
15
avril 2021:
L'erreur est
humaine

Un
policier
de Minneapolis a tué un Noir.
Jusque-là rien de neuf. Sauf que
le
policier était une policière et
qu’elle a déclaré avoir confondu
son pistolet
et son taser (un pistolet à
impulsion électrique). Et cette
explication qui
peut paraître abracadabrante
a inspiré
la caricaturiste Coco qui, dans
Libération de ce matin,
dessine un
conférencier proposant à une
parterre de flics en uniforme de
jouer au jeu des
sept erreurs en désignant avec
une baguette un tableau sur
lequel on voir un
taser et un Glock. Pourtant,
comme le dit une formule latine,
errare humanum
est, l’erreur est humaine.
Et l’explication de la policière
de Minneapolis
ouvre un large champ
d’applications. Exemples.
« Non,
monsieur
le commissaire, je n’ai pas
voulu tuer ma femme, j’ai
confondu le pot
de sucre et celui d’arsenic en
voulant sucrer son thé ».
« Non,
monsieur
le juge, je n’ai pas voulu
écraser la maîtresse de mon
mari, j’ai
confondu la première avec la
marche arrière ».
« Non,
monsieur
l’inspecteur des impôts, je n’ai
pas fait une fausse déclaration,
j’ai
par erreur confondu le 1 et le 7
et j’ai par ailleurs oublié deux
zéros ».
« Mais
non,
nous n’avons pas truqué les
élections, nous avons confondu
une urne et une
poubelle ».
« Non,
non,
j’ai pas volé cette tire,
monsieur l’agent, l’ai confondu
la BMV avec ma
petite Fiat, elles sont de la
même couleur ».
« Vous
confondez,
je vends de la farine, pas de la
cocaïne. Vous voulez
goûter ? ».
Bref,
je
vous laisser poursuivre ce
paradigme. Je vous l’avez dit,
l’erreur est humaine.

11
avril 2021: Les
patriotes et la liberté

Lorsque Marine Le Pen a voulu tenter à la fois de
« dédiaboliser » le Front
National et de faire croire qu’elle
avait autour d’elle toutes les
compétences possibles, elle a fait
courir le bruit que des énarques
travaillaient pour elle. Elle en avait
effectivement un qui, nommé à
l’inspection générale de
l’administration, tenait à garder
l’anonymat. Il en sortit en 2011, prit
la direction de la campagne de sa
patronne, devint vice-président du FN
puis le quitta pour fonder en 2017 son
propre parti, Les Patriotes. Il
s’agissait, vous l’aurez compris, de
Florian Philippot.
Que vient-il faire ici ? Vous allez comprendre. Hier
matin, allant vers une librairie pour
acheter deux ou trois livres de Caryl
Ferey (j’ai découvert cet auteur il y
a peu de temps et dévore ses titres au
rythme d’un par jour), je me suis
trouvé, sur le cours Mirabeau
d’Aix-en-Provence, face à un groupe
d’une quarantaine de personnes
hurlant : « Liberté,
liberté, liberté !... ». Mes
livres n’allaient pas s’envoler, je
suis donc resté pur voir ce qui se
passait, j’ai pris les tracts qu’ils
distribuaient. Il s’agissait de
militants des Patriotes,
justement, et leur littérature était
double. D’une part un petit tract
luxueux, sur papier glacé, dont le
titre au recto, Libérons la France,
connotait la résistance. Mais la
résistance à quoi ? Un dessin
dans le style des affiches de 1968
montrait une foule dont surgissaient
quatre pancartes : Frexit,
Stop coronafolie, Liberté et
RIC (Référendum d’Initiative
Populaire, l’une des revendications
des gilets jaunes) Et, au
verso, le programme détaillé de ce
parti dont le moins qu’on puisse dire
est qu’il demeure confidentiel. En
vrac : réouverture de toutes les
activités économiques et culturelles,
fin du masque obligatoire, liberté
totale face au vaccin, sortie de
l’Union européenne et de l’euro,
sortie de Schengen et rétablissement
des frontières, arrêt de
l’immigration, nationalisation des
banques, hausse des salaires et des
retraites, doublement du budget de
l’armée, sortie de l’OTAN, et j’en
passe. On y trouvait aussi un bulletin
d’adhésion au susdit parti, donnant le
choix entre cinq possibilités :
jeune (10 euros), classique (20
euros), soutien (60 euros), prestige
(100 euros) et club (300 euros). Je
suppose que nous n’ avez pas besoin de
l’adresse. Mais il faut tout de même
noter que Philippot ratisse large,
empruntant des revendications aux
syndicats, aux gilets jaunes, à
l’extrême droite, aux défenseurs de la
culture et à ceux de l’économie, aux
militaristes et aux racistes…
Sur une autre feuille il y avait le texte d’une dizaine de
chansons détournées qu’un gros mec
chantant un peu faux entonnait au
micro, les autres essayant de chanter
avec lui, et à la fin de chacune
d’entre elles scandaient
« Liberté, liberté,
liberté !... ». Quelques
exemples :
-Sur l’air du Pénitencier (mauvaise adaptation
pour J. Hallyday de The house of
the rising sun) : Les
portes du pénitencier Bientôt vont se
refermer Et c’est là qu’ils voudraient
nous enfermer Masqués confinés piqués
-Sur l’air de Ma gueule : Quoi ma gueule,
qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?
Une gueule de confiné Qui
rêve de liberté !
-Sur l’air de Ne la laisse pas tomber : Ne les
laisse pas tomber Elles sont si
fragiles Elles s’appellent Liberté Sa
copine Démocratie.
Bref, une créativité limitée. Je savais vaguement que
Philippot avait réussi à se raccrocher
à une bouée de sauvetage en se faisant
élire député européen, mais j’ignorais
qu’il avait une quarantaine de
militant à Aix (remarquez, quarante
sur environ 140.000 habitants, nous
sommes loin de la pandémie…).
L’énarque de Marine Le Pen est donc
toujours là.
Conclusion qi n'a rien à
voir, ou presque. A l’heure
où Macron fait semblant de vouloir
supprimer l’ENA, on est en droit de
s’interroger. Il est vrai que les
énarques constituent une élite
autoproclamée, prétentieuse et souvent
inutile, qui illustre le pire de la
bureaucratie française. Je ne sais pas
ce que le président de la république
vise avec son ripolinage et ses faux
semblants, mais il devrait méditer ce
proverbe danois, « Ce
qu'on ne peut pas rendre meilleur, il
ne faut pas le rendre pire ».

4
avril 2021: Mémoire de poisson
rouge

Ce qui m’a frappé dans l’intervention télévisée du 31 mars de
Macron, ce n’est pas ce qu’il disait,
mais comment il le disait, et plus
particulièrement son usage des pronoms
personnels. Son ego surdimensionné (et
l’ étymologie d’ego,
« je, moi » en latin, prend
tout alors tout son sens) le pousse à
parler en je. Et là, il
parlait en nous. « Nous
avons résisté, nous allons tenir
encore, nous avons opté pour, nous
avons par ces choix gagné des jours de
liberté, nous avons décidé le 18 mars,
nous devons donc nous fixer un nouveau
cap, nous ne devons pas céder au
déni », etc. Un journaliste a
compté : il aurait prononcé ce nous
une centaine de fois. Et ce
n’est qu’à à toute fin de son
allocution qu’il a parlé, pour trois
ou quatre phrases, en je. Il
ne fallait pas réfléchir très
longtemps pour se dire que nous n’avions
rien décidé, que nous n’avions
opté
pour rien du tout, que nous n’avions
fixé aucun cap, et qu’il se foutait de
nous. Mais il était assez habile de
vouloir nous faire assumer
collectivement ses erreurs ou
ses errements.
Le lendemain, premier avril, le premier ministre est allé au Sénat
et à l’Assemblée nationale pour
demander aux parlementaires de voter
sur les mesures annoncées la veille.
Et là, on se foutait carrément de la
gueule des élus. Quel sens pouvait
avoir le fait de voter oui ou non sur
ce qui était déjà décidé ?
Mélenchon s’est précipité dans
cette brèche ouverte en jouant
sur la date, lançant que « ce
vote est un poisson d’avril »,
poursuivant que le poisson d’avril,
« comme tous les poissons,
pourrit par la tête », puis,
entrainé par sa métaphore, concluant
que « les Français, par contre,
n’ont pas une mémoire de poisson
rouge ». Le poisson pourrit
par la tête, Mélenchon doit bien
savoir que cette formule, mauvaise
traduction d’un adage latin (piscis
primum a capite foetet,
« le poisson commence par puer de
la tête »), que cette formule
donc a été lancée par Pierre Poujade,
maître à penser dans les années 1950
de Jean-Marie Le Pen, et qu’il
risquait d’apparaître ainsi dans le
sillage de ce populiste que Roland
Barthes avait finement décortiqué une
de ses Mythologies (« Poujade
et les intellectuels »). En
revanche, en affirmant que les
Français n’ont pas une mémoire de
poisson rouge, il se plantait comme un
débutant. Des études scientifiques
menées depuis les années 1990 ont en
effet démontré par exemple que si l’on
mettait dans un aquarium un levier sur
lequel, en appuyant, on obtenait de la
nourriture, les poissons rouges
comprenaient très vite la manœuvre et
l’utilisaient continûment. Ou encore
qu’ils associaient très vite le moment
où on leur donnait à manger à
une musique que l’on diffusait juste
avant. Mais n’accablons pas le meneur
de la France insoumise : pour
Poujade, il a sans doute ce qu'il
appelle une mémoire de poisson rouge,
et pour ces poissons rouges, il ne
peut pas tout savoir.
Et puisque nous sommes dans la langue, les pronoms personnels, les
citations d’adages latins ou les
formules toutes faites, concluons en
riant un peu. Sergio Moro, le juge
brésilien qui avait envoyé en prison
l’ancien président Lula et qui a été
désavoué, convaincu
« d’agissements répréhensibles,
de comportements contraires à
l’éthique et de tromperies
systématiques », a voulu faire le
malin en introduisant dans un discours
en portugais une citation française,
tirée d’une chanson d’Edith
Piaf : « Non, je ne me
regrette rien ». C’est beau, la
culture !

29
mars 2021: Règle de trois
L’autosatisfaction d’Emmanuel Macron est
illimitée. Il n’arrête pas de dire et
de faire dire qu’il a eu raison de ne
pas confiner, qu’il est pragmatique,
qu’il veille au grain, que les
prévisions des scientifiques étaient
erronées, bref vous connaissez, on
entend et on lit cela sur tous les
media.
Par ailleurs les mêmes media nous disent
que la situation du Brésil est
catastrophique, que le nombre de morts
du Covid s’y envole, comme d’ailleurs
aux USA : 312.000 dans le premier
cas, 549.00 dans le second. De son
côté, Boris Johnson vante le système
britannique et certains présentent le
nombre de vaccinations en Grande
Bretagne comme une victoire à mettre
au crédit du Brexit.
Mais si nous regardons tout cela de plus
près, il y a de quoi rabattre le
caquet de Macron. Voici pour le
Brésil, les USA et la France le nombre
d’habitants, le nombre de morts du
Covid et, grâce à une simple règle de
trois, le pourcentage de la population
morts de Covid. Conclusion : on
meurt autant en France qu’au Brésil et
à peine moins qu’aux USA.
Brésil
210 millions
312.000
0,14%
USA
328 millions
549.000
0, 16%
France
67 millions
94.596
0,14%
Bolsonaro est un imbécile ou un fou
criminel, Macron un fin tacticien,
mais leurs résultats sont les mêmes.
Allez
comprendre. Quant à la
Grande-Bretagne (64
millions d’habitants, 127.000 morts) le même calcul, toujours une simple
règle de trois, nous
donne 0,19%...
L’ennui avec les chiffres c’est que
certains pensent qu’ils peuvent nous
dispenser de penser.

23
mars 2021: Merci Erdogan,
suite

J’avais
donné il y a deux jours une
information sur le retrait annoncé par
la Turquie de la convention d’Istanbul
en concluait que cela se passait de
commentaire. Je n’en ferai pas
plus aujourd'hui mais voudrais
juste apporter des chiffres dont je ne
disposais pas alors. Quatre cents
femmes ont été assassinées en Turquie
en 2020, parmi lesquelles 300 l'ont
été par des hommes de leur entourage.
Et, selon l’association turque
« halte aux féminicides, 77
femmes ont été assassinées dans les
premiers jours de 2021.

21
mars 2021: Merci Erdogan

La convention dite
« d’Istanbul », signée en
mai 2011 et entrée en vigueur en 2014,
dont le nom complet est « Convention du Conseil de l'Europe sur
la prévention et la lutte contre la
violence à égard des femmes et la
violence domestique »,
a
été ratifiée par plus de quarante
pays. Elle portait sur la prévention,
la protection des victimes,
les poursuites des contrevenants, bref
elle constituait une avancée
importante (mais peut-être parfois
uniquement théorique)
dans la lutte contre les violences
faites aux femmes, la mutilation
génitale,
le viol conjugal, etc.
La
Turquie,
par un décret présidentiel, vient de
se retirer de cette convention. La
raison invoquée ? Ce texte nuit à
l’unité familiale, encourage le
divorce, et ses références à l’égalité
seraient utilisées par la communauté
LGBT pour se faire mieux accepter par
la société.
L’aspect
positif
de ces explications est que je n’ai
pas à me fatiguer pour les commenter.
Merci Erdogan.

20
mars 2021: La chèvre et le
chou
On
nous
annonçait une « formule
originale » et nous l’avons eue.
Un truc hybride, difficile à
définir : confinement
hors de chez soi, en plein air, dehors
toute la journée, ou pas
confinement ? Ce qui est sûr
c’est que les éléments de langage de
la firme Macron sont clairs :
surtout, ne parlez plus de
confinement, il s’agit d’autre chose,
d’une formule originale donc.
Il
y a bien sûr dans tout cela
un argument qui n’est pas faux :
on a plus de chances d’attrape le
COVID en intérieur (chez soi, au
travail, dans les restaurants…) qu’en
plein air. Argument qui pose tout de
même question : s’il n’y a pas
beaucoup de danger à être dehors,
pourquoi rendre le masque
obligatoire ? Mais qu’importe, le
problème n’est pas là. Tout le monde
s’accorde à dire que le pari de Macron
(ne pas confiner) était perdu, il ne
faut pas donner cette impression. Et
d’ailleurs ce n’est pas le président
qui est venu présenter cette solution
boiteuse, mais le premier ministre…
Disons que cette solution nouvelle,
cette « formule originale »
dont personne ne comprend vraiment les
détails, est une façon de ménager la
chèvre et le chou. Vous connaissez
l’histoire : un homme, un petit
bateau, une chèvre, un chou, un loup.
L’homme veut faire passer une rivière
à tout ce petit monde, dont tous les
membres ne peuvent pas prendre place
dans le petit bateau, sans
que la chèvre mange le chou ni que le
loup mange la chèvre. Il y a plusieurs
solutions qui se ramènent au même
principe : ne pas laisser seuls
sur l’autre rive la chèvre et le loup
ou la chèvre et le chou. Il faudra
donc faire différents aller-retours.
Mais tout le monde sait que
l’expression ménager la chèvre et
le chou a
pris un sens très particulier :
être incapable de choisir, ou vouloir
gagner sur tous les tableaux. On dit
avec le même sens en Allemagne Auf
zwei Pferde setzen (« parier sur
deux chevaux »), en Argentine andar
bien con Dios y con el diablo,
au Portugal agradar a Gregos e a
Troianos (« plaire aux
Grecs et aux Troyens »), etc. Et
Macron, ancien banquier, préférerait
sans doute l’expression win
win : tout le monde y
gagne. Surtout lui, pourrions-nous
ajouter.
Mais revenons à nos moutons. Les
spécialistes semblent assez unanimes
pour dire que les nouveau pari du
président ne va pas nécessairement
améliorer la situation, et que la
vraie question est de vacciner le plus
vite possible le plus de gens
possible. Mais, sur ce plan, l’avenir
est incertain. Reste donc une autre
question : qui va devenir chèvre
dans l’histoire ?

18
mars 2021: Maître des
horloges...
Dans le Canard enchaîné de cette semaine un dessin
représente le président Macron
s’interrogeant : « Qu’est-ce
qu’on pourrait faire pour régler le
problème de la violence des
jeunes ? ». Et le ministre
de l’éducation Blanquer
répliquant : « Attendre
qu’ils vieillissent ? » Au-delà
de la blague, on peut se demander
combien de temps faut-il
attendre ? Ou combien de temps va
durer leur vieillissement ?
C’est Bergson qui a proposé de distinguer entre le temps et la
durée, le temps étant du côté de la
science et la durée du côté de la
conscience. Il est facile de
comprendre que le temps est mesurable
(en secondes, minutes, heures, années,
siècles…) tandis que la durée relève
de la perception, du ressenti. Une
expression
comme « j’ai trouvé le
temps long » illustre bien cette
différence, et plus encore le fait que
face par
exemple à un film d’une heure
trente, ceux qui l’ont trouvé ennuyeux
diront qu’il était trop long tandis
que d’autres diront qu’ils n’ont
« pas vu passer le temps ».
Tout ceci pour en venir à notre
situation actuelle et sur les
balbutiements de la communication
gouvernementale.
Macron s’est souvent présenté comme le « maître des
horloges », comme si le temps
c’était lui. Et il a décidé de gérer
la pandémie à sa manière, repoussant
sans cesse des décisions drastiques en
disant et faisant dire que chaque jour
était un jour gagné. Gagné ou
perdu ? Le gouvernement
communique sur beaucoup de choses,
sauf sur le nombre de morts. Mais des
chiffres nous parviennent tout de
même : il y aurait en France
environ 300 décès du COVID par jour.
Trois cents décès, c’est à peu près ce
qui se passe lorsqu’un avion de ligne
s’écrase, ce qui arrive deux ou trois
fois par an dans le monde entier. Et
chaque fois les media en parlent,
s’interrogent sur les responsabilités
de la compagnie, du fabriquant, des
conditions climatiques, et annoncent
qu’on y verra plus clair lorsque les
boites noires auront été retrouvées et
analysées. Il y a aujourd’hui en
France l’équivalent d’un avion par
jour qui s’écrase, et personne de
parle de boites noires…
Macron a fait un énorme pari en décidant en janvier de ne pas
confiner, et tout semble prouver qu’il
s’est planté. Il a joué une partie,
voulant montrer qu’il était le
meilleur, le plus habile, le plus
intelligent, il l’a perdue. Lorsqu’un
joueur d’échec voit qu’il sera mat en
deux ou trois coups, il se lève et
serre la main de son adversaire, puis
il repense à sa partie et cherche à
comprendre comment il l’a perdue, pour
ne pas refaire les mêmes erreurs. Je
ne sais pas ce qu’on nous annoncera ce
soir, mais la communication
gouvernementale, encore elle, laisse
entendre qu’on est à la recherche
d’une « formule originale ».
Encore une fois, vouloir montrer que
Macron est plus malin que les autres,
contre l’avis de tous les
scientifiques, praticiens ou
épidémiologues.
Le président sait qu’il s’est trompé, qu’il n’est pas le
« maître des horloges », il
a même lâché que c’était le virus qui
était désormais le maître du temps.
Mais tout laisse à penser qu’il se
comporte comme un gamin qui ne veut
pas reconnaître
son erreur. Et cela risque de durer
car son acharnement relève plus de sa
psychologie que du calcul politique ou
économique. Et nous pourrions
paraphraser le Canard enchaîné:
qu'est-ce qu'on pourrait faire pour
régler le problème du COVID? Attendre
qu'il passe?
Enfin, peut-être les annonces gouvernementales prouveront, ce
soir, que j’ai tort…

13
mars 2021: Brassens,
Gainsbourg et la "cancel
culture"
Depuis deux ou trois semaines la presse presque unanime célèbre
le souvenir de Serge Gainsbourg (mort
le 2 mars 1991). Et, d’ici quelques
mois, elle célèbrera sans doute le
centenaire de la naissance de Georges
Brassens (né le
22 octobre 1921). Deux géants
de la chanson française, dans des
styles certes très différents, mais
indépassables, chacun dans le sien.
Par ailleurs, le personnage de Pépé le Putois (Pepe the Pew), qui
dans la version américaine parle avec
un fort accent français, vient d’être
supprimé de la liste des personnage de
dessins animés utilisés par la Warner
Bros. Motif : il passe son temps
à draguer, à tenter d’embrasser des
femmes (en fait, rappelons-le, il
s’agit d’animaux et
d’anthropomorphisme) contre leur gré,
et donc « banalise la culture du
viol » : je n’invente rien.
La
scène du film
Space Jam 2 (sur les
écrans en juillet prochain) dans
laquelle il apparaissait a été coupée
au montage, et un autre personnage,
Lola Bunny, a été
« désexualisée »,
apparaissant désormais en tenue de
sportive et non plus avec un décolleté
aguichant.
Quel rapport en ces deux informations ? La première relève
de l’histoire de la chanson. Le
seconde, bien sûr, de la cancel
culture, ou, pour être gentil,
de sa caricature. Faut-il s’en
inquiéter ? Se demander si
la prochaine victime de cette
censure sera loup de Tex Avery ?
Ou rire de ces conneries (je n’ai pas
d’autre mot) ?
En fait, ce qui me retient dans cette stupidité, c’est que bien
des chansons de Gainsbourg et Brassens
seraient, si elles étaient en anglais,
bannies aux Etats-Unis. Et que nous
pouvons même nous demander s’ils
auraient pu débuter aujourd’hui en
France.
Il est inutile que je vous
rappelle des titres, que je vous donne
des citations, vous les trouverez
vous-mêmes. Ce qui est sûr c’est que
l’un comme l’autre seraient traités de
machistes, d’apologistes de la
violence, de la drague, de l’inceste,
d’injure au drapeau français, à la
police, à la nation, à l’église et
j’en passe.
Le caricaturiste André Gill avait en 1874 créé un personnage,
Madame Anastasie, qui armée d’une
énorme paire de ciseaux représentait
la censure. La Warner Bros en est une
illustration moderne. Et, en 1933, les
nazis organisaient d’immenses
autodafés, brûlant des dizaines de
milliers de livres dont les auteurs,
juifs, pacifistes ou communistes,
représentaient à leurs yeux
« l’esprit non allemand ».
Si vous n’avez pas tous les disques de
Brassens et Gainsbourg,
précipitez-vous pour les acquérir, au
cas où ces foldingues décidaient de
les brûler.

8
mars 2021: Numérologie
Il y a une vingtaine d’années j’avais passé une journée à Puebla
avec un couple mexicain dont une sorte
de tic m’avait frappé : qu’il
s’agisse d’une facture, d’un ticket de
parking ou d’ un billet de banque
l’un ou l’autre se livrait à un rapide
calcul mental et annonçait à l’autre
un chiffre compris entre 1 et 9. A ma
demande, ils m’expliquèrent qu'en
additionnant les nombres correspondant
au jour, au mois et à l’année de leur
naissance il obtenaient leur chiffre
fétiche. Ainsi, quelqu’un né le 8
novembre 1987 aurait pour chiffre
8+11+ 1+9+8+7= 8.
La numérologie est une vieille chose, une pseudo-science qui
accorde des propriétés particulières à
certains nombres ou chiffres. Il y en
a différentes variantes, de
l’herméneutique indienne à la kabbale
juive, et l’une d’entre elle consiste
à donner aux lettres d’un alphabet une
valeur numérique. Pour l’alphabet
latin, cela pourrait donner A=1, B=2,
C=3, D=4, etc… On peut en déduire que
les gens qui ont les mêmes initiales
et donc le même chiffres ont des
choses en commun. Au hasard, C + B (3
+ 2) = 5, ce qui, encore au hasard,
établirait une relation entre Carla
Bruni et Carte bleue. Toujours au
hasard, faites la même opération avec
les initiale d’Adolphe Hitler et de
Dwight Eisenhower, et vous obtenez le
même chiffre,
9. Continuons. On trouve dans
l’apocalypse de Jean (chapitre 13,
verset 18) l’indication que « le
nombre de la bête, ou le chiffre de
son nom » est six cent
soixante-six. 666 : en
additionnant les trois 6 vous obtenez
18. Prenez maintenant (j’insiste, au
hasard) la lettre E, cinquième de
l’alphabet, et la lettre M, treizième,
additionnez ces deux chiffres et vous
obtenez 18, ou 9.
Or E et M sont les initiales
d’ Emmanuel Macron. Malgré son prénom
(Emmanuel désigne en hébreu le messie
promis au peuple juif), notre
président serait donc l’égal de la
bête immonde.
Pas sérieux ? Bien sûr,
mais on a le droit de s’amuser.
Pourtant… Vous avez
sûrement entendu parler de Qanon, ce
groupe de foldingues made in the USA
qui diffusent des théories
complotistes à tour de bras et voient
partout la main maligne d’un
« état profond ». Dans cette
appellation baroque,
« anon » signifie anonyme,
et Q est le pseudonyme d’on ne sait
qui. Mais Q étant la dix-septième
lettre de l’alphabet latin, ces
mabouls utilisent le nombre 17 comme
moyen d’interprétation de n’importe
quoi. Ainsi, je lis dans un dossier de
Libération sur « les
furieux du complot » qu’ils
interprètent sans cesse des messages
envoyés par Trump pour exprimer son
soutien à leur cause. Ainsi, sur une
photo de l’ancien président jouant au
golf, ils ont cru voir sur son gant la
lettre Q et précisent qu’il en était
au 17ème trou. Ou encore,
lorsqu’avant de quitter Washington il
a fait un discours à l’aéroport, ils
ont compté qu’il y avait 17 drapeaux
sur l’estrade.
Cela vous fait rire. Ouais. Mais lorsqu’on voit le succès en
France du pseudo-documentaire de
Pierre Barnérias, Hold Up, on
rit un peu moins. Encore une fois,
nous vivons une époque modetne.

2
mars 2021: Présumé innocent
Sarkozy vient donc d’être condamné, cela n’a pas pu vous
échapper. Il a fait appel et, avant
une éventuelle condamnation
définitive, il est présumé innocent.
Il a été cité ou impliqué dans une
bonne dizaine d’affaires. Grâce à
l’immunité présidentielle il n’a pas
été inquiété dans l’affaire de
l’arbitrage entre Tapie et le Crédit
Lyonnais, ou dans celle des sondages
de l’Elysée. Il a obtenu un non-lieu
pour d’autres affaires et reste
inquiété pour l’affaire Bygmalion (sa
campagne de 2012), mis en examen pour
des soupçons de financement lybien de
sa campagne de 2007, est témoin
assisté dans l’affaire Karachi et une
enquête préliminaire est en cours pour
l’affaire russe. Je passe sur les
détails, vous trouverez tout cela dans
la presse. Cela fait beaucoup pour un
seul homme mais, je le répète, Sarkozy
est présumé innocent.
J’ai toujours été admiratif devant
un passage de Jules César dans
lequel,
à l’acte 3 scène 2, Shakespeare met
dans la bouche d’Antoine une discours
dont la rhétorique est un modèle du
genre :
« Le noble Brutus vous a dit que César
était ambitieux; s'il en est ainsi ,
ce fut une faute grave, et César l'a
gravement expiée. Ici, avec la
permission de Brutus et des autres, -
car Brutus est un homme honorable, et
ils sont tous, tous des hommes
honorables,- moi je viens parler aux
funérailles de César. Il était mon
ami, loyal envers moi et juste. Mais
Brutus dit qu'il était ambitieux , et
Brutus est un homme honorable. César a
ramené à Rome, nombre de captifs dont
les rançons ont rempli les coffres
publics; a-t-on pris cela chez César
pour de l'ambition ? Quand les pauvres
ont geint, César a pleuré ; l'ambition
devrait être faite de plus rude
étoffe. Pourtant Brutus dit que César
était un homme ambitieux et Brutus est
un homme honorable. Vous avez tous vu
qu'aux Lupercales trois fois je lui
offris une couronne royale qu'il
refusa trois fois ; était-ce là de
l'ambition ? Pourtant Brutus dit qu'il
était ambitieux et bien sûr, c'est un
homme honorable »
Et je me dis que, dans un quelconque concours
d’éloquence (il y en a des dizaines
chaque année) on pourrait demander aux
candidats de s’inspirer de Shakespeare
sur le thème « Sarkozy est
présumé innocent ». Si vous
voulez vous y essayer, voici quelques
citations qui pourraient vous
aider :
-De Nicolas Beytout, directeur du très
réactionnaire journal L’Opinion,
«Pour
être
respectée, la justice ne doit pas
être suspectée. Or, dans la
condamnation de Nicolas Sarkozy,
tout est suspect. D’abord, son
histoire d’ancien président de la
République et cette sourde bataille
qui l’avait constamment opposé au
monde judiciaire. Ce monde de petits
pois ne lui a jamais pardonné. Voilà
pour le contexte. Même chose pour
les méthodes utilisées lors de
l’enquête : les juges rebondissant
d’une enquête à l’autre, comme s’il
leur fallait absolument une affaire
sur laquelle coincer l’ancien chef
de l’Etat ».
-De Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur,
« Chacun sait l’affection et le
respect que j’ai pour Nicolas Sarkozy,
qui a été un grand président de la
République et qui, en ces moments
difficiles, a mon soutien amical. Je
n’oublie pas tout ce qu’il a apporté à
notre pays. »
-De Christian Jacob, président du parti Les Républicains,
« c’est une décision qui est
incompréhensible, invraisemblable,
totalement disproportionnées ».
-De Guillaume Peltier, vice-président du même parti, « une
décision disproportionnée et
extravagante »
-« De Christian Estrosi, maire de Nice, « je suis
étonné par cette judiciarisation de la
vie politique ».
-De Carla Bruni, épouse du présumé innocent, «Quel acharnement insensé mon amour.... le combat continue, la vérité fera
jour”.
Mais vous en trouverez d’autres. Alors, à vos
plumes ! Et, n’oubliez pas,
Nicolas Sarkozy est présumé innocent.
27
février 2021: Pop-corn
gate, suite.
Un ami québécois
m’écrit qu’il y a pire que le pop-corn
gate : « «À
l’université McGill, vous pouvez
vous inscrire à un cours de
littérature, vous plaindre de la
présence d’un mot dans le premier
roman à l’étude, être évalué sur un
autre roman, abandonner le cours,
vous faire rembourser ET obtenir vos
crédits pour le cours abandonné.» Pour
les détails: https://plus.lapresse.ca/screens/d6747695-6206-4808-bcf9
49585461fe39__7C___0.html?utm_content=twitter&utm_source=lpp&utm_medium=referral&utm_campaign=internal+share
Il ajoute un autre
exemple : « A l'université Concordia
(anglaise) de Montréal, des étudiants
ont lancé une pétition pour chasser
une chargée de cours pour avoir
prononcé le titre du livre de Pierre
Vallières «Nègres blancs d'Amérique»
(l'auteur, indépendantiste et militant
de gauche, s'était
pourtant exilé à New York chez
des Black Panthers dans les années
1960!) ».
Autre chose qui n’a
rien à voir, un flash du bureau de
l’Agence Française de Presse de
Strasbourg : "Bas-Rhin: flashé à 191 km/h à 88 ans, il dit être en retard pour
son vaccin anti-Covid-19" Et oui, la
pandémie n’attend pas…
24
février 2021: Pop-corn
gate
« Je me mets à la place des parents pour la semaine de
relâche. […] Donc, avec la Santé
publique, pour accommoder les parents,
on a quand même fait des efforts. Et
je vous annonce que, à compter du
vendredi 26 février, les cinémas vont
être ouverts dans les zones rouges,
donc partout au Québec».
Cette déclaration du
premier ministre a semé la zizanie au
Québec. Les cinémas peuvent rouvrir. Bonne nouvelle ? Oui, plutôt, mais il y a un hic. En effet, les
spectateurs devront porter un masque.
Normal ? Oui, mais il y a un
second hic. Puisqu’il
leur faudra porter un masque,
il ne pourront pas manger de pop-corn.
Et alors ? Et alors, voici la
réaction d’un propriétaire de dix
complexes de salles de ciné :
« C’est incompréhensible
et absurde. Si le gouvernement
maintient cette règle, je ne rouvrirai
pas. Parce que ça n’a simplement pas
de bon sens. Je suis bien prêt à
abandonner les pizzas et ce genre de
choses, mais le pop-corn et les
boissons gazeuses, non ».
Ils sont exigeant, ces Québécois ! Ils ne peuvent pas aller
au cinéma sans grignoter des grains de
maïs sautés, gras et sucrés. Du coup
le premier ministre, après avoir
déclaré qu’il ne s’attendait pas à ce
« pop-corn gate », propose
aux propriétaires de salles une
compensation financière pour le manque
à gagner.
Les
choses
en sont là, pour l’instant, mais la
situation est grave. Nous vivons
décidément une époque moderne.
22
février 2021:
Procrastinations
Cela fait plus de vingt ans que j’ai quitté
Paris pour Aix-en-Provence et j’ai
très vite su qu’il y vivait aussi.
« Il » : l’auteur de
chansons à succès que tout le monde a
oubliées, J’aime bien Lily, Tout
quitter mais tout emporter, Mister
Hyde, et d’une comédie musicale
pour enfants dont au moins deux
générations se souviennent, Emilie
Jolie. Pendant des années que
je me suis dit que nous étions
peut-être voisins, que je devrais
aller le voir. Mais, procrastination,
je ne l’ai pas fait, je croyais avoir
le temps, j’avais trop de choses à
faire. ET Philippe Chatel vient de
mourir. Il avait 72 ans.
Au moment où j’écris ce petit billet,
j’apprends la mort d’Hélène Martin, à
92 ans, et là c’est l’ensemble de la
population qui a fait preuve de
procrastination, qui n’a pas pris la
peine d’y aller voir. Cette femme a
enregistré des dizaines de disques, a
collecté les récompenses (trois fois
prix
du disque de l’Académie
Charles-Cros, grand prix de l’Académie
du disque français, prix de la SACEM,
etc.), a mis en musique Aragon,
Eluard, Genet, Giono, Louise Labé,
Seghers, Soupault.. Bref, c'était une
très grande. Si vous n ‘écoutez
qu’un titre d'elle, je vous conseille
un poème de Jean Genet, Le
condamné à mort.
19
février 2021: Livres
"politiques"
S’il y avait une compétition mondiale des
hommes ou femmes politiques écrivant
(ou du moins signant) des lignes, la
France serait sans aucun doute à la
première place sur le podium. Pour
nous en tenir à la cinquième
république, tous les présidents de la
république en ont publiés. Et le
ministres ne sont pas en reste. Qu’ils
s’agisse de leurs mémoires, de leurs
projets, de livres
vengeurs lorsqu’ils ont été exclus du
pouvoir (Cécile Duflot, Delphine
Batho, Rama Yade) ou de livres
programmatiques lorsqu’ils visent le
pouvoir (Macron, Taubira) ou veulent
accéder à un degré supérieur (Darmanin),
ou lorsqu’ils veulent ne pas être
oubliés (Hollande, Sarkozy), ils sont
des dizaines chaque années à être
présents sur les tables des libraires.
Certains se sont même lancés dans le
roman, même si l’on peut penser qu’ils
ne marqueront pas l’histoire de la
littérature : pour les plus
récents Bruno Lemaire (Musique
absolue), Edouard Philippe (dans
l’ombre)et Marlène Schiappa (Marianne
est déchaînée).
Bref, en France, les politiques doivent avoir
une belle plume (ou, plus souvent, de
bons « nègres », je suis
désolé je ne dispose pas du mot
politiquement correct pour ce qu’on
désigne en anglais par une belle
formule, ghost writer,
« écrivain de l’ombre ».)
Mais, et c’est désolant, aucun ni
aucune n’a, à ma connaissance, publié
de livre de jardinage ni de cuisine.
Ca ne vous a pas frappé ? Ca ne
vous manque pas ? Pour ma part,
j’aimerais bien pouvoir profiter des
conseils de Chirac pour faire pousser
des pommes (je sais, il est trop
tard), ou de ceux de Sarkozy pour
faire pousser des salades. En
fait ils ont en tous vendues et
pourraient faire un ouvrage
collectif : Dictionnaire
amoureux de la salade, par les
responsables politiques de la France
d’aujourd’hui.
Et pour la cuisine ? Tenez, si j’étais
éditeur, je me dirais que tous les
ministres de l’écologie, de
l’environnement ou de la transition
écologique (les appellations changent
tout le temps), qui ont passé leur
temps à avaler des couleuvres, sont
des auteurs en puissance. Par exemple,
Barbara Pompili , ministre de la
transition écologique pourrait écrire
quelque chose comme Mille et une
recettes pour accommoder les
couleuvres En voilà une idée
qu’elle est bonne…
12 février 2021:
Butinage
Au hasard, quelques notations butinées cette
semaine et que je vous laisse
éventuellement analyser vous-mêmes. Et
tout d’abord, en zappant pour chercher
une chaîne, j’aperçois dans une
manifestation une grande
pancarte : Hijo de Putin. Cela
se passait évidemment dans un pays
hispanophone, mais je ne sais pas
lequel, tout le monde devine derrière
Putin qu’il s’agit de Poutine,
mais seul un hispanophone peut voir,
derrière Hijo de Putin, Hijo
de Puta (fils de pute).
Un lapsus : Après la démission de
Frédéric Mion, directeur de Science-Po
Paris, les protestations et
dénonciations se sont multipliées dans
les différents Instituts d’études
politiques de province. Et sous le #sciencesporcs
on apprend que les futures
« élites » du pays donnent
volontiers dans le viol ou le
harcèlement sexuel. Une
journaliste radio annonce la réunion
« des dictateurs…euh directeurs
des IEP »
Un autre lapsus (et une autre journaliste)
présentant un artiste qui
« a mis enceinte.. . euh en
scène »…
Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement,
aurait expliqué au journal Le
Parisien qu’il
ne va jamais chez le coiffeur avant de
passer à la télévision « sinon
les gens se disent tout de suite qu’on
va reconfiner le pays ». Pour
vous aider dans votre analyse, je vous
donne le commentaire du Canard
Enchaîné : « un
argument un rien tiré par les
cheveux ».
Et puis un abandon. Depuis des mots, en
écoutant des gens interviewés à la
radio ou la télévision, je m’amuse,
sans vraiment prendre de note, à
compter le nombre de fois où apparaît
dans leurs discours le terme voilà.
Mais la tâche devient fatigante,
voilà est devenu une sorte de
virgule verbale, totalement
désémantisée. Je vous laisse, si cela
vous amuse, prendre la relève.
6 février 2021: Habitus,
confinement, complotisme
J’ai toujours pensé que les concepts les plus
opérationnels étaient ceux qui sont
les plus faciles à expliquer. C’est à
mon avis le cas de l’habitus de classe
utilisé par Pierre Bourdieu, que je
vais tenter d’illustrer en essayant de
ne pas trop le trahir. Il s’agit d’un
ensemble de pratiques héritées au
acquises qui caractérisent un groupe
social, ou une classe. Par exemple il
y aurait d’un côté ceux qui jouent au
bridge, boivent du scotch ou du
champagne, s’intéressent ou jouent au
tennis ou au golf, et de l’autre ceux
qui jouent à la belote, boivent du
pastis, s’intéressent au foot… Et ces
deux groupes grossièrement définis par
ces pratiques ont des tendances
endogamiques, par exemple leurs
membres se marient entre eux, font les
mêmes études, etc. Il est d’ailleurs,
de ce point de vue, intéressant de
noter que ce concept d’habitus
apparaît pour la première fois chez
Bourdieu lorsqu’il analyse les
comportements dans des bals du Béarn
où les jeunes-femmes dansent
avec des gens venus de la ville tandis
que les paysans restent éloignés de la
piste.
Si j’évoque ce concept d’habitus, c’est parce
que j’ai l’impression que les
réactions au confinement ou au
couvre-feu en sont une bonne
illustration. Laissons de côté les
protestations venues des
professionnels (les patrons de
restaurants, les artistes, les
commerçants, etc.) pour nous
intéresser à leurs
« clients ». Ceux qui
s’élèvent contre la fermeture des
théâtres ou des lieux culturels en
général par exemple ne sont pas
agriculteurs ou petits commerçants
mais plutôt des bobos vivant en ville.
Et je vous laisse vous interroger sur
les catégories sociales qui s’élèvent
contre la fermeture des stations de
ski, des stades, des librairies, des
bistrots, etc. Bien sûr, la réponse ne
peut pas venir de la simple intuition
mais d’enquêtes et d’analyses
sérieuses. Il demeure que Bourdieu
aurait sans doute eu des choses à dire
sur ce point.
Il y a en revanche une tache aveugle dans
cette approche, sans doute parce que
la pratique concernée est relativement
nouvelle : le complotisme. Vous
en connaissez des dizaines d’exemple,
véhiculés le plus souvent par les
réseaux sociaux, et il est facile
d’imaginer, pour prendre un exemple
nord-américain,
qu’il y a comme une suite
d’implications entre le fait de
fréquenter une église
évangélique, de voter Trump,
d’attaquer le Capitole et de croire à
un complot démocrate pédophile.
Mais dans quels habitus faut-il classer ceux
qui pensent que le coronavirus a été
inventé par Bill Gates, ceux qui
croient à un complot des élites
parisiennes contre le docteur Raoult,
ceux qui suggèrent qu’au cours des
siècles les grammairiens français ont
comploté pour construire une langue
sexiste, ceux qui affirment que le
vaccin a pour fonction de nous
injecter des puces électroniques ou
encore, comme la sociologue Monique
Pinçon-Charlot dans le documentaire
complotiste
Hold-up, qui
expliquent que le coronavirus est
utilisé comme un
« holocauste » pour
« éliminer la partie la plus
pauvre de l’humanité, dont les riches
n’ont plus besoin » ?
Mais ne vous cassez pas trop la tête et passez
un bon week-end quand même.
4 février 2021:
Baromètre
Depuis quelques années, le baromètre des
langues du monde que nous avons
élaboré a suscité des réactions
diverses. Certains n’y comprennent pas
grand-chose, d’autres réfutent toute
approche quantitative, d’autres encore
le portent aux nues (comme les auteurs
du récent livre le français
n’existe pas qui parlent de
« l’hallucinant baromètre
du poids des langues dans le
monde »). Mais il n’y eu que peu
de discussions techniques ou
scientifiques sur notre travail. Pour
ceux que cela intéresse, les choses
pourraient être dorénavant facilitées.
En tapant sur Google « baromètre Calvet
2017 » vous accéderez à un site
du ministère de la culture français
sur lequel vous aurez des liens avec
les deux premières versions (2010,
2012) et à la version la plus récente
(2017), ce qui vous permettra de
comparer les trois classements
successifs et de faire des hypothèses
sur les raisons des changements qui
apparaissent d’une version à l’autre.
Mais
il
ne s’agit là que de la carrosserie
d’une grosse machine et vous pouvez,
si cela vous intéresse, vous plonger
dans sa mécanique interne en
téléchargeant les dossiers qui vous
sont proposés. D’une part, en pdf, un
long texte expliquant de la façon la
plus simple possible notre démarche,
la façon dont nous avons établi et
traité nos données, etc. D’autre part
deux dossiers Excel avec toutes nos
données chiffrées, vous permettant de
faire votre propre classement en
faisant varier le poids de nos douze
facteurs, et, surtout, et
d’éventuellement critiquer notre
méthode. Bref, tout le matériel pour
ouvrir un débat sur un travail
scientifique qui a fait couler
beaucoup d’encre.
1er
février 2021: Imbécilité
ou inconcience?
Ce qui s’est passé samedi au centre
d’entraînement de l’Olympique de
Marseille ne témoigne pas seulement de
l’imbécillité des supporters de
football mais de quelque chose de plus
diffus et de plus grave. Précisons
tout d’abord que la situation de l’OM
est unique en France : les clubs
de supporters se sont vus attribuer le
droit de vendre eux-mêmes les
abonnements annuels à leurs membres,
avec les dérives financières que l’on
peut imaginer. Ils se sentent
propriétaires ou patrons de l’équipe,
pensent avoir tous les droits, y
compris celui de saccager et de s’en
prendre physiquement aux joueurs. Il
est vrai que l’OM est actuellement
dans une mauvaise passe, à la neuvième
place du classement, mais on voit mal
comment ces actions de commando
peuvent changer en quoi que ce soit sa
situation. La pandémie rend-t-elle
fou ?
A Nice, un patron de restaurant a ouvert son
établissement malgré interdiction, et
on l’a vu à la télévision tenant trois
assiettes dans ses mains et hurlant
« Liberté !
Liberté ! » avec la
projection de postillons qu’on peut
imaginer sur les plats qu’il servait.
Et la cinquantaine de clients présents
ne portaient, bien entendu, pas de
masque. A Carpentras, un commissaire
de police et un vice-procureur ont été
surpris en train de manger dans un
restaurant clandestin.
Sur les réseaux sociaux le
slogan « je ne me confinerai
pas » fleurit. Et l’on sait
qu’aux Pays-Bas de violentes
manifestations ont lieu contre le
couvre-feu. Encore une fois, la
pandémie rend-t-elle fou ?
Inconscient ? Ou les deux à la
fois ? Imbécillité ou
inconscience ?
A vous de voir. En attendant, je partage avec
vous un extrait d’un mail reçu d’une
amie brésilienne, qui constitue
peut-être un début de réponse :
« A Rio on a 40 degrés tous les jours, depuis deux semaines.
Résultat 1: plages bondées. Résultat
2: des hôpitaux bondés »
30
janvier 2021: Procrastination?
Certains n’ont rien à dire mais le disent
bien, c’est même en train de devenir
une profession… Hier soir, le premier
ministre n’avait pas grand-chose à
lire, et l’a dit le plus vite
possible, expédiant sa corvée comme
s’il était pressé d’aller voir le
feuilleton qu’il suit à la télé. Cette
corvée, c’est bien entendu Macron qui
la lui avait imposée. Mais
pourquoi ?
Depuis une semaine, nous sommes abreuvés de
discours alarmistes. Des ministres, et
non des moindres (le premier d’entre
eux, celui de la santé, le
porte-parole du gouvernement…) et les
médecins spécialisés en épidémiologie,
pour une fois d’accord entre eux, nous
ont tous dit la même chose : les
indicateurs sont au rouge, le
couvre-feu a eu peu d’effet sur
l’épidémie, nous n’avons pas de temps
à perdre, et puis, surprise, on ne
nous annonce que quelques mesurettes,
pas le confinement attendu. Le moins
que l’on puisse dire est que la
communication du gouvernement est
incohérente. Les uns annonçaient un
confinement sévère, les autres
lançaient des formules sibyllines,
« confinement light »,
« confinement hybride »
(comme les voitures, moitié essence
moitié électricité ?). Et
l’explication en est simple :
personne ne savait ce qu’allait
décider Macron et les gens
manœuvraient à
vue. Car c’est bien Macron qui est le
problème.
Procrastination ? Cela en a bien l’air
puisque tout le monde est convaincu
qu’il faudra bien en revenir au
confinement. Mais les choses sont plus
complexes. Macron navigue entre
l’indécision et la prudence, il a peur
de mouvements sociaux, de
manifestations semblables à celles qui
se produisent aux Pays-Bas et en
Allemagne, et ne veut pas suivre les
conseils du conseil scientifique qu’il
réunit régulièrement, ou du moins ne
veut pas les suivre immédiatement,
comme si cela était un signe de
faiblesse. On a dit que le politique
passait avant le sanitaire, ou que le
problème était de choisir entre le
politique et le sanitaire. En fait,
l’actuel président est l’a
meilleure illustration de la pratique
solitaire du pouvoir. Il ne se
différencie de De Gaulle que sur un
point : il crée des comités, des
conseils, qu’il réunit… Mais il attend
avant de décider seul. On voit bien
son pari : si les indicateurs
passaient subitement au vert, il
triompherait. Mais si c’était le
contraire ? Trump ou Bolsonaro
s’en sont tenu à un déni criminel et
il suffit de voir le nombre de morts
aux USA et au Brésil pour juger de
leur efficacité. Et Macron prend un
très grand risque.
Pour finir, quelques indications sur la façon
dont les psychologues expliquent la
procrastination. Les façons plutôt,
car ils ne sont pas tous d’accord
entre eux. Ce
qu’ils
appellent les « retardataires
chroniques » seraient
caractérisés par de l’anxiété, du
manque d’apprentissage, du manque
d’estime de soi, mais aussi par de
l’impulsivité, et par une activité
frénétique dans des domaines n’ayant
aucun lien avec la décision urgente à
prendre. Vous avez donc le choix pour
décider par vous-mêmes de ce qui
caractérise le mieux Macron. Quant à
savoir si le nombre de morts à venir
lui donnera tort ou raison, c’est une
autre histoire.
28
janvier 2021: Bientôt des
dessinateurs manchots?
Vous connaissiez (oui, c’est le passé qui
convient désormais) peut-être les
dessins de Xavier Gorce dans Le
Monde, les indégivrables. Il
mettait en scène des pingouins qui, le
plus souvent échangeaient des propos
drôles, décalés, souvent givrés, c’est
le cas de le dire. Le dernier en date
présentait une jeune pingouine
interrogeant un aîné : "Si
j'avais été abusée par le demi-frère
adoptif de mon père transgenre devenu
ma mère, est-ce un inceste?"
Cela peut faire rire ou pas, j’avoue que pour
ma part j’adore ces phrases
alambiquées ou paradoxales, qui vous
font vous gratter la tête, tourner les
mots dans tous les sens. Et ce dessin
m’a fait rire. Mais la direction du Monde,
a reçu des protestations : ce
dessin serait une attaque contre
l’homoparentalité ou les transgenres.
Ni une ni deux, le dessin a été retiré
et le journal a présenté ses excuses
au lecteurs. Et le dessinateur,
désavoué, a décidé de quitter le
journal.
Si le dessin m’a
fait rire (mais il a pu en choquer
d’autres), j’ai été en revanche choqué
par une forme de lâcheté de la
direction du journal, par sa peur face
aux réseaux sociaux. La presse unanime
avait en 2015 apporté son soutien à Charlie
Hebdo et, plus récemment, a
largement rendu compte du procès des
complices de cette tuerie. Mais, en
semblant vouloir aseptiser ce que
produisent ses propres dessinateurs,
elle semble du même coup laisser à Charlie
le soin de faire rire de façon
grinçante irrespectueuse
et salutaire. Et sa position, prudente
et couarde à la fois, pourrait
s’exprimer ainsi : puisqu’ils le
font, nous n’avons pas à le faire… Mais,
en même temps, c’est le principe de
l’autocensure qui se met en place.
Pour ceux qui ne connaissant pas Gorce, voici
quelques exemples de la
production :
Un pingouin annonce « Selon notre
dernier sondage, 100% des abrutis
refusent d’être
vaccinés… « Et l’autre réplique
« C’est stable ». Ou
encore l’un déclare « Le virus de
l’antisémitisme a muté et l’autre
ajoute « Mais c’est toujours la
même souche… » .
Un dernier, qui s’applique plus
particulièrement à la situation
actuelle : « Vous avez votre
passeport sanitaire d’humour ? ».
C’est
bien la question. Les pingouins de
Gorce ont donc quitté Le Monde mais
l’on
peut craindre que ce départ annonce la
naissance d’une génération de
dessinateurs manchots.
Ce qui me rappelle un passage d’une des
versions de Temps difficiles
de Léo Ferré On avait découvert qu’un
médicament utilisé pendant les années
1950 et 60 par les femmes enceintes,
la thalidomide, donnait de graves
malformations. A Liège, une femme
ayant consommé d la Thalidomine
pendant sa grossesse avait donné
naissance à un enfant sans bras et
l’avait euthanasié. Procès de la
grand-père, de la mère, de sa sœur et
du père. Ils sont tous acquittés. Et
Ferré avait chanté :
« Le Vatican n’est pas d’accord
Il dit qu’à Liège on a eu tort
Quand tu verras un pape sans bras
Avec quoi donc il t’bénira ? »
Qui pourrait aujourd’hui entonner cela ?
24
janvier 2021:
Sociolinguistique et vérités
altertnatives
Il
s’est
passé quelque chose de très
particulier au début de ce mois sur la
liste de discussion sociolinguistique
du RFS (réseau francophone de
sociolinguistique). A l’origine,
l’annonce de la publication d’un
ouvrage de Patrick Charaudeau (La
langue n’est pas sexiste, pour une
intelligence du discours de
féminisation), avec la photo de
la couverture et un court texte de
présentation :
«
La langue n’est pas sexiste. C’est le
sujet qui parle, qui écrit, lequel est
à la fois maître et esclave de son
usage, qui peut ajouter à ses façons
de parler des relents de sexisme. Mais
il peut également y échapper par des
usages intelligents. C'est donc du
discours qu'il est question — et non
de la langue — faisant que seul le
sujet parlant est responsable de ce
qu'il dit. Tout ce qui concerne la
féminisation de la langue, de la
critique sexiste à la transformation
des noms de métier, du genre
grammatical à la féminisation des
formes, est passé en revue sans
oublier l'écriture inclusive qui
propose des transformations d'usage de
la langue, dont l'auteur examine les
bonnes et les mauvaises
solutions ».
Immédiatement,
des interventions se succèdent, sur le
ton ironique (« Enfin le retour
du bon ou mauvais en linguistique !
Féministement »
ou agressif (« le problème
commence au-delà du contenu du livre,
étant donné la formulation des titres
et sous-titres, qui encore une fois
annoncent une « raison » et
une « intelligence »
masculines pour éclairer les autres
qui en étaient forcément
dépourvues »).
L’ouvrage
est attaqué essentiellement parce
qu’il est écrit par un homme et qu’on
lui prête un
point de vue masculin (prêtez
attention aux pronoms : ils,
eux) :
« Je
pense qu’il faut les ignorer ou bien
écrire ailleurs autre chose : ils
n’attendent que cela car plus personne
ne parle d’eux… C’est leur faire trop
d’honneur ! Leur parole ne compte
plus, plus personnes ne les connaît…
Inventons ailleurs, sans eux, on n’a
pas besoin d’eux ».
Ce
sont
donc les hommes qui sont attaqués,
puis, par élargissement progressif,
les hommes professeurs et enfin
les hommes, professeurs donc,
et vieux, « qui contribuent petit
à petit à restreindre la portée
politique de la sociolinguistique à
une discussion de comptoir entre vieux
machins » et en outre sont
traités de « masculinistes et
autres cryptofascistes ».
Résumons tout cela : un homme n’a
pas le droit d’écrire sur le thème de
la féminisation parce qu’il n’est pas
femme, qu’il est en outre professeur
et vieux. Ce qui semblerait signifier
que seules de jeunes linguistes sans
poste auraient le droit à la parole
sur ce thème. Il y a dans cet
enchaînement un condensé de
discriminations : contre les
hommes, vieux, professeurs, voire
professeurs retraités. Il ne manque à
cette litanie de discriminations que homme
blanc pour clore le tableau.
Bref les injures volaient bas
(« cryptofascistes »,
« vieux machins ») et l’on
cherchait en vain le moindre argument
théorique contre le livre qui avait
déclenché cette tempête.
Il
y
avait à cela une raison très
simple : personne ne l’avait lu
car il n’était pas encore
publié. Il s’agissait donc uniquement
d’un procès d’intention contre un
sexe, une classe d’âge et une
fonction. Il peut paraître étonnant de
trouver cette absence totale de
déontologie (condamner un livre n’on
n’a pas lu), ce racisme et ce vide
théorique sur une liste dont le but
est d’accueillir un débat scientifique
et non pas des invectives ou des
insultes. Il va sans dire, mais cela
va peut-être mieux en le disant, que
je correspond tout à fait à la cible
que je viens de définir : je suis
un homme blanc (nobody is perfect) et
professeur d’université à la retraite.
On n’a pas
encore parlé dans ces débats
de « vieux cons »
(simplement de « vieux
machins ») mais j’aime bien quand
Georges Brassens chantait « le
temps ne fait rien à l’affaire, quand
on est con, on est con, qu’on soit
jeunot qu’on soit grand-père, quand on
est con on est con », à condition
que l’on puisse aussi
remplacer con par son
contraire (et je vous laisse le soin
de chercher les antonymes de con).
Venons-en
donc à corps du délit, puisque procès
il y a. Patrick Charaudeau part dans
son ouvrage, avec une sérénité toute
scientifique, de la définition des
notions sur lesquelles il considère
qu’il faut se mettre d’accord pour
pouvoir débattre. La
distinction entre la langue
comme système, comme norme ou comme
discours, l’histoire de la grammaire
ou de la graphie, le genre
grammatical, les catégories de genre
et de sexe, le neutre, etc… En passant
il explique comment l’importation des
gender studies en vogue aux
Etats-Unis a donné en français au genre
un autre sens,
produisant une série de dérivés comme
genré, agenre, dégenré,
en introduisant une confusion entre le
genre grammatical et le genre sexué.
Puis il évoque différentes
propositions de féminisation de
l’écriture ou des noms de métiers,
parmi lesquelles, bien sûr, l’écriture
inclusive et le point médian, en
souligne les inconvénients et les
avantages. Bref il pose les bases d’un
débat scientifique en rappelant, je le
cite, que pour parvenir à « une
égalité sociale entre les hommes et
les femmes, il est évident qu’il faut
éviter toute discrimination dans la
façon de parler ». Mais, au
centre de sa réflexion, ce que résume
parfaitement son titre, la langue
n’est ni sexiste, ni fasciste, ni quoi
que ce soit d’autre, c’est le discours
qui peut l’être. Je ne vais pas
résumer tout son livre, ceux que cela
intéresse peuvent aller y voir (il est
publié aux éditions Le bord de
l’eau).
Ce
que
je retiens pour ma part de la démarche
de Charaudeau et de la polémique que
j’ai rappelée est d’abord qu’il est
préférable de lire un livre avant de
le critiquer. J’ajouterais qu’on
ne peut pas être
sociolinguiste sans être linguiste,
voire même historien de la langue. Et,
surtout, que la différence martelée
par Charaudeau entre langue et
discours est fondamentale. Lorsqu’on
lit avec soin le livre de Victor
Klemperer sur la langue du III° Reich,
on se rend compte qu’il n’y aurait
aucun sens à considérer
que l’allemand est une langue
nazie : les nazis parlaient
allemand et c’est dans leur
utilisation de cette langue, dans leur
discours donc, par différents
procédés, qu’ils encodaient
leur idéologie nazie. Dire
qu’une langue est nazie, sexiste ou
fasciste (Barthes s’est laissé aller à
cette dernière affirmation) est une
grosse bêtise dénuée de sens
scientifique.
On
peut
espérer que le livre Charaudeau
permettra un débat dépassionné et
serein, mais j’en doute.
Trump
a quitté la maison blanche, ce qui
n’empêche pas, selon les
journalistes spécialistes des USA,
le trumpisme d’être toujours vivant.
Ce qui est sûr, c’est que si le
susdit Trump avait déposé un brevet
pour l’usage de fake news,
ou des vérités alternatives,
bien des intervenants de la liste
RFS lui devraient des royalties.
22
janvier 2021: Merci à Trump
Donald Trump a eu l’inélégance de quitter la
maison blanche mercredi matin sans
être présent à la prestation de
serment de Joe Biden. Mais, avant de
prendre l’avion qui devait le mener à
sa résidence dorée de Floride, il a
fait une sorte de parodie de meeting
sur le tarmac de l’aéroport,
présentant une version
idyllique de son mandat, de
ses succès imaginaires, de ses actions
magnifiées, bref en ajoutant quelques
mensonges de plus à son palmarès.
Et, comme dans chacun de ses meetings, la
« bande son » comportait
deux titres qui vont le retenir, YMCA
interprété par le groupe Village
People et My Way interprété
par Franck Sinatra. La fin de
ce dernier titre peut d’ailleurs
s’entendre comme un plaidoyer pour ses
mensonges :
« Yes, there were times,
I'm sure you know
When I bit off more than I could chew
But through it all when there was
doubt
I ate it up and spit it out
I faced it all and I stood tall
And did it my way
The record shows I took the blows
And did it my way”
Alors, pourquoi « Merci à
Trump ? » Pas pour ses
mensonges, bien sûr. En fait ce n’est
pas moi mais le show-biz français qui
devrait le remercier. Je ne sais pas
si l’ex-président a compris que
Village People était un groupe du
genre « machogay » et que YMCA
appelait les « young
men » à prendre du plaisir dans
l’ « Association Chrétienne des
Jeunes Hommes » (c’est le sens du
sigle anglais), mais il ne savait
sûrement pas que la musique de cette
chanson a été composée par deux
français (Henri Belolo et Jacques
Morali) qui étaient en même temps les
producteurs du groupe. Quant à My
Way, c’est à l’origine une
musique de Jacques Revaux et Claude
François (pour la chanson Comme
d’habitude), adaptée en anglais
pour Paul Anka puis reprise par
Sinatra. Donc…
Donc, si Trump a payé les
droits des musiques qu’il utilisait
dans ses meetings, une bonne partie de
cet argent a été versée à la SACEM, ce
pourquoi je me permets de le remercier
au nom du show-biz français qui aurait
dû le faire mais semble ne pas avoir
la reconnaissance du ventre.
A moins que… à moins que Trump ne paie pas
plus les droits musicaux que ses
impôts…

16
janvier 2021: Sodomisation de
diptère brachycère
On connaît le paradoxe du Crétois qui
déclarait : « tous les
Crétois sont menteur ».
Mentait-il ou disait-il la
vérité ? A priori, puisqu’il
était crétois, il mentait et donc sa
phrase était un mensonge, et les
Crétois n’étaient pas menteurs. Dès
lors il disait la vérité et les
Crétois étaient menteurs… On peut
sortir de cette aporie en
disant que la langue n’est pas
nécessairement faite pour dire la
vérité, et que le problème n’a aucun
intérêt, ou qu’il s’agit
(pour tenter de l’exprimer en
termes choisis) d’une sodomisation de
diptère brachycère. Imaginons
maintenant que, sans être lui-même
journaliste, quelqu’un déclare que
tous les journalistes sont menteurs.
Fini le paradoxe, et cette assertion
permettrait de savoir quelle est la
vérité : le contraire de ce
disent les journalistes.
Mais les deux affirmations (tous les Crétois
ou les journalistes sont menteurs) ont
en commun de pécher à la fois par
excès de généralisation et par absence
de réflexion sur ce qu’est la vérité.
La première cependant, celle du
Crétois, ne disposait pas de tweeter,
de face book ou de tout autre
déversoir d’ego, et il ne pouvait donc
guère faire de mal. Ce qui n’est pas
tout à fait le cas aujourd’hui, et
vous voyez où je veux en venir. Le
changement de locataire de la maison
blanche qui va se produire mercredi ne
changera sans doute pas grand-chose
aux flots d’egos, complotistes ou
autres, se
déversant sur les réseaux sociaux,
mais il leur manquera leur principal
porte-voix. A moins qu’un autre
surgisse.
Nous pourrions cependant nous débarasser de
cette avalanche de « vérités
alternatives » ou de « fake
news » en changeant
légèrement de point de vue. Vous vous
souvenez peut-être au moins du titre
d’un ouvrage de Pierre Bayard publié
en 2007, Comment parler des livres
qu’on n’a pas lus ? Je
voudrais pour ma part vous rappeler un
petit passage du livre (qu’il est bon
de lire) de
Victor Klemperer sur la langue du 3ème
Reich :
« On cite toujours cette phrase de
Talleyrand, selon laquelle la langue
serait là pour dissimuler les pensées
du diplomate (ou de tout autre homme
rusé et douteux en général). Mais
c’est exactement le contraire qui est
vrai. Ce que quelqu’un veut
délibérément dissimuler, aux autres ou
à soi-même, et aussi ce qu’il porte en
lui inconsciemment, la langue le met à
jour »
Il ouvrait la voie à toutes les analyses de
contenu, analyses rigoureuses mais
moins faciles (et moins marrantes) que
les affirmations à la Trump. Pour ma part, je ne trouve pas de chute
marrante à ce billet. Sauf que,
peut-être, je penche moi-même du côté
de la sodomisationdes diptères
brachycères.

9
janvier 2021: Fascisme rampant
aux USA. Et chez nous?
Pendant quatre ans
nous avons vu un adolescent en
surpoids, colérique, exigeant
d’obtenir immédiatement tout ce qu’il
voulait, et des adultes lui passant
tous ses caprices. Ces adultes étaient
bien sûr les parlementaires
républicains et l’adolescent colérique
et en surpoids Donald Trump.
Caricature ? Oui, mais les
caricatures, en grossissant les
traits, révèlent toujours quelque
chose de la réalité. Trump a été battu
lors qu’une élection dans laquelle son
concurrent a obtenu sept millions de
voix de plus de lui. Il a, en
conséquence, obtenu 232 grands
électeurs contre 302 pour Biden. Ses
recours ont été refusées par
différents juges, y compris ceux de la
cour suprême. Ainsi posé, le problème
serait résolu aisément par n’importe
quel élève de primaire : Biden a
été élu. Mais dans la cour de l’école,
une centaine de congressistes
républicains a continué à nier
l’évidence, à donner à l’enfant
colérique ce qu’il voulait. Comme lui,
ils affirment que la victoire lui a
été volée. Et c’est la réalité qui
devient caricature.
Ces gens dont la
fonction est de voter les lois, de les
faire appliquer, soit se foutent de la
constitution comme de leur première
sucette et ne pensent qu’à leur
réélection, qu’à plaire à leurs
électeurs, soit croient réellement aux
théories complotistes, à une puissance
occulte, marxiste et pédophile, qui
dirigerait en sous-main le pays… En
bref, ils reprennent les délires de
l’adolescent colérique, et l’on se
demande s’il y a des adultes dans les
salles du Congrès. Pendant ce temps
l’adolescent colérique joue toujours
de la menace, sur le mode « t’ar
ta gueule à la récré », et ils
s’écrasent, pensant toujours qu’il
risque de ruiner leur carrière
politique s’ils s’opposent à ses
caprices.
Et puis les choses
changent de genre. Dans sa cour de
récréations, Trump a donc mobilisé ses
troupes, les appelant à marcher sur le
Capitole. En voyant ces images, on a
d’abord des souvenirs scolaires, la
marche sur Rome des partisans de
Mussolini en octobre 1922, la marche
sur l’assemblée nationale de l’extrême
droite française, en février 1934, des
souvenirs du passé. Et l’on se dit que
tout cela est loin, loin dans le temps
et loin dans l’espace. C’est loin,
Mussolini, c’est loin Washington.
Loin, vraiment ?
Le spectacle cette
horde à la fois folklorique et
fascisante enfonçant les portes du
Pentagone, brisant des vitres,
menaçant des congressistes, n’est pas
si exotique (en son sens
premier : qui vient de loin) ni
si éloigné dans le temps qu’on
pourrait le croire. Ces mouvements
antidémocratiques et ce fascisme
fascisant sont partout, y compris à
nos portes. Il n’y a pas que les
évangélistes américains qui mettent
dieu avant les lois républicaines, il
y a aussi, chez nous, les intégristes
musulmans ou catholiques. Il n’y a pas
que les proud boys américains qui
cassent à tout va, il y a aussi, chez
nous, les black blocs et certains
gilets jaunes. Le complotisme n’existe
pas qu’aux Etats-Unis, il fleurit
aussi chez nous. Sans parler de la
lâcheté et de l’arrivisme du personnel
politique, qui se portent assez bien
ches nous.
Alors, dire que ce
spectacle déshonore la démocratie
américaine, considérer comme fou
furieux celui dont nos dirigeants ont
serré chaleureusement la main, se
demander si la police américaine a
laissé faire, si elle n’aurait pas
réagi différemment dans le cas où la
horde trumpiste aurait été composée de
Noirs, tout cela n’est-il pas une
façon de ne pas balayer devant notre
porte ? Un tour de passe-passe en
quelque sorte, pour faire oublier, si
nous n’y prenons garde, que ces
dérives pourraient nous menacer nous
aussi, un jour ou l’autre.

5
janvier 2021: Peaux de bananes
Les politiques ont
l’habitude des peaux de bananes que
certains (le plus souvent, mais pas
toujours, leurs adversaires) disposent
devant eux. Et, lorsqu’ils ne
parviennent pas à les éviter, ils
s’étalent. C’est là un des ressorts du
rire, comme l’analysait il y a plus
d’un siècle le philosophe Henri
Bergson. Parmi les procédés menant au
rire, il en est certains qui
s’appliquent assez bien à la situation
actuelle du gouvernement. Bergson
parlait par exemple de la
répétition, lorsque une même
scène grotesque se produit plusieurs
fois de suite, ou encore de l’effet
boule de neige, et sa thèse
générale était que ce qui provoque le
rire est la superposition sur du
vivant d’un effet mécanique.
Revenons donc à la
peau de banane. Un homme (mais ça
fonctionne aussi avec une femme)
marche tranquillement (c’est du
vivant) quand soudain il glisse et
accomplit un mouvement qui peut faire
penser aux acrobaties d’un break
dancer mais qu’il est plus
simple de décrire en disant qu’il se
casse la gueule. La peau de banane
peut s’être trouvée là par hasard (un
chimpanzé passait par là et, après
avoir dégusté son fruit, en a jeté la
pelure) ou avoir été déposée
intentionnellement.
Mais il est un
troisième cas de figure, qu’illustrent
bien le président Macron et son
gouvernement. Prenez l’affaire Benalla
(au fait, quand passera-t-il devant
les tribunaux, Alexandre
Benalla ?) : personne n’a
transformé ce proche du président en
faux flic tabassant un manifestant. Ou
encore, personne n’a inventé un
ministre de l’intérieur, Darmanin pour
ne pas le citer, sortant inopinément
une loi dont l’article 24 a fait
beaucoup de bruit. Pas plus que de
sales gamins mal intentionnés n’ont
bricolé un discours sur l’inutilité de
masques qu’on n’avait pas, ou n’ont
imaginé un protocole de vaccination
ridicule.
Vous l’aurez compris,
le troisième procédé que j’annonçais
consiste pour quelqu’un à déposer
devant lui une peau de banane puis à
prendre son élan et à se précipiter
dessus. Patatra ! Glissade,
figure de break dance et on
se retrouve dans la boue… On peut
imaginer qu’un clown de livre
méthodiquement à cette figure, pour
faire rire bien sûr, c’est son métier.
Et on ne rirait pas si l’on ne l’avait
pas vu d’abord disposer soigneusement
son piège. Mais, en l’occurrence, il
ne s’agit pas d’un clown (enfin, pas
d’un clown professionnel), il s’agit
d’un président ou de ministres.
Beaucoup disent que l’opposition
n’existe plus aujourd’hui (et c’est
vrai qu’elle n’a pas beaucoup d’idées)
mais elle est inutile puisque le
pouvoir fournit lui-même les peaux de
bananes qui vont le ridiculiser. Bergson
n’avait pas pensé à ça, ou n’avait pas
rencontré ce cas de figure. Comme quoi
nous vivons une époque moderne… et
inventive.
2
janvier 2021: conseils
sanitaires
Tout
d'abord, bonne année à tous.
J’ai
récemment entendu à la radio que la
canicule de 2003 avait tué 20% de
plus de femmes que d’hommes. Mon
sang n’a fait qu’un tour :
quoi, la canicule aussi serait
machiste ! Je suis tout d’abord
allé vérifier les chiffres. Il y a
eu, en août 2003, 15.000 décès en
excès (c’est-à-dire 15.000 de plus
que les années précédentes à la même
période), 87% d’entre eux avaient
plus de 70 ans et 65% étaient des
femmes. Je me suis alors dit que les
femmes vivaient plus longtemps que
les hommes et, là aussi, je suis
allé vérifier les chiffres
(rassurez-vous, je ne me suis pas
beaucoup fatigué, j’ai cherché les
statistiques officielles). Le petit
tableau ci-dessous, concernant la
population française par sexe au 1er
janvier 2020, confirme encore cette
information :
Age
|
Nombre d’hommes
|
de femmes
|
95 ans
90 ans
85 ans
80 ans
60 ans
50 ans
40 ans
30 ans
20 ans
10 ans
1 an
|
16.359
57.533
122.243
173.240
407.015
439.368
405.284
385.549
398.800
428.212
365.656
|
53.442
128.482
202.703
234.771
438.821
449.572
425.335
408.207
379.795
408.308
350.503
|
On
On voit qu’il y a davantage de
garçon que de filles à la naissance,
que la mortalité précoce des hommes
rétablit la parité autour de 40 ans,
et que plus on s’avance vers les
âges avancés et plus la proportion
s’inverse (l’espérance de vie est de
85 ans en moyenne pour les femmes
contre 80 pour les hommes).
Revenons
donc
à la canicule. Les chiffres
ci-dessus ne suffisent pas à
expliquer la surmortalité des
femmes. A 80 ans par exemple, les
femmes représentent 57% de la
population. Mais une analyse plus
poussée nous montre que cette
canicule a surtout frappé des
personnes isolées. Or les femmes
âgées vivent souvent seules (ce qui
est normal : les hommes meurent
avant). C’est donc les femmes âgées
et seules qui furent les
premières victimes.
Tout
ceci
me mène à la pandémie que nous
vivons actuellement et à quelques
conseils sanitaires aux messieurs
qui souhaiteraient échapper au
coronavirus. Pour peu que vous
lisiez parfois les journaux ou
écoutiez un peu les media
audiovisuels vous connaissez les
gestes barrières, inutile d’y
revenir. Vous savez aussi qu’il est
déconseillé d’aller danser toute à
nuit au milieu d’un millier de
personnes. Par ailleurs, il est
difficile de rajeunir. La seule
solution est donc de changer de
sexe. Renseignez-vous, il y a de
bons chirurgiens. Mais devenir
femmes ne suffit pas, il vous faut
aussi vivre en couple. Or plus vous
vieillissez moins vous trouverez
d’hommes (surtout si beaucoup
d’entre eux ont suivi mon conseil et
sont devenus femmes). Donc, pour ne
pas vivre seules (oui, je passe au
féminin), vivez avec une femme.
Après avoir changé de genre, changez
de sexualité. And fuck the virus…
|