te mettre, en collaboration avec Cambadélis, à la rédaction d’un dictionnaire. Et, pour vous faire les dents, vous pourriez commencer par l’article mélenchonisation...
Le Courrier
International est un hebdomadaire qui
publie, en traduction française, des extraits
de la presse du monde entier et présente
chaque semaine un dossier sur un thème donné.
Dans son dernier numéro, il traite des
« langues qui dominent le monde ».
En couverture, trois d’entre elles sont
citées, anglais, chinois, français, mais dans
le dossier on en trouve six, arabe, russe et
espagnol venant s’ajouter aux trois premières.
L’ennui, bien sûr, dans ce type de dossier est
qu’il n’y a pas de ligne directrice, de
coordination scientifique, mais un choix
d’articles d’origines diverses, même si cela
en constitue du même coup l’intérêt. En outre,
les auteurs sont de compétences variées. Ainsi
le texte consacré à l’anglais est-il signé par
John McWhorter, linguiste de bonne réputation,
tandis que les autres le sont par des
journalistes. Mais ce qui m’intéresse est
plutôt la liste de ces langues. :
pourquoi ces six là ? Pourquoi l’arabe
par exemple, alors que l’article extrait d’un
journal d’Abou Dhabi explique que cette langue
est négligée dans les Etats du golfe au profit
de l’anglais et qu’il deviendrait une langue
seconde ? Et pourquoi pas le
portugais ?
En
fait l’importance des langues ne repose pas
seulement sur le nombre de leurs locuteurs
« langue première » mais aussi sur
celui de ceux qui l’étudient, ou encore de
ceux qui l’utilisent comme langue véhiculaire.
Ainsi, parmi les langues les plus parlées en
langues premières on trouve, après le chinois,
l’espagnol et l’anglais, des langues
auxquelles on ne songe pas souvent, comme le
bengali, le hindi et le portugais.
Reste
la place de ces langues dans les systèmes
scolaires. Dans un encadré le Courrier
international donne le nombre
d’apprenant de quelques langues. L’anglais
vient en tête, champion toutes catégories avec
1,5 milliards d’élèves, suivi par le français
(82 millions) et le chinois (30 millions),
allemand et espagnol se situant beaucoup plus
loin (14,5 millions chacun), l’italien ayant 8
millions d’apprenants et le japonais 3
millions. Mais il faudrait avoir en outre les
mouvements, à la hausse ou à la baisse, du
nombre de ces apprenants.
On le voit, il est difficile de donner un état exact de la situation linguistique du monde. Mais ce qui est sûr, c’est que le nombre de langues est en diminution constante. Et comme la population mondiale est, elle, en progression, nous allons nécessairement assister à une multiplication du nombre de locuteurs de certaines langues. Comme dans certaines disciplines sportives, la médaille d’or est attribuée par avance. Mais qui sera sur le podium, après l’anglais ? C’est une bonne question, et je vous remercie de l’avoir posée...
L’année
2015,
centième anniversaire de sa naissance, a
été, de différentes façons, une « année
Barthes », qui a vu des expositions, des
colloques, une nouvelle biographie, celle de
Tiphaine Samoyault, bref nul ne peut désormais
ignorer le nom de celui qui me disait un jour
avoir une reconnaissance qualitative mais non
pas quantitative.
Dans
ce concert de louanges et de célébrations
Laurent Binet est venu mettre un petit grain
de sable qui fera sans doute grincer bien des
dents avec un « roman », La
septième
fonction du langage. Disons-le tout de
suite, du point de vue strictement littéraire,
le livre est écrit comme un cochon, mais
qu’importe, il est plaisant, parfois irritant,
souvent délirant, et il porte en sous-titre
une question, « qui a tué Roland
Barthes ? », qui l’apparente donc à
un polar. Mais commençons par des données
objectives, ou du moins par deux faits dont je
suis en mesure d’assurer l’authenticité.
-D’une
part,
le 25 février 1980, Roland Barthes sort d’un
déjeuner organisé par Jack Lang dans un
appartement de la rue des Blancs-Manteaux,
dans le Marais, un déjeuner regroupant autour
de François Mitterrand des artistes ou
intellectuels (Barthes donc, et Jacques Berque,
Danièle Delorme, Pierre Henry...). Il rentre à
pied vers le quartier latin, pour se rendre au
Collège de France et, distrait, il traverse la
rue des Ecoles sans voir une camionnette qui
le renverse. Transporté à l’hôpital il mourra
le 26 mars 1980. Ce déjeuner m’a été raconté,
dix ans après les faits, par deux témoins
directs, François Mitterrand dans son bureau
de l’Elysée, et Jack Lang dans son bureau du
ministère de la culture. Nous avons donc là un
élément de « réalité ».
-D’autre
part
le linguiste d’origine russe Roman Jakobson,
dans un texte célèbre intitulé
« linguistique et poétique » a
avancé une théorie selon laquelle le langage
aurait six fonctions, dont je vous épargne la
liste. Je puis par ailleurs vous assurer que
Jakobson était doué d’un solide sens de
l’humour, ce qui je vous l’accorde n’a rien à
voir. Mais je peux subodorer qu’il aurait
apprécié les délires de Binet.
Revenons
donc
au livre de Laurent Binet. Tout part d’une
enquête sur les circonstances de l’accident et
de la mort de Barthes, avec très vite une
intuition selon laquelle on a tué
volontairement le sémiologue, pour lui dérober
un papier concernant la septième fonction du
langage, une feuille recto verso qui se trouve
dans la poche de sa veste. Ce court texte,
rédigé de la main de Jakobson, serait le mode
d’emploi de cette septième fonction, celle qui
confère le pouvoir par la parole, la certitude
de battre n’importe qui dans un débat. Le
policier chargé de l’enquête s’est adjoint
l’aide d’un jeune enseignant de sémiologie à
l’université de Vincennes qui va lui permettre
de s’y reconnaître, enfin, presque, dans les
dédales des théories du signe.
Pour
simplifier,
résumons. Julia Kristeva tout d’abord, s’avère
être la fille du patron des services secrets
bulgares et elle est chargée de récupérer le
précieux texte. C’est donc elle qui fait tuer
Barthes, possède le document, en confie une
copie à Althuser en lui demandant de la
cacher. Hélas, sa femme, Hélène, la jette à la
poubelle et fou de rage le philosophe
l’étrangle. Les morts se succèdent, assassinés
par des Bulgares, et l’on découvre en cours de
route l’existence d’une sorte de société
secrète, le Logos club avec une organisation strictement hiérarchisée, un
« protagoras magnus » au sommet de
la pyramide, dix sophistes, ensuite des
tribuns, des péripatéticiens, des
dialecticien, des orateurs, des rhéteurs et
tout en bas des parleurs. Il y a aussi deux
Japonais, tout aussi mystérieux et tout aussi
barbouzes, pour qui « les amis de Barthes
sont nos amis » et qui contrecarrent sans
cesse les actions des Bulgares. L’enquête se poursuit en Italie, puis
aux Etats-Unis, tout s’embrouille et tout est
clair à la fois.
Beaucoup
de
gens sont donc prêts à tout pour avoir ce
texte, d’où les morts, mais on découvrira à la
fin du livre que lors du repas autour de
Mitterrand Jacques Lang l’a subtilisé dans la
poche de Barthes et, qu’en coulisse, Regis
Debray et Derrida rédigent un faux texte qui
sera remis dans la poche du sémiologue.
Il
y a donc une vraie version de la septième
fonction du langage, entre les mains des amis
de Mitterrand, ce qui lui permettra un an plus
tard de battre Giscard d’Estaing dans un débat
télévisé et de remporter l’élection
présidentielle, et quelques fausses versions
qui circulent et pour laquelle on se bat, on
se tue. Mais pourquoi Kristeva accorde-t-elle
tant d’importance à cette septième
fonction ? Pour la science ? Non,
bien sûr. Pour son père tout d’abord, et pour
Sollers qui rêve d’aller défier les rhéteurs
du logos
club. Or les joutes orales ont un règle
stricte : celui qui défie quelqu’un de
classé immédiatement au-dessus de lui paie
cher une éventuelle défaite : on lui
coupe un doigt. Sollers, lui, est plus
ambitieux, il défie directement le chef
suprême, le protagoras magnus, qui se trouve
être Umberto Eco. Il est sûr de gagner, il a
la septième fonction. Mais elle est fausse et
il perd. Dans ce cas la sanction est plus
dure, on lui coupe non pas un doigt mais les
testicules. Dans Hécatombe Brassens mettait en scène quelques dizaines de
mégères attaquant la maréchaussée et racontait
qu’à la fin, suprême outrage, elles leur
auraient bien « coupé les choses »
mais que « par bonheur ils n’en
avaient pas ». Selon Binet, Sollers en
avait, mais par malheur on les lui coupa....
Ajoutons
à cela des considérations sur les styles
oratoires, sur les différences entre la
sémiologie et la rhétorique, la première
analysant, décodant, tentant de comprendre,
étant défensive, la seconde persuadant,
convainquant, étant offensive, les deux étant
comparées aux façons respectives de jouer au
tennis de Borg et de McEnroe, lift, passing
shots contre
volées, accélérations... Là aussi on rit
beaucoup mais, parfois, on réfléchit. Ou
encore les libertés avec la chronologie que
prend Binet, faisant tuer Derrida (il
ne mourra en fait qu’en 2004) et mettant en
scène à ses obsèques Sartre (qui est en fait
mort quinze jours après Barthes). Jakobson
mourra, lui, en 1982, et il apparaît comme un deux ex
machina, mais
je vous laisse tout de même quelques
surprises...
Certains
diront
que ce livre est homophobe, et il est vrai que
les scènes d’orgies dans lesquelles brille en
particulier Michel Foucault ne sont pas
piquées des hannetons. D’autres y verront du
poujadisme intellectuel, et il est vrai que
Kristeva, Sollers, Bernard-Henri Levy et
quelques autres en prennent plein la gueule
pour pas un rond. D’autres enfin
diront que le personnage de Barthes,
furtif puisqu’il meurt dès le début, n’est pas
à son avantage, indécis, ombrageux, pleutre,
dragueur impénitent de jeunes hommes,
incapable de se consoler de la mort de sa
mère, toutes que nous savons déjà et qui
n’enlèvent rien à son importance
intellectuelle. Mais il s’agit d’un livre
foutraque et jubilatoire dont je n’ai donné
ici qu’une pâle idée. Ah oui, encore une
scène, un repas chez Kristeva-Sollers (Sollers
que certains appellent –dans le livre-
monsieur Kristeva), au cours duquel la
maîtresse de Lacan enlève, sous la table, sa
chaussure et du bout du pied vient chatouiller
le sexe de Levy, assis en face d’elle et qui
bande comme, comme quoi, comme un nouveau
philosophe, tandis que dans la cuisine
Kristeva trousse une attachée d’ambassade
chinoise.
Un
dernier détail. Un jeune marocain, l’un des
amants de Michel Foucault, avait une version
du vrai texte de Jakobson, enregistrée sur
cassette dans son walkman. Il la connaît donc
sur le bout des doigts et en profite pour
utiliser son habilité orale pour obtenir une
carte verte aux Etats-Unis, et divers autres
avantages. Il a sous sa coupe un jeune
étudiant noir, futur avocat, dont il veut
faire un sénateur, et peut-être plus. Cela se
passe il y a 35 ans. Si les petits cochons ne
l’ont pas mangé, ce Slimane est toujours
vivant... Que nous réserve-t-il ? Ce qui
est sûr c’est que, n’étant pas né aux USA, il
ne pourra pas, lui, en devenir président. Et
que François Mitterrand a été élu en 1981...
En
1973, un film d’inspiration situationniste,
détournement d’un film de kung fu chinois,
s’intitulait La
dialectique peut-elle casser des
briques ? Je rebaptisais
volontiers le livre de Binet La
mort de Barthes et les couilles de Sollers
peuvent-elles changer le cours d’une
élection présidentielle ?
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