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28
mai 2022: Reliques
Le quotidien
espagnol El
Pais a publié au début du
mois de mai un article sur les
reliques
religieuses dont la vogue ne tarit
pas et qui, miraculeusement,
semblent se
multiplier. A l’origine on les
trouvait dans des lieux consacrés,
églises,
monastères, puis un commerce se
mit en place, l’église cédant
parfois contre
rétribution un petit bout d’un os
de saint Machin, un poil de la
barbe de saint
truc… Puis on en vint à moins de
mercantilisme, on protégea les
reliques, ce
qui donna d’ailleurs naissance à
une autre forme de commerce, celui
des fausses
reliques. El Pais parle
ainsi de deux prépuces de Jésus,
ou de deux
églises qui possédaient la tête du
même saint. Pour ménager les
susceptibilités, on décida que
l’une avait la tête du saint
jeune, et l’autre
du saint plus âgé….
Et l’on ne compte
plus les petits bouts de tissu
venus de suaires ou de vêtements
de saints… Un véritable marché.
Vous
vous
demandez à servent les
reliques ? Ignorants !
Elles sont d’abord
des objets de vénération et,
surtout, elles protègent ceux qui
les possèdent.
Vous ne le croyez pas ?
Infidèles ! Tenez, vous vous
souvenez du Moskva,
le navire amiral russe qui a été
coulé en mer Noire par les
Ukrainiens ?
Et bien il y avait à son bord une
relique de valeur, un
bout de la croix du Christ…

23
mai 2022: Ziguinchor

Comment je l'indiquais dans mon
précédent billet, j'ai travaillé
pendant deux semaines dans le sud du
Sénégal, à Ziguinchor, où j’ai
refait avec une quinzaine
l’étudiants en master ou en doctorat
une enquête sur les langues des
marchés que j’avais faite il y a 32
ans. L’idée était, bien sûr, de voir
si, et dans quel sens, les choses
avaient changé. Ziguinchor est une
ville extrêmement plurilingue (on y
parle un vingtaine de langues
africaines, plus bien sûr le
français, langue officielle du pays)
et depuis longtemps une langue
locale, le joola, dominait sur les
marchés, suivie par le wolof, langue
véhiculaire du nord du pays et
souvent perçue comme « la
langue des autres », voire des
envahisseurs. Et les choses ont bien
changé. Le wolof est désormais la
langue dominante, le joola en
régression. On utilise aussi
beaucoup un créole à base lexicale
portugaise qui a été renforcé par
des migrants venant d’un pays
voisin. En 1998 en effet, la Guinée
Bissau a connu une période agitée
qui a débouché en mai 1999 sur le
renversement du gouvernement en
place, et entrainé la fuite de
nombreux Bissau-Guinéens vers
la Casamance.
Mais ce qui a surtout changé ce
sont les sentiments ou les
représentations linguistiques :
on sent grandir l’acceptation de
l’idée que le wolof pourrait devenir
« la » langue du Sénégal
et non plus la langue des
"envahisseurs" du Nord, ce qui à
terme pourrait impliquer la
disparition de beaucoup de langues
locales. Certains disent qu'il disparaît
actuellement dans le monde une
langue par semaine, affirmation
difficile à vérifier. Mais on peut
se demander si ce pays, parmi d’autres, ne
va pas emprunter le scénario qui
s’est produit en France, comme s’il
y avait un « sens de
l’histoire » fatal à un grand
nombre de langues. A suivre, donc.
Pour l’instant nous sommes en train
d’essayer de comprendre ce qui s’est
passé à Ziguinchor à l’aide de
tableaux Excel et de différents tris
croisés. Après le plaisir du travail
de terrain, une autre
« plaisir » bien
différent: celui de la statistique…

19
mai 2022: Prosecco ou
Champagne, il faut choisir
Je
viens de travailler quinze jours
dans le sud du Sénégal, mais je vous
en parlerai une autre fois. Je
voudrais en effet partager avec vous
l’illustration d’une nouvelle façon
de se tirer une balle dans le pied.
Mardi dernier, le cycliste Biniam
Girmay a gagné la 10ème
étape du Giro (le tour d’Italie à
vélo). Pour fêter l’événement, il
est de tradition de « faire
péter » une bouteille de
Champagne, ce que fit le vainqueur
(mais, Italie oblige, il s’agissait
d’une bouteille de Prosecco).
Hélas,
hélas, hélas ! S’il est habile
de ses jambes, Girmay l’est moins de
ses mains, et le bouchon est allé
frapper violemment son œil. Ce qui
s’appelle
non pas se tirer une balle
dans le pied mais se tirer un
bouchon dans l’œil ! Après le
podium, le cycliste est donc allé
directement à l’hôpital, et il a dû
abandonner le Giro.. Après la
victoire, la retraite.
Conclusion ? Selon votre
goût :
-L’abus
d’alcool est dangereux, ou
-Pourquoi
boire du Prosecco quand il existe le
Champagne ?

4
mai 2022: Pause

Je vais prendre un peu de
distance: pas de billet d'ici quinze
jours.
A bientôt, donc.

1er
mai 2022: Ctoyenneté ou
nationalité?

Le linguiste Patrick Sériot,
spécialiste du russe et plus
généralement des langues slaves, a
dans un article publié dans le
quotidien suisse Le Temps,
apporté des précisions intéressante
sur ce qui pourrait se passer dans la
tête de Vladimir Poutine. Il explique
qu’en Russie on distingue entre nationalité
et
citoyenneté. La citoyenneté est
définie par l’appartenance à un pays
(on est citoyen russe, français,
allemand…) tandis que la nationalité
est une notion plus floue, à tendance
ethnique , définie en particulier par
la langue. Et il rappelle qu’en URSS
les papiers d’identité indiquaient une
nationalité (russe, juive,
ukrainienne, ouzbèque…) mais que tous
étaient de citoyens soviétiques.
De ce point de vue, les
Suisses romands seraient des citoyens
helvétiques de nationalité française,
les germanophones seraient toujours
citoyens helvétiques mais de
nationalité allemande, ou encore les
Bretons seraient des citoyens français
de nationalité bretonne…
Et
c’est justement cette
« logique » qu’utilise
le président russe Poutine.
Pour lui, les Ukrainiens parlant russe
sont de nationalité russe et,
secondairement, des citoyens
ukrainiens. La citoyenneté pèserait
donc moins que la
nationalité, et cela lui
permettrait d’étendre ses
frontières à tous les pays de
l’ancienne URSS où l’on parlerait
russe.
Faut-il rappeler que cette même
« logique » a permis à
Hitler de considérer les germanophones
de Tchécoslovaquie comme allemands et
d’envahir en 1938 les Sudètes. Tentant
d’envahir l’Ukraine pour la
« dénazifier » et
« libérer » les
« Russes », Poutine
se comporte donc exactement comme les
nazis.

28
avril 2022: 动态清零
En Chine, il y a eu 25 millions de
personnes confinées à Shanghai, et à
Pékin, la population craignant d’être
elle aussi confinée se rue sur les
supermarchés pour faire des
provisions. En fait, et depuis de
longues semaines, plusieurs autres
villes, de taille plus restreinte, ont
été confinées, les cas de covid se
multiplient, les décès aussi : le
taux de vaccination est faible,
le vaccin lui-même peut-être
pas très efficace, et l’immunité
collective est donc impossible à
atteindre.
Mais la population en a assez. Ainsi
un texte intitulé "Les shanghaiens
sont à bout de souffle", mis
en ligne il y a une quinzaine de jours
et se plaignant de la situation
catastrophique des habitants, a été lu
par plus de 20 millions de personnes.
Et un commentaire disant « qui
censure ce texte cherche la
mort » a eu 800.000 « like».
Le texte a été supprimé pendant
quelques heures, puis est réapparu,
mais avec l’impossibilité de le
commenter. Et l’un de mes
correspondants m’écrit : «Si on
n'a pas beaucoup à manger, il
faut nous laisser
parler ». Selon
un autre, les habitants ne supportent
plus de manquer de nourriture, les
malades d’autres maladies que le covid
ne peuvent pas être hospitalisés, les
parents et les enfants sont parfois
séparés... Bref la situation est
compliquée.
Face à tout cela, on peut s’interroger
sur la « politique zéro
covid » de la Chine dont on parle
partout à l’étranger : zéro covid
alors qu’il y a de plus en plus de
contaminations et de morts ? En
fait cette expression a été forgée
pour être diffusée hors des
frontières. On utilise très souvent en
chinois, pour les slogans politiques
ou publicitaires, des formules en
quatre caractères, et l’expression
chinoise traduite par « politique
zéro covid » est 动
态清零 (dong tai qing ling), 动
态 signifiant
« de façon
évolutive » ou
« dynamique », et 清
零 « remettre
à zéro ». Cela ne signifie donc
pas qu’il n’y a pas de covid en Chine
mais plutôt que l’on veut couper les
chaînes d’infections. Mais nous
pourrions nous amuser à traduire 动
态清零
par
« on efface tout et on
recommence ». Vaste programme.

25
avril 2022 : Ce à quoi
nous avons échappé
Sans mots inutiles,
voici un collage de mon ami Michel
Santacroce (titre : la fachosphère) :


24
avril 2022: France-Orbanistan
Je
viens
de passer quatre jours en Orbanistan,
enfin disons en Hongrie. J’y ai rencontré quelques
universitaires très critiques
envers leur premier ministre,
Viktor Orban, mais l’ensemble du
pays semble approuver ce populiste
sans scrupules, jouant habilement
sur l’ambiguïté face à
la guerre en Ukraine,
face aux libertés fondamentales,
et de façon générale face à la
démocratie. Pour vous donner une
idée, c’est la première fois que
l’Union européenne envisage de
priver un pays, la Hongrie, de
subventions (40 milliards, tout de
même…) pour violation de l’état de
droit.
Bref, Orban n’a rien
d’un démocrate, il n’est guère
fréquentable, mais Marine Le Pen
le fréquente assidument. Il
lui a d’ailleurs apporté
officiellement son soutien dans la
campagne présidentielle française.
Selon elle, ils n’auraient qu’une même
vision de l’organisation européenne,
mais son programme, en particulier sa
volonté d’utiliser les référendums à
foison, est pratiquement décalqué des
pratiques d’Orban. Et certains disent
ici qu’une victoire de Le Pen
changerait la situation européenne,
grâce à une axe France-Hongrie.
Faisant
allusion
à l’exclusion de journalistes de
« Quotidien » d’une de ses
conférences de presse, Macron a
d’ailleurs lancé : «Quand l’extrême
droite se met à dire : “Je
choisis les journalistes qui
viennent ou qui ne viennent pas” (…), elle
fait
la même chose qu’on fait en
Hongrie ». Cette sortie
n’est pas très diplomatique,
mais elle sonne assez juste.
Chantre de l’illibéralisme,
opposé à l’immigration,
insistant sur les racines
chrétiennes de l’Europe
(il a même fait inscrire une
référence à Dieu dans la
constitution du pays), refusant
tout droit aux LGBT, Orban coche
toutes les cases de la réaction.
Aux dernières élections, il a
cependant obtenu 54% des voix,
raflé une majorité des deux
tiers à l’assemblée : le
peuple semble formaté,
endoctriné, bref le peuple le
suit. En France, dans la rue ou
dans un bistrot, comptez les
gens, un, deux, trois, un, deux,
trois, un sur trois vote facho.
En Hongrie, c’est un sur deux.
C’est
donc
dans ma chambre d’hôtel, à Budapest,
que j’ai suivi le débat entre Le Pen
et Macron mercredi soir. Les deux
journalistes n’avaient apparemment
pour fonction que de surveiller les
chronomètres, pour éviter que l’un
parle plus que l’autre :
« il vous reste deux
minutes », « vous avez une
minute trente de retard »,
« une minute d’avance »…
Mais au moins les deux candidats
avaient droit à la parole, au même
temps de parole, ce qui n’est pas
nécessairement le cas en Hongrie. On
m’a raconté que le premier ministre y
contrôlait une grande partie des
media, qu’on l’y avait entendu lors
des récentes élections pendant des
heures alors que l’opposition n’y
apparaissait que quelques minutes.
France, Hongrie, deux pays, deux
modèles bien différents. Un comique
hongrois, Tibor
Bödőcs,
a d’ailleurs annoncé sur sa page
facebook que l’avenir du pays
était d’être « une Biélorussie
light »: «De nouveaux ennemis
soigneusement façonnés. Des
campagnes de haine chirurgicales
vendues par des influenceurs
écœurants à pochette de costume et
autres biorobots. Le harcèlement
du reste de la presse. Une
propagande du succès. Des
mensonges joliment emballés. Le
gavage d'hommes de paille au
talent modeste. Du cynisme sans
plaisanterie. Des cauchemars. Des
théories complotistes brodées pour
les masses. Une Biélorussie light.
Bref, du bonheur en perspective ».
Le Pen voudrait-elle faire de la
France une Biélorussie light ?
En fait, il n’est pas sûr qu’elle
sache où se trouve la Biélorussie,
elle qui a parlé d’Habib Bourguiba
comme d’un ancien président de la
république algérienne. Mais ce qui
est sûr, c’est qu’elle aime Orban
autant qu’elle aime Poutine.
D’ailleurs, tous les deux sont ses
banquiers. Elle avait emprunté en
2014 9 millions d’euros à la First
Czech-Russian Bank, elle a cette
année emprunté 10 millions à la
banque hongroise MKB, propriétaire
d’un ami d’Orban. On disait naguère
dans certains romans policiers que,
pour résoudre une enquête, il
fallait chercher la femme, ici il
faut plutôt chercher la banque, ou
les banques, pour avoir une idée de
ce que serait la politique de la
candidate Le Pen.
16
avril 2022: Voter contre le
pire
Le
chirurgien
Stéphane Velut, dans un petit livre
publié dans la collection
« Tracts » ( L’hôpital,
une nouvelle industrie, le langage
comme symptôme, Gallimard,
2020) raconte que lors d’une réunion
de service dans laquelle il somnolait,
il sursauta lorsque « un jeune
membre d’un cabinet de
consulting » expliqua que «tout
en restant dans une démarche
d’excellence il fallait désormais
transformer l’hôpital de stock en
hôpital de flux ». Par
stock il fallait entendre non pas des
stocks de médicaments, de lits, de
bouteilles d’oxygène
ou d’ambulances mais des
malades, et flux signifiait qu’il
fallait éviter de garder ces malades
trop longtemps, en gros de les virer
le plus vite possible. Et Velut
soulignait qu’on
« déconnecte
les mots de la chose », que
« cette langue masque sous des
termes tarabiscotés, constats,
projets, décisions…, dont
l’énonciation simple brutaliserait
l’oreille ». Et ce « jeune
membre d’un cabinet de
consulting » est à lui seul
l’archétype d’une catégorie
sociale en développement: celle
des petits marquis de la société
libérale.
Ils
s’habillent
de la même façon, même type de
costume, pantalon étroit, chemise
blanche, portent sans doute le même
type d’eau de toilette. Les uns, le
plus souvent
issus de l’ENA, sont
spécialisés dans le général,
c’est-à-dire à peu près dans rien du
tout, les autres sortent de grandes
écoles de commerce ou de master en
« business ». Ils sont hauts
fonctionnaires, experts ou consultants
et portent un regard distant sur les
réalités, comme un chirurgien qui
ouvrirait un corps et dirait « il
faut faire ceci ou cela » puis
partirait faire une partie de golfe en
laissant aux autres le soin d’opérer.
Ces petits marquis parlent le même
jargon, entre globish et précieuses
ridicules, se considèrent (peut-être
parfois à raison) comme supérieurement
intelligents, en tout cas plus
intelligents que les autres et
méprisent souverainement ceux qui ne
pensent pas comme eux, les considérant
comme trop bêtes
pour comprendre la profondeur
de leurs analyses et des solutions
qu’ils proposent.
De
la
pointe des cheveux et celle de ses
chaussures, Macron a le look de ces
petits marquis. Et il porte à croire
que, malgré le dicton connu,
l’habit chez lui fait le
moine. Il pense comme eux, parle comme
eux. Souvenez-vous des premières
expressions qu’il utilisa en 2017,
après son élection, start up nation,
task force… Touchant ou
ridicule, il faisait penser à ces
enfants qui essaient d’apprendre à se
comporter comme les grands, comme des
adultes. Bref, vous m’avez
compris : je ne suis pas un
fanatique de notre président de la
république. J’avais, en 2017, voté au
premier tour pour Benoît Hamon et au
second contre Le Pen. Cette année,
pour la première fois de ma vie, j’ai
voté pour un communiste, Fabien
Roussel, disruptif et marrant. Et je
tout à fait conscient de n’avoir ainsi
pas voté pour Mélenchon, dont le
comportement, les postures, la morgue,
m’ont toujours fait penser à
Mussolini.
Dimanche,
je
voterai à nouveau contre Le Pen.
C’est-à-dire pour Macron. D’ailleurs,
et quoi que je pense du personnage, il
n’a pas fait que des dégâts. Sa
gestion de la pandémie a évité bien
des faillites, bien des mises au
chômage. Et son comportement face à
Poutine est tout de même plus clair
que celui de Mélenchon, moins sordide
que celui de Le Pen, sans parler de la
fascination de Le Pen pour Orban...
Les
discours
que j’entends autour de moi, la peste
et le choléra, Macron égale Le Pen et
autres fadaises, me révoltent. Ils
témoignent d’une maladie infantile
bien connue, ou du syndrome de Ponce
Pilate, « je m’en lave les
mains », bref d’une très grande
irresponsabilité ou d’un
analphabétisme politique. Non, ce ne
serait pas la même chose d’avoir une
présidente d’extrême droite ou un
président de centre droit. Non ce ne
serait pas la même chose d’avoir une
information contrôlée, à la russe, ou
une information libre. Non, ce ne
serait pas la même chose d’avoir la
politique que nous avons envers
les femmes, les homosexuels,
les étrangers, ou celle qui sévit en
Russie, en Hongrie ou en Pologne. Non,
ce ne serait pas la même chose de
fermer nos frontières et de sortir, à
terme, de l’Europe, ou de continuer à
chercher à l’améliorer.
Non, la politique de la terre
brûlée ne générera rien de positif.
Et
j’aurais
le rouge au front si le soir du 24
avril j’apprenais que Le Pen est élue
alors que j’aurais voté blanc ou que
je me serais abstenu.
On
ne
choisit pas le meilleur, on évite le
pire.
14
avril 2022: Tête de quoi?
David
Caviglioli,
dans l’hebdomadaire L’obs, s’est
amusé, sous le titre « les sortie
de la semaine », à inventer des
résumés de films pour chaque candidat
à la présidentielle. Voici ce que ça
donne pour Marine Le Pen :
Russian
Roulette
Thriller
avec
Marine Le Pen, Vladimir Poutine
Une
femme
doit 8 millions d’euros à un gangster
russe, Vladimir. Pour le rembourser,
elle n’a qu’un seul choix :
transformer la France en régime
fasciste.
Notre
avis
Un thriller étouffant, dont la
fin vous glacera le sang
Si
son
article n’avait pas été écrit avant le
premier tour, Caviglioli aurait aussi
pu chercher son inspiration du côté de
Crocodile Dundee : une
vieille femelle crocodile,
Marine, est dans son marigot. Déjà
édentée mais encore combative, elle
défend son territoire pour s’assurer
un dernier tour de piste. Le jeune
mâle ambitieux, Zemmour, attendra la
prochaine fois .
En
breton,
Le Pen (ar penn) signifie
«la tête ». Mais
tête de quoi ? Le choix est
large. Pour ma part, j’hésiterai entre
« tête de faux cul » ou
« tête de linotte ». En
effet, elle a tenté de changer son
apparence, mémère avec ses chats,
doucereuse, et l’on a l’impression que
les électeurs ne lisent pas son
programme. On y trouve en effet
l’annonce d’une France alliée avec le
hongrois Orban et le russe Poutine, transformée
en
démocratie « illibérale »,
s’éloignant de l’Europe pour se
rapprocher de ses amitiés
dictatoriales. Habileté de la
candidate ou mémoire courte des
électeurs, elle a réussi à faire
oublier ces accointances, ses mains
liées par sa dette à une banque russe
proche du dictateur, elle nie ou fait
semblant de ne pas entendre et passe à
autre chose. Il y a pourtant des
détails très récents qui
parlent : jeudi dernier, le
parlement européen a voté à une très
large majorité (513 voix pour, 22
contre) une résolution demandant un
embargo complet sur le gaz et le
pétrole russe. Curieux hasard : aucun
député
du RN n’était présent…
Encore
étudiante
en droit, puis avocate débutante (elle
n’est d’ailleurs pas allée beaucoup
plus loin), elle avait la réputation
d’une teufeuse, fille à papa fervente
de fête, pas de culture. On dit que
certains étalent leur culture comme de
la confiture sur une tartine. Comme
elle n’a pas grand-chose à étaler, ses
petits déjeuners doivent être tristes.
Des biscotes ? Et à propos de son
père, une devinette pour
finir. Jean-Marie Le Pen, avait
traité Anne Sinclair de
« pulpeuse charcutière
casher » et avait d’ailleurs été
en 1986 condamné pour injure. On se
demande comment il traiterait sa
fille, si elle n’était pas sa fille.
12
avril 2022: V'là mon scrutin,
j'garde mes scrupules
Il
n’en
reste donc que deux. Je reviendrai sur
eux dans les prochains jours, je
voudrais aujourd’hui m’intéresser aux
exclus du second tour, à leurs
réactions, en particulier à ce qu’ils
appellent à faire. Il fut un temps où
l’on parlait de consignes de vote.
Cette expression n’a aujourd’hui plus
aucun sens, pour au moins
deux raisons. La première est
simple : les candidats savent, ou
affectent de considérer, qu’ils ne
sont pas propriétaires de leurs voix.
Mais cette position masque peut-être
une autre raison : ils ne savent
absolument pas ce que pensent leurs
électeurs, ce qu’ils feront.
Ainsi
Anne
Hidalgo, Yannick Jadot et Valérie
Pécresse ont immédiatement annoncé
qu’à titre personnel ils voteraient
Macron et qu’ils appelaient leurs
électeurs à en faire de même. A titre
personnel. Le cas de Pécresse est de
ce point de vue exemplaire. Avant même
la réunion au sommet du Parti
Républicain Eric Ciotti avait annoncé
qu’il ne voterait pas Macron et, après
ladite réunion, Christian Jacob a
présenté la position du parti : "Aucune
voix ne peut se porter sur Marine Le
Pen, son projet politique et
économique nous conduirait au
chaos." Traduisons :
un vœu pieux et la constatation de
l’impossibilité pour ces instances de
se mettre d’accord sur un vote. Et
concluons: certains voteront sans
doute pour Le Pen. En fait, la
situation est compliquée par
l’approche des élections législatives.
Les députés PR vont étudier de près
les scores dans leurs
circonscriptions, afin de ne pas aller
contre les positions de leurs
électeurs. Certains auraient même
commandé des sondages et en attendent
les résultats avant d’annoncer leur
décision, évidemment celle qui
favoriserait leur réélection. Les
principes, s’il y en a, passent donc
après les combines politiciennes.
Mais
la position la plus subtile est sans
discussion celle de Jean-Luc
Mélenchon. Affirmant haut et fort
devant ses militants qu’il serait
clair, il a répété quatre fois :
« Il ne faut pas donner une
seule voix à Madame Le Pen »
Cette phrase en fait n’est pas
vraiment claire, plutôt ambiguë (plus
ambiguë d’ailleurs car elle peut avoir
trois sens). Elle peut
en
effet être comprise « ne votez
pas », « votez blanc »
ou « votez Macron ».
C’est-à-dire « faîtes ce que vous
voulez mais ne votez pas Le
Pen ». Ce qui nous ramène à ce
que j’écrivais plus haut : il n’y
a plus de consignes de vote claires.
Surtout que, selon un sondage publié
hier, un tiers des électeurs de
Mélenchon déclareraient vouloir voter
Le Pen, un tiers Macron et un tiers
s’abstiendraient. En déclarant qu’il
serait clair, Mélenchon cherche donc
surtout à ne pas trop se mouiller.
Et
cela pose une toute autre question.
Que nous dit cette porosité entre les
électorats de l’extrême droite et de
l’extrême gauche ? Il nous faudra
des mois ou des années pour analyser
cela et en tirer des conséquences
politiques, et je me garderai bien de
tenter de le faire en quelques lignes.
Je
préfère donc évoquer ce que chantait
Léo Ferré dans la deuxième version des
Temps difficiles (il y en a
trois):
« Ma
femme veut jouer les présidents, elle
dit qu’c’est très plébixitant, pour
lui montrer que j’suis un homme,
j’dois lui dire pas référendum, les
temps sont difficiles, l’matin c’est
oui le soir c’est non, elle tient pas
compte des abstentions,ni oui ni non
ça fait coup nul, v’là mon scrutin
j’garde mes scrupules… »
Et
oui : v’là mon scrutin j’garde
mes scrupules. Nous y reviendrons.
9
avril 2022: Aux urnes,
citoyens!
Fidèle
à
sa politique des jeux de mots, Libération
titrait ce matin en une Votez
adroits, votez à gauche. Certes,
même si la gauche est depuis longtemps
bien maladroite et mal représentée.
Pour ma part je préfère vous chanter
« Aux urnes
citoyens » . Mais je dois
m’expliquer. Dès son origine, en 1792,
la chanson qui est devenue l’hymne
national français a été détournée, et
sa première parodie devrait plaire à
Fabien Roussel :
"A table, citoyens,
Videz tous les flacons, Buvez, mangez,
qu'un vin bien pur humecte vos poumons!"
En
1848
est lancée une
Marseillaise des cotillons :
Liberté,
sur nos fronts verse tes chauds
rayons ;
Tremblez,
tremblez, maris jaloux,
Respect
aux cotillons !
En
suivront
beaucoup d’autres, dont au début du 20ème
siècle une Marseillaise maçonnique
qui devrait plaire à
Mélenchon :
Debout
! frères maçons
Sans
peur des goupillons
Marchons,
Marchons
Hardis
lutteurs,
Contre
les imposteurs !
Mais
celle
que je préfère, rédigée en 1881 par
Léo Taxil, est la Marseillaise
anticléricale :
Allons !
Fils de la République,
Le jour du vote est arrivé !
Contre nous de la noire clique
L'oriflamme ignoble est levé. (bis)
Entendez-vous tous ces infâmes
Croasser leurs stupides
chants ?
Ils voudraient encore, les
brigands,
Salir nos enfants et nos
femmes !
Aux
urnes, citoyens, contre les
cléricaux !
Votons, votons et que nos voix
Dispersent les corbeaux !
Je
vous
la livre telle
quelle, mais vous pouvez
l’adapter à votre goût. Quoiqu’il en
soit : Aux urnes citoyens !
7
avril 2022: Election 5,
Les trois derniers
Ils
sont
trois, tout en bas des intentions de
vote. Les trois derniers donc, jusqu'à
plus ample informé.
Commençons
par les deux trotskystes, Philippe
Poutou, doublure de Besancenot, et
Nathalie Arthaud, clone de Laguiller.
D’un côté le NPA (nouveau parti
anticapitaliste) de l’autre LO (lutte
ouvrière).
Poutou
a des airs de Pierrot lunaire, et son
discours semble tourner en rond, comme
l’astre en question. C’est peut-être
pour masquer cet aspect sélénite qu’il
porte désormais une casquette, sur les
affiches électorales, sur les tracts.
Mais sa façon de la mettre, visière
devant, risque de le couper des
jeunes : enfin, Philippe, une
casquette ça se porte dans l’autre
sens, visière derrière, au-dessus de
la nuque!
Si
Poutou
est marrant, avec un sens indéniable
de l’humour et de la formule, Nathalie
Arthaud est plus raide, plus sèche.
Elle a repris à Arlette Laguiller son
apostrophe célèbre des débuts
d’allocution, « travailleuses,
travailleurs ». Tous deux parlent
vite, trop vite, au point qu’on a du
mal à prendre des notes. Sans doute
craignent-ils de ne pas avoir le temps
de dire tout ce qu’ils ont à dire.
L’un est pour un monde sans
frontières, la fin du capitalisme, la
lutte du peuple corse, la défense de
l’écologie, l’anticolonialisme, pour
une démocratie réelle, l’augmentation
des salaires, l’autre pour
l’augmentation des salaires, contre la
guerre et l’impérialisme, contre le
saccage de la planète, contre le
capitalisme. En lisant leurs
programmes, on trouve cependant
quelques différences : Poutou
veut un SMIC à 1800 euros, Arthaud
2000 euros au minimum. On comprend
d’autant moins ces candidatures
distinctes, cette coprésence, que le
candidat du NPA a d’abord été militant
de LO, avant de s’en faire exclure.
Mais les logiques d’appareils pèsent
plus lourd que les logiques
politiques. Poutou, dans une
allocution télévisée, a lancé un
avertissement: Macron, « ce qu’il
dit, ça va se faire ». L’ennui,
hélas, est
qu’on peut en déduire l’inverse :
ce qu’ils disent, lui et Arthaud, ça
ne se fera pas.
Du
haut de ses montagnes et de sa voix de
Stentor, Jean Lassalle les dominent:
selon les sondages il aurait à lui
seul plus de voix que les deux réunis.
Il est loin pour sa part des logiques
d’appareil, il n’a pas d’appareil à
défendre et parle en je :
« je veux refonder… je veux
développer… je veux garantir… je veux
redonner… je veux lancer… je veux
accompagner… ». Et puis il
chante. Des chansons traditionnelles,
comme Aqueros mountagnos, une
chanson en hommage au personnel
hospitalier, Un grand merci,
voire une chanson sur lui-même. Mais
il est rafraichissant dans sa vacuité
politique. D'ailleurs tout le monde
aurait envie de boire une bière avec
lui.
Si
vous
voulez plus de détails sur leurs
programmes à tous trois, reportez-vous
aux documents qui doivent être arrivés
dans vos boites aux lettres. Et
faites-le vite : dans trois jours
ils ne seront plus là, et il nous
faudra attendre cinq ans avant de les
revoir. Peut-être…
4
avril 2022: Election 4,
Mélenchon, la vieille dame
indigne
Ayant
logiquement
décidé de réserver pour la campagne du
second tour les deux finalistes, il me
fallait ici faire
un choix, prendre un
risque, ou plutôt un pari. Au
risque de le perdre, je traiterai donc
de Mélenchon, que je ne vois pas au
second tour, et je saurai la semaine
prochaine si j’avais tort.
D’abord
membre
de l’organisation trotskyste la plus
sectaire (l’Organisation Communiste
Internationale), il adhère ensuite au
parti socialiste où il aura une
carrière d’apparatchik: directeur de
cabinet du maire de Massy, secrétaire
de fédération,
conseiller municipal,
conseiller régional, sénateur, il se
présente en 1997, contre François
Hollande, au poste de premier
secrétaire du PS (il obtiendra 8,81 %
des voix). Puis il sera ministre
délégué à l’enseignement professionnel
dans le gouvernement Jospin, mais il
décide en 2008, à
57 ans, de changer de vie, comme la
vieille indigne de Brecht, portée à
l’écran par René Allio.
La
nouvelle
vie de Mélenchon commence vraiment en
2012, lorsqu’il est candidat à
l’élection présidentielle, terminant à
la quatrième position, derrière
Sarkozy, Hollande et Le Pen avec 11%
des voix. Rebelote en 2017, il termine
toujours quatrième mais cette fois
avec 19,58% des voix. Faisant tout
pour faire oublier son passé
socialiste, il
décide alors de se moderniser, se
multipliant sous forme d’hologrammes
en 2017, puis pour sa troisième
candidature, faisant un « meeting
immersif »
avec paysages et odeurs… Bref
la vieille dame indigne tente de se
donner une nouvelle jeunesse. Pourtant
Mélenchon n’arrête pas de se tirer des
balles dans le pied. On se souvient de
son comportement lors d’une
perquisition dans les locaux de son
parti « mon corps est sacré, je
suis la République », etc. , se
donnant en spectacle comme un
irresponsable incapable de se
contrôler.
Car
cet
orateur brillant et cultivé fait
parfois preuve d’une grande bêtise. A
un journaliste lui demandant s’il
parle anglais, il répond en substance
« mal, d’autant plus mal que je
suis anti américain », avant
d’ajouter fièrement qu’il parle
couramment l’espagnol. Son
plus
grand problème est en effet sa confusion
géopolitique
(en fait j’ai hésité ici entre
plusieurs mots à la place de
confusion, je vous en propose donc
d’autres : flottement,
indétermination, oscillation,
irrésolution, imprécision, indécision,
incertitude…). Le
6 mars, dans un meeting à Lyon, il
croit trouver la réplique à ceux qui
lui rappelle ses tendances pro-russe,
ses complaisances envers
Poutine : le non-alignement. Il y
revient dans le JDD du 13 mars :
« j’ai toujours été non
aligné », ce qui semble cocasse
quand on se souvient qu’en 2017 il
voulait que la France adhère à l’Union
Bolivarienne de Chavez. On peut faire
mieux dans le non-alignement.
Mais
la vieille dame indigne croit à sa
nouvelle vie. Décalquant une fable de
La Fontaine, Mélenchon se considère
comme une « tortue
sagace » : « J’avance
doucement et j’épuise les
lièvres » explique-t-il dans un
tweet. Mais il a peut-être oublié que,
parfois, le tort tue…
29
mars 2022: Election 3,
les absents
A
côté des douze candidats entre
lesquels nous aurons à choisir, il y a
ceux qui n’auront pas pu se présenter,
les absents qui, à part Montebourg,
qui a abandonné en cours de route,
n’ont pas obtenu leur 500 soutiens.
C’est dommage pour Montebourg, je le
regretterai, non pas en tant que
citoyen mais en tant que linguiste.
Député de Saône-et-Loire, il avait la
particularité de parler à Paris un
français standard et de prendre comme
sur commande dans sa circonscription,
en particulier sur les marchés, un
accent morvandiau pour s’adresser à
ses électeurs. J’aurais aimé voir si
ce caméléon phonétique aurait pris,
dans une campagne présidentielle, tous
les accents locaux, au gré de ses
déplacements. Mais bon, tant pis, on
s’en passera.
Et
puis
il y a les autres. Nous n’aurons donc
pas François Asselineau (inspecteur
général des finances), Kazib Anasse
(trotskiste et syndicaliste à SUD
rail), Hélène Thouy (Parti
Animaliste), Arnaud Chiche (médecin
anesthésiste) , Gaspard Koenig
(essayiste), Rafik Smati
(entrepreneur) et plusieurs autres.
C’est dommage ! Imaginez le
portrait-robot d’un président que nous
pourrions tracer avec leurs
qualifications diverses. En les
mettant dans un shaker et en secouant
bien fort nous aurions un cocktail
intéressant. Appelons-le cocktail
présidentiel, ou cocktail
des exclus. Un verre d’inspecteur
général des finances, un zeste de
trotskiste et
de syndicaliste, un pincée de
médecin anesthésiste et
d’entrepreneur, puis saupoudrer d’un
peu d’essayiste, et servez avec un
glaçon de candidat aimant les animaux
(il y a toujours un chien à l’Elysée).
Avec un tel homme, ou une telle femme,
la France aurait été présidée par
quelqu’un ayant une remarquable
multiplicité de talent.
J’allais
oublier
Christiane Taubira, que nous n’aurons
pas non plus. Elle n’avait que 274
signatures, et voilà : trois
p’tits tours et puis s’en va !
Depuis le début de son opération
ratée, je me suis demandé ce que
pouvaient bien lui trouver les
électeurs de gauche. A part son lyrisme,
indéniable, quoi ? Un petit coup
d’œil sur sa carrière politique peut
nous aider à tirer son portrait. Elue
députée de Guyane en 1993, elle vote
l’investiture du gouvernement
Balladur. Dans le genre « de
gauche » on fait mieux. En 2002
elle est candidate à la
présidentielle. Petit rappel des
résultats du premier tour :
Chirac 19,88%, Le Pen 16,86 %, Jospin
16, 18%. Et, loin derrière,
Chevènement 5,33%, Taubira 2,3%.
Faites vos comptes : le verdict
est sans appel. Autre rappel :
Jospin était donné par les sondages
vainqueur au second tour face à
Chirac.
Et
voilà
qu’en 2022 elle tente une nouvelle
opération dont je ne comprends pas si
elle était d’union ou dé désunion… Il
y a cependant un petit indice pouvant
nous aider à la comprendre. En
1998 elle est candidate dans une
élection régionale en Guyane. Et elle
a la douloureuse surprise de voir son
mari (dont elle se séparera ensuite)
se dresser contre elle, à la tête d’un
liste concurrente. On
se souvient de César lançant à Brutus
tu quoque fili mi, elle aurait
pu
s’exclamer tu quoque vir
meus ! Et garder de cette
trahison un désir de vengeance. Allez
savoir…
23
mars 2022: паляниця
Laissons
pour un temps la campagne
présidentielle française pour faire un
tour vers l’Ukraine, en passant par la
Bible. Selon elle en effet , après la
guerre entre les tribus de Galaad et
d’Ephraïm, les vainqueurs utilisèrent
une technique très particulière pour
reconnaître les vaincus qui
cherchaient à passer le Jourdain à
gué. Ils leur demandaient de dire un
simple mot, schibboleth,
c’est-à-dire « épi » en hébreu. Or,
les gens de la tribu d’Ephraïm le
prononçaient avec une sifflante à
l’initiale (sibboleth), tandis
que ceux de la tribu de Galaad y
mettaient une chuintante (schibboleth),
et cette petite différence permettait
de les reconnaître et … de les
massacrer.
Depuis
lors, le mot schibboleth a
pris le sens de « piège linguistique
», et on en trouve de nombreux
exemples au cours de l’histoire.
Ainsi, en mars 1282, le mardi de
Pâques, la population sicilienne se
souleva contre la domination angevine
et massacra les Français au cours de
ce qu’on appelle les «Vêpres
siciliennes ». Là aussi on utilisa un
piège linguistique pour reconnaître
l’ennemi, en lui demandant de
prononcer ciciri qui, en
sicilien, signifie « pois chiches ».
À l’époque les Français ne savaient
pas prononcer la chuintante initiale,
qu’ils réalisaient comme une
sifflante. Le chanteur italien Benito
Merlino en fit une chanson dont le
refrain, dans sa brièveté, fait froid
dans le dos : Di ciciri !
Sisiri ! A morti (Dis
ciciri ! Sisiri. A
mort ! ».
On
raconte aussi que, durant la Première
Guerre mondiale, des prisonniers
allemands tentaient de se faire passer
pour des Alsaciens, et que ceux-ci
imaginèrent une façon de les confondre
en leur montrant un
parapluie
et en leur demandant ce que c’était.
Les uns répondaient schirm,
les autres regenschirm alors
que les Alsaciens disaient pour leur
part barabli….
Les
Ukrainiens viennent de trouver et
d’utiliser un piège linguistique
semblable pour vérifier que les
suspects qu’ils arrêtent sont bien
ukrainiens : ils leur demandent
de prononcer un mot typiquement
ukrainien
qui désigne un pain spécial, паляниця ( palyanitsya),
mot dans lequel les Russes
n’arrivent pas à réaliser la
suite ля (lya). Ce qui montre
que les langues jouent parfois
jouer un rôle dans la guerre,
permettant de distinguer les
amis des ennemis. Même si la
situation linguistique de
l’Ukraine est plus compliquée,
que beaucoup sont bilingues et
peuvent tromper l’ennemi…
21
mars 2022: Election 2,
Valérie
Détresse :
Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien
venir ?
Commençons
par
elle, puisqu’elle est la première au
nombre de parrainages. Mon frère, qui
a le sens de la formule, l’appelle,
depuis qu’elle est sur la scène
politique, Valérie Tristesse. Il est
vrai qu’elle semble toujours faire la
gueule. Les choses se sont d’ailleurs
aggravées depuis quelques semaines.
Son visage, inexpressif, un peu
gonflé, fait irrésistiblement penser à
celui de Poutine, comme si tous deux
avaient abusé du botox.
Son
parcours
est typique d’une fille de la
bourgeoisie. Née dans les beaux
quartiers, à Neuilly sur Seine, élève
d’une école privée (Sainte-Marie de
Neuilly), elle fait ensuite HEC puis
l’ENA. Depuis peu, la bourgeoise tente
cependant parfois de s’encanailler en
risquant quelques formules plus
populaires, comme « Macron a
cramé la caisse ». Un conseiller
en communication a dû la convaincre de
la puissance de l’effet de miroir
consonantique,
macron cramé.
Mais
elle
semble, dans sa campagne, à
contre-emploi, Une marionnette dont
les fils seraient tirés dans des sens
différents par Ciotti, Bertrand ou
Barnier. Et, comme certains veulent
péter plus haut que leur cul, elle
veut sans y parvenir parler plus haut
que sa voix.
A contre-emploi, à contre
voix, sans trouver sa voie. Quand on
lui pose des questions, dans les
conférences de presse ou les émissions
de télé, elle a l’air de souffrir,
comme en détresse. Elle a l’air de se
dire sans cesse: quand cela
va-t-il finir ? N’en déplaise à
mon frère, Valérie tristesse est
devenue Valérie détresse
Elle
a
fondé en 2017 son mouvement, Soyons
libres, ce qui laisse à penser
qu’elle croit en la fonction
performative du langage, mais, libre
ou pas, elle est allé en février 2020
chez Sarkozy mendier son soutien à
sa candidature. Pour l’instant en
vain. Valérie
Pécresse a un second prénom, Anne. Et
peut-être se parle-t-elle à elle-même
en fredonnant « Anne
ma sœur Anne ne vois-tu rien
venir ? »
Mais elle ne voit que le
soleil qui poudroie… et pas de
Sarkozy.
20
mars 2022: Election 1
Il
y
a des décennies que je parcours le
monde en tous sens et, de l’Asie à
l’Afrique en passant par l’Europe de
l’Est ou l’Amérique du Sud, je connais
bien des pays dont les citoyens
aimeraient bien avoir des élections
présidentielles non truquées ou
pouvoir choisir entre trois ou quatre
candidats. La France détient le record
du monde absolu : nous aurons
cette année 12 candidats au premier
tour de l’élection
présidentielle ! Et nous avons
échappé au pire : 64 personnes
ont obtenu au moins 1 parrainage.
Parmi elles, certaines n’étaient
d’ailleurs même pas candidates, du
moins à ma connaissance, comme Raphaël
Glucksmann, François Hollande, Thomas
Pesquet, Edouard Philippe ou François
Ruffin qui ont pourtant eu chacun 1
parrainage..
Il
y
aura donc beaucoup d’absents. Voici
tout d’abord le nombre de parrainages
obtenus par les rescapés, avec entre
parenthèses le score qu’ils
atteindraient au premier tour selon le
dernier sondage Ipsos du 18
mars :
Valérie
Pécresse
2636
(10,5%)
Emmanuel
Macron
2098 (29%)
Anne
Hidalgo
1440 (2,5%)
Jean-Luc
Mélenchon
906 (12%)
Eric
Zemmour
741 (13%)
Yannick
Jadot
712 (7%)
Jean
Lassalle
642 (2%)
Fabien
Roussel
626 (4%)
Marine
Le
Pen 622 (16%)
Nicolas
Dupont-Aignan
600
Philippe
Poutou
596 (1,5%)
Nathalie
Arthaud
576 (0,5%)
Cette
liste
appelle quelques commentaires, dont le
premier est incontestable : il
n’y a aucun lien entre le nombre de
parrainages obtenus par les candidats
et les voix que leur prédit ce
sondage. On voit en outre que ceux qui
allaient criant qu’ils craignaient ne
pas avoir leur 500 signatures
(Mélenchon, Zemmour, Le Pen, Poutou)
soit se foutaient de nous soit ont
profité de la charité faite par
certains élus à l’appel du maire de
Pau, François Bayrou. Enfin, on peut
se demander à quoi sert de gaspiller
de l’argent, le temps des militants,
l’attention des media parfois et en
tout cas du temps d’antenne, alors
qu’on sait ne pas pouvoir dépasser 2%
des voix.
Mais,
je
le répète, on aimerait dans beaucoup
de pays avoir beaucoup de candidats (mais
peut-être pas autant…)
Tout
ceci
n’est qu’une mise en bouche. Dans les
semaines qui suivent et jusqu’au
premier tout, je ferai ici quelques
portraits de candidats, au gré de mes
inspirations. A suivre, donc.
9
mars 2022: Pour rire un peu
"Lorsque vous
recevez tous les jours des appels
vous expliquant que l'on souhaite
bombarder votre lieu de travail ou
bien casser des vitrines, cela joue
sur votre moral. Ces appels
stressent nos équipes et les
empêchent de travailler sereinement".
Ces mots viennent du directeur d’un
restaurant parisien, qui reçoit
quotidiennement des appels
téléphoniques menaçants. Mais pourquoi
ces menaces ?
Ceux qui sont allés au
Québec connaissent sans doute ce que
je considère comme une insulte à la
gastronomie et que d’autres présentent
comme un phare de la gastronomie
québécoise. La recette en est
simple : des frites sur
lesquelles on met une sorte de fromage
râpé et
une épaisse sauce brune chaude. C’est
lourd comme une mauvaise plaisanterie,
une agression pour l’estomac. Ca se
vend en général dans les rues, street
food, ou fast food, je
dirais plutôt shit food ou néfaste
food, et c’est donc arrivé à
Paris. Je devine vos
interrogations : pourquoi menacer
un restaurant qui vend un plat
québécois ? Par
nationalisme ? Vous n’y êtes pas.
Ce « plat » s’appelle la poutine,
mot dont l’origine est discutée :
déformation de pudding ou mot
québécois signifiant
« bazar ».
Ce qui compte c’est que
le restaurant parisien s’appelle La
maison de la poutine.
Plaisantins ou défenseurs de
l’Ukraine, certains y ont vu une
allusion au dictateur russe Vladimir
Poutine. D’où leurs réactions.
D’autres auraient pu s’offusquer du
fait que l’on considère Poutine comme
une femme.
A propos, puisque je
viens de parler de l’étymologie de la
« poutine », arrêtons-nous
sur le prénom de Poutine, Vladimir, en
russe владимир.
Il se décompose en влади, « maître »
et мир. On trouve par exemple le même влади dans le nom d’un port russe, Vladivostok,
« qui
domine l’Est », ou
« l’Orient ». Et мир ? C’est là où commencent les
difficultés, ou la plaisanterie. Ce
mot a en russe deux sens,
« paix » et
« monde ». Vladimir est donc
le maître du monde, ou le maître de la
paix. Dans les circonstances
actuelles, c’est assez marrant,
non ?
Pour finir, revenons au restaurant, La maison de la poutine. Il vient de préciser dans un tweet que son
nom n’avait aucun lien avec le nom du
président russe, en ajoutant un émoji
représentant un cœur en y ajoutant le
drapeau ukrainien.
Tout est bien qui finit
bien…
7
mars 2022: Informations
mensongères
Vendredi
dernier
la Douma (chambre basse du parlement
russe) a voté à l’unanimité une loi
prévoyant jusqu’à quinze ans de prison
pour la diffusion d’
« informations mensongères »
concernant la guerre d’Ukraine et
l’armée russe, loi que Poutine a
immédiatement signée et qui est entrée
en vigueur le lendemain. La loi
s’applique à tous les media russes et
à tous les particuliers, ainsi qu’aux
journalistes étrangers. Dans la foulée
Facebook a été bloqué, et l’accès à
Twitter limité.
Enfin !
Nous
vivons sous le règne des « fake
news » et aucun Etat n’a
jusqu’ici réagi. La démocratie russe
a, elle, pris la seule décision qui
s’imposait : halte aux
« informations
mensongères ». Dorénavant les
citoyens russes, les veinards,
n’auront accès qu’à la vérité. La
vérité ! J’écrivais ici il y a
quelques mois que la vérité était le
mensonge qui nous convenait le mieux.
Les citoyens russes n’auront donc
accès qu’aux mensonges qui conviennent
le mieux à Poutine.
Nous
vivons une époque moderne !
2
mars 2022: Province, Xinjiang,
Ukraine
En
latin,
provincia
était un terme juridique, désignant le
domaine dans lequel s’exerçait
légalement la charge d’un magistrat,
ou le territoire gouverné par un
proconsul. Plus largement il désignera
un territoire conquis, et Provincia
avec une majuscule désignait la
Provence, première conquête de la
Gaule transalpine. Le mot ne sera
emprunté en français que tardivement,
vers le XV° siècle, d’abord avec le
sens de circonscription d’un évêque.
Puis il prendra un sens féodal,
connotant la centralisation royale et
désignant ce qui n’est pas la
capitale, ce qui en dépend. Cet
éloignement de la capitale lui donnera
ensuite un sens péjoratif (voir les
connotations de l’adjectif provincial),
ce
qui mènera d’ailleurs au fait qu’on
préfère aujourd’hui parler de régions
et non plus de provinces.
Changeons de pays. En Chine, beaucoup de région portent dans leur
nom une indication géographique (comme
d’ailleurs en français le Nord, le
Sud-Est, etc.) : Le Hebei, 河
北, « au nord du Fleuve Jaune », le Henan, 河
南, « au sud du
lac », le Shandong, 山
東, « à l’est de la
montagne », le Shanxi, 山
西, « à l’ouest de la montagne », le Jiangxi, 江
西, « à l’ouest du
fleuve », le Yunnan, 云
南, « au sud des nuages », etc. Les choses deviennent
plus intéressantes lorsque ces
appellations ont également une
connotation impériale, rappelant une
époque de conquêtes. Ainsi le
Guangdong 廣
東,
dont le nom originel, 廣
南東路, signifiait « région orientale d’expansion vers le
sud ». Le cas du Tibet, 西
藏,
« trésor de l’ouest », est
également significatif. La plupart des
grands fleuves d’Asie y prennent leur
source : l’Indus, le Mékong, et
pour ce qui concerne la Chine le
Fleuve Jaune et le Yang-tsé. Autrement
dit, contrôler le Tibet c’est
contrôler l’eau… Tout cela pour en
venir au Xinjiang, conquis par
l’empire Qing au milieu du 18ème
siècle et dont le nom, 新
疆,
signifie « nouvelle
frontière » ou
« nouveau territoire ».
Territoire conquis, donc, ou annexé…
Reste
l'Ukraine, dont le nom russe, украинка,
est forgé sur une racine slave, край,
désignant la limite, la province, la
frontière.
Je vous
laisse tirer les conclusion de tout
cela...
27
février 2022: Ukraine, bis
Après
le texte de Patrick Sériot, voici une
lettre ouverte de Raphaël Glucksmann
«
C’est peut-être la dernière fois que
vous me voyez vivant »
Ces
mots sont ceux de Volodymyr Zelensky,
le Président ukrainien, aux dirigeants
européens réunis en conseil
extraordinaire. Implorant notre aide
et des sanctions bien plus fortes
contre la Russie, il a ensuite tenu un
discours bouleversant à son
peuple.
Nous
paierons
très cher l’abandon de la démocratie
ukrainienne. Chaque dirigeant
européen, allemand et italien en tête,
qui cherche à édulcorer les sanctions
ou refuse d’aider la résistance
ukrainienne aura à répondre devant
l’Histoire de son attitude dans ces
heures décisives.
Pourquoi
il
faut arrêter Poutine en Ukraine?
Pour
sauver
la démocratie ukrainienne et protéger
les ukrainiens. D’abord et avant tout.
Mais pas seulement.
Pour
défendre
la sécurité européenne et éviter les
guerres suivantes. Si Poutine paie un
prix trop bas, l’Ukraine n’aura été
qu’une étape.
Les
services
de sécurité en Europe travaillent déjà
sur les suites possibles:
Interventions russes en République
Serbe de Bosnie ou opérations menées
sur le territoire de l’OTAN (via des
manipulations en Lettonie par
exemple).
La
paix et la sécurité de notre continent
à long terme se jouent maintenant.
Voilà
pourquoi
les sanctions doivent être bien plus
massives. Voilà pourquoi il faut
immédiatement exclure la Russie du
système bancaire international SWIFT
malgré l’opposition honteuse de
l’Italie et de l’Allemagne au Conseil
européen.
Voilà
pourquoi
il faut saisir les biens et les
comptes en banque des oligarques
russes partout en Europe.
Voilà
pourquoi
il faut aider les Ukrainiens à se
défendre sur le terrain en leur
fournissant les équipements qu’ils
demandent.
Voilà
pourquoi
toute faiblesse, dans ces heures
tragiques, est criminelle.
Nous
le devons à un peuple dont le seul
crime est de vouloir vivre libre ET
nous le devons à nous-mêmes. Il en va
de la survie d’une nation.
ET
de notre avenir à toutes et tous en
Europe.
26
février 2022: Ukraine

Ci-dessous un article
publié dans le quotidien genevois Le
temps par Patrick
Sériot, linguiste spécialiste des
langues slaves.
La
logique
des mots
Que
vient
faire la langue dans la
géopolitique ? Comprendre la
vision du monde de V. Poutine suppose
qu’on s’intéresse de près à cette
question, qui attire peu l’attention
en Europe occidentale, à l’exception
de la Catalogne.
Le
russe et l’ukrainien sont des langues
différentes mais proches, comme sont
proches l’espagnol et l’italien, mais
moins que le tchèque et le slovaque,
langues officielles de deux États
différents, moins encore que le serbe
et le croate, pratiquement identiques.
Après
des
siècles d’interdiction et de
répression de la langue ukrainienne
dans la Russie tsariste, puis de
russification des normes de
l’ukrainien sous Staline, l’immense
majorité des citoyens ukrainiens sont
bilingues, ou du moins comprennent
parfaitement l’autre langue. Beaucoup
d’entre eux parlent un mélange des
deux langues, appelé le surzhyk, ou
passent d’une langue à
l’autre en fonction des interlocuteurs
ou de la situation. Il est donc
impossible de faire des statistiques
fiables sur la répartition des
langues, même si la question de la
langue fait partie des recensements de
population. Le gouvernement ukrainien
a peut-être été maladroit d’imposer
l’ukrainien comme seule langue
officielle et de transformer le russe
en langue étrangère au même titre que
l’anglais, ce qui a profité à la
démagogie poutinienne qui a argumenté
sur la «répression» dont seraient
victimes les «Russes» en
Ukraine. Or «les Russes» en
Ukraine ne sont pas «des Russes».
Une nuance sémantique fondamentale
doit être prise en compte : en Europe
orientale certains pays font une
différence entre «nationalité» et
«citoyenneté». La citoyenneté est
l’appartenance à un État (définition
politique, non essentielle), la
nationalité est une identité ethnique
(essentielle, inaliénable). La
nationalité se définit, entre autres,
par la langue.
Sur les papiers d’identité soviétiques
était inscrite la «nationalité» :
russe, ouzbèque, lettone, juive,
ukrainienne… En 1975 A. Solzhenitsyne
a été privé de sa citoyenneté
soviétique, mais les sbires du KGB
n’auraient jamais eu l’idée de le
priver de sa nationalité russe, idée
dénuée de sens. Cette double
appartenance subsiste dans la Russie
post-soviétique (même si elle n’est
plus mentionnée sur les papiers
d’identité), mais pas en Ukraine, où
tous les citoyens sont ukrainiens au
même titre que ceux dont la langue
maternelle est le hongrois ou le
roumain.
Dans
cette
logique du point de vue russe, les
Suisses romands, parce qu’ils sont
francophones, sont des citoyens
helvétiques de nationalité française,
qui rêveraient de réintégrer un jour
la mère-patrie, comme les Tessinois
des citoyens helvétiques de
nationalité italienne, injustement
séparés de la mère-patrie, logique
irrédentiste.
A l’inverse, les Bretons, les
Basques et les Alsaciens sont,
toujours de ce point de vue, des
citoyens français, de nationalité
bretonne, basque ou alsacienne.
Cette
définition
de l’identité, ou appartenance d’un
individu à un groupe remonte à
l’opposition entre la définition
française jacobine, politique, de la
nation, et la définition allemande,
romantique, culturelle, d’où la
différence entre Gemeinschaft (essentielle,
naturelle) et Gesellschaft (superficielle,
non
essentielle) (un thème récurrent de
l’idéologie völkisch au
début
du XXe siècle).
Toute
comparaison
doit être maniée avec précaution, mais
une s’impose : en 1938 pour
Hitler les citoyens tchécoslovaques de
langue allemande étaient «des
Allemands», dont le territoire (les
Sudètes) devait revenir dans le giron
de la nation. Pour Poutine, les
citoyens ukrainiens de langue
maternelle (ou principale) russe sont
«des Russes» avant d’être des citoyens
ukrainiens. Il est donc logique,
dans cette idéologie déterministe, que
le territoire où ils sont en majorité
revienne à la mère-patrie, dont ils
n’auraient jamais dû être séparés.
Mais cette logique a un prix : le
mépris total de tout choix
démocratique, de toute
auto-détermination, puisque, dans ces
conditions, l’individu n’existe pas en
dehors du groupe auquel il est censé
appartenir : la «nation» au sens
ethnique.
Le
discours
de Poutine n’est pas raciste (au sens
biologique), mais ethniciste. Or, au
final, la différence n’est pas grande,
puisque pour lui la démocratie n’est
qu’une faiblesse décadente, un facteur
de division, et que
seul compte le
déterminisme
ethnique. Chauvinisme,
xénophobie et mépris du droit en
sont l’expression la plus manifeste.
Quant
Poutine
prétend défendre ce qu’il appelle «nos
concitoyens» ou «nos compatriotes»
opprimés en Ukraine, il est
indispensable de décoder ces mots
démagogiques dont le sens premier a
été détourné. Considérer que
l’appartenance ethnique prime sur
l’appartenance citoyenne est une
idéologie politique dangereuse, qui
repose sur l’idée de
pseudo-naturalisme, à savoir que
tout russophone, quelle que soit sa
citoyenneté, est en même temps
redevable de son être profond à
l’État russe.
La Lettonie (membre de
l’UE), où réside une importante
minorité russophone, sera-t-elle la
prochaine cible de la reconstitution
de l’Empire soviétique ? La
fragile Moldavie, presque bilingue,
n’est-elle pas encore plus en
danger ?
25
février 2022: Lapsus
Il
y
avait dans le numéro de Libération
de mercredi une longue enquête sur
les conditions dans lesquelles s’est
tenu le choix de la candidate du parti
républicain à l’élection
présidentielle. Inscriptions en masse
de nouveaux adhérents, dont certains
ne parlaient pas français, ne savaient
pas pour dit ils avaient voté ou
disant nettement qu’on avait voté pour
eux, d’autres étaient morts depuis
plusieurs années, et dans d’autre cas
encore on trouvait sur les listes
plusieurs personnes ayant la même
adresse et surtout le même numéro de
téléphone (les électeurs devaient
recevoir pour voter un code par SMS).
Il y avait même un petit malin qui
avait inscrit son chien sur la liste
électorale, sans doute pour s'amuser…
Bien
sûr
le PR a nié, accusant le journal de
mauvaise foi ou de partialité,
affirmant qu’il était impossible de
truquer ainsi le scrutin, etc. Mais
mon problème n’est pas là. La
principale intéressée, Valérie
Pécresse, a passé la journée à
démentir sur tous les media. Et elle a
fermement affirmé sur BFMTV :
« Il y a moins de gens qui
étaient inscrits que de gens qui ont
pu voter ». Comme il est
peu probable qu’elle ait voulu vendre
la mèche en dénonçant un truquage,
elle a sans doute voulu dire
exactement le contraire. Mais tout de
même, dans le genre lapsus, on fait
rarement mieux !
19
février 2022: A la soupe
Après l’élection
présidentielle de 2007, Ségolène Royal
a longtemps essayé de faire fructifier
son score du deuxième tour (près de
47% des suffrages), argumentant
qu’elle « pesait » plus de
16 millions de voix. Par la suite elle
a tenté de se placer un peu partout.
En 2008 elle postule à la direction du
Parti Socialiste mais sera battue sur
le fil par Martine Aubry. En 2012 elle
est battue aux élection législative en
Charente-Maritime, en partie à cause
d’une intervention peu élégante de
Valérie Trierweiler. Elle sera
ministre des gouvernements Valls et
Cazeneuve puis candidate, mais en
vain, à un poste au PNUD. Une fois
Macron élu président, elle se
rapproche de lui, espérant sans doute
un poste ministériel. Un
temps « ambassadrice aux
pôles », elle tente en 2018
d’être sur la liste Europe Ecologie
Les Verts pour les élections
européennes, mais sera refusée par ce
parti. Puis, en 2021, elle essaie de
se faire élire sénatrice des français
à l’étranger. Encore un échec. Et
voici qu’elle vient de déclarer que
pour l’élection présidentielle de
2020, le vote pour Mélenchon était le
seul utile pour la gauche.
Tout cela donne un peu
le tournis. PS, EELV, Macron,
Mélenchon, il est difficile de trouver
une cohérence à ces fluctuations (ou à
ces caprices ?). Ce parcours
erratique, ces grands écarts, outre
qu’ils doivent être douloureux pour
les muscles abducteurs
(ouille !!!), ne sont guère à son
honneur, ni à celui de la vie
politique de façon générale. Et l’on
comprend parfois le désintérêt
croissant d’une partie de la
population pour la vie politique.
Nous assistons depuis
quelques semaines à toute une série de
reniements, de passages du
Rassemblement National ou du Parti
Républicain vers Eric Zemmour. Cela
s’appelle « aller à la
soupe », même s’il y a sans doute
derrière ces ralliements une façon de
préparer l’après présidentielle. Mais,
Mélenchon n‘ayant aucune chance d’être
élu, on se demande ce que cherche
Royal. Se venger du PS ? Se
venger d’Aubry à travers
Hidalgo ? Chercher un siège aux
prochaines législatives ? Bref
elle va à la soupe, mais elle a
peut-être choisi la mauvais gargote.
La soupe risque en effet d’être
froide, ou trop salée, ou à la
grimace. Ce qui est sûr c’est qu’à
bientôt soixante-dix ans, énarque,
ancienne juge au tribunal
administratif de Paris, ancienne
avocate, ancienne députée, ancienne
présidente de conseil régional,
ancienne ministre, elle ne risque pas
d’aller à la soupe populaire. Nous
sommes rassurés pour elle.
14
février 2022: Cercle vicieux
Depuis une soixantaine
d’années, en gros depuis la
déstalinisation et la perte du modèle
soviétique, la gauche française semble
avoir toujours cherché ses modèles à
l’étranger. Ce fut l’Italie du PCI,
Cuba, Castro et Guevara, la Chine de
Mao, voire même pour certains
l’Albanie. Le dernier avatar de cette
attraction vers le socialisme exotique
fut Mélenchon qui, en 2017, se
proposait (au chapitre 62 de son
programme présidentiel) de faire
adhérer la Guyane, la Martinique et la
Guadeloupe à l’Alba (Alliance
Bolivarienne pour les Amériques) crée
par Chavez… Sans idées endogènes,
cette gauche cherchait désespérément
son inspiration ailleurs.
Puis des gens (je ne sais plus
s’il faut dire « de
gauche », ou
« communautaristes », ou
autre chose) ont commencé à importer
des modèles nord-américains qu’il
faudrait évaluer épistémologiquement
mais qui alimentent les
communautarismes: décolonialisme,
« gender studies », etc. Et
voici que la dernière importation nous
vient du Canada : « liberty
convoy », c’est-à-dire des
convois de camions bloquant Ottawa ou
le pont Ambassador reliant le Canada
aux USA. Le mot « liberté »
a connu du même coup une évolution
sémantique originale, prenant chez les
antivax le sens d’égoïsme social. Mais
les convois de voitures qui ont tenté
de pénétrer dans Paris et tentent
aujourd’hui de pénétrer dans Bruxelles
sont plus composites. D’un côté les
antivax donc, eux-mêmes extrêmement
variés (naturopathes, complotistes,
adeptes des médecines douces ou
pratiquant une délire
pseudo-scientifique), de l’autre des
gens protestant contre la hausse des
prix, en particulier celle des
carburants.
Et c’est ici que, si l’on
cherche une solution, on se trouve
face à une série de cercle vicieux.
Prenons l’exemple du prix de
l’essence, alourdi par des taxes qui
constituent un impôt injuste puisque
payé de la même façon par les riches
et par les pauvres. Mais la
suppression de ces taxes serait une
façon de pousser à la consommation
d’essence et irait contre la volonté
affirmée par tous de réduire les
émissions de CO2. Un
autre exemple : les producteurs
d’œufs réclament une augmentation de 2
à 5 centimes (selon qu’il s’agit
d’œufs bio on non) et ils ont des
arguments recevables. Mais, du même
coup, s’ils obtenaient satisfaction,
cela participerait à l’augmentation du
coût de la vie. Dernier exemple, celui
du nucléaire, dangereux comme on sait
en cas d’accident, mais source
d’énergie plus sûre et moins polluante
que le gaz ou le pétrole, et plus
efficace pour l’instant que les
panneaux solaires ou les éoliennes.
Comment le discours écologique peut-il
sortir de ce cercle vicieux ?
Bref nous assistons à
l’émergence conjointe de
revendications de type communautariste
(chacun avançant son propre problème,
sans aucun recul) et d’une vacuité de
la pensée politique, incapable de
proposer des solutions globales de
progrès. Cercle vieux donc. Et on sait
que plus on caresse un cercle vicieux
et plus il devient vicieux.
13
février 2022: O.T.A.N
En octobre dernier, l’hebdomadaire britannique The Economist
consacrait un article à la
« passion » française pour
les sigles, que l’on trouve
partout : dans les trains (TGV,
RER, SNCF), dans le nom des partis
politiques ou des syndicats, dans la
finances, etc. Et il terminait en
disant que seule la gastronomie
échappait à cette mode : la
blanquette de veau n’est pas devenue
BDV ni le confit de canard CDC.
Cela m’a rappelé
un
passage d’un livre d’Hébert Marcuse, L’homme
unidimensionnel, qui m’avait
frappé lorsque je l’ai lu, au début
des années 1960, et qui explique
peut-être que j’ai fait ma première
thèse sur le système de sigles. Il se
demandait s’il n’y avait pas dans les
sigles « une ruse de la
raison », la siglaison permettant
d’opacifier derrière des initiales le
sens d’une suite de mots. Ainsi il
signalait que dans URSS il y avait
« Socialiste » et
« Soviet », que dans DDR il
y avait « Démocratique »,
alors que ces pays n’étaient ni
socialistes ni démocratiques. Et il
écrivait « le sens est fixé,
truqué, alourdi…. Une fois devenu
vocable officiel…il a perdu tout
valeur cognitive ».
Mais surtout il prenait
l’exemple d’OTAN (NATO en anglais),
dans lequel on ne voyait plus
« Atlantique Nord », ce qui
empêchait de se demander ce qu’y
faisaient des pays méditerranéens
comme la Grèce et la Turquie. Bien
sûr, Marcuse ne pouvait pas savoir que
des pays comme l’Espagne, la Roumanie,
la Hongrie, la Bulgarie, la Slovénie,
l’Albanie, la Croatie, la Macédoine
allaient rejoindre l’OTAN, et que nous
sommes très loin de cet Atlantique
Nord que la siglaison nous fait
oublier. En outre, la disparition des
points (OTAN et non plus
O.T.A.N.) transforme les
sigles en mots à part entière. On
parle par exemple de l'Unesco sans
pouvoir décomposer ces lettres en organisation
des nationas unies pour
l'éducation, la science et la
culture, sans parfois même
savoir qu'il s'agit d'un sigle. Bien
sûr, ces sigles constituent une
économie. SFIO par exemple est plus
bref que section française de
l’internationale ouvrières, CGT
remplace avantageusement les onze
syllabes de confédération générale
du travail, mais en même temps
ils sont effectivement des
tueurs de valeur cognitive, et SDF
fait oublier que ces trois initiales
cachent des sans domicile fixe.
Reste que si Poutine ou ses
conseillers avaient un minimum de
culture, ils trouveraient là une forme
d’argument : que l’OTAN reste
donc dans l’Atlantique Nord, comme le
dit son nom. Mais la culture n’est pas
la caractéristique dominante du
dictateur russe, qui préfère le
langage de la violence et la menace
des armes…
8
février 2022: anti-Thomas
Tout
le
monde a noté le lapsus de Zemmour,
déclarant le 2 février « Moi je
vois ce que je crois ». On pense
immédiatement à l’apôtre Thomas,
symbole de l’incrédulité puisque,
selon l’évangile de Jean, il n’aurait
pas cru à la résurrection du Christ
avant de voir sur ses mains les traces
des clous de la crucifixion. « Je
ne crois que ce que je vois »,
donc. Inversant la formule, Zemmour a
certes fait un lapsus, mais un lapsus
qu’il faut soupeser et qui le dépasse
largement.
Voir
ce
que l’on croit, c’est chercher dans
les données ce qui confirme nos
croyances, notre idéologie, c’est
choisir, faire le tri, pour ne retenir
que ce qui nous arrange. Dans le
domaine scientifique, on a parfois
parlé de « principe de la
cafétéria ». De la même façon que
dans une cafétéria on met sur son
plateau les plats que l’on veut pour
constituer son menu, certains
retiennent ce qui arrange leur théorie
et sont aveugles à ce qui la
contredit. C’est par exemple le cas du
linguiste Chomsky qui utilisait
systématiquement des exemples
improbables, des phrases un peu
fabriquées, pour illustrer les
analyses qu’il plaquait sur les
langues.
Ces
« anti-Thomas »
sont d’ailleurs assez nombreux et
parasitent parfois les sciences
sociales, subordonnant la recherche
scientifique à leurs choix
idéologiques ou politiques. Et cela
crée parfois des situations assez
cocasses. Je n’en donnerai qu’un
exemple récent, celui d’une personne
(dont je tairai le nom : on ne
tire pas sur les ambulances) qui,
défendant l’écriture inclusive dans
une tribune du Monde expliquait
doctement que ne pas l’appliquer
impliquait que l’on jette des millions
de cartes d’identité sur lesquelles on
lisait « né(e) le »… L’ennui
était que sur les nouvelles cartes
d’identité (souvent critiquées
d’ailleurs, parce que bilingues) on
lit « date de naissance ».
S’il existait un prix
« anti-Thomas », cette
personne le mériterait…

30
janvier 2022 : Le chiffre du
jour
Il
fut
un temps, au 17ème siècle,
où les chanteurs du Pont-Neuf
se faisaient l’écho de tous les potins
visant le pouvoir, en particulier
Mazarin. Tout au long du 20ème
siècle,
les mégaphones des meetings,
les slogans, les pancartes jouèrent ce
rôle. Aujourd’hui il est rempli par
les réseaux sociaux. Lieux de liberté,
de foisonnement d’informations, de
bouillonnement d’opinions disent
certains.
Or
un
récent rapport de l’ONG américaines Center
for Countering Digital Hate nous
donne
une autre image de ce «bouillonnement
d’opinions ». On y apprend qu’aux
USA 12
personnes sont à l’origine,
essentiellement sur Facebook et
Twitter, de 65% des fausses
informations sur le Covid 19 et les
vaccins. Leurs noms sont connus, vous
les trouverez aisément sur Internet,
et je n’en citerai qu’un. Celui de
Robert Kennedy Jr., le neveu de John
Kennedy. Il avait minimisé l'impact du
virus sur la mortalité tout
en prétendant que les mesures de
confinement avaient été mises en place
afin d'installer la 5G pour que Bill
Gates, Zuckerberg, Bezos et d'autres
milliardaires puissent surveiller et
collecter nos données….
Ces
12 comptes sont suivis par 59
millions de personnes. Vous m’avez
bien lu : douze désinformateurs
de la sphère antivaccin américaine
influencent 59 millions de
« followers ». J’ai titré ce
billet « le chiffre du
jour », mais ce chiffre
risquerait bien de croître en
importance et en longévité pour
devenir le chiffre de la décennie,
voire du siècle, avec à terme deux ou
trois influenceurs qui seraient suivis
par des milliards de personnes. Eh
oui, nous vivons une époque moderne.

24
janvier 2022 : Politique
affective... ou hystérique?
« Je hais Macron »,
« Je déteste Mélenchon »,
« J’adore Le Pen »,
« Je déteste Blanquer »,
« J’aime Mélenchon »,
« Je vomis Zemmour »,
« J’aime bien Taubira »,
« Je trouve Rousel sympa »,
"J'admire Mélenchon", etc.
Depuis quelques semaines, en
écoutant les gens (et j’aime bien
« les gens », même si cette
notion est floue ), je n’entends
que des déclarations de ce type. La
politique ? Personne n’en parle
vraiment.
Ou du moins la politique a
pris des allures affectives. Le
mouvement des « gilets
jaunes » en a été une
préfiguration : inaudible sur le
plan politique, détruisant
immédiatement tous ceux qui tentaient
de le représenter, il inaugurait l’ère
des coups de gueule, voire des coups.
L’héritier immédiat de ces
« gilets jaunes » est sans
doute aujourd’hui l’ensemble flou
constitué aujourd’hui par les
« antivax ». Même absence
d’arguments politiques ou théoriques,
même tendance à l’injure ou à la
violence. Et l’on risque de passer de
cette politique affective à une
politique hystérique.
Nous pouvons espérer, du côté des
candidats un retour vers des arguments
politiques novateurs, mais nous
risquons d’être déçu. Pour l’instant
nous assistons simplement à un bal des
egos. Cela nous prépare une campagne
électorale inédite. Nous vivons une
époque moderne…

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